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Au seuil de tâches plus grandes » (Rilke)

Dans le document L'Invention de soi : Rilke, Kafka, Pessoa (Page 143-150)

Depuis Saint-Augustin, conversion religieuse et littéraire sont liées.

Le topos est repris par Pétrarque dans la lettre dite « L’ascension du

Mont Ventoux ». Le poète florentin cite l’évêque d’Hippone, qui écrit

que les hommes parcourent le monde mais oublient de s’examiner

eux-mêmes (Confessions Livre VIII)

752

. De même que Les Confessions de

Saint-Augustin, chacune des œuvres qui nous occupent donne quelque

part la clé du passage à la création et le début de la vocation. Les trois

auteurs se sentent en effet appelés à une tâche supérieure : refonder le

sujet et l’univers. Le journal intime est l’instrument privilégié de la

quête. Georges Gusdorf souligne en effet la portée ontologique du genre

intimiste. Le diariste cherche le « moi du moi »

753

et « l’écriture

journalière poursuit la recherche du fondement »

754

.

Rilke, dans une lettre, fait allusion au texte de Pétrarque et s’identifie

au projet du poète italien

755

. Dans les Carnets, c’est l’épisode dela main

qui donne la clé de l’écriture. D’après Naumann, il symbolise en effet le

passage de l’enfance à l’âge adulte. Le début de ce récit précise que le

jeune Malte a pour habitude de dessiner des officiers à cheval ou des

scènes de bataille. À propos de ce dernier motif, il écrit : « […] c’était

beaucoup plus facile, parce qu’il suffisait alors de faire la fumée qui

enveloppait tout. »

756

Il est encore situé dans le monde indistinct de la

toute petite enfance, puisqu’il doit se mettre à genoux sur le fauteuil,

dans la facilité du collectif. Mais le jour où le drame se produit, il

dessine un chevalier, « un seul chevalier bien distinct »

757

. Il prend

conscience de lui-même. La main qu’il voit s’avancer au-devant de la

sienne, « une main plus grande et d’une maigreur inaccoutumée »

758

,

n’est-ce pas la prophétie de sa propre main d’adulte ?

759

C’est parce que

752

Pétrarque, Lettres familières, dir. par Pierre Laurens, Paris, Les Belles Lettres, vol. 2, livres IV-VII.

753

Gusdorf, Georges, Lignes de vie,vol. 2 : Auto-bio-graphie, Paris, Odile Jacob 1991, p. 412.

754

Ibid., vol. 1 : Les Écritures du moi, op. cit., p. 393.

755

Lettre du 30 décembre 1913 à Pia de Valmarana.

756 CM, p. 494 (« […] das war viel einfacher, weil dann fast nur der Rauch zu machen war, der alles einhüllte. » ; p. 77).

757

Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, trad. par Maurice Betz, Paris, Seuil, 1966 (« einen einzelnen, sehr deutlichen Ritter » ; p. 85).

758 CM, p. 495 (« eine größere, ungewöhnlich magere Hand » ; p. 78).

759

Naumann, Helmut, Gesammelte Malte-Studien: zu Rilkes „Die Aufzeichnungen des Malte Laurids Brigge“, Rheinfelden-Berlin, Schäuble, 1993 ; 2e partie : Neue Malte Studien, p. 96.

Malte a le pressentiment de cette réalité à venir, qu’il retire sa propre

main

760

. De plus, c’est au moment où il dessine cet unique chevalier

qu’il fait tomber son crayon de couleur, mettant fin, symboliquement, au

monde enfantin du dessin. C’est d’une plume que devra désormais se

servir le jeune Malte. La main est en effet, dans les interprétations

psychanalytiques, symbole de l’intellect. Le jeune Malte, qui prend

conscience de sa main comme d’un élément à part entière, accède en

même temps à la maturité intellectuelle. Le narrateur veut croire qu’il

avait eu conscience, à ce moment-là, de vivre un événement décisif de

son existence : « C’est naturellement de l’imagination, si je prétends

aujourd’hui avoir senti déjà en ce temps-là que quelque chose venait

d’entrer dans ma vie, précisément dans ma vie, avec quoi je devrais

toujours me mouvoir, toujours et quoi qu’il arrive. »

761

Il comprend

soudain ce qu’est un adulte : une personne qui fait des expériences

incommunicables. Aussi ressent-il « une fougueuse sympathie pour les

grandes personnes »

