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En réponse à la lettre envoyée par Schoenberg en décembre 1912, Richard Dehmel déclina la proposition d’une contribution de sa part. Il retourna néanmoins au compositeur un texte publié l’année précédente : Oratorium natale, Fête de la

création. Le poète expliqua alors qu’il y avait aussi cherché « cette nouvelle croyance

en Dieu », et dans une seconde lettre envoyée deux semaines plus tard il ajouta que son texte correspondait même plus encore à l’idée de Schoenberg qu’il ne le pensait d’abord254. Entretemps, ce dernier avait répondu qu’il l’utiliserait certainement d’une manière ou d’une autre, que le poème pourrait notamment constituer l’un des derniers mouvements d’une symphonie pour laquelle il avait déjà beaucoup d’idées et qu’il espérait terminer à l’été255. Si cet échange semble indiquer que le compositeur avait alors abandonné l’idée d’adapter directement les romans de Strindberg et de Balzac, il est encore fait mention d’un opéra sur Séraphita en novembre 1913256. Malgré tout, c’est bien à une grande symphonie à programme avec chœurs et solistes, dans l’esprit de la Symphonie n°8 de Mahler, que Schoenberg

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Lors de l’assomption de Séraphita dans le roman de Balzac, le narrateur tient compte néanmoins de la limitation de la perception humaine en rapportant la scène selon le point de vue humain des observateurs. Ainsi, d’une part : « Leurs yeux se voilèrent aux choses de la Terre, et s’ouvrirent aux clartés du Ciel. *…+ Le voile de chair qui le leur avait caché *l’Esprit+ jusqu’alors s’évaporait insensiblement et leur en laissait voir la divine substance. » D’autre part néanmoins : « Leurs âmes n’étant pas propres à recevoir en son entier la connaissance des facultés de cette Vie, ils n’en eurent que des perceptions confuses appropriées à leur faiblesse. *…+ Ils ne virent donc que ce que leur nature, soutenue par la force de l’Esprit, leur permit de voir ; ils n’entendirent que ce qu’ils pouvaient entendre. » (BALZAC (de) H., op. cit., p. 851-852)

254 M

AEGAARD J., Studien zur Entwicklung des dodecaponen Satze bei Arnold Schönberg, 3 vols., Copenhagen :

Wilhelm Hansen, 1972, p. 84. Cité par : BAILEY W., Programmatic Elements in the Works of Schoenberg, Ann

Arbor, UMI Research Press, Studies in musicology Vol. 74, 1984, p. 100.

255 B

IRKE J., « Richard Dehmel und Arnold Schönberg : Ein Briefwechsel », Musikforschung II (1958), p. 283. Cité

dans : BAILEY W., ibid., p. 92. 256

Une lettre envoyée à Zemlinsky le 21 Novembre 1913 révèle qu’un opéra sur Séraphita est toujours d’actualité. Marie Pappenheim, la librettiste d’Erwartung, aurait même été chargée de l’adaptation et aurait alors déjà commencé à y travailler. (Ibid., p. 82)

pense désormais et à laquelle il travaille durant plusieurs années. Bien que cette œuvre fût également abandonnée bien avant son achèvement, c’est de son dernier mouvement que naît L’Échelle de Jacob, l’oratorio laissé inachevé à son tour en 1922. À la différence des premiers stades de ce grand projet envisagé depuis au moins 1912, l’existence d’esquisses et de nombreux passages véritablement écrits pour ces deux dernières étapes permet non seulement d’observer à nouveau l’influence exercée par la révélation spirituelle de Schoenberg sur sa démarche créatrice et son évolution stylistique, mais également pour la première fois, la façon dont l’écriture musicale répond à ce contenu religieux.

