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La Península Valdés en Patagonie argentine est un parc naturel protégé qui a été classé au patrimoine universel de l’humanité en 1999. Il est unique au monde pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il est le point de convergence annuel d’environ 2000 baleines franches australes qui viennent s’y accoupler, y mettre bas et élever leurs baleineaux de juin à janvier. Les baleines migrent ensuite vers des eaux riches en krill pour leur période d’alimentation. Les côtes de Patagonie sont l’un des plus importants lieux de reproduction des baleines franches australes dans le sud ouest de l’Atlantique, et la Península Valdés constitue le principal lieu d’accouchement et d’élevage pour les baleines en Amérique du sud2. Ensuite, c'est le seul lieu au monde où l'on a pu constater que les goélands, qui vivent en colonies à proximité des balei-nes, piquent le dos de ces dernières et se nourrissent du gras de leur couche sous cutanée.

Ce phénomène observé par les biologistes pour la première fois en 1971 ne cesse de s'amplifier : les études scientifiques menées depuis 1984 montrent une forte augmentation des attaques des goélands3. Ils produisent de profondes blessures modifiant les comportements de plongée des baleines et constituent pour elles une menace dont les conséquences sont encore imprévisibles. Cette augmentation inquiète les responsables de la conservation du parc, les habitants de la région, les organisations écologistes, ainsi que les professionnels du tourisme. La visite en bateau des sites marins où évoluent les baleines, appelée « avistaje »4 constitue en effet une ressource touristique importante pour la province du Chubut, où est situé le parc5. La caractérisation du phénomène ne relève pas uniquement d'une interaction entre deux espèces car ses causes sont liées aux activités humaines : l'augmentation de la population des goélands est due aux rejets de la pêche industrielle et aux décharges à proximité des zones urbaines qui augmentent la probabilité de rencontre entre les deux espèces. Un certain nombre de publica-tions en biologie abordent ce problème6. Cette question est également présente dans la presse (j’ai pu répertorier plusieurs articles de presse depuis 1997). On se trouve donc dans une configuration paradoxale : dans un parc consacré à la conservation des baleines, ces dernières souffrent durement des conséquences de l’activité humaine. L’enjeu de cette enquête en

2 Payne (1986).

3 Rowntree, McGuinness, Marshall, et al. (1998, p. 99–115).

4 Ce qui signifie, même si c’est difficilement traduisible en Français qui n’a pas de lexique équivalent « aller y voir ». Cette expression correspond à l’anglais « whale watching ».

5 L’Argentine est un État fédéral, et le Chubut est l’un de ces États, doté d’une autonomie politique et budgétaire.

6 Ces publications sont référencées sur le site du Centro National Patagónico à l’adresse suivante : http://www.cenpat.edu.ar/.

gonie argentine était donc, au départ, d’étudier la manière dont les acteurs locaux (biologistes de la conservation, écologistes, responsables politiques, habitants et professionnels du tou-risme) faisaient face à cette situation, les savoirs qui étaient mobilisés, le débat public qui en découlait, et le type de relation qui se construisait entre l’homme et la nature dans ce contexte.

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Figure 1111 : localisation de la Península Valdés.: localisation de la Península Valdés.: localisation de la Península Valdés.: localisation de la Península Valdés.

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Figure 2222 : la Península Valdé: la Península Valdé: la Península Valdé: la Península Valdés.s.s.s.

