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Des besoins de formation liés à la réhabilitation du métier

1. LA RESTAURATION EN MAÇONNERIE

1.1. L'économie du secteur

1.1.1. Caractéristiques, marchés et compétences attendues

1.1.1.4. Des besoins de formation liés à la réhabilitation du métier

Les artisans et chefs d’entreprise enquêtés présentent l’orientation de leurs activités vers la restauration comme un choix les ayant amené à se détourner de la construction neuve où domine le travail déqualifié et la routine. Pour travailler en restauration, il faut (au contraire) avoir le goût du travail bien fait, l’envie d’apprendre et de se perfectionner. Il faut acquérir beaucoup de connaissances techniques et historiques, aimer observer, analyser, … réfléchir. Au final c’est la notion de métier qu’invoquent les artisans pour caractériser leur activité en restauration.

Paradoxalement c’est l’image négative du travail du maçon, la dévalorisation du métier qui explique à leurs yeux la persistance d’une pénurie de personnel qualifié alors que dans des domaines proches, celui de la taille de pierre par exemple, il y a de nombreuses vocations. La solution du problème du recrutement passe par la réhabilitation du métier de maçon. Les responsables d’entreprise regrettent de ne pouvoir suffisamment s’appuyer sur les établissements de formation pour restaurer l’image du métier et apporter des bases solides aux jeunes pour leur permettre de s’orienter vers le patrimoine.

Le lycée, le centre de formation d’apprentis devraient enseigner l’histoire de l’architecture, faire découvrir les techniques anciennes, ouvrir à la connaissance approfondie des matériaux et donner le goût de la restauration. Ils le font trop peu.

L'identité des professionnels de la restauration

Pour se lancer dans la restauration, il faut avoir le goût du travail soigné, l'envie d'apprendre, de se perfectionner, d'évoluer.

« C'est une question d'état d'esprit, de goût. Pour travailler dans le patrimoine, il faut avoir un goût pour les études, pour la formation, avoir envie de réfléchir, d'analyser. Il faut avoir une formation spécifique, à la fois historique et technique. »

Les connaissances qu'il faut mobiliser sont souvent décrites par opposition à la construction neuve qui se caractérise par la définition pré-établie des techniques à mettre en oeuvre, l'émiettement des tâches, bref la routine. Cette perception est bien sûr influencée par l'expérience très prégnante de la production industrialisée et quelques interviewés ne manquent pas de signaler qu'il faut distinguer, dans la construction de maisons neuves par exemple, le pavillonnaire de la construction artisanale.

Ce qui retient le plus notre attention dans les citations qui suivent, c'est l'affirmation de la nécessité d'une polycompétence, l'importance du regard global à porter sur l'édifice à restaurer, la capacité à faire face aux imprévus.

« Les maçons "traditionnels" ont tendance à appliquer une succession de procédés presque indépendants les uns et des autres tandis que nous, notre travail est plus complexe et surtout plus global : le travail répétitif est exclu. Dans la restauration, on ne peut pas envisager une partie du travail sans observer l'ensemble : il faut donc avoir des compétences multiples. La spécialisation que l'on trouve dans la maçonnerie "traditionnelle", où un ouvrier ne fait qu'un seul type de

bardage, et un autre ne s'occupe que des façades est impossible dans notre domaine, ou il faut être capable d'effectuer des tâches variées et de les effectuer d'une manière toujours différente. »

« Dans le neuf, il y a beaucoup de routine, tandis que dans la restauration, il faut davantage réfléchir. Il faut se poser des questions par rapport à la sécurité, aux conditions de réalisation du travail, à la mise en œuvre. Il ne faut jamais perdre de vue que nous sommes susceptibles de créer des désordres dans l'existant. Contrairement au neuf, on ne part pas de rien, il faut être particulièrement vigilant. Il faut arriver à faire face à l'imprévu, parce que dans des chantiers de restauration, il y en a toujours. C'est aussi pour ça qu'il faut avoir de l'expérience pour mener le chantier : par exemple, il faut toujours prendre plus de matériaux que nécessaire, ce qui pourrait apparaître stupide dans le cas de la construction neuve. »

« Dans le neuf, les techniques utilisées sont pré-établies. Dans la rénovation, on ne fait jamais deux fois la même chose, et c'est cette diversité qui est intéressante. Cela induit le fait que l'on ne réfléchit pas de la même façon : sur de l'ancien, on réfléchit beaucoup moins au rendement. Il faut prendre davantage de précautions pour ne pas abîmer le bâti existant. Pour moi, monter des agglos, c'est un travail, restaurer un bâtiment, c'est un métier. Certains préfèrent monter des agglos. Lorsque j'ai repris l'entreprise de mon père et que j'ai décidé de m'orienter vers la restauration, certains ouvriers n'étaient pas intéressés. Ils ont quitté l'entreprise. Mais il ne faudrait pas non plus exagérer la différence entre les deux : quelqu'un qui est bien encadré et qui est motivé peut passer du neuf à l'ancien. »