Plusieurs déclarations tardives du compositeur signalent l’importance de ces partitions dans le développement de sa technique de composition. Comme il l’écrit en 1937 :

« La méthode de composition à douze sons a connu de nombreux essais préparatoires. Le premier pas se situe en décembre 1914, ou début 1915, lorsque j’esquissai une symphonie, dont la dernière partie fut utilisée plus tard dans L’Échelle de Jacob, mais qui n’a jamais été achevée. Le Scherzo de cette symphonie était fondé sur un thème comportant les douze sons257. »

Onze ans plus tard encore :

« Dès 1906-1908, alors que j’avais commencé d’écrire des œuvres qui allaient aboutir à l’abandon de la tonalité, je travaillai activement à trouver des méthodes qui pussent remplacer les fonctions constructives de l’harmonie. Mon premier pas décisif dans ce sens ne fut toutefois fait qu’en 1915. J’avais projeté d’écrire une grande symphonie, dont L’Échelle de Jacob serait le dernier mouvement. J’avais esquissé nombre de thèmes, dont l’un, pour un scherzo, utilisait la totalité des douze sons. *…+

Le pas suivant dans cette direction date de 1917, quand je commençai d’écrire

L’Échelle de Jacob. Afin d’assurer l’unité de l’œuvre (ce qui fut toujours mon

objectif primordial), j’avais construit tous les thèmes principaux de cet oratorio à partir d’une série de six sons – ut+, ré, mi, fa, sol, la-258

. »

Comme le rapporte ici Schoenberg, ces deux œuvres sont liées et apparaissent comme des étapes décisives dans l’élaboration de la future méthode dodécaphonique. En ce qui concerne la « volonté d’assurer l’unité de l’œuvre » toutefois, on ne saurait trop se garder de lire les paroles de l’auteur sans une certaine réserve. S’il s’agit d’une préoccupation fondamentale de Schoenberg à l’époque où il

257

Lettre à Nicolas Slonimsky du 3 juin 1937 citée dans : STUCKENSCHMIDT H.-H., op. cit., p. 442.

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écrit ces mots, il ne va aucunement de soi qu’un tel objectif ait été le plus déterminant en 1915 ou 1917 ; tant qu’il ne s’agit pas encore d’une méthode d’écriture systématique prenant en charge l’intégralité des événements musicaux, il est en effet difficile de concevoir qu’une série de quelques sons soit un vecteur d’unité, sinon guère différent d’un simple thème. Ce qui se révèle par contre dans ces prémices à l’écriture dodécaphonique, c’est d’une part le prolongement de la démarche compositionnelle adoptée lors de La Main heureuse, celle d’une résignation de l’écriture à la construction, à l’élaboration rationnelle de relations objectives et de procédés formels ; c’est d’autre part que si l’on observe malgré tout une certaine recherche d’unité, la singularité de sa manifestation apparaît elle-même faire l’objet d’une stratégie de représentation déterminée par le contexte programmatique et sa perspective didactique. Lorsque Balzac décrit dans les dernières pages de Séraphita la structure organique de l’univers qui se découvre aux yeux de Wilfried et Minna, nous voyons très précisément se déployer l’imagerie qui semble mettre Schoenberg sur le chemin de la méthode dodécaphonique :

« La Vraie Lumière parut, elle éclaira les créations qui leur semblèrent arides quand ils virent la source où les mondes Terrestres, Spirituels et Divins puisent le mouvement.

Chaque monde avait un centre où tendaient tous les points de sa sphère. Ces mondes étaient eux-mêmes des points qui tendaient au centre de leur espèce. Chaque espère avait son centre vers de grandes régions célestes qui communiquaient avec l’intarissable et flamboyant moteur de tout ce qui est. Ainsi, depuis le plus grand jusqu’au plus petit des mondes, et depuis le plus petit des mondes jusqu’à la plus petite portion des êtres qui le composaient, tout était individuel, et néanmoins tout était un259. »

a. Une symphonie

Tout d’abord, en ce qui concerne la symphonie, il semble que ce soit surtout entre 1914 et 1915 que Schoenberg y travailla le plus activement260. Un grand plan général organisé en deux parties en détaille les différents mouvements et leur contenu, les références littéraires utilisées ainsi que quelques indications de caractère musical ou de brèves annotations quant à leur teneur programmatique

259 B

ALZAC (de) H., op. cit., p. 854. 260

Entretemps, depuis 1912, Schoenberg a terminé La Main heureuse et a composé en novembre 1913 le premier des Quatre lieder avec orchestre op. 22, « Séraphita ». Pour une description détaillée des esquisses se rapportant à la symphonie et des précisions sur leur datation, voir : BAILEY W., op. cit., p. 79-128.

