• Aucun résultat trouvé

L'apport spécifique du non verbal mis en évidence par les études sur les communications médiatisées

▪ I NTRODUCTION THEORIQUE

3 L ES COMMUNICATIONS MEDIATISEES OU

3.3 T HEORISATION DES COMMUNICATIONS MEDIATISEES

3.3.2 L'apport spécifique du non verbal mis en évidence par les études sur les communications médiatisées

A partir de son analyse de la littérature sur les communications médiatisées, Whittaker (2003) a identifié plusieurs processus de communication fondamentaux tels que les prises de tours de parole, la référence aux objets de l'environnement, l'interactivité et la formation d'un consensus et la négociation. Selon les possibilités d'actions (i.e. affordances) que les différents média permettent, ces processus de communication seront plus ou moins perturbés.

▪ L'alternance des tours de parole

Les technologies qui écartent l’accès à l’information visuelle comme le regard, les gestes et les signes de tête, perturbent les prises de tours de parole, étant donné le rôle démontré que ces comportements jouent dans la gestion des transitions entre interlocuteurs. Le regard peut médiatiser les transitions entre les interlocuteurs ; les locuteurs ont tendance à regarder plus les auditeurs vers la fin de leur tour de parole pour attendre la confirmation que l’auditeur est prêt à continuer (Kendon, 1967). Les gestes peuvent aussi servir à coordonner les transitions de prise de tour de parole ; les fins de gestes peuvent agir comme le signal que le locuteur doit être prêt à prendre la suite de la conversation (Duncan, 1972). Ainsi, la visibilité et la co-présence du(es) partenaire(s) peuvent influer sur l'alternance des tours de parole. Les résultats des études empiriques montrent que lorsque l'information visuelle est absente, les prises de tours de parole se font de manière plus formelle et moins spontanée qu'en face-à-face. Une interaction en face-à-face ou médiatisée par vidéo, comparée à une interaction uniquement en vocal, permettrait plus d'interruptions, des conversations plus spontanées et plus interactives, une amélioration de l'attention sélective et permettrait de maintenir la conversation et l'attention de l'interlocuteur (Isaacs & Tang, 1994). L'information visuelle entraînerait donc une diminution des échecs de prise de parole en fournissant des mécanismes qui aident cette prise de parole et des indices qui permettent de savoir si l'autre est réceptif.

▪ La référence aux objets de l'environnement

Les comportements non verbaux sont très utilisés pour référer aux objets car ils permettent de coordonner l'attention conjointe et la référenciation commune. Le

regard peut lui aussi favoriser l'émergence d'une référence commune autour des objets externes et des événements (Watt, 1995). C'est le cas des gestes déictiques, mais aussi parfois du regard, si l'un des interlocuteurs regarde un objet, l'autre infère que le premier oriente son attention sur cet objet. Les deux interlocuteurs peuvent alors se mettre à parler de cet objet sans créer d'ambiguïté dans le dialogue. Le partage du même environnement physique permet aux interlocuteurs de coordonner leur contenu conversationnel. Les études sur la référence aux objets montrent que les participants mettent plus de temps à effectuer une même tâche s'ils n'ont pas un accès visuel à l'environnement physique de l'interlocuteur. En effet, les stratégies sont plus laborieuses et les interactions complexifiées puisqu'elles doivent être explicitées. Lorsque les informations visuelles sont présentes, la communication est plus fluide et facile ; le terrain commun est plus explicite et se construit plus rapidement entre les interlocuteurs (Whittaker, 2003).