762

. Naumann souligne l’opposition entre la table sur

laquelle Malte dessine et qu’éclaire la lampe, et la partie située sous

cette table, dans l’obscurité. Il y voit la séparation symbolique du

conscient et de l’inconscient. La main n’est donc pas une hallucination,

mais une réalité inconsciente, que l’enfant n’oubliera jamais. C’est cette

expérience indicible qui le pousse à chercher sa propre langue. Là

commence sa solitude, et sa vocation de poète (CM 109). Cette

expérience se renouvelle à l’âge adulte, et c’est en cela qu’elle est bien

scène fondatrice : sa résurgence a valeur d’incitation à l’écriture. À

chaque fois, le narrateur est mis face à face avec « La Chose », et sa

terreur le pousse vers la création. Après avoir assisté à la mort d’un

homme, Malte se réfugie dans sa chambre. Il prend à nouveau

conscience de sa vocation : « En dépit de toute ma peur, je suis malgré

tout comme quelqu’un que de grandes choses attendent et je me rappelle

que j’avais autrefois un sentiment semblable avant de commencer à

écrire. »

763

À nouveau, la main est un membre autonome, initiateur de

l’acte scripturaire : « Mais il viendra un jour où ma main se sera

éloignée de moi et, quand je lui ordonnerai d’écrire, elle écrira des mots

760 Ibid., p. 100.

761

CM, p. 496 (« Es ist natürlich Einbildung, wenn ich nun behaupte, ich hätte in jener Zeit schon gefühlt, daß da etwas in mein Leben gekommen sei, geradeaus in meines, womit ich allein würde herumgehen müssen, immer und immer. » ; p. 79).

762 Ibid. (« ungestüme Sympathie für die Erwachsenen. » ; p. 80).

763

Ibid., p. 468 (« Bei aller Furcht bin ich schließlich doch wie einer, der vor etwas Großem steht, und ich erinnere mich, daß es früher oft ähnlich in mir war, eh ich zu schreiben begann. » ; p. 47).

que je n’aurai pas pensés. »

764

On pense ici aux Tables de la Loi. C’est

que Malte se fait une haute idée de la place de l’artiste parmi les

hommes. Sa mission est difficile, comme le constate Rilke dans sa

correspondance : « Nous sommes solitude. […] plus rien ne sera

proche […] »

765

Il compare le poète à un homme sur la montagne pris de

vertige, au point d’en être presque détruit. Les modèles de Malte sont le

saint, qui se surmonte lui-même, à l’exemple de Saint-Julien

l’Hospitalier au fragment 21, et Beethoven. Malte espère être le « chaste

à l’oreille vierge »

766

capable de recueillir et de faire fructifier la

semence de cette musique. La mission se déroule à Paris, ville peu

nommée car symbolique. À l’image des forêts des romans de chevalerie,

elle recèle maints dangers qu’il faut surmonter pour parvenir à son but.

D’autres lieux – imaginaires ceux-là – sont également initiatiques : les

montagnes où erre le fils prodigue et le désert de la Thébaïde (CM 484).

Malte sent la métamorphose s’opérer en lui : « À quoi bon dire aux gens

que je change ? Si je change, je ne suis plus celui que j’étais, et si je ne

suis plus celui que j’étais auparavant, il est clair qu’il n’y a plus

personne qui me connaisse. Et il m’est impossible d’écrire à des

étrangers, à des gens qui ne me connaissent pas. »

767

C’est à soi-même désormais qu’il faut écrire, percer le sujet pour en

faire jaillir la vérité fondamentale. « On savait autrefois, écrit-il, qu’on

contenait la mort à l’intérieur de soi-même, comme un fruit son

noyau. »

768

Cette recherche de l’essence, du noyau (Wesen, Kern), est

propre à l’expressionnisme, note Henri Meschonnic

769

, car elle est

recherche de l’intensité. Le but visé par l’écriture est donc ce noyau dur

de la personne, que cherchaient ceux qui ont piqué de toutes parts le

cadavre de Grischa Otrepiov (CM 559). Rilke espère, en créant Malte,

son double, parvenir à l’essence de son être. Il présume que le reflet sera

détenteur de vérité. N’est-ce pas en lui montrant son reflet qu’Erik veut

aider le fantôme de Christine Brahe à achever sa mort ? Le miroir a ici

764

Ibid., p. 466 (« Aber es wird ein Tag kommen, da meine Hand weit von mir sein wird, und wenn ich sie schreiben heißen werde, wird sie Worte schreiben, die ich nicht meinte. ».

765

Lettre du 12 août 1904 à Franz Xaver Kappus (« Wir sind einsam. […] es gibt nichts Nahes mehr […]. »).

