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2. Des apprentissages (alimentaires) indispensables

2.1. Apprendre dans l’alimentation

Les apprentissages entrent en jeu dans plusieurs domaines, dont l’alimentation comme nous venons de le voir, et ce, à travers différents processus. (Chiva, 1996)

D’une part, ils permettent de traiter cognitivement les informations et de leur adjoindre une signification. Celle-ci va être apportée par le renouvellement d’expériences, par leur place dans un environnement global, et le lien fait avec d’autres situations. Cette sémantisation va alors favoriser la communication avec les autres ainsi que l’adoption d’un vocabulaire et d’engagements socio-culturels.

D’autre part, cette découverte va permettre de donner une intensité aux sensations ressenties. Car, « ce n’est que par expérience que l’on apprend, en goûtant et en

comparant ». (op. cit, p. 17) Bien que la magnitude de ces sensations soit subjective,

l’enfant apprendra à les nommer au contact de son entourage. Celui-ci lui permettra dans le même temps d’appréhender les goûts de sa culture. Il pourra alors se construire sur le plan individuel et social, en référence aux normes du groupe.

L’apprentissage alimentaire passe également par le raccord entre sensation et perception. Cela permet de glisser de l’abstrait au concret et donc de donner du sens et une identité à l’aliment incorporé par le mangeur. Il permet l’acceptation de nouveaux aliments dont le goût, dans un premier temps, ne peut être apprécié de manière instinctive par les enfants. Et dans ce domaine, l’observation et l’imitation sont des processus inéluctables dans leur apprentissage et éducation. Observation de sa famille mais aussi des pairs, qui par envie d’imitation va être un moteur fort dans la découverte de nouvelles saveurs et nourritures.

« Hier j’leur ai fait goûter des cranberries séchées. J’en ai donné juste un petit peu au début. Y’en a un qui mange de tout mais là, comme il connaissait pas, il a poussé. Mais quand il a vu que les autres en redemandaient, il s’est dit ”Ah, Ça doit être bon !”, du coup il a demandé, il a goûté et il en a redemandé." (Mme F. Entretien exploratoire n°5)

Ceci concerne aussi parfaitement les comportements alimentaires, qui s’apprennent essentiellement aux contacts des autres et où « l’acquis l’emporte parfaitement sur l’inné ».

(op. cit, p. 19) C’est par mimétisme que l’enfant va tester, approuver ou non certaines

sensations, voire affinités pour s’insérer au sein d’un groupe : il est en mesure d’accorder et de moduler ses attirances selon les circonstances rencontrées. (Dupuy, 2008)

« Même les parents, ils sont satisfaits et ils sont contents parce que l’enfant des fois il mange mieux à la crèche qu’à la maison. (Rires) Y a des fois on se dit ”Mais c’est pas possible”, des enfants qui mangent hyper bien à la crèche, où on a pas de soucis, on se rend compte qu’à la maison, c’est pas ça. » (Mme J. Entretien probatoire n°2)

Les expériences antérieures vont grandement influencer les pratiques alimentaires, et donc pour l’enfant, le futur adulte qu’il deviendra. Son développement physiologique répond à

plusieurs apprentissages, dont celui des pratiques alimentaires. Ces dernières vont se créer sur la base d’une représentation de l’alimentation, mais aussi de son corps et de « soi » et donc de ses capacités psychomotrices. (de Suremain et Razy, 2012)

2.1.1. Quand manger permet de se construire

Dès le premier jour de vie, l’action de nourrir l’enfant par la tétée participe à sa socialisation. Cette situation de dépendance vis-à-vis des parents situe l’enfant dans leurs répertoires de l’espace social alimentaire auquel il va alors appartenir. Boire, puis manger, va permettre la construction d’un lien social. (Corbeau, 2012a) Les préférences alimentaires des enfants vont être influencées par différents facteurs, notamment par cette socialisation, voire par les pratiques alimentaires de leurs parents. (Guérin et Thibaut, 2011) Or, on sait que ces préférences, une fois adulte, peuvent être en relation avec les premières expériences gustatives du tout début de vie. Ceci participe donc aussi à la construction de sa propre personne à plus ou moins long terme. (Maier et al, 2008)

