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CREATION DE L’IRAY («UN») GENEALOGIQUE PAR LES ANCETRES MALGACHES

3- Une cérémonie du Fati-drà :

Le Fati-drà n'est pas seulement une des coutumes les plus répandues dans toute l'île, mais elle est aussi l‟une des cérémonies les plus importantes et les plus significatives de la vie des Malgaches. Elle est ainsi la cérémonie pour marquer cet IRAY («UN») par Fati-drà. La cérémonie de Fati-drà se divise en deux parties :

273 Cf. Le lexique, le terme Fati-drà : la cérémonie pour marquer cet IRAY («UN») de Fati-drà,

signification n° : 2.

274 Cf. Le lexique, le terme Fati-drà : chacun des partenaires ayant conclu des alliances de sang,

signification n° : 1.

275

Cf. Le lexique, le terme Fati-drà : les conséquences de cette cérémonie de Fati-drà, le Fati-drà, signification n° : 3.

276 Cf. H. A.-M. R

AHARILALAO, op. cit., pp. 139-140.

277

Cf. P. MARTINEAU, op. cit., p. 62.

278 P. M

3-1- Discours rappelant tous les profits et toutes les obligations des frères, des Fati-drà

Reprenons notre exemple de deux olona étrangers : Raly et Rakoto. Raly et Rakoto sont assis par terre, ayant devant eux un bol contenant de l‟eau279

et un morceau de bois ; chacun met dans le bol un peu de poudre et une balle de fusil puis Rakoto y plonge l‟extrémité de sa sagaie et tous deux tiennent de la main gauche leurs armes. L‟ombiasy280

, qui est assis devant eux, frappe d‟un mouvement régulier et lent, avec un petit couteau, le manche de sa sagaie, pendant qu‟il leur fait un discours où il leur rappelle quels sont les profits et les obligations que deux frères, deux Fati-drà ont vis-à-vis l‟un de l‟autre dans toutes les circonstances de la vie281.

3-2- Les partenaires se prêtent serment :

3-2-1- Premièrement, serment en présence de Zanahary et d’Andriampatitra, du plomb et de la sagaie

Le discours de l‟Ombiasy fini, Raly et Rakoto se préparent pour sceller leur nouvel IRAY («UN») par la cérémonie du Fati-drà :

L‟Ombiasy demande à Zanahary de sceller et de nouer le nouvel IRAY («UN») de Raly et de Rakoto car seul Zanahary coupe, noue et renoue l‟IRAY («UN»). Les vivants représentés par l‟Ombiasy ne peuvent que lui adresser des demandes par la médiation des ancêtres282, des Andriampatitra.

Andriampatitra (littéralement) : « Andriana » qui veut dire « prince » et

«fatitra» qui signifie « incision ». Andriampatitra est un terme malgache pour désigner les «Princes de l'incision» : ce sont les Ancêtres devenus Divinités. Ils sont invoqués pour assister à la cérémonie de Fati-drà283. «Fati-drà » de « fatitra » : « incision », et de « rà» «sang»; ce terme désigne un rite d‟alliance ainsi que la personne liée à soi par cette alliance.

Les deux partenaires se prêtent serment de fidélité au nouvel IRAY («UN») tant pour le pire que le meilleur, prenant à témoin Zanahary et Andriampatitra, le plomb et la sagaie. Voici un extrait du discours chanté de l‟Ombiasy :

J'appelle les points cardinaux, j‟appelle le fleuve et la Nature,

279

On peut aussi mettre un peu de rhum.

280"Ombiasy" appelé aussi "Olona be hasina" : personne aux grandes vertus. 281 P. M

ARTINEAU, op. cit., p. 63.

282

Cf. R. DUBOIS, op. cit., pp. 98-99.

283 Cf. F. R

descends, toi qui es là-haut,

cette terre où demeurent les hommes et qui les fait vivre, c‟est pourquoi on t‟appelle, toi, ô Terre,

c‟est pourquoi on t‟appelle, toi, ô Andriampatitra, c‟est pourquoi on t‟appelle, toi, ô Zanahary,

voici Rasala, voici Ramoty, ils veulent unir leurs biens, c‟est pourquoi on vous appelle tous,

ces gens veulent « devenir » parents, eh bien, eh bien, voilà!

Nos aïeux s‟entretuaient autrefois, quelle grande chance pour moi aujourd‟hui, voilà, ils acceptent, ils acceptent l‟alliance (…)284

.

