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2.3. DEUX DISCIPLINES AU CŒUR DE NOTRE DÉMARCHE DE CONCEPTION

2.3.2.3. VERS UNE ÉVOLUTION DU DESIGN

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2.3.2.3. VERS UNE ÉVOLUTION DU DESIGN

Contrairement aux idées reçues, le design n’est pas une activité nouvelle, la discipline a pris son envol au XXème siècle au carrefour de changements historiques, politiques, économiques et sociaux. Le premier usage du terme « design » apparaît dans un contexte industriel en 1849 avec le premier numéro du journal anglais « journal of design and manufacture » avec lequel Henry Cole promu l’idée d’un « bon design » (Quarante, 1994 ; Vial, 2015). L’essor du design est apparu avec la seconde révolution industrielle au XIXème siècle et la production en série, au départ pour réconcilier l’art et l’industrie (Vial, 2010). Dans les années 1860, William Morris fonde le mouvement britannique des Arts & Crafts, contre les modes industriels de production, luttant pour des produits de qualités et un retour à l’artisanat (Despond-Barré, 2013). C’est en Allemagne que va naître en 1919, l’influente École du Bauhaus, école d’architecture et d’arts appliqués, porteuse d’une philosophie humaniste héritière des Arts and Crafts, dont la formation allie la technique (artisanat), l’art (langage plastique), et la science (théories) (Vial, 2015). Le design dit « industriel », est né dans les années 50 aux Etats-Unis avec l’apparition des premières agences de design (Bony, 2005). Nous pouvons citer celle d’Henry Dreyfuss, influencé par le Bauhaus et le lien entre la forme et la fonction ou celle de Raymond Loewy, dessinateur Français influencé de son côté par la recherche stylistique, dont les projets sont devenus des icônes emblématiques de l’esthétique aérodynamique « Streamline ». En Italie, dès les années 1940, le design s’est fortement ancré dans l’industrie, empreint d’une très forte connotation culturelle et artistique (Schulman, 1991). En France, à la même période, le designer Jacques Viénot se consacre à « l’esthétique industrielle ». C’est dans les années 1970 que le designer autrichien Victor Papanek s’interroge sur l’éthique du design « industriel » qu’il juge complice de la société de consommation (Despond-Barré, 2013). Pour Papanek, le designer doit assumer ses responsabilités, écologiques et sociales, le design doit être pratiqué avec conscience. Il défend l’idée que le design doit être novateur, pluridisciplinaire et adapté aux « vrais besoins de l’homme » (Bony, 2005; Vial, 2010).

Aujourd’hui les valeurs portées par Papanek font toujours écho, nous assistons à l’essor des approches « humanistes » du design, telles que le l’éco-conception, le design pour tous, le design d’expérience, etc. Néanmoins, le design, bien que porteur d’une vision humaniste visant le bien être, le bien vivre, le bien travailler (Heurgon, 2013) est encore aujourd’hui, trop souvent utilisé comme un outil de consommation, réduit au marketing et à la communication, pour faire des «produits à la mode». Ainsi, plus qu’un simple travail esthétique, le design doit consister aujourd’hui en la création de produits dans une démarche prospective20 centrée sur les Hommes appliquée à des problèmes plus humains, sociaux ou culturels (Heskett, 2002 ; Brown, 2009 ; Vial, 2010 ; Heurgon, 2013 ; Despond-Barré, 2013). Il est ainsi, notamment, influencé par l'évolution de la recherche en

20Rappel : Nous entendons par prospective, une démarche pour préparer, anticiper l’avenir, se préparer aujourd'hui à demain.

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conception centrée utilisateur. Dans ce contexte nous positionnons notre recherche dans une approche prospective et humaniste du design au sein du processus de conception de produits.

En conclusion de cette partie sur le design, nous proposons une synthèse sur la discipline et ses évolutions.

2.3.2.4.!DU DESIGN AU DESIGN CENTRÉ POUR DES BESOINS

Profession à la croisée des Sciences Humaines, de l’Art et de l’Industrie, le design est une activité de création, industrielle ou artisanale, de plus en plus soumise aux lois du marché de la société de consommation matérialiste. Néanmoins, il n’est plus seulement préoccupé par l'apparence et la nature esthétique des produits, mais reconnaît également l'importance de la relation entre l’utilisateur et le produit, son impact en termes de compréhension, d'efficacité, de bien-être et de sécurité (Saenz, 2011). En effet, plus qu’une simple offre matérielle, il est confronté à différents sens symboliques qui transforment le produit et lui donnent davantage de sens social et culturel (Zurlo, 2012). A ce titre, pour certains auteurs, Brown (2009), Vial (2010) et Heurgon (2013), le designer a le devoir de remettre l’Homme au centre des préoccupations. Ainsi, les nouvelles approches centrées sur les besoins, orientées sur l’expérience, l’éthique et les approches sociales, ouvrent de nouveaux territoires au design toujours plus sensible au respect des Hommes. Pour Sanders et Stappers (2008), le designer semble être de plus en plus un designer « d’expérience de vie » qui imagine des « philosophies d’usages ». Les auteurs illustrent dans le tableau 1, ce changement de vision des pratiques du design. Les pratiques traditionnelles sont centrées sur le produit ou le système à créer, (design de « typologies de produits ») tandis que les pratiques émergentes ont une vision centrée sur les besoins des personnes et de la société (design pour « des besoins »).

