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Dans cette deuxième partie de notre recherche nous nous sommes attachés à caractériser l’Axe-Seine, territoire potentiel d’implantation des technologies de captage, transport et sto-ckage du CO2. Nous souhaitions ici comprendre les dynamiques spatiales de ce territoire en termes de projets d’Aménagement, de gestion du problème du réchauffement climatique, mais aussi identifier des facteurs favorables ou défavorables à une éventuelle implantation des tech-nologies de CTSC.

Comme nous l’avons observé dans le troisième chapitre, l’échelle spatiale de la vallée de la Seine fait l’objet de projets d’Aménagement du Territoire depuis les années 1970. Un premier Schéma d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU) du territoire de la Basse-Seine a été adopté et mis en application en 1971. L’objectif de ce premier projet d’aménagement était de faire de la basse vallée de la Seine une zone d’appui pour le développement économique de l’agglomération parisienne. Les concepteurs de ce schéma souhaitaient ainsi attirer une partie des entreprises franciliennes en mobilisant les atouts économiques et industriels du territoire, mais aussi en insistant sur la proximité géographique de ce territoire avec Paris. En 2008, le gouvernement s’interroge sur l’avenir de l’agglomération parisienne. Il souhaite faire de Paris une ville monde. Un concours d’architecture est donc organisé par l’État sur cette question. Le projet porté par Grumbach remporte ce concours d’architecture. Cette équipe considère que la vallée de la Seine est un espace pertinent pour faire de Paris une ville monde. Grumbach considère en effet que toutes les villes mondes possèdent un port qui les connecte aux flux de l’économie mondialisée. Il envisage donc les ports du Havre et de Rouen comme ports pour l’agglomération parisienne. Toutefois, l’avenir de la métropole parisienne tel que le conçoit Grumbach est celui d’une mé-tropole qui limite ses impacts sur l’environnement : « la mémé-tropole de l’après Kyoto ». Dans son projet d’Aménagement du Territoire il propose donc de s’appuyer sur les démarches d’écologie industrielle et des mobilités douces telles qu’elles sont proposées dans les travaux de Rifkin (Rifkin, F. Chemla et P. Chemla 2012). Selon Grumbach, l’échelle de l’Axe-Seine permet d’appliquer ces démarches de façon optimale.

Concernant la réduction des émissions de gaz à effet de serre, les propositions de Grumbach semblent concordantes avec les démarches déjà mises en œuvre dans les Schémas Régionaux Climat, Air, Énergie (SRCAE) dans les régions de l’Axe-Seine. En effet, notre observation des orientations relatives au secteur industriel montre que l’écologie industrielle est une solution envisagée dans chacune des régions de l’Axe-Seine. En revanche, l’éventuelle utilisation des technologies de captage, transport et stockage du CO2 est uniquement une option présente

dans le SRCAE de la région Haute-Normandie. Notre observation des émissions de CO2 poten-tiellement captables grâce aux technologies de CTSC justifie la référence à cette solution dans le SRCAE. En effet, les principales concentrations de sites émetteurs susceptibles d’utiliser ce dispositif technique sont localisées en Haute-Normandie. Toutefois, dans cette région aucun réservoir géologique n’est adapté pour le stockage du CO2. Ces derniers sont principalement localisés en Île-de-France.

Bien que pertinent pour contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l’industrie, le dispositif de captage, transport et stockage du CO2 serait cependant susceptible de rencontrer des oppositions s’il était implanté. Dans le quatrième chapitre de cette recherche, nous avons observé plusieurs limites vis-à-vis du déploiement de ces technologies. La littérature scientifique concernant les conflits d’usage, la sociologie des techniques, mais aussi les retours d’expérience de précédents projets, permettent d’identifier des zones spatiales potentiellement défavorables pour l’implantation des technologies de CTSC. L’analyse de la littérature relative aux conflits d’usage soulignent que ces derniers ont davantage lieu dans les zones périurbaines où résident des populations issues des classes moyennes. Par ailleurs, ces conflits d’aménagement débordent bien souvent les enjeux directement associés au projet. Par exemple, un précédent projet d’expérimentation du CTSC implanté a Lacq, dans le sud-ouest de la France a révélé que ce dispositif technique soulevait aussi des oppositions de la part des viticulteurs qui y voyaient une atteinte à l’image de leurs produits. En effet, les vignobles de Jurançon situés au-dessus du réservoir de stockage de CO2 font l’objet d’une Appellation d’Origine Contrôlée (AOC). La mise en relation d’un projet d’aménagement avec les dégradations qu’il pourrait entraîner sur l’économie locale, le cadre de vie mais aussi l’environnement est une dimension à prendre en compte.