766 CM, p. 484 (« Jungfräulicher unbeschlafenen Ohrs » ; p. 66).

767

Ibid., p. 436-437 (« Wozu soll ich jemandem sagen, daß ich mich verändere? Wenn ich mich verändere, bleibe ich ja doch nicht der, der ich war, und bin ich etwas anderes als bisher, so ist klar, daß ich keine Bekannten habe. Und an fremde Leute, an Leute, die mich nicht kennen, kann ich unmöglich schreiben. » ; p. 10-11).

768 Ibid., p. 439 (« Früher wußte man [...] , daß man den Tod in sich hatte wie die Frucht den Kern. » ; p. 14).

769

le même sens que la perforation du cœur, et que l’écriture du journal. Il

est à la recherche de sa Vérité, celle-là même que le marquis de Belmare

portait dans son sang et avec laquelle il mourut. Le sang est en effet la

métaphore de cette intimité de l’être. En lui est déjà contenue notre

mort. Malte le pressent en sortant de l’hôpital où il s’est trouvé

confronté à elle : « Et mon sang me traversait et la traversait comme un

seul et même corps. »

770

C’est pourquoi, conformément au vœu du

comte Brahe qui constate que les livres sont vides, Malte devra écrire

avec son sang. C’est alors seulement qu’il pourra opérer la

transmutation du réel en littérature, à l’instar du marquis de Belmare,

dont le sang devenu livre est un laboratoire d’alchimie : « il n’y avait

pas une page dans son sang qui ait été laissée en blanc. Et, quand il

s’enfermait de temps en temps et qu’il restait tout seul à feuilleter, il

trouvait les passages sur l’or et la façon de le fabriquer […] »

771

. Or,

nous dit Rilke, le marquis de Belmare « était » (« war »)

772

. « L’acte

autobiographique, rappelle Philippe Lejeune, [...] a pour fonction

immédiate d’assurer la cohérence du moi. »

773

Rilke en était conscient,

qui en 1907, considérait déjà que les Carnets seraient une naissance

(Geburt)

774

.

La scène fondatrice de la quête kafkéenne est aussi une scène

d’écriture. Kafka la rapporte le 19 janvier 1911. Alors qu’il écrivait au

milieu de sa famille quelques phrases d’un roman, un oncle prit le

papier, le parcourut et le lui rendit, en déclarant aux autres : « le fatras

habituel »

775

. Le jeune Franz, qui attendait de la littérature qu’elle

l’arrachât de sa place (J 19), se sentit « chassé de la société d’un seul

coup »

776

. Le rejet de son écriture est un rejet de soi-même : « J’acquis,

au sein même du sentiment familial, un aperçu des froids espaces de

notre monde, qu’il me faudrait réchauffer à l’aide d’un feu que je

voulais chercher d’abord […] »

777

. À la différence du mythe

prométhéen, le feu, chez Kafka, ne préexiste pas à la quête : il doit

770 CM, p. 60 (« Und mein Blut ging durch mich und durch es, wie durch einen und denselben Körper » ; p. 59).

771 Ibid., p. 533 (« Und wenn er sich einschloß von Zeit zu Zeit und allein drin blätterte, dann kam er zu den Stellen über das Goldmachen […] » ; p. 122).

772 Ibid., p. 534. Traduction modifiée.

773 Lejeune, P., Les Brouillons de soi, op. cit., p. 54.

774

Lettre du 21 février 1907 à Karl von Heydt.

775

J, p. 20 (« das gewöhnliche Zeug » ; I, p. 116).

776 Ibid. (« aus der Gesellschaft [...] mit einem Stoß vertrieben »).

777

Ibid. (« Ich bekam selbst innerhalb des Familiengefühls einen Einblick in den kalten Raum unserer Welt, den ich mit einem Feuer erwärmen mußte, das ich erst suchen wollte […] »).

même le créer. Ce qui préside à cette scène, c’est le lien qui se tisse chez

l’écrivain entre son existence, la culpabilité et l’écriture. Isolé au sein de

sa famille, le jeune garçon prend en effet conscience de son

individualité ; mais en même temps, il est l’objet d’une accusation : « Le

jugement de l’oncle se répéta en moi avec une signification déjà presque

réelle […] »

778

. L’écrivain est un paria : coupable d’imposture, il est

exclu de la société et condamné à la solitude. Dès lors, il s’identifie à un

combattant, comme Rilke et Soares, d’ailleurs, qui ont pour modèles

soldats et chevaliers. Son arme n’est pas l’épée : il devra tremper leur

âme dans l’encre. Cette métaphore hante tout l’œuvre kafkéen, on la

retrouve notamment dans le titre « Description d’un combat ». Le

fragment du 29 mai 1914 (J 347) évoque la lutte qu’il doit livrer dans

une forêt. Il s’agit d’un combat semblable à celui de Moïse libérant le

peuple d’Israël. L’écrivain désire passer des « souffrances inférieures de

la création littéraire – qui est maintenue en esclavage [...] – à la liberté

plus haute qui est peut-être en train de [l]’attendre »

779

. La violence de la

création s’exprime à travers des métaphores guerrières : « Acte créateur.