Les pratiques traditionnelles du design

Design de typologies de produits

Les pratiques émergentes du design

Design pour des besoins

Design d’interface Design d’espace

Design produit Design d’information

Design pour des expériences Design pour des émotions

Design pour l’interaction Design pour l’écologie (éco-design)

Tableau 2 : Les pratiques du design traditionnelles à celles en émergentes selon (Sanders & Stappers, 2008).

Nous positionnons nos travaux dans une démarche de Conception pour des Situations de Vie, centrée sur les besoins, les souhaits et les caractéristiques des personnes en accord avec ces pratiques émergentes en design pour « des besoins », qui positionne le designer comme un designer « d’expérience de vie » qui imagine des « philosophies d’usages » (Sanders & Stappers, 2008).

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Nous souhaitons préciser pour notre recherche, les termes de « besoin » et « souhait » puis de préciser la nature des besoins et des souhaits étudiés en design.

Le design doit comprendre et répondre à deux types de besoins et de souhaits qui ne sont pas exactement les mêmes (Lawson, 2005, p. 168) : les besoins et les souhaits d’un client (commanditaire du projet) ainsi que les besoins et les souhaits des futurs utilisateurs. Dans notre recherche, et sans négliger les besoins client, nous nous concentrons principalement sur l’identification des besoins et des souhaits des personnes, qui sont fréquemment liés, en design, à des analyses socioculturelles autour des tendances (esthétiques, sensorielles, fonctionnelles, technologiques, etc.), autour des modes et styles de vie des personnes (les habitudes de vie, les centres d’intérêt, les goûts, etc.) (Quarante, 1994, pp. 110-201). Les pratiques émergentes en design centrées sur les besoins et les souhaits des personnes vont vraisemblablement changer les pratiques et influencer la façon de créer et concevoir les produits. Dans un tel contexte, le designer seul ne peut pas répondre à tous les besoins et souhaits complexes des personnes. C’est pourquoi nous nous sommes également intéressés à l’ergonomie, discipline incontournable en conception centrée sur les besoins des personnes. De part l’évolution de leurs pratiques respectives, l’ergonomie et le design se rejoignent dans une démarche prospective et autour de leur vision « humaniste » de la conception de produits. De plus, la complémentarité des deux disciplines nous semble une richesse pour mieux intégrer le facteur humain dans la conception de produits : mieux prendre en compte la double nuance de la notion d’usage (l’activité réelle ainsi que la pratique habituelle) et mieux répondre aux besoins, souhaits et caractéristiques des personnes.

2.3.3.! L’ERGONOMIE ET LE DESIGN

Nous avons présenté deux disciplines historiquement liée à la révolution industrielle et aujourd’hui en évolution vers des approches « humaines » dans la conception. Deux disciplines en lien étroit avec la compréhension des personnes, de leurs besoins et de leurs souhaits. Nous allons clarifier les liens en termes d’approches et d’objectifs qui les réunissent afin de préciser notre positionnement pour nos travaux de recherche.

Nous retiendrons les définitions de Norman (2013), qui fait une distinction entre besoin et souhait, l’auteur entend par « besoin », ce qui est nécessaire aux activités d’une personne et par « souhait », ce qui semble nécessaire à la personne. Les souhaits sont liés à la culture, l’image, les groupes sociaux, l’éducation, etc. des personnes.

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2.3.3.1.!DES APPROCHES LIÉES

L’ergonomie et le design se rejoignent dans une démarche prospective et autour de leur

vision « humaniste » de la conception de produits. Les deux disciplines sont confrontées à un

compromis entre la satisfaction des personnes et celle du client (commanditaire du projet). Le design doit conjuguer ce qui est désirable pour les personnes avec ce qui est techniquement faisable et économiquement viable (Brown, 2014) et l’ergonomie doit conjuguer le bien-être des personnes et la performance du produit ou du système (IEA, 2000). Les pratiques émergentes, en design centré sur les besoins et les souhaits des personnes (Sanders & Stappers, 2008), et en ergonomie prospective (Brangier & Robert, 2010; 2012; 2013; 2014 ; Buisine, 2013), réunissent l’ergonomie et le design dans une vision commune de la conception. De plus, les nouvelles approches centrées sur les personnes et orientées sur l’utilisabilité et l’expérience vécue, offrent de nouveaux territoires, au design comme à l’ergonomie.

2.3.3.2.!DES OBJECTIFS COMMUNS

En design, les facteurs liés aux personnes sont présents dans les décisions prisent dans toutes les étapes du processus de création (Heskett, 2002). La vision du designer est orientée dans une dimension éthique, sociale et culturelle, vers l’amélioration du cadre et des conditions de vie des personnes à travers la création et la conception de produits basés sur les besoins, les souhaits des personnes et l'environnement dans lequel les futurs produits seront utilisés. Quant à la vision de l’ergonome, elle est orientée vers l'optimisation du bien-être des personnes et la satisfaction de leurs besoins. L’ergonomie contribue, également aux activités de conception pour améliorer la vie de tous les jours, professionnelle comme domestique, des personnes. Les deux disciplines considèrent comme prioritaires les relations qui s’établissent entre la personne, le produit et l’environnement (Quarante, 1994). Au sein du processus de conception, l’ergonomie et le design ont comme objectif commun le bien-être et le bien-vivre des personnes.

Dans la section suivante, nous proposons un résumer de notre état de l’art et une synthèse des limites et apports des nouveaux territoires de l’ergonomie et du design ainsi que leurs implications pour notre recherche.

Nous positionnons l’ergonomie et le design au cœur de notre démarche interdisciplinaire de Conception pour des Situations de Vie, centrée sur les besoins, les souhaits et les caractéristiques des personnes.

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