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SECTION 2 : LES MANQUEMENTS INVOCABLES

89. Un art à part entière

Selon l’alinéa 2 de l’article 95 du Code de la Santé, « les Tradipraticiens se livrant au traitement des malades, dans le cadre de la médecine traditionnelle, peuvent exercer leur art conformément aux lois et règlements en vigueur».D’ailleurs, l’article 96 du Code de la santé donne une définition de la médecine traditionnelle. Elles sont « la somme totale de toutes les connaissances et pratiques, utilisées en diagnostic, prévention et élimination des déséquilibres physique, mental et social ; et reposant exclusivement sur les expériences pratiques et les observations transmises de génération en génération, oralement ou par écrit, permettant de prévenir, de guérir les malades et d’alléger les souffrances ».

Il en découle qu’il existe des règles de l’art de la médecine traditionnelle qui doivent être analysées avec un langage différent de la médecine moderne. D’ailleurs, la légalisation de la pratique a implicitement eu pour effet de rationnaliser et donner un niveau de systématisation desdites techniques. A ce titre, l’analyse du comportement du tradipraticien de nature à révéler un manquement à des règles de la profession nécessite des outils et instruments de référence commune. La notion de violation de normes techniques ne pourrait pas être uniforme pour le médecin conventionnel et le Tradipraticien.

268 Voir, Dictionnaire de droit de la santé et de la biomédecine, op. cit., §235.

269Cass 1ère civ. 14 février 1950: JCP G 1950, 410.

270Selon l’article 95 du Code de santé, « L’exercice de la Médecine Traditionnelle est juridiquement autorisé et reconnu à toute personne physique ou morale, à titre individuel ou en association, dans les conditions déterminées par les dispositions du présent Code.

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Par souci de systématisation et d’harmonisation, on le considère comme étant de la médecine mais dans sa version traditionnelle par opposition à la médecine conventionnelle ou occidentale. Soulignons que la médecine traditionnelle malagasy est intimement liée à la notion de religion et au social dans laquelle il est destiné à opérer à travers leurs méthodes de diagnostic, de nosologie, d’étiologie et de thérapie. En réalité, le processus de guérison ne vise pas uniquement une maladie. Il apporte un remède à un ensemble de malheurs provoqués par des causes maléfiques. Ce qui rend l’analyse juridique du comportement technique guérisseur. La norme technique se trouve enveloppée dans la magie. La seule solution pour assurer une meilleure appréhension et maîtrise de cette science traditionnelle si on peut le nommer comme tel est de le rendre plus épurée de toute religiosité. Or cela risque de dénaturer totalement sa fonction dans la société. Le malagasy vient consulter un tradipraticien pour bénéficier d’une science dont le principe actif est la magie. Leur action est inséparable de la manipulation du surnaturel, dont on ne saurait la couper271.

En effet, l’acte thérapeutique censé guérir une maladie ou éradiquer une épidémie. Il s’effectue dans le cadre d’une cérémonie de diverses natures. Ce sont les sacrifices, les purifications, les incantations, la communication avec les esprits, une séance d’exorcisme avec l’aide d’astrologues, de médecins devins ou mpisikidy et de médecins traitant ou ombiasy. Il faut remarquer que l’ombiasy est également un phytothérapeute.

Par exemple, le bilo ou salamanga est une cérémonie destinée à guérir un malade perturbé, désorienté qu’une communauté soupçonne d’être possédé. Les symptômes du bilo sont le fait de manifester un désir de danser ou lorsque le malade ressent un plaisir en entendant les chants par les battements de mains. Tel est un mode de diagnostic dans l’univers traditionnel de la guérison à Madagascar. Pour traiter la maladie, le concerné est amené en dehors du village et mis sur une plateforme de quatre mètres environ avec une échelle de fortune et de construction rudimentaire comme accès. Par ailleurs, le processus de traitement est collectif car les membres de la communauté doivent consommer sans restriction de rhum et de viande de zébu sacrifié. Si le malade arrive à grimper sur la plateforme sans difficulté, alors le pronostic est bon et il aura une chance de guérir. Dans le cas contraire, il n’y a plus d’espoir.