Avance ! Suis le chemin ! Rends-moi des comptes ! Demande-moi des

comptes ! Juge ! Tue ! »

780

En 1917, elles ponctuent les notes du

Journal, car l’écrivain se sait atteint d’un mal mortel. Le diariste a en

effet le sentiment de mener une guerre (J 440). La quête de l’Un (J 439)

ne peut se faire que par une concentration de tout l’être qui devient dur

et tranchant : « De telle sorte, s’exhorte-t-il, qu’une fois le moment

décisif venu, tu tiennes tout ton être dans une seule main comme une

pierre à lancer, comme un couteau prêt à tuer. »

781

Il veut lutter contre le

monde, mais « avec des armes plus réelles que l’espoir et la foi. »

782

Il a

pour modèle la figure du saint. L’autre modèle est Moïse, qui institua de

nouvelles règles pour la conquête de la terre promise. Il écrit, parmi

d’autres annotations de la Genèse : « Et comme il menait une vie divine,

778

Ibid. (« Das Urteil des Onkels wiederholte sich in mir schon fast wirklicher Bedeutung […] »).

779 Ibid., p. 363 (« über die untersten Leiden des [...] Schreibens in die größere auf mich vielleicht wartende Freiheit » ; III, p. 38).

780

Ibid., p. 426 (Schöpferisch. Schreite! Komme des Weges daher! Stehe mir Rede! Stelle mich zur Rede. Urteile! Töte! » [Im Dunkel der Gasse...] in Das Ehepaar und andere Schriften aus dem Nachlaß, in Gesammelte Werke in zwölf Bänden..., op. cit.,

p.143-164, p. 163.

781

Ibid., p. 440-441 (« Daß Du wenn es zur Entscheidung kommt, Dein Ganzes in einer Hand so zusammenhältst wie einen Stein zum Werfen, ein Messer zum Schlachten. » [Oktavheft G], in Beim Bau der chinesischen Mauer..., op. cit., p. 161).

782

Ibid., p. 477 (« mit Waffen die wirklicher sind als Hoffnung und Glaube. » [Oktavheft H] in Beim Bau der chinesischen Mauer..., op. cit., p. 210).

Dieu le prit avec lui et on ne le vit plus. »

783

Comme l’artiste rilkéen,

Kafka veut achever l’univers, car c’est seulement en l’achevant qu’on

peut le détruire (J 472). Le solitaire devient maître du monde : « Il n’est

pas nécessaire que tu sortes de ta maison ; reste à ta table et écoute.

N’écoute même pas, attends seulement. N’attends même pas, sois

absolument silencieux et seul. Le monde viendra s’offrir à toi pour que

tu le démasques, il ne peut faire autrement, extasié, il se tordra devant

toi. »

784

La pensée progresse dans ce fragment vers une ascèse de plus en

plus grande, qui aboutit enfin au surgissement du monde, non pas le

monde impur que dénonce le Talmud, mais le monde pur de la création.

Ce désir est apparenté au hassidisme, où l’accent est mis sur la vie

intérieure du fidèle et l’ascèse

785

. Contrairement au héros de conte,

l’écrivain doit découvrir lui-même ses capacités. Kafka écrit :

« Assurément, il existe des possibilités pour moi, mais sous quelle pierre

sont-elles cachées ? »

786

Le journal a pour tâche de « mettre la

singularité en évidence »

787

, il est un télescope braqué sur le moi (J 7).

L’écrivain affirme son projet d’ »enquête autobiographique »

788

. Il est

lui-même un grand lecteur d’œuvres de ce type, et sa bibliothèque

contient, entre autres, les journaux d’Amiel, Byron, Hebbel, Tolstoï.

Manfred Jürgensen a bien mis en lumière le rôle du Journal, montrant

qu’il offre un exemple particulièrement manifeste d’une « analyse

existentielle de soi », d’une « incessante interrogation sur soi », d’une

« conscience critique de soi », d’une « mise en question de soi »,

destinées à s’assurer de « l’essence de sa propre existence »

789

. Kafka se

783

Ibid., p. 416 (« Und dieweil er ein göttlich Leben führte, nahm ihn Gott hinweg und ward nicht mehr gesehn. » ; III, p. 127).

