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2   C ADRE CONCEPTUEL DE LA RECHERCHE 7

2.2   Problématique 39

2.2.1   Conciliation « humanité – nature » 39

À la fin du 19e siècle, on pensait que l’aire protégée pourrait servir comme une

île dans la mer, jusqu’au moment où l’être humain aurait appris à utiliser les zones adjacentes en harmonie avec la nature. Or, près de cent cinquante ans depuis la naissance des aires protégées, on assiste plutôt à des pressions anthropogéniques de plus en plus fortes sur la nature. De plus, les experts en conservation de la nature9 n’ont toujours pas tendance à considérer les

populations locales comme des éléments pouvant contribuer de façon importante à la restauration de l’harmonie « humanité – nature » :

Portés par des acteurs extérieurs au territoire, les projets de conservation de la nature ignorent souvent les dynamiques socioéconomiques locales, les pratiques de gestion des ressources naturelles en place, les différents types d’usage associés à une ressource et les connaissances des acteurs locaux (Sébastien et Brodhag, 2004).

Ainsi, les annales des aires protégées démontrent une vision de la conservation exigeant de soustraire la nature et les espèces sauvages aux communautés locales par le biais d’une décision unilatérale du gouvernement central sous forme de déclaration d’aires protégées, sans prendre en considération la réalité ni les intérêts concrets des acteurs sociaux au niveau local. Cette façon de faire a généré par le passé - et entretient encore aujourd’hui - plusieurs conflits un peu partout dans le monde, renforçant la méfiance des communautés locales envers le gouvernement. Ceci dit, il est également évident que les communautés locales n’agissent pas toujours en fonction de la conservation de la biodiversité de leur environnement.

Envisager la faisabilité des objectifs à long terme des aires protégées nécessite de tenir compte de trois pôles, social (incluant le culturel), économique et environnemental, pour :

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Conservation de la nature signifie ici le maintien des processus écologiques essentiels et des systèmes entretenant la vie, la préservation des espèces et des écosystèmes de manière à lutter contre leur disparition. Cette définition se base sur la stratégie développée dans les années 1980 par l’UICN, le PNUE et le Fonds mondial pour la nature (WWF), puis intégrée dans la diversité biologique entrée en vigueur en 1999 (Bourdages et Labelle, 2003).

- maintenir ou améliorer la qualité du milieu;

- générer une valeur ajoutée permettant de satisfaire à une partie des besoins matériels de la population;

- favoriser le transfert de connaissances et de richesses, y compris les richesses naturelles, à l’intérieur de la génération actuelle et d’une génération à l’autre.

À cet effet, lorsque les gouvernements demandent aux institutions de conservation d’interagir avec les populations locales, celles-ci doivent composer avec une pénurie de plus en plus criante de personnel et avec des administrateurs d’aires protégées qui ne possèdent pas la préparation académique, les compétences ni les connaissances du milieu local nécessaires pour créer un rapprochement avec les communautés des zones d’amortissement.

De plus, les caractéristiques et les conditions inhérentes aux communautés rurales complexifient une intervention orientée à la fois vers la réduction des pressions sur les ressources naturelles des aires protégées et vers l’amélioration des conditions de vie desdites communautés (Beresford, 2001). En somme, il n’existe pas de modèle méthodologique systémique permettant :

- d’identifier et de préciser des problèmes de même que des acteurs responsables dans les communautés locales;

- d’orienter les objectifs, fonctions et tâches des différents acteurs impliqués; et

- de favoriser une diversité de ressources (humaines, matérielles, financières) institutionnelles ou interinstitutionnelles.

Afin de permettre ce changement structurel qui tendrait vers l’atteinte d’objectifs à long terme, il importe d’établir une négociation équilibrée entre, d’une part, la nécessité de protéger des habitats, des espèces et des écosystèmes et, d’autre part, la demande d’action immédiate pour solutionner des problèmes urgents de la population locale rurale tels que pauvreté, chômage et exode des jeunes.

Seule une approche intégrée de conservation de la biodiversité liée au respect de valeurs socioculturelles et au secteur économique peut bénéficier à la population locale, voire régionale, à court terme et à long terme, et susciter chez elle le désir de protéger son environnement.

L’introduction de modèles de gestion participative du territoire par l’implication des citoyens et le renforcement des capacités locales demeure en phase de conception. Il importe de bien comprendre que la gestion participative n’est pas un objectif, mais plutôt un processus dynamique dans lequel se créent des espaces de concertation, d’alliances stratégiques, idéalement à l’intérieur d’un cadre légal, pour renforcer les capacités de tous à travailler ensemble en vue d’atteindre les objectifs de conservation de la biodiversité dans les aires protégées.

Un dénominateur commun aux instances qui ont exposé le concept de « durabilité » - objectif intrinsèque de la mise en place des aires protégées - consiste en l’inclusion de trois axes fondamentaux, soit l’axe social, l’axe économique et l’axe écologique. L’axe orienté vers le secteur social s’associe à la qualité de vie des habitants, à la cohésion et à la cohérence sociale alors que l’axe économique, au niveau local, parle des activités relatives aux moyens de subsistance des familles, à la production, à la distribution et à la consommation des ressources par les collectivités humaines. Enfin, l’axe écologique (ou environnemental) peut être défini comme la relation entre l’état actuel d’utilisation du milieu naturel : la quantité et la composition des ressources naturelles que laisse chaque génération pour les générations suivantes. Dans une perspective à long terme, la gestion participative des aires protégées devrait également réunir les concepts et les pratiques de qualité de vie, de conservation du milieu naturel, d’accès, de justice et d’équité.