271J. BENOIST, Médecine traditionnelle et médecine moderne en République Populaire du Bénin., Laboratoire d'Ecologie Humaine., ECOL.HUM. ,VOL. VII, N°1,1989,P 84-89 notes de terrain.

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Il faut rappeler qu’il existe deux catégories de tradipraticien. Le mpisikidy et le ombiasy. On les nomme en français des « guérisseurs », des « tradipraticiens » dans un langage plus acceptable. D’une manière générale, ce sont mais aussi des sorciers. Or, ils sont les héritiers d’une antique manière de soigner le mal et la maladie, dont l’une des caractéristiques est justement de lutter contre la sorcellerie272.

Le mpisikidy ou médecin devin dispose d’une grande connaissance des plantes médicinales. Il opère par divination. Le mpisikidy utilise le skidy. Il interpète des figures ou les positions de graines lancées au hasarden fonction desquels il confectionne l’ody à base de plante.

A côté du mpisikidy, il y a les ombiasy ou phytothérapeutes qui réalisent un diagnostic avec imprécision. Leur traitement est symptomatique. A chaque plante correspond un symptôme. Ils ne raisonnent pas en termes de maladie mais de symptôme.

Dans la pratique, ils optent pour les techniques de dérivation des humeurs en prescrivant des produits à effet sudorifique, vomitif, diurétique, laxatif et purgatif. Le choix des plantes est souvent guidé par leur couleur, leur forme, leur odeur, leur saveur. Les saveurs amères sont les plus prisées. Les formes de décoction de plantes fraîches ou sèches, écorcées, râpées mélangées dans de l’eau portée à ébullition sont souvent utilisées. Le Malagasy boit de la décoction curative quotidiennement. D’ailleurs, cela a provoqué une insuffisance rénale d’une partie de la population malagasy qui constitue actuellement un problème de santé publique. La décoction est également utilisée comme du sauna rudimentaire. Des cataplasmes imprégnés de la décoction peuvent être appliqués au visage ou sur les autres parties du corps. Les massages accompagnent souvent le traitement pour faire imprégner le principe actif dans le corps.

En général, le guérisseur malagasy ne pratique pas d’opérations chirurgicales. Par contre, il peut effectuer des saignées avec une lame de rasoir sur tout le corps pour faire sortir la maladie. Il était arrivé un cas où un guérisseur dans une campagne de la région de Fianarantsoa a pratiqué une série de saignée sur une femme atteinte finalement de fibromes. Cela constitue encore une technique de dérivation des humeurs. La plupart du temps, le guérisseur suce sur la partie disséquée à la lame de rasoir. Soit il jette le produit soit il l’avale. Une fois, un guérisseur a disséqué un ganglion lymphatique et a avalé le contenu mais malheureusement le sujet était victime de la peste bubonique. Le guérisseur décéda de suite.

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Les Antanosy, une ethnie du Sud-est de Madagascar pratiquent par exemple des ventouses scarifiées avec des cornes de zébu percées d’un petit trou par lequel l’ombiasy aspire l’air. « Dans cette société de tradition orale, si le remède est efficace, c'est par la vertu de la parole. Les cures qu'entreprennent les guérisseurs sont aussi des jeux sur les mots, des jeux de mots 273». Toutes ces formes de pratiques nous montrent que les techniques utilisées par le médecin traditionnel sont d’une autre nature. Elles ne ressemblent pas à celles appliquées par le médecin conventionnel. Elles sont rudimentaires sans référence à une norme technique particulière. Toutefois les pratiques pourraient être regroupées selon l’appartenance ethnique et régionale du tradipraticien.

Par conséquent, il est à suggérer aux tradipraticiens d’établir une nomenclature des pratiques traditionnelles selon l’appartenance ethnique et affinités culturelles des tradipraticiens. Cette nomenclature pourrait être validée en même temps par le Comité national d’éthique et la Commission nationale formée par les tradipraticiens. A partir de là, cette nomenclature pourra faire office de référence technique tant pour les praticiens que pour les juridictions.