« Le maçon qui travaille sur du patrimoine doit réfléchir vraiment, trouver l'origine des problèmes, analyser le bâti. Ca demande pas mal de réflexions en dehors du temps de travail. Faire du patrimoine, c'est un choix. Si on était "monteur", avec les 8 personnes qui travaillent dans l'entreprise, on ferait un chiffre d'affaire deux fois plus élevé ... Mais attention, il y a neuf et neuf : il y a le style "pavillonneur" et le style artisan. On peut faire de belles réalisations neuves ... »

La perception que les chefs d'entreprise ont de leur activité, c'est en définitive celle d'exercer un métier au sens plein du terme.

« L'essentiel de mon métier c'est le respect de ce patrimoine, ce respect doit se manifester à deux niveaux:

- d'une part, respect du bâtiment que l'on réhabilite et de la valeur esthétique de celui-ci.

- d'autre part, respect des techniques. »

Présenter ainsi, le métier de maçon a un avenir et peut attirer les jeunes comme l'affirme cet artisan qui est aussi le plus jeune professionnel de sa promotion à avoir obtenu un diplôme d'université dans le domaine du patrimoine.

« Le plus important c'est d'avoir conscience de ce qu'on fait, de ne pas faire des choses sans savoir pourquoi et surtout de ne pas faire des travaux irréversibles. il ne faut pas se dire qu'on est manuel, et qu'on travaille seulement avec les mains : il faut que la main rejoigne l'esprit. Le patrimoine, c'est prendre conscience que chaque bâtiment a sa personnalité, et qu'il faut la respecter. Ce serait bien aussi de parler davantage des formations, de ce qui existe, surtout aux jeunes. Pour le diplôme d'université, j'étais le plus jeune, ça concernait surtout d'assez vieux artisans qui ont déjà l'amour du métier, pas du tout des jeunes qui le découvrent ... »

Des besoins en personnel

Dès les premiers contacts au sujet de cette étude, nous avons refusé de quantifier les besoins en personnel, estimant que la priorité était ailleurs et qu'une telle entreprise comportait actuellement trop d'incertitude. Des estimations ont été réalisées par les organisations professionnelles pour l'ensemble du secteur du bâtiment mais la reproduction de cette démarche pour le seul secteur de la

les nomenclatures sur lesquelles s'appuient les grandes enquêtes statistiques n'identifient pas les entreprises intervenant dans ce domaine. Nous savons par ailleurs qu'il n'y a pas de frontières précises et immuables entre les différents secteurs qui composent l'activité du bâtiment. Malgré les avancées en matière d'identification et de structuration des entreprises intervenant sur le patrimoine, CIP patrimoine et mention QUALIBAT, il en est sans doute de l'activité de restauration comme de la construction de maisons individuelles, de la réhabilitation des logements sociaux, de la construction de bureaux ou de la réalisation ou de l'entretien de bâtiments industriels : les entreprises comme les professionnels ont la possibilité de réorienter leur activité en fonction de l'évolution des marchés.

Enfin l'évaluation des besoins de recrutement dans le secteur du bâtiment est délicate. La part de prévision reposant sur la démographie est certainement la plus sûre et elle permet déjà d'affirmer l'existence de besoins importants. L’importance des variations conjoncturelles dans ce secteur est pourtant bien connue. Les entreprises sont amenées à réviser parfois brutalement leurs politiques d'embauches et de gestion du personnel en raison de retournements de conjoncture et les prévisions réalisées en période de conjoncture haute peuvent se révéler rapidement caduques.

Ceci étant dit, les entretiens réalisés auprès des chefs d'entreprise mettent en évidence des besoins en personnel. Il s'agit souvent d'assurer le renouvellement de la pyramide des âges tout en prenant en compte la nécessité de transmettre les savoir-faire aux jeunes générations, ce qui confère à cette demande une dimension qualitative. La recherche de personnel est aussi parfois motivée par la volonté de répondre à un accroissement potentiel d'activité.

« Je commence à penser à la reprise de l'entreprise, c'est pourquoi je rechercherai quelqu'un qui soit capable de devenir chef. Il me faudrait quelqu'un de déjà expérimenté (35-40 ans), mais qui accepte de "rentrer dans le moule", c'est à dire qui partage l'idée que je me fais du métier d'artisan.

