• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1er – Des principes directeurs visant à dépasser les clivages juridiques

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les règles de droit édictées par la communauté internationale des États en matière de développement ne permettent pas l’émergence d’un droit international du développement effectif1. Deux raisons principales peuvent expliquer cet

échec.

La première raison à cet échec est que le règlement de la question de l’inégalité de développement est, tout au long de la seconde moitié du 20ème siècle, envisagé sous couvert de

deux axes politiques concurrents. Sans entrer dans le détail des contextes politiques et historiques qui ont conduit au vote par l’Assemblée Générale de l’ONU des deux textes sources illustrant la démonstration de ce conflit politico-juridique, il convient de noter qu’ils sont le résultat de travaux d’institutions onusiennes distinctes2.

La Charte des Droits et Devoirs économiques des États de 1974, fixée au principe d’égalité souveraine des États, a conduit la communauté internationale à soumettre une première série de règles relatives au développement en droit international économique. En synthèse, le droit international du développement est alors conçu comme un droit dérogatoire aux règles du droit international économique, lequel rattachement empêchera l’émergence d’un droit international du développement « affranchi des intérêts étroitement conçus »3.

La Déclaration sur le droit au développement de 1986, fixée à une exigence (voire à une obligation) de solidarité, vise précisément à détacher les règles de droit international du développement de toutes considérations économiques pour mieux l’intégrer au corpus des Droits de l’Homme. La proclamation d’un droit « inaliénable » au développement mal défini a eu pour effet non pas de compléter la Charte votée douze ans plus tôt mais au contraire, d’entretenir ce dualisme des sources. Ainsi, cette discorde politico-économique n’a pas permis, loin s’en faut, de régler la délicate question des inégalités du développement.

1 Il n’est pas question de développement au lendemain de la guerre mais de reconstruction. On peut citer en exemple

des règles de droit alors adoptées le « Plan Marshall » autrement appelé « European Recovery Program » qui, par sa nature unilatérale et sa vocation hautement politique, ne peut pas, en tant que tel, être considéré comme un cadre normatif visant au développement de pays pauvres.

2 La Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) et le Comité des droits de

l’homme des Nations Unies hébergé par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.

La seconde raison à cet échec est qu’en conséquence du premier, la question du développement ne pouvait pas faire « l’objet d’un examen systématique de la part du juriste »1

dès lors que cette dualité enferme ce dernier dans une impasse au bout de laquelle il doit irrémédiablement fixer son choix entre deux doctrines pour le moins antagonistes et pour le plus adversaires. La première, cartésienne, à partir de laquelle le juriste extraira quelques principes caractéristiques d’un droit objectif du développement en tant que sous-branche du droit international économique2. La seconde, plus propice à la théorisation, à partir de laquelle

le juriste trouvera quelque intérêt à un droit subjectif au développement en tant que principe de droit international supérieur aussi séduisant que singulier et qui, in fine, restera sans effet. Il faudra attendre la Déclaration du Millénaire pour le Développement3 adoptée en 2000 pour

dépasser ce dualisme et envisager l’unification des règles de droit international du développement. L’adoption de cette Déclaration permet le dépassement d’un cadre juridique sclérosé et offre l’opportunité d’un environnement normatif « neuf »4. Dès lors, l’étude

systématique de règles de droit international spécifiques visant à corriger les inégalités de développement entre États devient possible à partir d’un cadre conventionnel multilatéral inédit et réconciliateur (Section 1).

Après l’adoption de la Déclaration du Millénaire pour le Développement, un premier cycle de négociations internationales porte sur l’idée que les rapports d’assistance entre États doivent se concrétiser sur la base d’un nouveau « Partenariat Mondial pour le Développement ». Conçu tel un objectif que les États s’engagent à atteindre, la définition de ce Partenariat Mondial se dessinera à la faveur de la résolution de deux problématiques : le financement de l’Aide Publique au Développement (APD) et son efficacité. Traditionnellement, la question de son

1 VIRALLY M., op. cit., p. 5.

2 Sur le plan formel, V. notamment les ouvrages de DAILLIER P., FORTEAU M., PELLET A., Droit international

public, LGDJ, 8ème éd., Paris, 2009, p. 1184 et FLORY M., Droit international du développement, Coll. « Thémis –

Droit », P.U.F., Paris, 1977, p. 16.

