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La modélisation comme moyen d’étude de la terminologie

1.1. Terme et concept

1.1.1. La notion de terme

1.1.1.2.2. Écoles terminologiques

Les auteurs autrichiens, soviétiques et tchèques réalisent des travaux terminologiques dans les années trente simultanément, mais indépendamment. On parle alors des « écoles » classiques de la terminologie : l’autrichienne, la soviétique et la tchèque. Guy Rondeau (1980) analyse les grandes tendances qui se dégagent des écoles terminologiques sur la question des fondements théoriques de la terminologie. Il présente ainsi

o l’école germano-autrichienne (E. Wüster, I. Dahlberg, G. Wersig, H. Felber), o l’école soviétique (en précisant qu’elle compte un nombre plus important de

représentants que dans le cas de la précédente comme D. Lotte, E. Drezen, G. Vinokur, B. Golovin, T. Kandelaki, O. Ahkmanova, V. Danilenko etc.) o l’école tchécoslovaque (R. Kocourek, B. Havranek, L. Drozd)

o l’école canado-québécoise (dont nous pouvons citer J.-C. Corbeil, G. Rondeau) o il cite également L. Guilbert et A. Rey pour la France et J.C. Sager pour la

Grande Bretagne.

En ce qui concerne l’ancienne Union soviétique, il serait erroné de considérer qu’il existe une seule école. En Fédération de Russie les problèmes terminologiques sont analysés par l’école de Moscou (V. Danilenko, V. LОУčТФ, S. Grinev, V. Tatarinov, V. Novodranova et autres), l’école de Saint-Pétersbourg (ancienne Leningrad) (R. Piotrovskij, E. ČЮЩТХТЧК,

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A. Gerd et autres), l’école de Nijni Novgorod (ancienne Gorki) (B. Golovin, R. Kobrin et autres), l’école de Voronej (S. Ivanov, G. Muštenko et autres) et quelques autres écoles et centres terminologiques. Chaque école a des publications permanentes. En outre en Ouzbékistan, en Ukraine, en Azerbaïdjan et dans d’autres anciennes républiques, il existe des écoles indépendantes.

Depuis cette époque d’autres écoles nationales, comme, par exemple, l’école scandinave, l’école polonaise sont apparues (voir pour plus de détails Cabré 1998 : 37). De nouvelles approches et théories terminologiques se sont développées, comme, par exemple, la socioterminologie (Gaudin 1993, 2003), la terminologie textuelle (Bourigault & Slodzian 1999), l’approche sociocognitive (Temmerman 2000) et la théorie communicative de la terminologie (Cabré 2003).

L’école germano-autrichienne. Citons quelques grandes tendances de l’école germano-autrichienne, résumées par Guy Rondeau (1980 : 155-156) :

- Le système notionnel est fondamental en terminologie, on classe d’abord les notions, pour ensuite classer leurs dénominations.

- Un système de notions est un système logique avec hiérarchisation structurale ; les notions se délimitent les unes par rapport aux autres. Sous cet aspect la terminologie participe de la logique et de l’ontologie. Un système de notions ne se définit que par rapport à un domaine.

« L’univocité est une caractéristique fondamentale du terme, c’est-à-dire que le rapport qui s’établit entre notion et dénomination est toujours, en principe, monoréférentiel. D’où : a) rejet de la synonymie (sauf dans les cas d’exception) et b) nécessité de la normalisation terminologique.

Le principe de l’univocité conduit logiquement vers « l’unification internationale des notions et des termes » (ISO/R860), la situation idéale étant représentée par « les mots internationaux », unités terminologiques représentant la même notion et de forme à peu près identique dans plusieurs langues [] ».

- La définition qui occupe en terminologie une place prépondérante sert à délimiter la notion.

Cette théorie attribuée à E Wüster et à ses disciples est connue actuellement sous le nom de Théorie générale de la terminologie. Elle est souvent appelée terminologie classique ou

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terminologie traditionnelle. Cette théorie « est à l’origine d’une conception du terme sur laquelle s’alignent encore la plupart des applications terminologiques » (L’Homme 2005 : 1114). En même temps les postulats de cette théorie sont fortement critiqués par des représentants de quelques approches modernes. La réception positive et négative de l’œuvre d’Eugen Wüster dans les pays de langue française est bien examinée en diachronie et du point de vue des approches terminologiques différentes par John Humbley15 (2004). L’auteur prouve que « Wüster n’avait pas une vue idéaliste de la langue, mais qu’il s’intéressait aux manifestations du contrôle sur la langue et au moyen de les influencer » (Humbley 2007 : 90).

« L’école soviétique ». L’école soviétique est également présentée par G. Rondeau dans ses tendances principales. L’objet de la terminologie est considéré comme étant d’ordre langagier. D’où :

a) une conception beaucoup plus linguistique de la terminologie ;

b) une influence moins profonde de la philosophie que dans l’école germano-autrichienne.