Notons que les pactes, les serments (les IRAY («UN») par Fati-drà) chez les Juifs se concluent également en présence de Yahvé. Prenons quelques exemples pour illustrer ce point :

1- «Jonathan dit à David : « Va en paix. Puisque nous avons prêté serment tous deux

au nom de Yahvé, que Yahvé soit entre moi et toi, entre ma descendance et ta

descendance, à jamais» (1S20, 42).

2- « David vit que Saül était entré en campagne pour attenter à sa vie. David était alors dans le désert de Ziph, à Horsha. S‟étant mis en route, Jonathan, fils de Saül, se leva et vint auprès de David. Il lui dit : «Sois sans crainte, car la main de mon père Saül ne t‟atteindra pas. C‟est toi qui règneras sur Israël et moi je serai ton second ; mon père Saül lui-même le sait bien». Ils conclurent tous les deux un pacte devant Yahvé» (1S23, 15-18).

3- «Tous les anciens d‟Israël vinrent donc auprès du roi à Hébron, le roi David conclut

un pacte avec eux à Hébron, en présence de Yahvé, et ils oignirent David comme

roi sur Israël» (2S5, 3).

284 P. M

3-2-2- Deuxièmement, serment de fidélité en se faisant boire du sang et en se faisant manger de la chair humaine

Rakoto prend le couteau, se fait285 une petite incision286 à la poitrine287 - un endroit tout près du cœur, source du sang - et prend avec la lame une goutte de sang qu‟il mêle dans la cuillère à l‟eau qu‟il fait boire à Raly ; celui-ci à son tour fait la même chose. Ils se nouent en présence de Zanahary et d’Andriampatitra, par ce rite de sang, un IRAY («UN») généalogique. Ils lient deux IRAY («UN») généalogiques et en créent un. Dès ce Fati-drà, l‟aina288

des ancêtres de Rakoto circule chez Raly et ses descendants et celui de Raly, chez Rakoto et ses descendants. La famille de Rakoto et celle de Raly vivent à la fois le même

aina289 et le même sang. Dès ce Fati-drà, ils sont «devenus» frères, Fati-drà. Autrement dit, les frères de Rakoto sont « devenus » les frères, les Fati-drà de Raly et les frères de Raly sont « devenus » les frères, les Fati-drà de Rakoto.

Pour d'autres Malgaches comme les Tanala, en plus du sang, ils se font manger un petit morceau de la chair humaine prise de la partie gauche de la poitrine de chaque olona (du côté du coeur, source du sang symbolisant la vie et l'amour). Ils veulent signifier par là qu‟ils ne sont pas seulement « devenus » IRAY («UN») quant au sang, mais ils sont aussi «devenus» IRAY («UN») quant à la chair. Dès ce Fati-drà, ils sont « devenus » à la fois du même sang et de la même chair, du même aina290. Ils sont « devenus » de mêmes ancêtres.

3-2-3- Troisièmement, échange de balles en signe de confiance et d’amitié entre les deux nouveaux Fati-drà

Les deux nouveaux frères, les deux nouveaux Fati-drà échangent leurs balles - car on ne donne jamais les balles aux ennemis mais à des amis qui ne s‟oublient jamais, et pour le meilleur, et pour le pire - pour signifier qu'ils ne seront jamais ennemis. Ils se font réellement confiance. En plus, les parents et les amis de Rakoto sont « devenus » ceux de Raly et les parents et les amis de Raly sont « devenus » ceux de Rakoto. Idem pour les ennemis291.

285

Dans d'autres régions, c'est le devin qui pratique l'incision sur la poitrine des contractants pour en faire couler un peu de sang.

286 D‟après Rev. R

ICHARDSON James, fatitra veut dire: «incision of the skin so as to draw blood», in A New

Malagasy-English Dictionary, 1885, réédité en 1967. 287 À la poitrine ou sur le bras ou avant-bras.

288

Cf. Le lexique, le terme aina : ce qui fait que l'homme vit selon son développement normal, la vie la plus intime et la plus concrète d‟un être, signification n° : 1.

289 Cf. Le lexique, le terme aina, signification n° : 1. 290

Cf. F. RAKOTONAIVO, op. cit., pp. 168-169.