Aborder un terrain ethnologique ne se résume pas à venir dans un endroit et à y obser-ver des pratiques ou à interroger des gens, comme un journaliste pourrait le faire. Il faut aussi avoir armé son regard de multiples lectures théoriques, des comptes rendus des terrains réalisés par d’autres collègues des différentes disciplines des sciences sociales, sans oublier les expérien-ces antérieures de mes précédents terrains. Au plan de la conception du rapport au terrain, je

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suis avant tout redevable à Joëlle Le Marec qui a développé une approche communicationnelle au sein de laquelle il ne s’agit surtout pas d’aller chercher des « données » qui seraient extérieu-res à la situation d’enquête7. Loin de ce positivisme sociologique, Joëlle Le Marec nous invite à penser le terrain comme un ensemble de situations de communication engageant pleinement l’observateur, les personnes enquêtées, les objets et les discours qui circulent et s’échangent entre eux : ce sont ces situations de communication qui constituent le « terrain », l’enquêteur ne pouvant jamais s’en estimer extérieur ni s’en passer.

Sur le terrain, le chercheur ne peut maîtriser la signification des situations de communications, qui en-gagent d’autres acteurs que lui-même, et dont le sens global ne peut être revendiqué par une seule des parties. Le chercheur est obligé de renoncer à cette part manquante, perpétuellement. L’interprétation lui permet de reconstruire un texte cohérent, un point de vue – parfois une multiplicité de points de vue, toujours eux-mêmes reconstitués d’un point de vue privilégié. Mais il ne peut faire en sorte que les communications sur le terrain ne soient pas toujours beaucoup plus que du recueil de matériau, ou plu-tôt, qu’elles soient avant tout autre chose sur le moment, autre chose dont la signification ne dépend pas que de lui, en tant qu’acteur social n’ayant nulle priorité sur l’interprétation de la situation sur-le-champ, sinon son cadrage préalable et son interprétation ultérieure. Le sens commun mobilisé dans les situations de communication lors de l’enquête ne peut pas être situé uniquement dans la psychologie du chercheur et dans ses contenus mentaux propres. Il est aussi dans le sens créé en commun dans les communications sociales.8

Libéré de la hantise des biais introduits par l’enquête dans une situation où il ne s’agit plus de rechercher une vérité extérieure à la communication, l’enquêteur doit cependant re-doubler d’attention et s’interroger constamment sur le sens des situations construites et parta-gées avec les gens interrogés ou rencontrés. Étudiant une société – un petit village – où l’on verra que des savoirs circulent abondement (savoirs biologiques sur les baleines, etc.), et analy-sant cette situation du point de vue universitaire qui est le mien, donc du point de vue d’un représentant d’une institution du savoir n’ayant jamais caché ce rattachement, j’ai naturelle-ment du tenir compte de ma propre intervention dans ce système complexe de valeurs, de sa-voirs, de représentations et de communication. Nulle extériorité à la situation, donc, mais une plongée communicationnelle dans un terrain dont j’étais inévitablement l’un des acteurs.

Après avoir établi durant plusieurs années des contacts avec des biologistes argentins, je me suis installé dans une maison louée avec leur équipe dans le village de Puerto Pirámides, petite (et unique) localité d’environ deux-cents habitants située sur la Península Valdés. Cette péninsule est une steppe arbustive aride, presqu’un désert, d’un peu plus de quatre-cent kilo-mètres de côtes sur l’Atlantique : un isthme relié par une route unique la sépare du continent ainsi que d’une ville industrielle (Puerto Madryn, un port disposant de la plus grosse usine d’Argentine, Aluar, qui produit de l’aluminium et mobilise de nombreux navires industriels de fort tonnage) et elle dispose de deux golfes, l’un au nord (le Golfo San José) et l’autre au sud (le Golfo Nuevo, où est situé Puerto Pirámides). J’ai décidé de commencer par passer un mois sur place sans réaliser aucun entretien, de manière à prendre le temps d’observer la vie locale, de rencontrer les gens de manière informelle, de leur expliquer pourquoi j’étais venu, d’établir un minimum de relations de confiance en les laissant s’habituer à moi. Ensuite seulement j’ai engagé une démarche de recueil de la parole, qui a été principalement centrée sur ceux qu’on appelle ici les « balleneros » (les baleiniers), c'est-à-dire l’ensemble des professionnels qui

7 Le Marec (2002a). Voir également Le Marec (2002b).

vaillent pour les entreprises d’avistaje. Ils peuvent être propriétaires des entreprises, capitaines, guides, marineros (aides travaillant au nettoyage des embarcations lors du retour des avistajes, ou conduisant les tracteurs qui tirent celles-ci sur la plage et en mer depuis les hangars de stoc-kage), mécaniciens, employés d’accueil, photographes et vidéastes (on vend aux touristes des photos de leurs avistajes ainsi que des vidéos éducatives sur les baleines à la fin des visites).

