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La ruine du béton en traction

3.2 La localisation de la rupture

3.4.2 Avant l’atteinte de la résistance en traction

Après la contrainte fnl et avant l’atteinte de la résistance en traction du béton fctm

(figure 3.8), le comportement non linéaire du béton est attribué à la germination des défauts et à la microfissuration diffuse de la matrice cimentaire (respectivement A-B et B-C, figure3.6).

À ce propos, il est intéressant de soulever que le phénomène de « crack bridging », géné-ralement associé à la formation d’une fissure macroscopique dans le béton, a également été mis en évidence au sein de la matrice cimentaire [Higgins et Bailey,1976]. À cette échelle, le pontage entre les lèvres des microfissures en formation est attribué à l’enchevêtrement des cristaux d’hydrates qui se forment à la surface des grains de ciment [op. cit.], ainsi qu’à la présence de grains de ciment anhydre sur le parcours de la microfissure [Cotterell et Mai, 1987]. De plus, l’étude expérimentale de Prokopski [1991] a montré que le déve-loppement de l’endommagement d’un mortier composé de sable 0/6,3 mm et de pâte de ciment Portland ordinaire est fortement dépendant du rapport eau efficace/ciment. D’une part, pour un rapport eau efficace/ciment courant (de l’ordre de 0,5 – 0,6), l’endomma-gement du mortier se produit principalement au niveau des interfaces entre les cristaux d’hydrates ; impliquant de nombreux branchements et un parcours tortueux à travers la pâte de ciment. D’autre part, pour un rapport eau efficace/ciment élevé (de l’ordre de 0,8

– 0,9), l’endommagement du mortier se développe essentiellement suivant des micropores qui se forment alors, de par l’excès d’eau, au sein de la matrice cimentaire ; ainsi qu’à l’interface pâte-granulat.

La modélisation de cette phase d’amorçage de l’endommagement n’est cependant pas clairement établie à ce jour. Par exemple, la figure3.10-a illustre, pour des petites valeurs de w (i.e. pour un faible niveau d’endommagement du béton), l’écart entre la modélisation bilinéaire du comportement adoucissant du béton et son évolution probable. Dans l’objectif d’intégrer le stade d’amorçage de l’endommagement à la description du comportement d’une structure en béton, l’approximation bilinéaire du comportement adoucissant du béton peut être enrichie d’un segment horizontal à l’origine (figure3.10-b). Ce complément d’apparence mineur, suggéré par de nombreux auteurs [Higgins et Bailey,1976;Liaw et al.,

1990;Guinea et al.,2000;Cusatis et Schauffert,2009;Cusatis et Cedolin,2007], améliore nettement la description de la réponse d’une structure au cours de la phase précédant l’atteinte de sa charge maximale admissible.

3.5 L’énergie de rupture

On s’intéresse à la formation d’une fissure dans un volume de béton au cours d’un essai où une partie au moins de ce volume est soumise à de la traction. On appelle énergie de rupture et on note G l’énergie nécessaire à la création d’une surface unitaire de matériau exempte de toute contrainte mécanique. L’énergie de rupture G peut être déterminée expérimentalement en divisant la quantité d’énergie nécessaire à la séparation des lèvres de la fissure, la plupart du temps déduite de l’aire située sous la courbe force-déplacement relative à un essai de flexion 3 points, par la surface de la fissure formée au cours de celui-ci. La surface d’une fissure est définie par la norme RILEM TC 50-FMC [1985] comme son aire projetée sur un plan parallèle à sa direction de propagation. L’énergie de rupture peut être idéalement divisée en deux contributions [Murthy et al.,2009] :

— une énergie de création de surface, que l’on note GP, nécessaire à la formation de la zone d’élaboration ;

— une quantité d’énergie additionnelle, notée GF, nécessaire à la séparation complète des deux lèvres de la fissure.