291 Cf. P. M

3-2-4- Quatrièmement, renversement de l’eau par terre en signe de l’irréversibilité de l’IRAY («UN») Fati-drà

Les deux nouveaux frères, les deux nouveaux Fati-drà renversent brusquement le bol pour que l‟eau soit vidée d‟un seul coup pour signifier que leur IRAY («UN») par la cérémonie du Fati-drà est irréversible, et pour eux et pour leur descendance. Tout cela se fait toujours en présence de Zanahary, d’Andriampatitra, des Ancêtres et de l‟assemblée comme témoins292.

3-2-5- Cinquièmement, fête pour célébrer les nouvelles naissances par la cérémonie du Fati-drà

La cérémonie se termine par le sacrifice d‟un zébu que la famille de Rakoto, celle de Raly, l‟Ombiasy et tous les assistants mangent ensemble pour fêter ces nouvelles naissances293. En effet, le proverbe malgache dit : « Ny jaka : tsy hanin-kahavoky fa nofon- kena mitam-pihavanana », c'est-à-dire : « Le morceau de viande donnée à la fête : il n'est pas pour rassasier mais pour entretenir l‟IRAY («UN») ». Il y a des nouvelles naissances grâce à l'action de Zanahary puisque selon cette anthropologie religieuse malgache :

1- tous les membres de la famille de Rakoto sont nés de nouveau - sont nés encore, une fois de plus - dans l‟IRAY («UN») généalogique de Raly. Pour celui-ci et sa famille, ils sont dons de Zanahary. Car toute naissance vient de Lui294.

2- tous les membres de la famille de Raly sont nés de nouveau - sont nés encore, une fois de plus - dans l‟IRAY («UN») généalogique de Rakoto. Et, ceux-ci sont également reçus comme dons de Zanahary.

Dès ce Fati-drà, Rakoto et Raly sont « devenus » des frères, des Fati-drà et leur famille ne fait qu‟une seule et unique famille. Nous pouvons désormais appeler chacun des membres de la famille Raly et celle de Rakoto par la patronymie RABEFATI-DRA295.

Robert DUBOIS résume la cérémonie du Fati-drà en mettant l'accent sur la fusion des sangs de deux olona étrangers : «L‟unité des personnes a de la valeur pour les Malgaches. Bien que «Ramalagasy296» soit en bons termes avec quelqu‟un et éprouve de l‟amitié pour lui, s‟il ne s‟agit pas d‟un «parent» (havana), il reste insatisfait et voilà qu‟il pratique ce que l‟on appelle «Fati-drà » de « fatitra » : « incision », et de « rà» «sang»; ce

292

Cf. Ibid., p. 63.

293 Cf. Ibid., p. 62.

294 Supra, 5-2-3-1-1- Première origine : la raison invisible et visible, pp. 80-81. 295

Cf. Le lexique, le terme RABEFATI-DRA (dans le sens anthropologique malgache).

terme désigne un rite d‟alliance ainsi que la personne liée à soi par cette alliance. Alors leur sang (donc leur aina) fusionne et ils «deviennent» «apparentés». Ils se font réellement confiance. L‟aina commun fait que des personnes DIFFERENTES sont «UN»297

.

Récapitulons par un tableau ce nouvel IRAY («UN») par Fati-drà, cet IRAY («UN») généalogique créé entre Rakoto et Raly.

297 R. D

TABLEAU N°10 : Le Fati-drà, IRAY («UN») généalogique créé entre Rakoto et Raly Le Fati- drà, un IRAY («UN») généa- logique créé entre Rakoto et Raly 1- Personnes humaines et concrètes : des olona 2- aina (le souffle de vie, la psychè)

3- Mode de relation 4- Origines

NOUS SOMMES IRAY(«UN») (valeur majeure) NOUS SOMMES DIFFÉRENTS (valeur mineure): l‟IRAY («UN») vient du non IRAY («UN») Première origine Deuxième origine Fati-drà entre Rakoto et Raly, rotation à partir de Rakoto D‟après l‟esprit du Fati-drà, nous songeons à des olona : Rakoto et Raly Rakoto et Raly sont «devenus» frères, des Fati-drà. Ils vivent le même aina par leur cérémonie de Fati-drà De par ce même aina de Fati-drà Rakoto et Raly sont «devenus» IRAY («UN»). Ils

constituent « UN SEUL ÊTRE » par la cérémonie

du Fati-drà.