Une cinquantaine d’entretiens semi-directifs d’une heure à trois heures selon les cas fu-rent réalisés, la plupart du temps enregistrés. L’approche choisie, ethnographique, a consisté à m’insérer dans la vie et les activités locales des habitants, des balleneros, des biologistes, des professionnels du tourisme, à rencontrer des gardiens de parc, des touristes, des guides, des membres d’ONG, à avoir des discussions informelles avec chacun, à observer les pratiques professionnelles et quotidiennes, à consulter des documents (administratifs, médiatiques, scientifiques, etc.), à sortir en mer pour observer les baleines et à parcourir régulièrement le village et ses environs. Les biologistes ont volontiers accepté que je les accompagne sur leurs terrains (sondages du nombre de baleines, études acoustiques de la baie de Madryn, captures de goélands ou de pingouins, etc.). J’ai également photographié abondamment la péninsule et le village.

Le terrain s’est principalement déroulé à Puerto Pirámides. Les cinq entreprises d’avistaje actives correspondent à des « Pymes » (Pequeñas y Medianas Empresas, Petites et Moyennes Entreprises de moins de cent employés) : j’ai réalisé des entretiens avec des capitai-nes ou des guides de chacune d’entre elles, de même que j’ai eu de nombreuses discussions avec pratiquement chacun des employés de plus de la moitié d’entre elles. Chaque entretien débutait par un récit de vie, suivi d’une description des pratiques professionnelles et de thèmes de discussion concernant la nature et le problème des interactions entre goélands et baleines. Il a également été assez facile de rester sur place longuement afin de m’imprégner de l’atmosphère de travail de ces entreprises. Sans compter les multiples discussions informelles, dix entretiens ont été réalisés en espagnol avec des capitaines, et plusieurs autres avec certains dueños9 des entreprises, eux aussi capitaines. La plupart ont été menés dans un bar, parfois sur les lieux de travail, ou encore dans un « hostal », une sorte d’auberge de jeunesse dont l’une des entreprises d’avistaje est propriétaire et qui sert de lieu de rencontre à une grande partie des balleneros.

J’ai profité de nombreuses occasions pour m’intéresser aux pratiques touristiques et aux relations des gens avec la nature et la faune sauvage dans la péninsule. Celle-ci est riche en élé-phants de mer, otaries (appelées ici lions de mer), pingouins de Magellan, cormorans, goélands et mouettes, rapaces, choiques (des sortes d’autruches), maras (de gros rongeurs) ou guanacos, sans parler de la faune sous-marine également abondante. Le fait de rester en Argentine de juillet à février m’a permis d’arriver à Puerto Pirámides avant la période touristique (qui dé-bute ici en octobre), puis d’être présent durant cette période de forte affluence. Les saisons étant inversées dans l’hémisphère sud par rapport à l’hémisphère nord, je suis donc arrivé en Patagonie en hiver.

Après cette présentation du contexte et de l’installation dans le terrain, puis ce rapide survol méthodologique, il est temps d’entrer plus en profondeur dans l’enquête. Je précise avant cela deux aspects : d’une part, il n’y avait jamais eu d’étude sociologique menée sur ce

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territoire avant mon arrivée. D’autre part, tous les faits qui vont être exposés ici de manière succincte, faute de place, sont étayés et vérifiés dans l’ouvrage « Disposer de la nature »10.

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