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Antiquité et Moyen-âge jusqu’au XV e siècle

1.7. Histoire de la mondialisation

1.7.1. Antiquité et Moyen-âge jusqu’au XV e siècle

Si on veut étudier tous les aspects de la mondialisation, on doit reculer très longtemps dans l’histoire et la préhistoire de l’homme ; il faut considérer les mouvements de population, les migrations de l’Afrique centrale vers l’Europe, il y en a eu une de l’ordre de

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Milton & Rose Friedman, (1980), « Free to choose », Harcourt Publishers

2 John Maynard Keynes, (1936), « Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie » (Chapitre 24),

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100 000 ans, puis vers l’Asie, il y a cinquante mille ans : ce sont là les premiers indices de la mondialisation. Par la suite, il y eut encore plusieurs autres mouvements.

Dans l’Antiquité, puis au Moyen-âge, le monde fut différent ; en général, il y eut toujours quelques grands empires qui dominèrent sinon le monde, au moins une partie notable de celui-ci. Les modes de communication, de diffusion de l’information et des échanges commerciaux étaient différents et par certains aspects plus difficiles que de nos jours. Ainsi, dans l’Antiquité, puis notamment au Moyen-âge, un facteur important du commerce fut le rôle joué par les cités marchandes qui développèrent des réseaux d’échanges à longue distance autour de la Méditerranée, vers l’océan indien, à travers l’Europe et l’Asie, voire l’Afrique.

A partir du second millénaire avant Jésus-Christ, une vaste zone commerciale s’étendit de l’Indus au monde minoen1 via les cités étant en train de croissance. Mais ce processus fut modifié du fait de l’irruption des indo-européens à la fin du second millénaire avant J-C. Ensuite, l’établissement de quelques grands empires comme ceux de la Perse, de Rome et d’Athènes, commença une nouvelle phase dans le processus du commerce. Les relations commerciales entre les diverses régions et la répartition des pouvoirs entre les nations et les cités étaient déterminées et dominées par ces empires ; il en va ainsi des Phéniciens et des Babyloniens par rapport à l’empire perse ; cela concernait aussi le commerce de ces nations avec les autres empires comme Athènes et le monde Grec, au cours de cette période ; on peut considérer le commerce entre l’Est et l’Ouest du monde ancien, depuis les cités indiennes et le Gange jusqu’à l’Europe de l’Ouest et Gibraltar. La découverte d’anciens vases grecs en Chine apporte la preuve de ces mouvements commerciaux de l’antiquité.

Au cours de cette période, les Grecs établissent un réseau commercial considérable entre Athènes et les autres cités périphéries dans le cadre de la ligue de Délos.

Les Achéménides en Iran (du VIe siècle au IVe siècle avant J-C), mettent en place un système d’administration compliqué pour l’établissement des relations et le contrôle des territoires de leur vaste empire ; cela se fait par différents moyens comme l’installation des satrapies qui divisent le pays en plusieurs régions ou provinces et par la mise en place d’un système de communication, afin d’assurer la sécurité de l’Empire et sa mise en valeur tout en prenant en compte la contrainte de son immensité et de la diversité de ses populations. La collaboration avec les structures des pouvoirs locaux (royaumes conquis comme celui de Babylone et d’Egypte), permettait de protéger les traditions et structures des Etats dominés par l’empire perse et de conserver les institutions des cités grecques, phéniciennes et de Babylone. On trouve ainsi, en ces temps anciens, des caractéristiques de la mondialisation et du commerce entre les nations qui présentent des analogies avec notre monde d’aujourd’hui.

1 La civilisation minoenne s'est développée sur l'île de Crète et celle de Santorin au sud de la Grèce de 2700 à

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La nécessité de collecter de l’argent pour le fonctionnement et la sécurité de l’empire, y compris la construction des routes et des canaux, aboutit à une véritable réforme fiscale par Darius comprenant la mise en place de taxes commerciales et douanières sur les routes royales ou aux portes des villes.

Les Achéménides installèrent et utilisèrent différentes voies de communication à longue distance pour l’administration, l’armée, mais aussi pour des échanges commerciaux :

 Les routes terrestres ; celles-ci permettaient de faciliter les déplacements des personnes, des biens et des informations ainsi que ceux des caravanes commerciales au sein de l’immense empire. La plus importante de ces routes est la « Route Royale », avec plus de 2500 kilomètres de longueur entre Suse1 et Sardes2, construite sur la commande de Darius 1er ; elle comprenait une centaine de stations (pour servir les voyageurs) et mobilisait un personnel nombreux : des garnisons protégeant les postes, des contrôleurs des routes, des chefs de caravane et surtout des messagers cavaliers express qui pouvaient porter les messages très rapidement, en quelques jours, sur de longues distances.