De plus, les contraintes économiques des gouvernements depuis la décennie 1990, mettent en évidence la nécessité de partager la responsabilité de la gestion des aires protégées. Dans le domaine de la conservation de la nature, ce partage peut se réaliser par le biais de la décentralisation et de la subsidiarité.

En plus de l’accès à des ressources matérielles, financières, humaines provenant d’autres sources que celles du gouvernement central, certains auteurs (Nuñez, 2000; Chuprine, 2003; Madrigal et Solis, 2004) reconnaissent plusieurs autres finalités exhortant à la gestion participative des aires protégées, dont :

- conserver les écosystèmes et les ressources naturelles;

- viabiliser la gestion effective d’espaces, d’éléments et de processus où influent différents acteurs;

- favoriser un changement dans les structures afin d’équilibrer des relations de pouvoir;

- construire des processus sociaux plus durables; - promouvoir une culture de dialogue;

- diminuer les vides d’information et de communication; - stimuler la résolution de conflits d’intérêts;

- enrichir le processus de prise de décisions en tenant compte de plusieurs perspectives; et

- améliorer la qualité de vie des acteurs locaux.

En fait, selon Nuñez (2000), la conservation de la biodiversité sera possible seulement dans la mesure où les voisins (et, dans certaines régions, les habitants) des aires protégées reconnaissent celles-ci comme source de vie et en obtiennent des bénéfices. Même si la nécessité est toujours présente et urgente de protéger des aires dans leur état le plus naturel possible, selon Brown et al. (2004), il est impératif d’adopter des approches alternatives qui réengagent les communautés locales dans le soutien à la conservation.

En conséquence, il est important d’évaluer et d’analyser leurs interactions et d’établir les prérequis nécessaires à la satisfaction à long terme des besoins sociaux, économiques et écologiques, à partir d’indicateurs d’états dans chacun des axes social, économique et écologique (Chuprine, 2002). De toute évidence, la gestion participative nécessite la coopération de tout un ensemble diversifié d’acteurs, ce qui demande plus de temps et d’efforts pour atteindre les changements désirés, en plus d’augmenter la complexité de la prise de décision (Meinzen et al. 2004, Prins, 2005).

La gestion participative requiert l’identification des intérêts communs, des savoirs complémentaires et de collaborations possibles des diverses parties prenantes pouvant se traduire en une expérience positive pour chacune d’entre elles.

Ce processus est fondé sur un principe de cohérence qu’Allais (1955, cité par Weber, 1995) désignait comme rationnelle : « … est rationnel tout individu ou groupe qui poursuit des fins cohérentes entre elles et met en œuvre des moyens adéquats aux fins poursuivies ».

Une question stratégique consiste donc en l’analyse en matière d’administration, de gestion et des processus afférents à la vie en milieu rural, à l’échelle des communautés et des territoires, posant un regard sur les institutions sociales qui régissent la conduite des individus et des groupes en ce qui a trait à l’accès, l’usage, les bénéfices et la gestion des ressources naturelles.

Bien que la prise autonome de décisions au niveau local est fortement conditionnée par des acteurs et facteurs externes impliquant des réflexions conceptuelles, méthodologiques et analytiques, l’introduction réussie de changements est souvent reliée soit à une nécessité, soit à une opportunité (Prins, 1999, Abay et al. 2009). Ainsi, lorsque des changements sont proposés pour mettre en place des pratiques différentes visant à accroître la conservation de la biodiversité, il est légitime que les communautés locales s’attendent à profiter des bénéfices puisqu’elles y jouent un rôle de protagoniste, en ce sens qu’elles possèdent les ressources, encourent des risques et des coûts.

En effet, plusieurs programmes d’infrastructure et d’aménagement de l’espace ont eu comme conséquence la désagrégation sociale rurale et l'approvisionnement des grandes villes en nouveaux habitants, au prix d'une perte sévère de biodiversité, de socio et d'ethnodiversité, notamment par l’exclusion des peuples autochtones et des communautés locales d’un grand nombre de décisions et privilèges qui furent longtemps les leurs.

La « déresponsabilisation » des communautés rurales en ce qui a trait au soin de leur environnement et des ressources naturelles qui les avaient nourries, les a également dépossédées de leurs connaissances et capacités (Borrini, 2005). Selon Weber (1995), l’impact négatif de ce processus sur la diversité biologique et culturelle, sur les connaissances et sur les capacités des communautés locales, sur le bien-être humain, sur le « bon sens » et même sur la recherche scientifique a commencé à être reconnu il y a à peine vingt ans. Les efforts contemporains de « développement » peuvent être perçus comme l‘histoire de la rencontre, ou du choc, entre les systèmes autochtones ou locaux de gestion des ressources naturelles et les buts, les valeurs et les moyens de décideurs externes.

Malgré l’usage croissant de la rhétorique participative dans le discours des organisations internationales de conservation, en termes pratiques, la participation locale est généralement restreinte à la discussion sur le genre de compensations que la population locale pourrait recevoir des autorités responsables des aires protégées en retour des pertes qu’elle subit (Castellanet et Jordan, 2002).

La problématique et les objectifs de cette recherche, ancrée sur une réalité palpable, ont pour point de départ le fait qu’il y a de moins en moins de place pour des formes collectives d’appropriation de processus de gestion des ressources naturelles. En ce sens, la recherche théorique sur ce sujet n'a de sens qu'en relation avec la recherche appliquée à des cas concrets.