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Autres instruments juridiques

Dans le document LES FONDS SOUVERAINS02 (Page 144-150)

En dehors des règles sur la protection de la sécurité nationale, un certain nombre d’instruments juridiques peuvent permettre aux pays d’accueil de protéger tel ou tel intérêt qui serait consi-déré comme pouvant être compromis par l’entrée d’un fonds sou-verain au capital d’une entreprise : le contrôle des concentrations (14.1), la réglementation sectorielle applicable à certaines activi-tés (14.2), les golden shares détenues par les États dans des entre-prises stratégiques (14.3), les règles de droit boursier et de droit des sociétés (14.4).

En effet, les fonds souverains, comme tout autre investisseur, sont censés respecter les règles en vigueur dans les pays où ils investissent. Toutefois, le non-respect de ces règles peut s’avérer plus difficile à sanctionner s’agissant de fonds souverains, dans la mesure où ceux-ci pourraient prétendre bénéficier de l’immu-nité de juridiction applicable aux États étrangers.

© Groupe Eyrolles – © Les Echos Editions

Les règles d’immunité souveraine divergent selon les pays d’ac-cueil, nuisant à la sécurité et à la prévisibilité juridique. Une ten-dance semble cependant se dégager, selon laquelle l’immunité ne s’applique pas lorsque l’État étranger est impliqué dans des activi-tés commerciales, comme une personne privée pourrait l’être, par opposition à ses fonctions réglementaires ou gouvernementales régies par le droit public.

Les opérations financières d’investissement et de placement auxquelles se livrent les fonds souverains devraient a priori être qualifiées à cette fin d’opérations commerciales. Toutefois, dans l’attente d’une clarification et d’une harmonisation des législa-tions sur ce point, la meilleure garantie pour les co-contractants de fonds souverains reste d’obtenir une renonciation écrite de la part de ces derniers à toute immunité de juridiction éventuelle-ment applicable.

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1.

Contrôle des concentrations

La prise de contrôle d’une entreprise par un investisseur est soumise au régime des concentrations si l’opération dépasse une certaine taille. La notion de contrôle et la taille de l’opération sont définies par les législations nationales ou internationales appli-cables.

En droit européen par exemple, le contrôle est défini comme la possibilité pour l’investisseur d’exercer une influence détermi-nante sur l’activité de l’entreprise, ses biens, la composition ou les décisions de ses organes. La taille est définie par référence aux montants de chiffre d’affaires réalisés par l’investisseur et par l’entreprise cible dans l’UE et au niveau mondial.

Les opérations qui remplissent ces critères peuvent être soumises à restrictions, voire interdites, si elles entravent la concurrence ou aboutissent à une position dominante sur un ou plusieurs marchés de produits et/ou de services dans une zone géographique déterminée.

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Ces règles sont susceptibles de s’appliquer à un fonds souve-rain qui souhaiterait prendre le contrôle d’une entreprise de taille importante. Des restrictions pourraient être imposées si le fonds avait déjà des participations dans des sociétés intervenant sur le même marché que l’entreprise cible, créant un risque de concen-tration.

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2.

Activités réglementées

De nombreux pays connaissent des restrictions aux investisse-ments réalisés dans certaines activités.

C’est souvent le cas dans le secteur bancaire et des assurances, pour assurer le respect des règles prudentielles. En France par exemple, toute prise de participation directe ou indirecte supé-rieure à certains seuils, par un investisseur d’un pays non euro-péen, dans un établissement de crédit ou une entreprise d’inves-tissement français doit être soumise à l’autorisation préalable du CECEI32. Lorsqu’une telle prise de participation intervient dans une entreprise d’assurance, elle doit être déclarée au Comité des entreprises d’assurances qui peut s’opposer à l’opération dans les trois mois. Au Royaume-Uni, le ministre de l’Industrie peut, depuis octobre 2008, s’opposer plus largement à toute opération mettant en cause la stabilité du système financier (voir 13.2).

Tel est aussi souvent le cas dans le domaine de la presse, pour garantir la pluralité des médias et la liberté d’expression. En France33, la participation étrangère dans une société titulaire d’une autorisation relative à un service de radio ou de télévision par voie hertzienne terrestre assurée en langue française, ou dans une société qui édite des publications en langue française,

32 Comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement.

33 Loi du 30 septembre 1986, modifiée par la loi du 5 mars 2007 relative à la moder-nisation de la diffusion audiovisuelle et la télévision du futur.

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ne peut dépasser 20 %. Au Royaume-Uni34, le ministre de l’In-dustrie peut s’opposer ou imposer des restrictions aux opéra-tions d’acquisition dans les médias écrits ou audiovisuels. Ces législations permettraient, par exemple, de se prémunir contre le risque d’achat d’une chaîne de télévision européenne par un fonds souverain d’un État totalitaire où la liberté d’expression n’est pas garantie.