Dans l’Axe-Seine, nous avons tout d’abord observé une proportion plus importante de l’habitat périurbain et de populations appartenant aux classes moyennes et résidant dans ce type d’es-pace en amont de l’axe. Ensuite, nous avons identifié plusieurs zones spatiales faisant l’objet d’appellations d’origine contrôlée et protégée. Ces dernières sont pour partie situées en Île-de-France, région où est envisagé le stockage du CO2. Notons par ailleurs que la présence de zones naturelles d’exception tout au long de l’Axe-Seine pourraient également engendrer des oppo-sitions face à l’implantation de ces technologies. Enfin, l’analyse de précédents débats publics ayant eu lieu dans l’Axe-Seine a, quant à elle, montré la sensibilité des associations franciliennes de riverains vis-à-vis des projets susceptibles de perturber le cadre de vie ou ne contribuant pas au développement local. Ainsi, implanter un dispositif de CTSC dans l’Axe-Seine, où le volet stockage serait essentiellement localisé en Île-de-France semble relativement complexe.

Au début de cette seconde partie de notre travail, nous avons rappelé que les dispositifs tech-niques et les territoires s’entre-définissent (Akrich 1989). Comme le rappelle Simondon (Si-mondon 2012) un objet technique est le point de rencontre entre un milieu technique et un milieu géographique et doit être intégré aux deux milieux à la fois (Op. cit., p. 64). Pour exister un objet technique doit parvenir à créer un milieu mixte (techno-géographique) qui associe ces deux milieux, sans lequel il n’existerait pas lui-même. Simondon prend l’exemple de la turbine

de Guimbal. La particularité de cette invention est qu’elle permettait de localiser la génératrice dans le même conduit que la turbine. Ce type de turbine est notamment utilisé dans les usines marémotrices pour la production d’électricité. Ici l’eau s’infiltrant dans la turbine permet à la fois la production d’électricité et le refroidissement de la génératrice. Pour Simondon, cette turbine parvient à créer ce milieu mixte. Selon lui, l’évolution technique a permis la conception de ce type de technique pour améliorer la production d’électricité. Cependant, sans l’action de refroidissement de l’eau sur ce dispositif technique celui-ci ne pourrait exister.

Dans cette seconde partie, nous avons décrit le milieu géographique d’implantation potentiel des technologies de CTSC dans l’Axe-Seine. L’enjeu d’une implantation effective des technologies de CTSC dans l’Axe-Seine est la création d’un milieu techno-géographique par les technolo-gies de CTSC, garant de leur existence effective. Au regard des travaux de la sociologie de la science et des techniques, nous pouvons affirmer que cette implantation effective des techno-logies de CTSC dans l’Axe-Seine est conditionnée par la constitution et la stabilisation d’un réseau sociotechnique composés d’éléments hétérogènes (artefacts techniques, éléments natu-rels, réglementations, Acteurs et Organisations.) (Hughes 1987, Law 1989). Dans la troisième partie de ce travail nous nous intéresserons donc aux prémices de la constitution de ce réseau so-ciotechnique. Nous analyserons les promesses technoscientifiques (Borup et al. 2006) associées aux technologies de CTSC par leurs promoteurs, mais aussi les visions (Chateauraynaud 2011) d’une utilisation future de ce dispositif technique par les décideurs locaux.