La figure3.11-a représente ces différentes énergies sur une courbe de traction idéalisée. La quantité GP est généralement négligée devant GF. Le terme GF est égal à l’aire sous la courbe représentative du comportement adoucissant du béton endommagé [op. cit.] :

G ' GF GF =Z w→∞

0

σ(w)dw

La tendance bilinéaire du modèle de comportement du béton endommagé, représentée sur la figure 3.11-b, confirme le caractère multi-échelle des processus physiques d’endom-magement représentés par la figure 3.6.

Le premier segment de la courbe, attribué à la coalescence des microfissures, montre une diminution rapide de l’intensité des contraintes cohésives avec la multiplication des

SECTION 3.5 - L’énergie de rupture

Figure 3.10 – Modélisation affinée du comportement du béton endommagé : a) [Cedolin et Cusatis,2008], b) [Cusatis et Schauffert,2009;Liaw et al.,1990].

interférences entre les différents foyers isolés d’endommagement. Cette diminution se pour-suit jusqu’à une valeur pivot d’ouverture de fissure fictive, notée w1, associée à une fraction

ψ de la résistance en traction.

Le deuxième segment, beaucoup moins abrupt, peut être rapproché des phénomènes macroscopiques d’endommagement : rupture des ponts de matière granulaire, engrène-ment. La neutralisation complète de ces liaisons résiduelles est associée à une ouverture de fissure que l’on note wc, de l’ordre du critère de maîtrise de la fissuration aux états limites de service.

De nombreuses recherches ont été dédiées à l’identification des différents paramètres permettant de calibrer la modélisation bilinéaire du comportement adoucissant du béton [Bažant,2002]. Le code de calculMC2010[2013] propose de les estimer par l’intermédiaire des relations empiriques suivantes :

fct= fctm ψ= 0, 20 w1= GF fctm

wc= 5 GF fctm

Ces indicateurs ne font cependant pas l’objet d’un consensus. La figure3.11-c confronte la courbe normative [MC2010,2013] à un ensemble d’approximations bilinéaires pouvant être construites à partir des résultats de la littérature relatifs aux bétons courants [Bažant,

2002]. On note que la courbe préconisée par le code de calcul est proche d’une moyenne basée sur l’ensemble des observations expérimentales considérées. L’existence d’un plateau initial (figure3.10-b) n’est, dans le cadre normatif, pas prise en compte.

Ce tracé montre également que la dispersion de la mesure se concentre essentiellement au niveau du pivot (w1; ψ) ainsi qu’autour de l’ouverture de fissure maximale wc. La ma-jorité de l’incertitude porte donc sur les contraintes cohésives résiduelles. Cette conclusion est en partie justifiée par le fait que l’énergie de rupture associée au deuxième stade de dégradation est influencée par les dimensions de la structure [Bažant et Yu,2004] et très certainement sensible aux caractéristiques des granulats.

Par convention, on appelle énergie de rupture initiale et on note Gf l’aire située sous le premier segment de l’approximation bilinéaire, prolongé jusqu’à son intersection en w0

Figure 3.11 – Principaux paramètres relatifs à l’énergie de rupture : a) [Cedolin et Cusatis,2008], b) et c) [Bažant,2002].

avec l’axe des abscisses (figure3.11-b). Ce paramètre peut être corrélé à l’énergie de rup-ture globale par la relation GF

Gf = 2, 5 [Bažant,2002]. Ce ratio est confirmé par l’analyse de 246 résultats expérimentaux issus de la littérature sur la base d’un réseau de neurones artificiels développé parNikbin et al. [2017].

L’énergie initiale de rupture Gf est, contrairement à GF, une quantité indépendante de la taille de l’échantillon [ibid.]. Ces deux définitions de l’énergie de rupture ont chacune leur domaine d’application propre [ibid.] :

— l’énergie de rupture initiale Gf conditionne le comportement d’une structure jusqu’à sa charge maximale admissible ;

— l’énergie de rupture globale GF permet d’établir le bilan énergétique associé à la ruine complète d’une structure.