D’autres secteurs peuvent être protégés selon les pays : l’eau — au Royaume-Uni35, la Competition commission doit examiner tout projet de rapprochement entre entreprises évoluant dans ce sec-teur —, le pétrole et le gaz, l’électricité, les télécommunications, le transport aérien ou la pharmacie. Un fonds souverain souhai-tant investir dans l’une de ces activités devrait se conformer à la réglementation locale applicable.

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3.

Actions spécifi ques

De nombreuses entreprises d’importance stratégique pour un pays relèvent du secteur public ou sont d’anciennes sociétés publiques qui ont été privatisées. Si l’on regarde le portefeuille de participations détenues par l’État français — EDF, GDF-Suez, France Télécom, La Poste, EADS, Areva, Thales, Safran, la SNCF, Renault, Air France-KLM, Aéroports de Paris, France Télévision, Radio France, etc. —, l’on mesure qu’il s’agit d’entreprises parti-culièrement importantes économiquement, socialement et politi-quement.

Lorsque l’État contrôle l’entreprise, les prises de participation doivent généralement être autorisées. Même lorsque la société a été privatisée, l’État peut conserver des actions spécifiques (golden shares) qui lui confèrent des droits allant au-delà de

34 Communications Act 2003, art. 375-377.

35 Water Industry Act de 1991, tel que modifié par l’Enterprise Act de 2002.

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ceux liés à sa qualité d’actionnaire résiduel et à la quotité du capital encore détenue : limitation des investissements de tiers à un pourcentage déterminé du capital, participation à cer-taines décisions importantes ou désignation de membres des organes de direction.

Ces actions spécifiques permettent donc à l’État de continuer à surveiller la conduite de la politique de l’entreprise, même s’il ne la contrôle plus. Elles permettent également de garan-tir le maintien d’une présence étatique dans des secteurs jugés stratégiques, comme la défense nationale bien sûr, mais aussi l’énergie qui n’est pas considérée par l’OCDE comme relevant de la sécurité nationale. Elles peuvent aussi dissuader les inves-tisseurs étrangers, tels que des fonds souverains, d’entrer dans le capital de sociétés dans lesquels leurs pouvoirs seraient amoindris.

S’agissant des actions spécifiques détenues par les États mem-bres de l’UE, a priori contraires à la liberté de circulation des capitaux, la CJCE admet cette modalité juridique de contrôle si elle satisfait un certain nombre de critères (non-discrimination, pertinence, proportionnalité, voies de recours, etc. ; voir 12.2), et notamment si elle correspond à une « nécessité impérieuse d’in-térêt général ». À cet égard, et sous réserve du respect des autres critères rappelés ci-dessus, la Cour reconnaît une telle nécessité en matière de sécurité des approvisionnements en produits pétro-liers36 ou en énergie37, compte tenu du caractère vital de l’indé-pendance énergétique des États. De même, la garantie d’un ser-vice minimum dans les télécommunications38 ou la garantie du

36 CJCE, 4 juin 2002, aff. 483/99, Commission c/ France.

37 CJCE, 4 juin 2002, aff. 503/99, Commission c/ Belgique ; CJCE, 14 février 2008, aff. 274/06, Commission c/ Espagne ; CJCE, 17 juillet 2008, aff. 207/07, Commission c/ Espagne.

38 CJCE, 13 mai 2003, aff. 463/00, Commission c/ Espagne.

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service postal universel39 sont admises par la Cour comme pou-vant constituer des raisons impérieuses d’intérêt général.

La création d’un système de golden share qui garantirait le contrôle des secteurs vitaux a même été évoquée au niveau euro-péen pour protéger les entreprises de l'UE opérant dans des ser-vices d’intérêt général ou des industries stratégiques contre les investissements des fonds souverains.

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4.

Droit boursier et des sociétés

Un fonds souverain acquérant une participation dans une entre-prise locale est tenu de se conformer aux lois et règlements appli-cables dans le pays dont relève cette entreprise et, en particulier, aux règles boursières et aux dispositions du droit des sociétés.

Si l’entreprise locale concernée est cotée, le fonds doit ainsi se soumettre à l’ensemble des obligations d’information prévues par la réglementation boursière en vigueur, notamment déclarations des franchissements de seuil à la société concernée et aux auto-rités de marché, déclaration d’intention ou obligation de lancer une OPA au-delà de certains seuils, possibilité pour la société cible de mettre en œuvre, dans les limites légales, des mesures de défense.

Par ailleurs, un fonds souverain représenté au conseil d’admi-nistration ou de surveillance d’une société doit agir conformé-ment à l’intérêt social et/ou à son devoir fiduciaire ( fiduciary duty) — notions que connaissent la plupart des pays européens et anglo-saxons —, de même qu’aux règles sur la prévention des conflits d’intérêt (correspondant en France à celles applicables aux conventions règlementées), qui permettent de limiter les ris-ques de comportement non commercial.

39 CJCE, 28 septembre 2006, aff. 282/04 et 283/04, Commission c/ Pays-Bas.

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