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Les trois forces motrices décrites précédemment interagissent et s’auto-aliment: l’accélération du rythme de la vie suscite une attente technologique de plus en plus forte, afin de pouvoir répondre à toutes les sollicitations. Les nouvelles technologies modifient en profondeur les métiers d’enseignant et de chercheur et les institutions chancellent en tentant d’absorber les mutations successives nécessaires et parfois subies. Les mutations institutionnelles multiplient à leur tour le rythme des évènements, imposant un rythme nouveau et plus rapide à leurs acteurs, notamment par le mécanisme des appels à projets multiples et souvent non coordonnés. Paradoxalement, plus les institutions se transforment, plus elles s’uniformisent, notamment à cause de l’accélération technique qui favorise la diffusion et la réappropriation du savoir mais aussi à cause de la mobilité croissante des personnels de l’enseignement supérieur. Il s’en suit logiquement un emballement du discours officiel qui s’épuise à vouloir se démarquer de la concurrence, à laquelle les institutions s’acharnent simultanément à ressembler…

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Du point de vue des acteurs, cette accélération de l’innovation pédagogique aboutit à un immobilisme néostatique, à l’image des puffers des automates cellulaires [Gardner, 1970] qui avancent sans but dans l’espace en restant similaires et en laissant de vagues débris derrière eux. Cet immobilisme n’est pas synonyme de permanence, car ce qui est permanent est stable et constant. Or, à bien observer le fonctionnement de l’innovation pédagogique au cœur de nos institutions, on se rend compte que celle-ci n’est ni stable, ni constante et qu’elle se définit par son mouvement et se justifie souvent par sa nature même. Aussi peut-on qualifier cette expérience d’immanence pédagogique innovationnelle. Le temps de l’inachevé [Imbert, 1986], temps présent qui permet d’innover réellement, tend à disparaître, s’il a jamais existé, sous l’effet de la contraction du présent. Ce temps n’est pas identifié explicitement par nos institutions. Cette absence de réflexivité institutionnelle face au temps de l’inachevé explique la tendance à étouffer toute velléité de questionnement face à l’innovation, l’innovation allant (de plus en plus vite) de soi. À la lumière de la théorie critique sociale du temps [Rosa et Renault, 2010] et des observations précédentes, il apparaît à l’auteur qu’il est possible de formuler une première hypothèse : l’immanence innovationnelle n’est qu’une réaction de nos institutions face à l’accélération de la modernité tardive et à la contraction du présent.

IV. CONCLUSION

Avoir conscience que l’immanence innovationnelle n’est qu’une réaction de nos institutions face à l’accélération du temps et à la contraction du présent, fait partie d’un mouvement réflexif dont nos institutions éducatives doivent s’emparer. En effet, les temps institutionnels, individuels et collectifs n’accélérant pas de la même manière, ni dans un but défini, ni dans une logique cohérente, leur existence même semble à terme condamnée si aucune réflexion présente ne vient redéfinir un horizon stable et si aucune expérience collective n’aide à fédérer un temps présent commun. Reformuler les finalités de la formation peut aider nos étudiants à mieux comprendre le monde dans lequel ils évoluent. Pour dépasser les blocages et les peurs, il faut, tel un Sénèque des temps modernes, les aider à accepter la modernité tardive en considérant la nécessité d’évoluer dans le flot des événements comme une série infinie d’exercices de soi, dans le but de se réapproprier soi-même. « Suis ton plan, cher Lucilius ; reprends possession de toi-même : le temps qui jusqu’ici t’était ravi, ou dérobé, ou que tu laissais perdre, recueille et ménage-le. » [Jeune, 1914]

Nous n’avons pas à renoncer aux finalités que sont l’autonomie et l’émancipation, pour peu que nous acceptions de jouer avec les interrogations constantes de la modernité et des transformations qui en résultent. En contrepartie, nos institutions doivent représenter des objets transitionnels stables, des îlots de stabilité pour nos étudiants, afin que ces derniers se projettent facilement dans leur futur.

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L’ALTERNANCE EN LICENCE GENERALE :EXPERIENCE