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1. LA RESTAURATION EN MAÇONNERIE

1.4. Conclusion et pistes de travail

Les entretiens auprès des chefs d’entreprises de maçonnerie ont permis de montrer que la restauration – conservation du patrimoine architectural constitue un marché dont les caractéristiques en font un domaine d’activité distinct, avec ses partenaires et ses perspectives d’évolution propres.

Si les professionnels considèrent que cette activité est susceptible de se développer, ils nous ont surtout convaincu que son essor dépendait de la capacité des entreprises à s’organiser pour faire de ce marché, un véritable « marché professionnel ». Cela nécessite une connaissance approfondie des ressources locales concernant les matériaux comme les techniques traditionnelles de construction, une capacité à contribuer au diagnostic et à l’élaboration du projet, un ensemble de savoirs et savoir-faire spécifiques, et une capacité à remettre en cause des pratiques couramment admises dans la profession. Les artisans rencontrés présentent de fait une identité professionnelle particulière, tant ils se distinguent par leur connaissance intime des matériaux, leur intérêt et leur maîtrise des techniques traditionnelles, leur capacité à observer et apprécier un bâti existant et leur goût pour le

« travail soigné ».

Les chefs d’entreprise ont exprimé des besoins en matière de recrutement, en maçonnerie et non en taille de pierre. Ils apparaissent cependant dubitatifs quant à la possibilité de résoudre les difficultés de recrutement, autant d’ailleurs en raison de l’image dégradée de la profession de maçon que de l’incapacité de l’appareil de formation à apporter une réponse de qualité.

Complétant l’enquête réalisée auprès des chefs d’entreprise par une étude de l’offre de certifications et son évolution dans le domaine de la maçonnerie et de la taille de pierre, nous avons dans l’ensemble constaté que les besoins du patrimoine étaient peu pris en compte. En nous efforçant de lire les évolutions à moyen terme de l’offre de certifications, nous avons cherché à en analyser les déterminants. Si malgré la croissance du marché et l’intérêt croissant de notre société pour la bonne conservation et la valorisation du patrimoine, l’offre de certifications ne semble guère prendre en compte l’activité de conservation – restauration, cela ne tient-il pas à ce que les besoins dans ce domaine sont insuffisamment relayés au niveau national ?

L’approche diachronique de l’offre de certifications a permis d’établir des correspondances entre évolution des technologies et des marchés et évolution des diplômes. Sur ce point, il est apparu que chaque fois que la demande d’un groupe structuré (branches, syndicats groupement d’entreprises) était relayée par les organisations professionnelles, cela avait rapidement débouché sur des infléchissements de l’offre de certifications. La représentation insuffisante des entreprises intervenant sur le patrimoine constitue sans doute un frein à la prise en considération de leurs besoins en personnel qualifié. Elle porte tort à l’ensemble du secteur du bâtiment pour qui le patrimoine pourrait être un moyen de restaurer son image et une façon de combattre la réduction de son métier à des questions de logistique et d’assemblage.

L’étude des diplômes gérés par les deux ministères de l’Education et de l’Emploi, nous a logiquement amené à tenter des analyses comparatives sur la façon dont chaque ministère ou organisme certificateur conçoit et fait évoluer l’offre de certifications en concertation avec les milieux professionnels. Il ne s’agissait pas tant de détecter d’improbables doublons dans les certifications mais plutôt de comprendre ce qui amène ces institutions, l’une et l’autre soucieuse de répondre aux besoins des entreprises, à des configurations de titres et de diplômes aussi différentes.

Du point de vue du patrimoine la confrontation des offres de certifications amène à se poser de nombreuses questions sur les logiques qui fondent chez les uns et les autres l’évolution de l’offre.

Pourquoi l’Education Nationale n’a t-elle pas réussi à mettre en place des diplômes de maçonnerie comportant des réponses aux besoins du patrimoine ? Le regroupement des diplômes en fonction de

la nature du matériau traité, la place croissante prise par la description des process industriels dans les référentiels des diplômes ne se font-ils pas au détriment de l’objectif d’éducation et de formation professionnelle ? Comment se fait-il que le ministère de l’emploi maintienne certains titres professionnels auxquels l’Education nationale semble avoir renoncé ?