 Les voies d’eau ; la réalisation de grands travaux et le percement de canaux, notamment les efforts pour le percement du canal de Suez antique concernaient des régions déjà développées comme l’Egypte et la Mésopotamie. De plus, les commerçants utilisèrent les flux maritimes de la Méditerranée orientale sous l’impulsion des Phéniciens et des Grecs, et de nouvelles routes furent recherchées à l’est. C’est dans cette période que le navigateur grec Scylax de Caryanda, financé par Darius, a découvert les bouches de l’Indus et les cités côtières de l’océan indien jusqu’au golfe Persique.

A cette époque, la majeure partie du commerce était constituée par la circulation des métaux (cuivre et fer d’Anatolie, cuivre de Chypre, étain d’Iran), du vin et de la laine teinte du Levant, etc. On doit souligner le rôle important des cités phéniciennes comme plaques tournantes de ces différents produits.

Ce processus d’unification commerciale, culturelle et diplomatique du monde antique, fut profondément changé par la destruction de l’empire perse par Alexandre et par la formation des Etats helléniques. La mondialisation hellénique présente de nombreuses caractéristiques connues similaires à celles de notre temps :

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Suse (Shushan dans la Bible) est une ancienne cité de la civilisation élamite, elle était la capitale de cette civilisation, puis, elle est devenue au Ve siècle avant J-C la capitale de l'Empire perse achéménide. Suse qui est située dans le sud-ouest de l'actuel Iran à environ 140 km à l'est du fleuve Tigre, ne présente plus aujourd'hui qu'un champ de ruines. La petite ville iranienne de Shush qui se trouve à proximité, a pris sa suite.

2 Sardes est une ancienne ville d’Asie Mineure, capitale de la Lydie, sur la rivière Pactole, dans la vallée de l’Hermos. Les ruines de cette ville sont situées dans l’ouest de l’actuelle Turquie.

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 Création de cités cosmopolites peuplées de populations issues de plusieurs nations, comme Alexandrie ;

 Développement d’une culture internationale (grecque) ;

 Croissance des échanges entre les nations par la diminution des obstacles et la réinjection des liquidités sont des phénomènes connus de la libéralisation commerciale et de la mondialisation de l’économie ;

 Innovations techniques et scientifiques.

Après Alexandre et les Hellènes, c’est la période de la domination de deux grands empires (romain en Europe et parthe en Iran) qui furent souvent en conflit. Un des éléments importants qui caractérise cette période est les efforts des deux pouvoirs pour intervenir dans la politique de la Méditerranée.

L’Antiquité est une époque d’inexistence des frontières nationales dans la forme que nous leur connaissons aujourd’hui et les cités maritimes jouaient un rôle très important dans le développement du commerce au long cours. Les cités maritimes de la Grèce et les navigateurs phéniciens sont alors très actifs. On voit se constituer un réseau d’échanges à longue distance à travers la Méditerranée et l’Orient depuis l’empire perse et l’Egypte jusqu’à l’occident et l’Europe (Sicile, côtes de la Galice voire de la Cornouaille en Angleterre). Les biens qui s’échangent, dans ce commerce au long cours, sont notamment les céréales, les métaux, les produits artisanaux et les esclaves.

Les centres financiers puissants qui orientent les flux commerciaux sur la Méditerranée et ses mers annexes, sont Athènes à l’époque classique (Ve siècle avant J-C) et Rome après sa victoire sur Carthage (IIIe siècle avant J-C) grâce au progrès des techniques de navigation. Le volume des importations de blé de Rome (à la fin de la République) est de 4 800 000 hectolitres par an.1 Dans cette période, les prix du blé ont tendance à s’unifier au sein de l’Empire tout en fluctuant dans les diverses places commerciales (à Rome, en Sicile, à Rhodes et en Egypte). En bref, les caractéristiques de Rome à cette époque-là (avant J-C) sont notamment l’unification des prix et ses effets sur le commerce, le bon réseau de transport et le bon état de la circulation de l’information, les inégalités internes et externes en relation avec les enjeux des mouvements migratoires. Le résultat de ces circonstances est l’émergence d’une classe de riches marchands et d’institutions commerciales qui procèdent davantage d’une économie de troc que d’un véritable capitalisme avec la logique de l’accumulation matérielle qui en est la conséquence.

Au IIe siècle avant J-C, on voit se développer le commerce des Chinois (par exemple le commerce de la soie) avec l’empire perse.