3 Déclaration du Millénaire, (A/RES/55/2), New York (États-Unis), 8 septembre 2000.

4 VIRALLY M., op. cit., p. 7, note (1) : « L’idée d’un droit international du développement - et l’expression elle-

même - ont été lancées par le Professeur André PHILIP au Colloque international de Nice, sur l’adaptation de l’O.N.U. au monde d’aujourd’hui, des 27-29 mai 1965 (V. L’adaptation de l’O.N.U. au monde d’aujourd’hui, Paris, Pédone, 1965, p. 129 et s.) ». Dans ce sens, V. également FLORY M., Droit international du développement, Coll. « Thémis – Droit », P.U.F., Paris, 1977, p. 24. Citant W. FRIEDMANN,le Professeur FLORY rappelle en substance

que « le principe d’égalité souveraine des États constitue toujours la pierre angulaire du droit international ». Mais au lendemain de la vague de décolonisation des années 1960, « la question qui se pose […] est de savoir jusqu’à quel point le droit international réussit à faire l’équilibre entre l’égalité juridique théorique de tous les États, petits et grands, et l’inégalité de fait de leur puissance ».

financement suppose « l’accroissement de l’aide publique au développement »1. Cette

prescription n’est pas nouvelle, elle est posée dès 1960 et renouvelée à l’adresse des États industrialisés en 1974 par l’article 22 al. 2 de la Charte des droits et devoirs économiques des États qui dispose que tous les États « devraient s’efforcer d’augmenter le montant net des apports de ressources financières provenant de sources publiques au pays en voie de développement et d’en améliorer les modalités et les conditions ». A partir de 2002, cette prescription récurrente de l’accroissement du volume d’aide est intégrée à un champ plus vaste de négociations. Elle fait l’objet d’une Conférence internationale sur le financement du développement à l’occasion de laquelle sera adopté le Consensus de Monterrey2. Caractéristiques d’une nouvelle approche du

financement du développement, les recommandations faites à l’issue de la Conférence font l’objet d’un suivi qui, six ans plus tard, donnera lieu à l’adoption de la Déclaration de Doha3 du

12 décembre 2008. Partant de ce cycle de négociations internationales visant à renouveler les modalités de financement du développement, les mécanismes juridiques employés à cet effet s’appliquent à toutes les formes de ressources, d’où qu’elles proviennent : ressources étatiques internes bilatérales ou multilatérales, d’investissements étrangers directs (IED) ou encore de dons privés. En tant que tels, ces mécanismes sont très variés et sont aujourd’hui identifiés sous le terme générique de « financements innovants pour le développement ».

Pour illustration de cette dynamique, il est question d’une taxation sur les billets d’avion en matière commerciale ou encore d’une réglementation internationale sur la commercialisation des médicaments. Sur le plan financier, l’idée d’une taxation sur les transactions boursières est plus que jamais d’actualité. S’agissant plus spécifiquement de la contribution financière des pays industrialisés à résorber le retard de développement des pays pauvres, l’objectif (traditionnel) d’une Aide Publique au Développement (APD) à hauteur de 0,7% du PNB des premiers en faveur des seconds est réitéré4. En 2010, « cinq pays donateurs ont atteint ou

dépassé cette cible »5. Du reste, c’est dans le cadre du Consensus de Monterrey que « sont

1 Déclaration du Millénaire, op. cit., Chapitre VII, art. 28.3.

2 Consensus de Monterrey sur le financement du Développement, (A/CONF.198/11), Monterrey (Mexique), 18-22

mars 2002.

3 Déclaration de Doha sur le financement du développement, (A/CONF.212/L.1/Rev.1**), Doha (Qatar), 29 novembre

– 2 décembre 2008.

4 Consensus de Monterrey, op. cit., Chapitre II, Section D, art. 41 et 42.

5 Assemblée Générale des Nations-Unies, Réunion plénière, « Objectif 8 : Mettre en place un partenariat mondial pour

consignées les grandes lignes de ce [nouveau] partenariat [mondial] et les engagements contractés par les Parties »1 en vue de sa construction.

Parallèlement à ces considérations portant sur le financement du développement, c’est la question de l’efficacité de l’aide2 versée qui, par suite, fera l’objet de négociations

internationales. En effet et indépendamment des pistes offertes par le Consensus de Monterrey quant à une définition de ce nouveau concept de « Partenariat mondial pour le développement », c’est l’adoption de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide en 2005 qui fixera, en droit positif international, des principes portant « engagements de partenariat » destinés à réguler les rapports d’assistance entre États en matière d’aide publique au développement (Section 2).

Section 1. – La réconciliation de systèmes juridiques concurrents

Les années 1970 sont marquées par la volonté de la communauté internationale des États de construire un « Nouvel ordre économique international » (NOEI). Au gré des crises financière et pétrolière du moment, des Conférences internationales adoptent une série de Résolutions visant à résoudre les désaccords entre États en matière de développement. Le recensement de ces textes serait aussi fastidieux qu’inutile au regard de la démonstration qui s’impose. C’est pourquoi, la présente étude sera menée par l’analyse de deux d’entre eux qui suffisent à illustrer les options juridiques opposant pays riches et pays pauvres.