Dans cette valeur

majeure, Rakoto

et Raly demeurent distincts par leur

valeur mineure. Rakoto et Raly sont DIFFÉRENTS car chacun a sa tête, sa personnalité: chacun est un olona. Ils ne

sont pas issus des mêmes ancêtres. Dans cette valeur mineure, Rakoto et Raly demeurent IRAY («UN») par leur valeur

majeure. 1- Les ancêtres de Raly sont «devenus » par Zanahary les ancêtres de Rakoto. 2- Les ancêtres des deux olona viennent de Zanahary. Rakoto et Raly viennent de leurs Ancêtres respectifs, voire de Zanahary. Fati-drà entre Rakoto et Raly, rotation à partir de Raly D‟après l‟esprit du Fati-drà, nous songeons à des olona : Raly et Rakoto Raly et Rakoto sont «devenus» frères, des Fati-drà. Ils vivent le même aina par leur cérémonie de Fati-drà De par ce même aina de Fati-drà Raly et Rakoto sont «devenus» IRAY («UN»). Ils

constituent « UN SEUL ÊTRE » par la cérémonie

du Fati-drà.

Dans cette valeur

majeure, Raly et

Rakoto demeurent distincts par leur

valeur mineure. Raly et Rakoto sont DIFFÉRENTS car chacun a sa tête, sa personnalité: chacun est un olona. Ils ne

sont pas issus des mêmes ancêtres. Dans cette valeur mineure, Raly et Rakoto demeurent IRAY («UN») par leur valeur

majeure. 1- Les ancêtres de Rakoto sont «devenus» par Zanahary les ancêtres Raly 2- Les ancêtres des deux olona viennent de Zanahary. Raly et Rakoto viennent de leurs Ancêtres respectifs, voire de Zanahary.

Par l‟aina de la cérémonie du Fati-drà, rotation à partir de la famille de Raly, ils peuvent se dire :

1- Raly et Rakoto peuvent se dire l'un à l'autre: «nous sommes IRAY («UN»), «NOUS CONSTITUONS UN SEUL ETRE » car nous avons reçu l'aina298 des ancêtres de Raly et celui de Rakoto par notre IRAY («UN») en tant que frères, en tant que Fati-drà. Nous sommes finalement du même sang et de la même chair, du même aina.

2- Rakoto et Ralahady peuvent se dire l'un à l'autre : NOUS SOMMES IRAY («UN»), NOUS CONSTITUONS UN SEUL ETRE car nous avons reçu l'aina des ancêtres de Raly et celui de Rakoto par leur IRAY («UN») en tant que frères, en tant que Fati-drà. Nous sommes finalement du même sang et de la même chair, du même aina.

3- Rakoto et Razafy peuvent se dire l'un à l'autre : NOUS SOMMES IRAY («UN»),

NOUS CONSTITUONS UN SEUL ETRE car nous avons reçu l'aina des ancêtres

de Raly et celui de Rakoto par leur IRAY («UN») en tant que frères, Fati-drà. Nous sommes finalement du même sang et de la même chair, du même aina.

Par l‟aina de la cérémonie du Fati-drà de Rakoto et de Raly - rotation à partir

de la famille de Rakoto - les membres de la famille de celui-ci sont «devenus » par Zanahary

ceux de Raly. Ainsi, nous pouvons appeler les membres de la famille Raly par la patronymie RABEFATI-DRA.

Rakoto et Ravao (la femme de Raly) peuvent se dire l'un à l'autre : «nous sommes IRAY («UN»), «NOUS CONSTITUONS UN SEUL ETRE » par l‟IRAY («UN») en

tant QU‟EPOUX-EPOUSE car Rakoto et Raly sont «devenus» IRAY («UN») par la cérémonie du Fati-drà. En effet, Ravao est « devenue » la femme de Rakoto par le Fati-drà. Il ne peut pas avoir une relation sexuelle avec elle. Mais, il doit la garder, l‟aimer, veiller sur elle comme sa propre épouse. Idem pour Ravao à l'égard de Rakoto. Si Raly décède, Rakoto pourra éventuellement se marier avec sa femme (par Fati-drà)299. Pour d'autres tribus ou groupes ethniques, cette relation sexuelle est également possible300.

298

Cf. Le lexique, le terme aina : ce qui fait que l'homme vit selon son développement normal, la vie la plus intime et la plus concrète d‟un être, signification n° : 1.

299 Cf. Le lexique, le terme Fati-drà : la cérémonie pour marquer cet IRAY («UN») de Fati-drà ; les

conséquences de cette cérémonie de Fati-drà : le Fati-drà significations n° : 2 et 3.

300 Cf. F. R