Je pense qu'aujourd'hui, pour devenir artisan, il faut au moins un niveau brevet de maîtrise, car les contraintes administratives deviennent considérables et il faut arriver à les gérer. »

L'objectif est d'avoir une base de jeunes pour dynamiser les autres et aussi pour assurer la transmission des savoirs. La pénurie de personnel dont se plaignent les chefs d'entreprise rencontrés n'a rien d'exceptionnel puisqu'elle s'exprime tout aussi bien dans les autres segments d'activités du bâtiment. Toutefois on peut observer que beaucoup cherchent des professionnels ayant des compétences et connaissances qui font actuellement défaut.

« Je crois qu'on peut avoir quelques inquiétudes : nous avons une grave pénurie de main d'œuvre et les personnes que l'on est susceptible d'embaucher manquent souvent d'une solide formation de base et de culture générale, alors que pour la restauration du patrimoine, c'est très important. »

« On cherche plutôt à diminuer le CA car on manque de responsables de chantiers compétents et on a un mal fou pour trouver du personnel de chantier à embaucher. »

La pénurie concerne tout particulièrement le domaine de la maçonnerie traditionnelle. La plupart des chefs d'entreprises estime que le recrutement de tailleurs de pierre ne pose pas de problème majeur. Les jeunes sont attirés par ces métiers, et pour peu que l'entreprise ait suffisamment de chantiers sur des monuments historiques et de travaux de haut niveau technique ou artistique , la transmission des savoirs s'effectue normalement en interne. Il n'en va pas de même pour les maçons.

« Ce qu'il faudrait avant tout ce sont des maçons avec un CAP et sachant travailler en traditionnel.

Les tailleurs de pierres, ce ne sont pas des qualifications dont on manque, mais le problème c'est les maçons. »

« Si on ne faisait pas de monuments historiques, on finirait par perdre le savoir-faire en taille de pierres compte tenu de la taille mécanique. Par contre en maçonnerie on n'a pas de jeunes, donc le métier se perd (savoir monter par exemple un mur en pierres sèches). »

Les compétences recherchées

Quelques dirigeants expriment des besoins spécifiques parmi lesquels certains pourraient constituer si ce n'est de "nouveaux métiers", en tout cas des qualifications particulières. La formation continue constitue pour certains une bonne réponse compte tenu de l'image négative du métier de maçon.

« Apprendre à réaliser une construction en pisé, réaliser des colombages. »

« Formation de "ravaleur de façades", qui consiste à travailler la pierre posée sur façade (finition au chemin de fer). C'est possible dans nos régions de tuffeau (pierre tendre). Le ravaleur doit être plus qualifié que le tailleur de pierres et il n'existe pas d'offre de formation pour ce "métier". »

« L'Education nationale ne fait rien pour nous valoriser : elle nous envoie tous ceux dont personne ne veut … alors que nous avons besoin de gens compétents ... Le problème est dans les mentalités aussi : personne n'est jamais fier de dire que son fils va être maçon. Pour moi ce qui serait important, ce serait de faciliter l'accès à des formations diplômantes aux gens de terrains. Il faudrait que l'on ait la possibilité de se former facilement à tout moment ... Je trouve qu'il y a un véritable manque d'information par rapport aux formations existantes plutôt qu'un manque de formations. »

Plus généralement, ils s'entendent pour affirmer la spécificité du "maçon du patrimoine", les connaissances particulières qu'il doit acquérir sur les matériaux, la maîtrise nécessaire des outils à mains traditionnels.

« Un ouvrier maçon du patrimoine a la connaissance des techniques anciennes : chaux vives, aériennes ... Il sait comment plastifier le mortier en ajoutant du savon ... Il a des connaissances dans les domaines connexes : il sait que le ciment attaque le zinc et qu'il ne tient pas sur la pierre et donc que cela ne permet pas d'assurer la pérennité des réparations. Il y a eu un abus de produits industriels et cela a favorisé la perte de savoir-faire. Il y a des sinistres du fait que l'on a utilisé un mortier de bas de gamme fortement composé de résines et qu'on s'efforce de faire tenir dessus un mortier de chaux. Il y a une méconnaissance des matériaux et de leur compatibilité, une perte de savoir faire dans les dosages des adjuvants et donc des défauts d'homogénéité dans les couleurs. » Devant la difficulté de recruter des professionnels qualifiés, plusieurs chefs d'entreprise veulent s'investir dans la formation du personnel. Ils souhaitent recruter des jeunes qui ont une certaine habileté, une envie d'apprendre et connaissent les "bases" du métier de maçon.