Dès le début de l’ère chrétienne, le commerce des archipels indonésiens vers la Chine, l’Inde et le Moyen-Orient (le bois, les résines et les épices) se développe, et les bateaux à

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balanciers de type indonésien sont utilisés pour le commerce avec la côte orientale de l’Afrique.

La dynastie sassanide en Iran, entre le IIIe siècle et le VIIe siècle, avec ses administrations efficaces (centrale et provinciale) et son agriculture (le système efficace d’irrigation qui a déjà existé en Iran) joue un rôle important dans l’économie et le commerce de cette époque-là. La construction de barrages, de grands canaux et de ponts, permettant l’augmentation du domaine cultivé et le développement des cultures de céréales, riz, canne à sucre et, à partir du VIe siècle, sériciculture ; cela donne lieu à des exportations, sources de revenus des Sassanides, en Iran à cette époque. En plus des produits agricoles, l’Iran exporte des produits manufacturés, notamment des soieries, et met en place un commerce avec la Chine à partir de la fin du IVe siècle pour l’exportation, notamment, de soie brute. L’Iran contrôle ainsi la partie occidentale de cette route de la soie qui va de l’Asie à Byzance et à l’Egypte.

A partir du VIe siècle, les Iraniens développent les relations avec les Chinois grâce aux caravanes et missionnaires nestoriens. Le commerce de l’Iran s’étend par voie maritime vers l’Inde, par voie terrestre vers la Syrie et par voie fluviale sur le Tigre et le Khabur1 (avec les radeaux en bois utilisés déjà par les Assyriens), comprenant aussi un commerce florissant avec l’Asie centrale.

Presque à la même période, l’émergence de l’empire byzantin (issu de l’empire romain) en Europe orientale, au IVe siècle, et ensuite son extension notamment pendant le règne de l’empereur Justinien, ouvre une nouvelle phase du commerce de cette région. Cet empire sera pour longtemps un intermédiaire important entre l’Ouest et l’Est.

Dans les siècles intermédiaires du premier millénaire après J-C, la Chine se signale notamment par ses inventions (papier, brouette, poudre à canon etc.), par les infrastructures qu’elle réalise (percement de longs canaux etc.) et par son organisation administrative sophistiquée ; au cours de cette période, la Chine, l’Empire de Milieu, apparaît comme la zone la plus avancée du monde eurasien.

La chute de la dynastie Tang en Chine (qui a régné de 618 à 907) entraîne l’insécurité des routes terrestres du commerce entre la Chine et l’Asie centrale et le Moyen-Orient, et donc, les routes maritimes prospèrent par l’Asie du Sud-est. A la suite, au Xe siècle, le commerce chinois s’étend vers les ports de Siraf et Basra sur le golfe Persique et de Suhar sur le golfe d’Oman, et l’émergence de la dynastie Song du Sud, en Chine, aide ce commerce maritime. Dans cette période-là, on voit également se développer le commerce et les échanges entre

1Khabur ou Khabour est une rivière qui prend sa source dans le sud-est de la Turquie, elle traverse l’est de la Syrie et se jette dans l’Euphrate.

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l’Asie du Sud-est et l’Afrique orientale grâce aux Indonésiens qui viennent chercher en Afrique des produits et des esclaves zenjs.

Au Moyen-âge, la Chine reste plutôt fermée ; elle résiste aux changements et n’a pas le projet de domination mondiale comme les autres empires et cela ralentit le commerce avec cet empire. En général, elle n’a pas d’intérêt pour les importations et ce qui vient d’ailleurs, et elle se contente de ses propres productions et s’appuyant sur ses inventions et son développement dans différents domaines. Donc, elle n’a pas d’ouverture et perd le leadership.

En occident, après la chute de l’Empire romain et le commencement des invasions et le morcellement de pouvoir politique en Europe (entre le Ve et le Xe siècle), à cause de la disparition de la sécurité, le commerce décline pendant quelques siècles dans ce continent. Dans ce même temps, le Moyen-Orient observe également le commencement de l’invasion des Arabes au VIIe siècle, mais l’établissement de la gouvernance des musulmans, met en place un nouveau réseau du commerce dans cette région et avec les régions voisines. L’existence des routes commerciales arabes, l’islamisation de l’Afrique, le commerce entre l’Inde et le monde arabe sont les caractéristiques de cette période. Vers le IXe siècle, on observe des exemples de mondialisation culturelle, scientifique et technologique, comme le transfert du système de numération positionnel décimal des musulmans vers l’Europe. L’extension du monde musulman coïncide avec la formation de l’empire carolingien en Europe aux IXe et Xe siècles qui a un rôle important dans les politiques et le commerce de ce continent.