(cf. annexe n°7.1)261. Si aucun des sept mouvements prévus ne fait référence à Balzac, à Strindberg ou à Swedenborg, leur succession complète présente une progression très fidèle à celle qui présidait à l’idée d’associer le fragment « Jacob lutte » à Séraphita, celle que décrit Schoenberg à Dehmel en 1912 : l’éveil d’un homme moderne à une conscience spirituelle, les étapes de sa conversion et sa lutte avec la foi. Comme dans La Main heureuse, il s’agit donc de composer un processus psychique, de représenter par les sons le mouvement intérieur de l’esprit. Cette fois néanmoins, l’élaboration d’un tel plan et sa structure formelle très hiérarchisée montrent une réalisation dramaturgique délibérément construite, articulée et fractionnée en différents épisodes clairement distincts262. Comme chez Balzac, la dernière partie semble consister en une véritable apothéose qui résulte ici de « L’union d’une conscience sceptique objective de la réalité avec la foi ».

Le Scherzo auquel Schoenberg fait justement référence est le seul mouvement pour lequel une partie importante est ébauchée. Il en existe deux versions. La première est la plus aboutie ; elle porte la date du 27 mai 1914 et s’étend sur 103 mesures. La seconde, commencée le 4 mai 1915, est plus courte et paraît être une révision de la première. Comme pour les dernières parties de La Main heureuse, de nombreuses esquisses se rapportent au brouillon de 1914, surtout constituées d’essais de développement motivique et de recherches de relations contrapuntiques. Selon le plan, il s’agit d’un mouvement tout d’abord instrumental, puis repris ensuite avec l’entrée des premiers chants de la symphonie. Intitulé « Joie de vivre », il met en musique trois extraits du Beau monde sauvage de Richard Dehmel publié en 1913 : « Appel de joie », « Mariage des Dieux » et « Heure éonique »263 . Ces textes sont essentiellement consacrés à une célébration de l’existence humaine et à sa petitesse vis-à-vis de la Nature, de Dieu. Le premier poème est une adresse à l’homme –

261 Ce document n’est pas daté et plusieurs signes montrent qu’il a été corrigé plusieurs fois. Néanmoins

certaines sources littéraires évoquées ne furent publiés qu’en 1914 (ibid, p. 87).

262 Quelques-unes des indications du plan suggèrent que le compositeur n’est plus réfractaire à certains aspects

plus traditionnels de la composition musicale : par exemple l’intention de présenter dans le premier mouvement « tous les motifs qui deviendront importants par la suite », ou encore les appellations « Scherzo » et « Allegretto » qui semblent renouer dans les second et troisième mouvements avec des principes formels conventionnels.

263

DEHMEL R., Schöne wilde Welt, Berlin, S. Ficher, 1913, p. 10, 70, 117. Poèmes en version originale allemande reportés en annexe (cf. annexe n°7.2). L’Oratorium natale envoyé par le poète à Schoenberg est référencé quant à lui pour le mouvement suivant.

« Réjouis-toi, humanité : ton monde résonne ! / Le printemps est là où ton cœur / chante comme un rossignol ! », le second consiste en un duo entre des dieux prêts à s’unir, et le dernier s’apparente plus à une prière dont le ton mêle la piété de Séraphita à l’accablement éprouvé par Strindberg quant au monde moderne – « Toi céleste noceur ! / Encore une goutte de mélancolie dans mon verre ». Alors que pour

La Main heureuse Schoenberg composa d’abord les passages où l’Homme, le génie,

est au sommet de sa puissance, il n’est sans doute pas anodin que les premières parties de la symphonie réellement composées, les seules, renvoient cette fois au contraire à une poétisation de la faiblesse de l’homme vis-à-vis des dieux.