Le premier de ces textes est la Charte des Droits et Devoirs économiques des États3 issue des

travaux de la Conférence des Nations Unies pour le Développement et le Commerce (CNUCED) au sein de laquelle s’opposent pays industrialisés et pays en voie de développement4. En 1972, « la résolution CNUCED 45 (III), décidant d’élaborer un projet de

Charte des droits et devoirs économiques des États […] ne fut adoptée encore que par 90 voix, avec 19 abstentions, mais sans opposition »5. La Charte des droits et devoirs économiques des

1 Conférence internationale sur le financement du développement, « Un partenariat pour le développement : le

consensus de Monterrey », Département de l’information (DEV/M/12), New York, 22 mars 2002.

2 Du reste, cette préoccupation portant sur l’efficacité de l’aide n’est pas absente des débats sur le financement du

développement. Dans ce sens, V. le texte du Consensus de Monterrey, op. cit., Chapitre II, Section D, art. 43.

3 Charte des Droits et devoirs économiques des États, (A/RES/3281 (XXIX)), New York (États-Unis), 12 décembre

1974.

4 COLARD D., « La Charte des droits et devoirs économiques des États », Études internationales, Vol. 6, n°4, 1975, p.

439 : « La préparation de ce document a soulevé de nombreuses controverses entre pays industrialisés et pays en voie de développement dont les intérêts ne coïncident pas ».

5 VIRALLY M., « La Charte des droits et des devoirs économiques des États. Note de lecture », Annuaire fr. dr. int.,

États, dans sa version finale, est adoptée le 12 décembre 1974 par l’Assemblée Générale de l’ONU dans sa Résolution 3281 (XXIX). Fruit de « l’effort d’ensemble entrepris par les Nations Unies en faveur du développement »1, son adoption n’a toutefois pas fait l’objet d’un

consensus. Approuvée par voie de Résolution votée à la majorité, la Charte n’a donc pas, sur le plan formel, d’autre autorité que celle d’une recommandation. Sur sa valeur normative, elle a fait l’objet d’une opposition traditionnelle entre pays développés et pays en voie de développement. Ces derniers, autrement appelés le « Groupe des 77 » souhaitaient que ce texte soit adopté « à titre de première mesure de codification et de développement progressif dans le domaine du droit du Développement » 2. Or, cette mention fut supprimée compte tenu « des

objections d’un certain nombre d’États »3. Toutefois, « l’accord réalisé à cette occasion n’est

certainement pas dépourvu de toute portée juridique, même si les conditions dans lesquelles il est intervenu interdisent de l’assimiler à une convention formelle, au sens du droit international »4. Sur le fond, la portée des principes posés par la Charte reflète assez bien les

divergences de vues prêtées à ses auteurs en matière de développement.

Le second texte choisi pour illustrer ces divergences est la Déclaration sur le droit au développement adoptée en 1986. Fruit des travaux d’un Groupe d’experts gouvernementaux chargé par « la Commission [onusienne] des Droits de l’Homme, de définir le concept du droit au développement »5, la Déclaration est adoptée par l’Assemblée Générale par voie de

Résolution n°41/128 du 4 décembre 1986. Sans entrer dans les détails des péripéties politiques qui ont présidé à son approbation6, elle n’a pas de valeur contraignante7. Votée à une très large

majorité de 146 voix pour, une seule contre8 et 8 abstentions, « sa portée juridique est donc

toute relative dès lors que le consensus recherché […] n’a pas été atteint »9. A défaut de ce

consensus, la communauté internationale des États se satisfera d’une simple proclamation d’un « droit au développement » sans prendre soin de le définir.

1 VIRALLY M., Ibid., p. 57. 2 VIRALLY M., Ibid., p. 59. 3 VIRALLY M., loc. cit. 4 VIRALLY M., Ibid., p. 58.

5 COLLIARD C. –A., « L’adoption par l’Assemblée Générale des Nations Unies de la Déclaration sur le droit au

développement », Annuaire fr. dr. int., Vol. 33, n°33, 1987, p. 615.

6 COLLIARD C. –A., Ibid., p. 616 et s. 7 COLLIARD C. –A., Ibid., p. 622. 8 Les États-Unis.

L’analyse de ces deux textes montrera comment ce corpus juridique initial sur lequel était censé se fonder le droit international du développement a finalement donné naissance à des systèmes juridiques internationaux concurrents (§1). Ce constat posé, ces systèmes sont, depuis l’année 2000, unifiés par leur intégration à un cadre international commun de référence propice à l’émergence d’un droit international du développement effectif (§2).