Au Moyen-Orient, la domination des musulmans, notamment des Turcs seldjoukides, sur les Terres Saintes, provoque les Européens et les incite à commencer les croisades à la fin du XIe siècle dont la majeure partie se déroule jusqu’à la fin du XIIIe siècle. Au cours de ces guerres qui ont comme conséquence la conquête de parties importantes de la côte Est de la Méditerranée par les Européens pendant près de deux siècles, ces derniers font ainsi connaissance avec les produits orientaux (comme le sucre, les épices, les tapis persans, et les tissus de Damas, Gaza et Mossoul), ils les apportent avec eux en Europe.

Par la suite, le commerce à longue distance est réactivé par les villes d’Italie du Nord dont la plus puissante est Venise (sur la côte Est de l’Italie) qui était, en effet, une république marchande dès le IXe siècle, et qui est imitée par Pise et Gênes (sur la côte Ouest de l’Italie). Ces cités s’affranchissent des structures féodales et, avec leurs droits et leur autonomie politique et financière, développent leurs réseaux commerciaux au-delà des frontières et les adaptent aux recompositions territoriales de l’époque. A la suite du déclin de l’empire byzantin, les cités italiennes profitent de cette situation pour développer leur influence et le commerce sur une plus grande partie de l’espace méditerranéen. Ainsi, la constitution de l’empire mongol (XIIIe siècle) et sa domination sur tout le Moyen-Orient jusqu’à la Chine, préparent la possibilité pour les villes italiennes de se passer des intermédiaires arabes sur

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les marchés orientaux. Des routes commerciales terrestres nouvelles s’ouvrent vers l’Inde et la Chine, parmi elles, l’une des routes de la soie, celle qui fut jadis empruntée par Marco Polo, qui existait bien avant le XIIIe siècle et passe à travers les villes mythiques de Constantinople, Boukhara et Samarkand, est la plus renommée. En général, au cours de ces années-là, les villes marchandes italiennes achètent à l’Occident des esclaves, des bois, du fer, des draps de laine qu’elles vendent aux byzantins et aux musulmans contre des épices et de la soie venue d’Extrême-Orient, des parfums et de l’encens d’Arabie, des ivoires d’Egypte. Presque en même temps que les succès des cités italiennes et des routes Est-Ouest, mais à une moindre échelle, un développement commercial considérable, s’établit au Nord de l’Europe, autour de la mer du Nord et de la mer Baltique ; c’est le cas de Bruges à la fin du XIe siècle. Les villes libres de Lübeck et de Hambourg imposent leur puissance commerciale et militaire sur le Sud de la Baltique. Ainsi, elles forment, dans le cadre de la ligue hanséatique, une alliance de protection des convois de marchandises. L’effondrement économique et militaire des Scandinaves entre la fin du XIe et la fin du XIIIe siècle aide ces villes à étendre leurs activités vers l’Est de l’Europe.

A partir du XIIe siècle, le rôle des foires régionales devient plus important dans l’Europe. Ces foires, notamment celles de Champagne et de Brie (Lagny, Provins, Bar, Troyet etc.), établissent des liens entre les deux ensembles commerciaux maritimes mentionnés donnant ainsi à l’Europe une sorte de marché continu qui rassemble des commerçants venus des Flandres, d’Allemagne, d’Espagne, d’Italie, de France et d’Angleterre. Dans ces foires qui durent chacune plusieurs semaines, les produits lainiers et les draperies des Flandres s’échangent contre des vins français, des étoffes persanes et syriennes et des épices rapportés d’Orient par les commerçants italiens.

Bien que ce commerce soit relativement minime par rapport aux flux commerciaux actuels, il est néanmoins considérable pour l’époque ; il permet d’enclencher un processus de monétarisation et de créer les conditions nécessaires au développement du capitalisme (naissance de l’assurance maritime, rationalisation des techniques de crédit et de change etc.). Selon Sombart1, Fanfani et Braudel, la naissance de l’esprit du capitalisme a lieu en Italie du Nord aux XIIIe et XIVe siècles.2 Ce commerce est aussi une grande source de profits pour les marchands qui le contrôlent et les cités qui l’accueillent.

Désormais, on observe la diffusion du capitalisme à l’échelle globale et la mondialisation de l’économie. A partir de cette époque, l’occidentalisation du monde, fondée sur une domination technique et militaire, étend le commerce sous une nouvelle forme.

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Le mot « capitalisme » n’existait pas à cette époque ; il fut inventé par l’économiste et historien allemand Werner Sombart à la fin du dix-neuvième siècle.

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