L’alimentation va constituer pour l’enfant un des premiers moyens de dialogue avec son entourage.29 Alors que certains réflexes, telle que la succion, le goût pour le sucré, le dégoût pour des saveurs amers, acides ou trop salées, le sourire ou les pleurs, vont constituer des manifestations innées, elles vont aussi s’intégrer dans un environnement plus complexe où interaction et socialisation vont avoir une influence. En effet, ces mimiques s’inscrivent dans un contexte social et relationnel plus global qui va les percevoir et les interpréter d’une certaine manière. C’est par la relation alimentaire, instaurée par l’entourage et les émotions véhiculées, que ce réflexe inné va se charger en significations. Cette interaction entre l’enfant et ses figures nourricières va se faire de manière réciproque entre l’un, imitant, reproduisant, et l’autre, échangeant, interprétant et signifiant ses préférences, voire adaptant ses comportements en fonction des retours reçus. (Chiva, 1979) Il y a donc clairement intervention des émotions, qui, selon Wallon, sont l’intermédiaire entre le biologique et le social. Selon lui, l’enfant est « un être dont les réactions ont besoin d’être

complétées, compensées, interprétées ». (1946, p. 281 in Zaouche Gaudron, 2010, p. 7)

L’intervention de l’autre est primordiale dans la mise en place des comportements sociaux du petit être. Cette rencontre avec autrui permet d’individualiser l’enfant tout en permettant la construction et l’affirmation de son propre soi. (Zaouche Gaudron, 2010)

2.1.2. Manger au sein d’un collectif

Dans les tous premiers jours de vie, manger permet de se construire individuellement, autant physiquement que psychiquement. Bien que cette construction individuelle physique va se poursuivre encore durant un temps pour l’enfant, l’acte

alimentaire, comme nous avons pu commencer à le voir, lui permet aussi de rentrer dans un environnement sociétal, dans un tout, et de développer son identité collective. La socialisation est vue comme un véritable processus de construction identitaire. Au cours de cette socialisation, l’individu est construit, formé, façonné, à travers la société où il se situe. Par ce procédé, il va acquérir, incorporer, apprendre des manières de faire, de penser et d’être socialement définies. (Darmon, 2010) Cela se retrouvant de manière générale, mais aussi dans l’alimentation. On parlera alors de socialisation alimentaire (Dupuy et Watiez, 2012) : l’individu va développer des goûts et des préférences, des savoirs (Comment choisir ses aliments ? Lesquels manger ? Lesquels ne pas manger ? Comment les cuisiner ?), des représentations mais aussi des comportements liés à l’alimentation dans l’intention de s’accorder aux modes et règles alimentaires du groupe socio-culturel auquel il appartient. Néanmoins, cela ne se fait pas à sens unique, et il s’agit véritablement d’une co- construction, d’un va-et-vient, s’établissant entre les individus et la société et inversement, tout au long de la vie. (Corbeau et Poulain, 2002)

Ainsi, bien plus qu’un simple acte de vie et de survie, l’alimentation fonde les bases d’une construction identitaire à la fois individuelle et collective, notamment par la confrontation à l’autre, à l’altérité, inclue dans une société, un environnement, un tout. (de Suremain, 2017) Mais revenons sur le fait que l’alimentation constitue l’un des premiers dialogues entre le nourrisson et son entourage et sur les grandes étapes de transitions précédemment citées. Nous venons de voir que durant cette période, l’enfant a tout à apprendre : quoi, comment, combien, quand manger, dans quel contexte ? La perception du goût, ou plutôt de certaines saveurs, apparaît innée, mais celle-ci reste dépendante des retours fais par l’extérieur et a une grande importance dans la construction des identités. Si certaines choses ne sont pas à apprendre, comment le reste intervient-il et comment s’acquière-t-il ? En quoi ces étapes de changements dans l’alimentation du nourrisson apparaissent-elles si importantes ? Pourquoi les études se multiplient à leur sujet ? Quels enjeux se cachent derrière ? Et est-ce seulement dès la naissance que le goût et les perceptions alimentaires commencent à se mettre en place ?