L’offre de certifications des deux ministères ne répond pas suffisamment aux besoins de qualifications dans le domaine de la restauration en maçonnerie. Pourtant l’exploration que nous avons engagée sur les documents qui décrivent l’état des connaissances dans ce domaine, montre qu’en presque 20 ans une littérature importante a été constituée tant dans le domaine des techniques traditionnelles que dans les techniques nouvelles de réparation – consolidation. De nombreuses formations ont été par ailleurs expérimentées et ont parfois donné lieu à l’élaboration de référentiels.

Dans le contexte que nous venons de décrire – mobilisation des acteurs locaux, vivier d’artisans et d’entreprises ayant fait leur métier de la restauration du patrimoine, existence d’une documentation abondante et accumulation d’expériences de formation – bien des éléments semblent réunis pour faciliter la mise en place de nouvelles certifications. Aussi nous conclurons ce chapitre en proposant quelques pistes de travail pour une meilleure prise en compte des activités de restauration en maçonnerie dans l’offre de diplômes.

En ce qui concerne les diplômes de l’Education nationale :

Parmi les CAP du bâtiment, le CAP de maçon demeure un diplôme au spectre très large et qui fait peu de place au patrimoine. Sa bipolarisation (béton armé et maçonnerie) est le fruit de l'histoire, et la présence d'effectifs importants (environ 5000 jeunes en année terminale de formation dont 10 % seulement en lycée professionnel) permet d'envisager, soit l'instauration de dominantes, soit la création d'une mention complémentaire. Cette perspective ne se justifie pas seulement par l’existence d’un potentiel d’emplois de niveau V en restauration. La formation professionnelle n'est pas seulement (et loin s'en faut) un moyen de mettre en adéquation l'emploi et les qualifications ; elle est aussi une forme d'éducation, une première étape dans la découverte d'un champ professionnel et doit donc solliciter l'intérêt, la curiosité, la créativité … ce que le domaine du patrimoine est précisément en mesure de favoriser.

Au niveau IV et III, la mention complémentaire post niveau IV de restauration du patrimoine architectural option gros-œuvre pourrait être remplacée par un diplôme de niveau IV, BP ou Baccalauréat Professionnel. En ce qui concerne la pierre, il nous semble important, même si cela concerne de faibles effectifs, de confirmer l'existence d'une filière spécifique à la restauration, associant taille et procédés de réparation. Concrètement cela signifie la mise à jour des contenus du référentiel du "BP MH", sa transformation en diplôme national et l'affirmation d'une complémentarité avec le BTMS pierre dont il pourrait s’avérer utile de préciser le contenu.

Les titres professionnels du ministère en charge de l'emploi semblent se répartir en deux catégories : les titres d'agent et de chef d'équipe d'entretien général du bâtiment qui visent le domaine de la maintenance - réhabilitation, et les titres qui concernent plus particulièrement la conservation - restauration du patrimoine. Sur ce deuxième axe, nous ne pouvons que souhaiter l’aboutissement du projet d’élaboration d’un titre de maçon du patrimoine.

L'examen des référentiels emploi, activité et compétences et des référentiels de certification incite à formuler deux suggestions :

- Pour les titres visant la maintenance - réhabilitation des bâtiments : veiller à intégrer une sensibilisation au respect du patrimoine bâti ;

- Pour les titres visant la conservation - restauration : intégrer les techniques nouvelles de réparation et de consolidation.

Nous ne pouvons clore ce chapitre sans rappeler au lecteur la concordance de nos analyses sur les besoins en qualification des entreprises avec celles qui étaient déjà formulées il y a une dizaine d'années dans un rapport de synthèse réalisé en 1992 par Jean-Louis Paulet pour le CEDEFOP :

« Le phénomène de la construction neuve a fait disparaître progressivement des programmes de formation tout ce qui concerne les matériaux anciens ... Il est donc de toute première urgence que la formation sur le bâti ancien reprenne sa place dans la formation initiale du BTP, car une qualification du type mention complémentaire, même si elle présente une sérieuse avancée en réponse aux besoins en personnels qualifiés, représente de sérieuses remises en cause des acquis de départ, tous établis pour les seuls travaux neufs ... Les systèmes de formation ont besoin, dans la plupart des pays, de revoir les programmes existants, d'inclure les savoirs et savoir-faire de la restauration et de la réhabilitation, peu présents aujourd'hui dans la plupart des cursus. »

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