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4. L’autonomie située : l’expérience des intervenantes

4.5. Conclusion

Dans le cadre de ce chapitre, dans l’optique de répondre à la question : comment les

intervenantes exercent-elles leur pouvoir discrétionnaire dans le cadre d’actions situées, régulées par des contraintes de nature organisationnelle, nous avons illustré la relation entre

l’agentivité ou le déploiement de l’autonomie ou de la marge de manœuvre des intervenantes et les conditions données de leur milieu de pratique. Plus précisément, c’est l’expression de l’autonomie des professionnelles de l’intervention, en relation avec les conditions qui influencent leurs possibilités d’action au sein de leur milieu de travail, que nous avons voulu décortiquer.

Dans la première sous-section de ce chapitre, nous avons donc construit, de la manière la plus détaillée possible, un portrait des conditions contraignantes et facilitantes qui produisent l'ordre social –soit les pratiques d’interventions, et ces implications pour le déploiement de la marge de manœuvre de nos interviewées. Nous nous sommes donc attardés, d’une part, à la manière dont le contexte et les structures sociales forment les ancrages des actions. Et d’autre part, à la

manière dont on peut concevoir sociologiquement des enjeux d'ordre individuel et de choix, soit d’autonomie, dans la construction des actions de nos interviewées (leurs interventions). Un tableau récapitulatif (tableau III) de l’ensemble des stratégies qu’elles mobilisent en réponse à ces conditions, pour pouvoir intervenir, se trouve à l’annexe X.

Puis, à la seconde sous-section de ce chapitre, nous avons exploré certaines des stratégies mobilisées par les professionnelles pour composer avec des ressources limitées et une panoplie de rôles à endosser, tout en répondant aux besoins des personnes accompagnées.

Puis, alors que ces conditions facilitent et contraignent l’autonomie réflexive et décisionnelle de nos interviewées, nous avons démontré, dans la troisième sous-section de ce chapitre, comment elles mobilisent un ensemble de stratégies de déploiement de leur marge de manœuvre. Le tout nous amène à considérer que leurs actions sont aussi conditionnées par un ensemble d’autres registres qui renvoient à leurs formations, leurs valeurs, leurs savoirs expérientiels, leur connaissance d’elles-mêmes (forces et limites) comme professionnelles, etc. À cet égard, les travaux de Lipsky (1971) et d’Evans (2004) sur la street-level bureaucracy, nous ont permis d’assoir l’idée que dans un contexte organisationnel, conditionnant les pratiques, les intervenantes déploient leur pouvoir discrétionnaire pour répondre aux besoins des personnes accompagnées. Au-delà des conditions de l’action située, nous avons pu comprendre comment les choix des intervenantes structurent leurs interventions, en les amenant à offrir des services plus arrimés avec le cadre général qu’elles doivent appliquer ou directement en lien avec la spécificité des besoins et enjeux des personnes qu’elles accompagnent.

Finalement, la mobilisation des récits des mêmes intervenantes d’une section à l’autre nous permet aussi de comprendre que les conditions de leurs actions ne sont pas toujours fixes dans le temps et sont modulées par les autres acteurs et actrices qui gravitent autour d’elles et contribuent à normaliser leurs pratiques. Nous avons donc présentés, dans le cadre de la quatrième sous-section de ce chapitre, comment leur marge de manœuvre est élastique et comporte non seulement des limites, mais s’accompagne aussi de responsabilités –telle celle de construire leurs propres balises pour répondre aux demandes des personnes accompagnées et devoir naviguer le regard constant de leurs paires.

Enfin, les intervenantes peuvent toujours tenter de déterminer ou de définir les situations comme elles le veulent, mais l'ensemble des implications qui en découlent ne sont pas le fruit unique de leur contrôle, le contexte comporte toujours une part d'inflexibilité. Bien que les actrices possèdent un pouvoir de définition -vecteur de leur autonomie - des situations d’intervention dans lesquelles elles se retrouvent, il persiste une réalité basée sur des contingences, des contraintes, des actions imprévisibles de la part des autres acteurs et actrices en relation et des dynamiques de pouvoir et d'autorité.

Au regard de cette analyse, une des conclusions centrales que l’on peut tirer relève de la relation entre les possibilités de déploiement de la marge de manœuvre des intervenantes et l’expression de l’autonomie des personnes accompagnées. Enfin, plus elles sont face à des conditions rigides d’action (des contraintes organisationnelles) limitant l’expression de leur autonomie professionnelle et plus elles mettent en œuvre des interventions contraignant l’expression de l’autonomie des personnes accompagnées. En contrepartie, plus leur marge de manœuvre est grande et plus leurs accompagnements sont souples –et ce, même si l’on considère qu’elles y construisent leurs propres limites. Le tout, nous permettant d’envisager une « autonomie en cascade » dans le discours de nos interviewées. C’est-à-dire, que les possibilités d’expression de l’autonomie des intervenantes –face à leur milieu de pratiques, conditionnent le déploiement de l’autonomie des personnes accompagnées au sein de la relation interventionnelle –dans le cadre des relations d’intervention en santé mentale, en contexte communautaire.

C’est pourquoi, pour pouvoir répondre à notre question de recherche, soit : comment se traduit

l’autonomie dans les pratiques d’intervention en santé mentale, il faut non seulement envisager

l’agentivité des professionnelles, mais aussi l’implication de celle-ci en relation aux personnes qu’elles accompagnent. En conséquence, comprendre les dynamiques de négociation qui se jouent entre les structures organisationnelles et les professionnelles de première ligne, nous permet de mettre la table à une compréhension des négociations qui se déroulent à un niveau relationnel avec les personnes qu’elles accompagnent –selon leur perspective. C’est pourquoi nous explorerons dans le cadre du chapitre subséquent les spécificités de l’expression de l’autonomie au sein des dynamiques relationnelles d’intervention et ce, en les envisageant comme une rencontre faite de négociations. Le tout, en s’appuyant sur les récits d’intervention

5. Les relations d’intervention comme espace de