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2.2 Physique des écoulements rampants

2.2.3 Briser la symétrie

Pour générer de la propulsion, les micro-organismes se doivent donc d'avoir un mouvement non réversible dans le temps. En d'autres termes, il leur est nécessaire d'introduire une brisure de symétrie dans leur mouvement. Plusieurs solutions peuvent alors être utilisées an de s'aranchir du théorème de la Coquille [133]. Parmi celles ci, certaines sont par- ticulièrement pertinentes dans le contexte de la clairance mucociliairaire, et relèvent de l'utilisation :

Figure 2.12 Illustration du théorème de la Coquille. (A) À faibles nombres de Reynolds, le mouvement réciproque de la coquille n'induit aucun déplacement à lan du cycle d'ouverture/fermeture. (B) À forts nombres de Reynolds, le mouvement réciproque de lacoquille induit un déplacement à lan du cycle d'ouverture/fermeture grâce à l'action de l'inertie. Image issue de [190].

1. de mouvements non-réciproques

2. des interactions hydrodynamiques entre solides 3. de l'environnement physique

2.2.3.1 Mouvements non-réciproques

Cette catégorie fait référence aux mouvements spatialement asymétriques, que l'on peut décomposer en deux sous-types : l'asymétrie spatiale du battement, et l'asymétrie d'orien- tation du plan de battement.

Asymétrie spatiale du battement Dans le cas des organismes vivants, cette asymétrie peut se présenter sous plusieurs formes, aussi bien chez les cellules procaryotes qu'euca- ryotes. Néanmoins, chez les cellules utilisant des agelles, cette asymétrie sera souvent présente sous la forme d'une onde se propageant le long de leurs appendices, conduisant à des mouvements plans, hélicoïdaux, ou bien doublement hélicoïdaux. [19, 61, 140]. Au contraire, chez les cellules ciliées, comme c'est le cas des cellules du système respiratoire, cette asymétrie sera généralement présente sous la forme d'une phase de poussée où les

cils sont droits, rigides, et orthogonauxà l'écoulement, et d'une phase de récupération où les cils se courbent et se rapprochent de la surface solide. De cette façon, la diérence entre la surface balayée lors de la phase de poussée et celle balayée lors de la phase de récupération est non nulle à l'issue d'un cycle de battement, ce qui permet de générer de la propulsion. Ce mouvement (tout comme le mouvement de certains agelles) est dû au glissement relatif des paires de microtubules entre elles par l'action de moteurs molé- culaires. Toutefois, le mécanisme permettant à ces moteurs de diérencier les phases de poussée et de récupération est encore le sujet d'intenses recherches [189]. L'inuence de cette asymétrie sera étudiée au chapitre 8.

Enn, notons qu'il est possible d'utiliser d'autres types de mouvements non-réciproques an de produire du déplacement, ce qui est particulièrement pertinent dans le dévelop- pement de micro-nageurs articiels. On cherchera alors, en règle générale, à trouver des mouvements ayant au minimum 2 degrés de liberté, c'est-à-dire couvrant une surface nie dans l'espace des paramètres lors d'une période d'actuation comme c'est le cas chez les cellules ciliées. Le micro-nageur articiel le plus simple usant de ce principe est le célèbre "nageur à trois-liens" imaginé par Purcell [172]. Celui-ci, par la mise en mouvement plane de 2 bras rotatifs reliés à un bras central, permet de générer de la propulsion. Des mou- vements plus complexes ont ensuite été imaginés, et notamment le "nageur à trois-liens optimisé", visible sur la gure 2.13, pour lequel le motif géométrique de battement imaginé par Purcell a été optimisé d'un point de vue cinématique et énergétique [213]. Notons ici qu'il n'est pas obligatoire que les deuxde degrés de liberté aient une origine géométrique : il est en eet possible de produire une brisure de symétrie en jouant sur d'autres para- mètres physiques, tels par exemple le volume ou la courbure d'un appendice [58]. Enn, une dernière façon de générer de la propulsion est par l'utilisation de matériauxélastiques. Ainsi, des laments exibles, actionnés réciproquement à l'une de leurs extrémités (l'autre étant libre), peuvent eectuer un mouvement spatialement asymétrique si les forces élas- tiques s'exerçant sur le lament contrebalancent les forces de traînée [133, 238]. L'allure du lament est ainsi concave lors du mouvement "aller" et convexe lors du mouvement "retour", ce qui permet de générer de la propulsion.

Asymétrie du plan d'orientation du battement Une autre solution tient dans le fait d'adopter un plan d'actuation diérent lors du mouvement aller et du mouvement retour. Prenons l'exemple de bâtonnets rigides attachés à une surface, battant selon un plan normal à la surface lors de la première moitié de leur cycle, puis revenant à leur position d'origine lors de la seconde partie en suivant un plan incliné par rapport à la

Figure 2.13 Séquence de battement du nageur à trois bras optimisé développé par [213] dans le diagramme de phase (Ω1, Ω2). La courbe noire correspond à la séquence de mouvement menant à une ecacité maximale, la courbe grise celle produisant la vitesse maximale, et la courbe grise légère est le motif imaginé par Purcell. Image issue de [213].

normale. Le mouvement résultant, bien que géométriquement identique, générera de la propulsiondu fait de la brisure de symétrie liée à la présence du mur. Onretrouvera cette asymétrie dans la quasi-totalité des battements ciliaires, à l'exception notoire des cils respiratoires pour lesquels le plan de battement est purement vertical [34, 191]. Cette "anomalie" soulève plusieurs questions qui seront traitées en détails au chapitre 7.