784

Ibid., p. 485 (« Es ist nicht notwendig, daß Du aus dem Haus gehst. Bleib bei Deinem Tisch und horche. Horche nicht einmal, warte nur. Warte nicht einmal, sei völlig still und allein. Anbieten wird sich Dir die Welt zur Entlarvung, sie kann nicht anders, verzückt wird sie sich vor Dir winden. » [Es war der erste Spatenstich] in Zur Frage der Gesetze..., op. cit., p. 94).

785

Cf. Chouraqui, André, Histoire du judaïsme, Paris, PUF, 1957, p. 92-93. Hassidisme : courant mystique du judaïsme, né dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, fondé par Baal Shem Tov. Son principal représentant littéraire fut Martin Buber, que Kafka avait lu.

786 J, p. 331 (« Es gibt Möglichkeiten für mich, gewiß, aber unter welchem Stein liegen sie? » ; II, p. 226).

787

Ibid., p. 422. Note absente de l'édition allemande.

788 Ibid., p. 548 (« selbstbiographischen Untersuchungen » [Ein junger Student…] ; in

Das Ehepaar…, op. cit., p. 10).

789

Jürgensen, Manfred, Das fiktionale Ich, Bern / Munich, Francke, 1979, p. 134. Je traduis.

relit, afin de saisir une personnalité qui lui échappe

790

. C’est souvent

cette relecture qui relance la machine d’écriture. Après une interruption

de six mois, il écrit, le 27 juin 1919 : « Nouveau journal, je ne le

commence à vrai dire que parce que j’ai relu l’ancien. »

791

Écrire doit

permettre d’ordonner les forces obscures de l’être, de voir clair en soi.

« Un homme qui domine le chaos », écrit-il à Brod, fera « des livres

sacrés »

792

. Pour laisser jaillir le feu de l’inspiration, il faut créer un

passage vers l’extérieur, percer le moi. Dans une note du 5 novembre

1915, Kafka raconte comment il est la proie d’un feu dévorant qui ne

parvient pas à se déclarer. Il se chante alors, pour se calmer, une étrange

berceuse : « Mon petit ami, épanche-toi »

793

, qu’il répète inlassablement,

en s’accompagnant de son mouchoir comme d’un instrument. Cet

épanchement a lieu le soir même, lorsqu’il raconte cette scène dans son

journal. Ce dernier permet de faire jaillir ce feu prométhéen que Kafka a

senti très tôt brûler en lui. D’autres exhortations parcourent le Journal.

Le genre intimiste est en effet le lieu des délibérations et résolutions.

Aussi le diariste se prend-il fréquemment à partie, et se prodigue

conseils et encouragements. Le sujet doit s’ouvrir, c’est le seul chemin

vers l’écriture : « Also öffne Dich Thor Mensch komme hervor. / Atme

die Luft und die Stille. » (Allons, ouvre-toi. Que l’être humain sorte. /

Aspire l’air et le silence.)

794

La solennité du moment est rendue par la mise en forme poétique, rare

chez Kafka. La note se présente comme deux vers, dont le premier

comporte une rime interne. La solennité se lit également dans l’usage de

l’impératif. Dans ce jeu d’écriture de soi, le diariste est son propre texte.

Le projet d’écriture et la quête de soi n’ont peut-être jamais à ce point

coïncidé chez un auteur. « Tu es la tâche »

795

, affirme-t-il. Il est

convaincu que l’écriture autobiographique lui permettra d’obtenir une

nouvelle identité qui à son tour donnera naissance à l’œuvre : « La

création littéraire se refuse à moi. D’où mon plan d’enquêtes

autobiographiques. […] C’est là-dessus que je m’édifierai ensuite […] »

(J 548). Le journal doit aider à se construire, à trouver le sol, l’air et la

loi qui lui font défaut et le font échouer dans son œuvre et sa vie. À

790 Cf. par exemple J, p. 286. Note du 15 août 1912.

791 J, p. 489 (« Neues Tagebuch, eigentlich nur weil ich im alten gelesen habe. » ; III, p. 171).

792

Lettre de fin juillet 1922 (« ein das Chaos beherrschender Mann » « heilige Bücher ».

793

J, p. 408 (« Freundchen ergieße Dich » ; III, p. 113).

794 T III, p. 131 ; J, p. 418. Je souligne.

795

J, p. 448 (« Du bist die Aufgabe. » ; [Oktavheft G] in Beim Bau der chinesischen Mauer..., op. cit., p. 173).

propos de ces trois fondements de son être, Kafka affirme : « Les créer

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