Conformément aux déclarations du compositeur, le mouvement s’ouvre sur une véritable série de douze sons (cf. annexe n°8, exemple 1). Signalons toutefois dès ici qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’un thème, autrement dit d’une séquence mélodique étendue élaborée à partir de quelques cellules et motifs comme l’est par exemple le thème de cor dans la troisième scène de La Main heureuse. Cette ligne anguleuse jouée Presto en croches apparaît bien plutôt comme une figure d’ostinato qui, certes, possède des caractéristiques thématiques. Elle est ainsi exposée dès le début du mouvement comme voix principale, puis donne ensuite lieu à quelques répétitions et variations lui conférant une valeur structurante264. Dès la huitième mesure, un passage de transition s’appuie sur une évolution de la ligne en un nouvel ostinato de six notes seulement (exemple 2). Il ne s’agit plus ici de la série initiale ni même d’un de ses segments, mais d’une simple variation conservant le profil général de sa partie centrale. Les mesures suivantes reprennent ensuite la ligne originale et son accompagnement, transposés avec une adjonction de nouvelles parties, un procédé d’accumulation graduelle encore répété par la suite (exemple 3). Mais plus encore que par sa présence réelle, la fonction thématique de cette série de sons est surtout affirmée par le fait que certaines parties des 103 mesures du brouillon ne présentent aucun rapport avec elle ; des sections contrastantes qui confirment la conception très structurée de ce mouvement prévu selon le plan comme un Scherzo doté de deux Trios.

264 Notons que ce que nous désignons comme le « thème de cor » dans La Main heureuse ne répond lui aussi

qu’à un nombre limité de caractéristiques généralement admises comme constitutives d’un thème. Pour une définition générale du « Thème » et de ses implications, voir : ACCAOUI C. (dir.), Éléments d’esthétique musicale, Paris, Actes Sud, 2011, p. 689-693.

La spécificité cette la ligne référentielle présentée par Schoenberg comme la première étape vers la composition à douze sons tient alors plus particulièrement à la logique selon laquelle le compositeur déduit de sa structure intervallique le reste du matériau, radicalisation de tendances qui apparaissaient déjà lors des dernières étapes de composition de La Main heureuse. Ainsi, remarquons par exemple que sa première reprise (exemple 3) est une transposition à la quarte, soit précisément sur son deuxième son. Également, les deux contrechants ajoutés lors de ce passage sont construits à partir des intervalles constitutifs de certaines portions de la série. Un second exemple issu d’un passage ultérieur qui semble avoir demandé à Schoenberg un effort particulier paraît néanmoins plus significatif encore de la volonté d’étendre le contrôle rationnel de l’invention selon cette logique d’écriture. À partir de la mesure 32 apparaît une nouvelle version de la figure référentielle (exemple 4)265. Il s’agit d’un trope : elle est constituée des cinq premiers sons auxquels les trois derniers sont directement enchaînés dans un ordre différent. Toujours en croches, cette nouvelle ligne de huit sons est alors traitée en canon à quatre voix, à la noire et en octaves. De la sorte, une fois que les quatre voix sont entrées, ce canon donne lieu à l’alternance en croches de deux harmonies de quatre sons chacune : la première, a – ré/mi-/la-/si- –, est constituée des sons impairs du sujet, sur le temps, et l’autre, b –

sol/la/ré-/sol- –, des sons pairs sur le contretemps. De façon évidente, il s’agit très

explicitement ici d’une stratégie visant à rapporter l’harmonie au matériau horizontal, à optimiser ainsi les relations musicales dans un espace unifié. Mais dans ces quelques mesures, Schoenberg cherche également à maintenir le déroulement régulier du total chromatique, lequel n’est plus assuré par la figure d’ostinato elle- même. En premier lieu, il ajoute une partie d’accompagnement faisant alterner à nouveau en croches les deux accords obtenus ci-dessus mais en prenant soin d’inverser leur apparition : les sons de a sont joués pendant que le mouvement en canon fait entendre ceux de b, et inversement. Les huit sons constituant cette figure de trope sont par conséquent tous joués en permanence. Ensuite, pour les quatre sons restant, c – do/si/fa/mi –, ceux que Schoenberg exclut de la ligne pour élaborer cette nouvelle figure de huit sons, ils apparaissent justement dans un contrechant

265

Comme en témoignent les esquisses, il existe au moins deux versions antérieures de celui-ci, non retenues par Schoenberg (HAIMO E., Schoenberg’s serial odyssey, p. 49)

indépendant, joué en noires. Mais cette répartition de la série complète en trois groupes de quatre sons n’est elle-même pas décidée de façon purement intuitive. Les deux accords a et b construits avec les sons pairs et impairs ont une structure intervallique respectivement équivalente à celles des quatre premiers sons de la série originale et des quatre derniers ; d’autre part, ce découpage résulte d’une esquisse préparatoire sur laquelle le compositeur a pris conscience de l’invariance des sons 5 à 8 de la série complète lorsqu’elle est jouée en inversion : ce sont exactement les mêmes, mais disposés en ordre rétrograde (exemple 5). Puisqu’ils restent identiques dans la variation, ils semblent relever pour Schoenberg d’un degré de relation supérieur et jouissent vis-à-vis des autres portions de la série d’un statut privilégié.