2.2.3.2 Utilisation des interactions hydrodynamiques

Le théorème de la Coquille n'est valable que dans un environnement où le uide est au repos, et le nageur isolé. Cela n'est néanmoins pas le cas en règle générale, et de nom- breuses perturbations hydrodynamiques ont lieu en milieu naturel, généralement liées à l'action de cellules voisines. Il est ainsi possible que deux appendices présentant tous deux le même cycle d'actuation spatialement symétrique soient à même de générer de la pro- pulsionà partir du moment où il existe undécalage de phase ΔΦ entre leurs battements respectifs. C'est ainsi que l'on observera souvent des comportements collectifs liés au dé-

calage de phases entre cellules ciliées voisines. On retrouve ainsi dans cette catégorie les ondes métachronales, dont l'impact sur le transport mucociliaire sera étudié en détails au chapitre 5. D'autres types de synchronisation existent, notamment entre agelles. Ainsi, il a été observé que deux spermatozoïdes voisins synchronisent leur nage an de réduire la résistance visqueuse ressentie [240], et certaines algues telles chlamydomonas reinhardtii possèdent deux agelles dont les battements se synchronisent avec un léger décalage de phase [175].

2.2.3.3 Utilisation de l'environnement physique

Une hypothèse importante liée au théorème de la Coquille est que le uide considéré est un uide Newtonien. Cela est cependant rarement le cas lorsque des uides biologiques sont impliqués. Au contraire, ils exhibent souvent des propriétés rhéologiques très complexes. Dans le cas du mucus, plusieurs de ses propriétés peuvent être exploitées an de générer de la propulsion :

 sa visco-élasticité  Le mucus est un uide viscoélastique, c'est-à-dire que sa viscosité diminue si le taux de cisaillement augmente. Il est ainsi possible de prendre avantage de cela en jouant sur la vitesse à laquelle le mucus est mis en mouvement, produisant ainsi un déplacement non nul à la n d'un cycle d'actuation. Cela a notamment été démontré expérimentalement par Qiu et al. [174] qui, en utilisant un micro- nageur articiel eectuant un mouvement réciproque dans un uide viscoélastique à

Re  1, ont réussi à générer de la propulsion. Notons que le micro-nageur ainsi conçu

pouvait également se déplacer dans un uide rhéo-épaississant. Cette propriété, liée au comportement non-Newtonien du mucus, est très importante car elle nous indique qu'un battement spatialement asymétrique des cils n'est pas requis pour générer de la propulsion. De même, il est utile de se remémorer que même si la PCL est souvent considérée comme étant un uide Newtonien, ceci n'est pas exactement le cas ; et cela implique donc que les cils battent dans une couche de PCL moins visqueuse lors de la phase de poussée.

 ses propriétés thixotropes  Sous l'action d'une contrainte exercée pendant un certain laps de temps T1, la viscosité du mucus va se modier progressivement. Néanmoins, lorsque l'on cesse d'appliquer cette contrainte, la viscosité du mucus ne recouvrera sa viscosité initiale qu'après un temps de reprise thixotrope T2 > T1. Cela vient du fait que des eets de mémoire sont présents chez les uides polymériques, et ainsi jouer sur la relaxation des contraintes permet de générer de la propulsion chez les uides possédant des propriétés thixotropes.

Enn, notons que la présence d'un milieu diphasique tel que celui observé dans le cadre de la clairance mucociliaire n'est pas susante à elle seule pour générer de la propulsion, mais qu'elle peut améliorer celle-ci grâce au rapport de viscosité existant entre les deux uides. Ainsi, un cil de l'épithélium respiratoire dont la pointe pénètre dans le mucus lors de la phase de poussée peut tirer avantage de cet écart de viscosité au même titre qu'une personne nageant le crawl lorsque ses bras pénètrent dans l'eau. La situation est cependant inversée ici : alors qu'en eectuant ce mouvement le nageur cherche à se propulser, les cils cherchent à propulser le mucus.

Notons également qu'une autre caractéristique liée au caractère diphasique de la clairance mucociliaire est l'eet de lubrication qui se produit au niveau de l'interface PCL-mucus, et qui permet au mucus de glisser plus facilement sur la PCL. Cela est possible grâce à la plus faible viscosité de cette dernière qui permet un cisaillement plus important au niveau de l'interface.

2.2.3.4 Optimisation par l'asymétrie temporelle du battement

Bien que l'asymétrie temporelle du battement ne soit pas à même de fournir de la propul- sion par elle-même, elle peut en revanche grandement améliorer la propulsion en présence d'une autre asymétrie (spatiale par exemple) [107]. Son inuence dans le cadre de la clai- rance mucociliaire sera étudiée au chapitre 8.