« Je viens d'embaucher un gars, ça a duré neuf mois ... C'est très dur d'embaucher : les jeunes ne savent rien faire. Dans mon entreprise, les ouvriers savent faire des travaux variés : travailler sur du gros-œuvre, faire des reprises d'enduits ... J'ai conscience qu'il faut former les jeunes, mais il faut qu'ils arrivent en connaissant un minimum de choses. Le problème c'est que dans les formations, on leur apprend le plus facile, ce qu'on peut leur apprendre nous-mêmes en quelques heures ... »

« Il y a un peu moins d'un an, l'un de mes ouvriers est parti et j'ai cherché à le remplacer. Au début, j'étais exigeant : je recherchais quelqu'un ayant de l'expérience, déjà formé aux techniques du patrimoine. Je n'ai trouvé personne et j'ai changé mes critères : je suis prêt à former quelqu'un moi-même. Je cherche un jeune qui aurait envie d'apprendre les techniques de restauration et qui serait déjà un minimum polyvalent. Je ne veux pas quelqu'un seulement capable de monter des parpaings à longueur de journée. »

« Je recherche des gens avec des connaissances de base solides en maçonnerie "traditionnelle". Je

je compte donc les former moi-même, le marché ne nous propose pas d'autres solutions. Ce qu'il me faudrait c'est un bon maçon, que j'adapterai. »

Pour faire face à cette situation, les milieux professionnels, les collectivités locales se révèlent prêtes à se mobiliser pour proposer des réponses. Nous ne faisons qu'évoquer ici deux initiatives locales parmi beaucoup d'autres :

« Les jeunes, il leur manque les bases traditionnelles du métier. J'espère contribuer à la création d'un centre de formation à X. Le maire rachète de vieilles maisons et la CAPEB organise des formations sur les enduits, les chaux, la restauration des mosaïques que l'on trouve souvent à l'entrée des entreprises viticoles (et que l'on détruisait jusque là parce qu'on ne savait pas les refaire), ou les calades (chemin de galets). »

« Depuis qu'on a créé l'entreprise on a embauché deux fois en CDD en passant par une sorte de bourse d'emplois tenue par l'association de sauvegarde du patrimoine à laquelle on adhère. Pour apprendre à bien maçonner les moellons, il faut deux ans. Mais on ne peut pas prendre d'apprentis, je crois que le dernier CAP de limousinant remonte aux années 1960 ; on fait aussi de la brique montée à la chaux, jamais de béton, de ciment, de parpaings. »

- Des critiques et des attentes à l'égard de la formation initiale

Si chefs d'entreprise, organisations professionnelles et autorités locales se disent prêts à se mobiliser sur la question de la formation, cela s'accompagne de critiques à l'égard de la formation initiale, lycées d’enseignement professionnel ou centres de formation d'apprentis.

« Il faut une formation théorique solide: l'apprentissage sur le tas est fondamental mais il ne suffit pas. Les aspects théoriques sont importants pour comprendre vraiment ce que l'on fait. Il faut se préoccuper surtout des carences au niveau de la formation initiale, parce que dans la restauration, la main d'œuvre doit être vraiment qualifiée. »

« Les professeurs de CFA ne se remettent pas suffisamment en cause, ils ne viennent jamais sur les chantiers voir ce qui se passe. Ils devraient être obligés de faire des stages de remise à niveau. Il est aussi nécessaire de travailler sur les éléments de base de l'histoire de l'architecture ... Je pense qu'il faudrait vraiment revoir la formation initiale. Il faudrait vraiment parler des techniques anciennes et des précautions à prendre avec les nouveaux matériaux et même avec des matériaux qui sont courants et dont on commence à se méfier, comme le ciment ... »

« Durant leur formation initiale, on ne parle pas du tout aux jeunes des nouveaux produits, des nouvelles techniques, alors après ils ne se posent pas de questions et tombent dans le piège des commerciaux qui leur font croire au produit miracle. Il ne faut rien exagérer, mais j'ai l'impression que dans les CFA par exemple, on leur donne le même enseignement qu'il y a 40 ans, alors après forcément, ils ont du mal à s'adapter ... »

Pour conclure, plusieurs dirigeants estiment que le travail du maçon en restauration devrait être mieux pris en compte dans la formation initiale, voire donner lieu à une formation spécifique :

« Un maçon sait monter des parpaings (qui sont enduits, ce qui masque les défauts de montage) et construire des pavillons. Un maçon du patrimoine doit savoir monter des moellons, faire des reprises en sous-œuvre ... il doit savoir faire des travaux plus complexes. Il faudrait une formation spécifique de maçon Patrimoine qui aurait acquis les techniques traditionnelles. »

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