Pour cette raison, ces quatre sons invariants c et les deux accords a et b qui les accompagnent restent par la suite un matériau auquel se rapportent prioritairement les passages relatifs à cette zone thématique. Or, il est important de noter ici que si d’un point de vue purement logique les figures qui en sont déduites peuvent toujours apparaître comme un développement de l’ostinato initial, leur rapport concret, musical, n’a cependant plus rien d’évident. À mesure que progresse la composition, on observe en effet une nette diminution de l’importance donnée aux déterminations sensibles de la figure thématique originale, l’ostinato des premières mesures ; la construction de l’unité entre les différents objets de la composition s’appuie plus essentiellement sur leur rapport commun à sa seule structure intervallique, c’est-à-dire à une donnée indépendante d’une quelconque réalisation musicale sensible. Cette tendance est d’ailleurs confirmée dans des esquisses du second brouillon du Scherzo, lorsque Schoenberg cherche un an plus tard à rapporter également certaines parties de la section contrastante à la structure de douze sons266. Si l’ostinato apparaît donc comme le point de départ d’un processus de développement, de variation, on peut considérer d’ailleurs qu’il n’est lui-même qu’une détermination momentanée de sa propre structure d’intervalles, une réalisation particulière s’appuyant quant à elle sur un ensemble spécifique de caractéristiques sensibles. Par conséquent, s’il ne s’agit là que de quelques pages d’esquisses, elles manifestent néanmoins un moment d’importance dans le parcours

266

compositionnel de Schoenberg parce qu’elles inaugurent une tendance nouvelle de son écriture, essentielle à la future méthode dodécaphonique, celle qui consiste à rapporter le développement d’une composition, sa progression temporelle, à une entité abstraite, atemporelle, qui assure aux thèmes et motifs une validité logique dès lors qu’ils se déroulent sous sa loi diastématique267.

b. Un oratorio

Quant à L’Échelle de Jacob, le titre n’apparaît pas explicitement sur le plan de la symphonie. À partir du 18 janvier 1915 toutefois, Schoenberg commence à écrire un texte destiné au mouvement final268 ; achevé en mai 1917 seulement, il porte le titre « L’Échelle de Jacob d’Arnold Schönberg avec plusieurs idées de Séraphita de Balzac »269. Entretemps, le projet s’est transformé en oratorio et la symphonie a été abandonnée. Il ne s’agit donc pas seulement de la dernière étape de l’élévation spirituelle que devaient décrire ses différents mouvements – « L’union de la conscience sceptique objective de la réalité avec la foi » – mais d’une reformulation complète des idées issues du Séraphita de Balzac ainsi que du « Jacob lutte » de Strindberg, ce que suggère d’ailleurs le nom explicite donné à l’oratorio. En deux parties séparées par un interlude symphonique, le livret décrit à nouveau la voie d’une assomption spirituelle : celle qui conduit l’homme vers la résignation, puis la souscription par une véritable ascension de l’âme dans un ciel swedenborgien à l’idée balzacienne de la prière.

La première partie du livret oppose l’ange Gabriel à une foule d’êtres humains, celui-ci les pressant alors pour ce qui semble consister en un départ vers l’Au-delà.

267

Pour une étude plus complète des esquisses de ce Scherzo et de ses aspects sériels : ibid., p. 42-60.

268

Lettre à Zemlinsky du 29 juillet 1915, citée dans : BAILEY W., op. cit., p. 86. Notons que le texte porte le titre « IV. Satz », suggérant que la symphonie est alors prévue en quatre mouvements seulement. Le 15 janvier, soit trois jours avant d’en commencer la rédaction, Schoenberg achevait également celui qu’il destinait alors au