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DE PROJET SI : VERS UN MANAGEMENT POLYPHONIQUE ?

2. LES SYSTEMES D’INFORMATION EN TANT QU'OBJET A GERER : LES PROJETS SI

2.3.3. Vers une approche contextualiste du management de projet ERP

Nous avons effectué précédemment une analyse des spécificités des projets ERP et de leur management : le phasage, les acteurs et la structure organisationnelle de projet, la notion de succès et d’échec.

Il ressort de cette revue de la littérature que les projets ERP sont des projets de nature fortement émergente. L’interaction entre les acteurs eux-mêmes et l'interaction entre ceux-ci et l’objet technique (Taylor & Virgili, 2008) permet de faire apparaître les adéquations et les controverses. C’est pendant la mise en œuvre du projet que les besoins sont affinés, que les possibilités techniques sont mises à l’épreuve.

Les projets ERP semblent mal supporter une approche de management axé sur la planification et le contrôle. Ainsi, plusieurs auteurs soulignent l’échec de ce type de projet en raison de la sous-estimation de sa dimension organisationnelle en faveur de sa dimension technique. A l’instar des travaux de Pichault (2005, 2009), une nouvelle voie est envisageable. Les projets ERP peuvent être intégrés dans un modèle de management plus large : le management du changement. L’auteur propose un renouvellement conceptuel de la démarche managériale. En mettant en cause la nature réductrice du modèle par planification, l’auteur propose une approche mutidimensionnelle. Il s’agit d’un modèle contextualiste tirant son origine des travaux de Pettigrew (1987). C’est ainsi qu’il intègre cinq approches de changement existantes (l’approche de la planification, l’approche politique, l’approche incrémentale, l’approche contingente et l’approche interprétativiste) dans un cadre d’analyse articulant le contexte – le contenu et le processus.

« Le changement, c’est d’abord un contenu, c’est-à-dire un objet qui va être soumis à modification, reflétant le plus souvent les intentions d’une équipe dirigeante en matière de cible, de rythme ou de résultats attendus (approche de la planification) mais pouvant aussi résulter de l’évolution non intentionnelle de certaines variables. Ce changement ne peut être appréhendé correctement sans être mis en relation avec le contexte dans lequel il est destiné à s’implanter (approche contingente), qui représente à cet égard autant de contraintes que d’opportunités. Son processus d’introduction s’avère crucial : comment les acteurs se positionnent par rapport au contenu (approche politique), comment ils sont marqués, dans ces positionnements, par l’histoire organisationnelle et les décisions héritées du passé, chacune ayant une temporalité spécifique (approche incrémentale), comment ils « mettent en action » les éléments du contexte pour les intégrer de manière signifiante dans le contenu (approche interprétativiste) » (Pichault, 2009, p. 67).

Figure 14 : Le cadre contextuel du changement et le modèle des cinq forces (Pichault, 2009)

La nature multidimensionnelle du cadre conceptuel ci-dessus permet d’avoir une appréciation plus nuancée de la réussite ou de l’échec. Le respect des objectifs en termes de délais, budgets et spécifications techniques issu de l’approche de la planification ne constitue plus le seul critère d’évaluation de projet. De nouveaux critères sont développés. Ainsi, l’approche contingente permet d’appréhender la réussite en termes d’adéquation aux variables contextuelles. L’approche politique insiste sur la satisfaction conjointe des intérêts divergents des parties prenantes. L’approche incrémentale prend en compte la capacité d’incorporation des phénomènes émergents dans le déroulement du projet. Enfin, l’approche interprétativiste évalue le succès en termes de négociation de sens du processus de changement.