▪ L'interactivité

Il existe peu d'expériences portant à proprement parler sur l'interactivité. Néanmoins, l'étude d'Oviatt et Cohen (1991) est intéressante. Des experts fournissent des instructions à des novices sur la façon d'assembler un jouet (une pompe à eau), soit en condition synchrone : par téléphone, soit en condition asynchrone : bande audio pré-enregistrée. Les résultats ont montré qu'en condition synchrone, les novices arrivent beaucoup plus vite à réaliser leur tâche. Les experts s'assurent que les novices ont bien réalisé chaque étape avant de continuer leurs explications. Ces feedback progressifs permettent la réparation rapide des malentendus, c'est-à-dire la récupération des erreurs et l'ajustement mutuel. En condition asynchrone, les explications sont complexifiées et redondantes, afin d'éviter les malentendus. Cette expérience montre bien toute l'importance des feedback dans le dialogue et l'importance du caractère synchrone d'un média sur l'interactivité. L'interactivité se produit, pour beaucoup, grâce aux feedback non verbaux, aide à référencer les objets, à prendre la parole et à réparer les erreurs de compréhension. En effet, lorsque l'interactivité est possible, les incompréhensions sont diagnostiquées immédiatement et peuvent donc être réparées (Whittaker, 2003). Si le feedback est long à arriver, il peut également se produire des ruptures de l'interactivité.

▪ Le consensus et la négociation

Les indices sociaux correspondent aux attitudes interpersonnelles et sociales des autres participants, incluant leurs sentiments, émotions et attitudes. De nombreux chercheurs s'accordent à faire l'hypothèse que les technologies

fournissant des indices sociaux pauvres comme du texte changeraient le contenu et le résultat de la communication pour les tâches requérant un accès à de l'information interpersonnelle. Le manque d'information interpersonnelle visuelle, combiné avec un feedback socio-émotionnel réduit, perturberait le contenu émotionnel de la communication (Sproull & Kiesler, 1986) et affecterait les processus sociaux de haut niveau comme la négociation (Morley & Stephenson, 1970) et le consensus (Hiltz, Johnson, & Turoff, 1986).

Ces indices sociaux sont en grande partie communiqués aux autres par les indices non verbaux. Ce sont les expressions du visage et l'orientation du regard qui transmettent la majorité de l’information affective et les comportements interactifs qui fournissent les feedback socio-émotionnels. La fixation du regard est un indicateur particulièrement important de l’attitude interpersonnelle ou de l’affect. Par exemple, les individus tendent à regarder plus les interlocuteurs qu’ils apprécient (Exline & Winters, 1965). Ceux qui regardent beaucoup leurs interlocuteurs sont jugés "sympathiques" et "sincères", tandis que les gens qui regardent leur interlocuteur seulement une petite partie du temps sont jugés "sur la défensive" ou "fuyant" (Kleck & Nuessle, 1968). Parmi ces études, les principaux résultats expérimentaux portent sur le rôle des informations visuelles dans la négociation et la formation d'un consensus. Dans les expériences sur la négociation, les participants sont engagés dans des jeux de rôles de négociation où on leur assigne un rôle particulier et ils doivent débattre avec les autres participants pour arriver à un consensus (Morley & Stephenson, 1970). Selon que les participants peuvent se voir ou non, les résultats des expériences sont différents. Le nombre d'impasses dans la condition orale seule est supérieur aux conditions dialogue en face-à-face et audio- visuelle. Les compromis sont plus difficiles à trouver. Les conflits d'intérêt sont plus difficiles à résoudre car les participants ne réussissent pas à atteindre un consensus. Les participants ont également plus de mal à trouver des solutions de rechange en cas de désaccord. Donc le non verbal facilite le consensus.

3.3.3 Conclusion

Les indices non verbaux sont très importants dans la prise de parole et donc dans la gestion des tours de parole et le référencement commun aux objets. Ils facilitent l'interactivité du dialogue entre les participants et facilitent ainsi in fine la collaboration. L'interactivité est véhiculée par des indices non verbaux qui fournissent les feedback nécessaires. Tous les éléments qui permettent le feedback

sont essentiels au bon déroulement d'un dialogue. Les comportements non verbaux sont nombreux à participer aux feedback.

Pour résumer, l'absence d'indices visuels perturberait : (a) la gestion des tours de parole, qui est moins fluide et plus figée, (b) le référencement à l'environnement partagé, qui doit se faire de manière explicite et nécessite une élaboration coûteuse de la part des interlocuteurs, (c) l'absence de feedback visuels perturbe la compréhension mutuelle (d) et l'absence d'indices visuels perturbe la formation d'un consensus et ainsi la négociation.

Mais comme nous l'avons vu précédemment, il semble que l'effet de l'absence d'indices visuels n'ait pas les mêmes conséquences en fonction des tâches.