Pichault (op. cit.) met en avant le caractère profondément imprévisible du déroulement des projets de changement. L’auteur souligne toutefois que les managers disposent de certaines marges de manœuvre permettant l’anticipation de leur évolution. Ceux-ci peuvent choisir d’adopter le style de management "panoptique" (centré sur le contrôle et la rationalisation) ou

Contexte :

Approche contingente

Contrainte et opportunités du contexte

Approche incrémentale Dynamique temporelles des décisions antérieures

Approche interprétativiste Légitimité et signification commune du projet

Approche politique

Rapport de force et jeux de pouvoir entre acteurs Approche de la planification

Design du projet, de ses étapes clés et des résultats attendus

Contenu

Approche contingente

Contrainte et opportunités du contexte Contexte

Processus de changement

le style de management "polyphonique" (centré sur le dialogue et la confrontation des rationalités). Chacun de ces styles amène les acteurs concernés à réagir différemment. D’une manière générale, le style de management polyphonique oriente les acteurs à vivre le changement comme une innovation. On parle alors des interactions sociales progressives. A l’inverse, le style de management panoptique a tendance à le faire vivre comme des entraves. On parle alors d'interactions sociales régressives.

Au total, quatre scénarios d’évolution sont identifiés à partir de l’articulation entre le style de management et le contexte interne du projet (le système d’influence centripète ou le système d’influence centrifuge) : la logique de la perpétuation, la logique de la dissidence, la logique de l’adaptation et la logique de l’innovation.

Système d’influence centripète Système d’influence centrifuge Style de management panoptique (Interactions sociales régressives)

Boycott, rejet, sous-utilisation, détournement, stratégies d’évitement ou de non-implication Logique de la perpétuation Défense de l’expertise menacée, constitution de « territoires » autonomes, prolifération d’initiatives parallèles Logique de la dissidence Style de management polyphonique (Interactions sociales progressives) Ecarts et insatisfactions finissant par être reconnues comme légitimes Logique de l’adaptation Investissement au nom de l’excellence professionnelle, usages imprévus des dispositifs

Logique de l’innovation

Tableau 7 : Contribution des styles de management aux évolutions possibles du changement selon Pichault (2009)

3. CONCLUSION

En management de projet, il est possible de distinguer deux démarches associées à deux conceptions différentes du succès de projet. L’approche classique est centrée sur le respect du « triangle de fer » Coût-Délai-Qualité. Il considère que la planification et le contrôle sont les facteurs clés de succès du projet. A l’inverse, l’approche contingente suggère la prise en compte des variables contextuelles dans le management de projet et dans la mesure de son succès.

Dans les projets SI, il est particulièrement difficile de rester dans le cadre prédéfini tel qu’il est conçu dans l’approche classique. En effet, celle-ci s’inscrit dans le paradigme représentationiste des sciences de gestion : une « bonne » planification implique l’exhaustivité des connaissances au moment de son élaboration, son respect ne peut être possible que si les acteurs exécutent exactement le plan préconçu.

Or, la nature implicite des besoins ainsi que l’articulation forte entre les dimensions technique et organisationnelle en système d’information remettent en cause l’exhaustivité des connaissances. Ainsi, l’hétérogénéité des acteurs, de leurs compétences et de leurs intérêts remet en cause la possibilité d’une simple mise en œuvre de nature mécanique.

Une approche contingente semble alors s’imposer. Cette approche ne conduit-elle pas vers une forme d’improvisation (Chédotel, 2005) anarchique ? A l’instar des travaux de Pichault (2009), il est possible d’envisager une nouvelle perspective de management de projet, en considérant les projets SI comme une catégorie spécifique de la gestion du changement. Le cadre contextuel constitué de trois pôles (contenu – contexte – processus) permettra de mieux saisir la dynamique transformative au sein de laquelle le changement se déroule.

Une telle démarche permet de situer le management de projet dans le renouvellement paradigmatique des sciences de gestion (Lorino, 2007). Dans cette perspective, l’activité collective se trouve au cœur de la compréhension de l’organisation. La génération des connaissances dans l’action et pour l’action prendra tout son sens.

DEUXIEME PARTIE