Cette conception se traduit d’ailleurs par une démarche différente au niveau des méthodes de travail. Alors que dans la démarche wüsterienne la classification des notions est préalable au classement et à la dénomination - il s’agit d’un exercice dans l’abstrait -, la démarche soviétique, au contraire, construit un système notionnel à partir des éléments linguistiques (considérés par hypothèse comme termes) d’un domaine pour revenir par la suite à la vérification des notions (Rondeau 1980 : 156).

Les problèmes terminologiques sont de l’ordre socioculturel et s’intègrent par conséquent à la recherche universitaire en URSS. Dès 1965 on donne à l’université un cours de terminologie.

15 John Humbley constate que « puisque la plupart des écrits de Wüster ne sont disponibles ni en français ni en anglais, il s’avère que les oppositions affichées portent davantage sur les orientations générales que sur le détail de ses analyses » (Humbley 2004 : 33).

Nous pouvons également déplorer qu’un trop petit nombre de travaux terminologiques russes qui soient traduits en français (par exemple, Slodzian 1986) pour être suffisamment connus et donner un aperçu objectif de son état. Citons tout de même quelques articles publiés en anglais qui peuvent témoigner de l’état actuel de la science : Grinev (1996), Shelov (2001), Leichik & Shelov (2003a), Leitchik & Shelov (2007) et surtout Leitchik

& Shelov 2003b) entièrement consacré à la présentation de la science terminologique en Russie.

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Les représentants de l’école soviétique ont dès le début manifesté un intérêt marqué à l’égard de problèmes fondamentaux, qui font d’ailleurs toujours l’objet de travaux de recherche dans les milieux terminologiques internationaux. Parmi ces problèmes, mentionnons :

- le découpage du terme

- la spécificité du terme (opposition terme/mot de la langue commune/syntagme de discours) - la notion en terminologie

- définition de la terminologie ; sa place parmi les autres disciplines - distinction entre terminologie et nomenclature (Rondeau 1980 : 156).

Les définitions du terme plutôt logiques postulent que le terme est un mot ou un syntagme qui ont une définition. Ainsi la définition devient un caractère obligatoire du terme.

Cette position est critiquée sur plusieurs points de vue (LОУčik 2006 : 24), et la formulation disant que le terme est une unité lexicale qui demande une définition (Danilenko 1977 : 15, Kandelaki 1977 : 7) est présentée comme plus précise.

Les définitions linguistiques du terme se divisent en deux groupes : le premier groupe traite les termes comme des mots particuliers dans le système lexical de la langue naturelle, le deuxième groupe développe l’idée formulée par G. Vinokur (1939 : 5) selon laquelle les termes ne sont pas des mots particuliers, mais les mots dans une fonction particulière.

L’opinion selon laquelle les termes sont des mots particuliers qui désignent des notions bien déterminées est la pierre angulaire de la théorie de D. Lotte. Il a formulé les exigences d’après lesquelles le terme doit être bref, dépourvu de polysémie, de synonymie et d’homonymie (Lotte 1961). Les disciples de D. Lotte ont élargi la liste des exigences jusqu’à quinze. Toutes les réalisations terminologiques non-conformes à cette liste étaient considérées comme des défauts de terminologie. Ces exigences ont été beaucoup critiquées dans la littérature russe depuis les années 1970. Plusieurs dizaines de travaux, qui prouvent que le terme ne peut pas correspondre aux exigences présentées, considèrent que le terme n’est pas un mot particulier, mais un mot dans une fonction spécifique. Ce point de vue est donc représentatif actuellement de la science des pays de langue russe ; la question de savoir si le terme et le mot sont des couches différentes du système lexical de la langue demande encore à être précisée.

Le contenu et la structure de la théorie de la terminologie actuelle en Russie sont présentés en détails dans l’article de V. Leitchik et S. Shelov (2003b), en anglais.

56 1.1.1.2.3. Approches contemporaines

Le terme peut être vu différemment suivant l’auteur et l’approche terminologique qu’il représente. Plus loin nous donnerons quelques définitions du terme et présenterons très brièvement les approches contemporaines (cette présentation ayant comme but l’attitude envers la notion du terme est par conséquent un peu réductrice).

Actuellement la vision qu’un terme est « un symbole conventionnel représentant une notion définie dans un certain domaine du savoir » (Felber 1987 : 1) s’oppose à une approche plus linguistique, où le terme est vu comme une « unité lexicale définie dans les textes de spécialité » (Kocourek 1991 : 180). Nous pouvons citer également les définitions suivantes :

« Le terme est une unité factice de médiation entre la pensée rationnelle et le langage»

(Rastier 1995 : s.p.). « Le terme est un signe linguistique spécialisé (technique ou scientifique). Il est constitué d’une désignation renvoyant à un concept. La désignation est de l’ordre de la langue. Le concept est de l’ordre de la pensée » (Depecker 2002 : 138) ou bien, du même auteur « Terme : unité formée d’un signe linguistique (dit « désignation » renvoyant à un concept » (ibid. : 182), « Unité terminologique : Unité formée d’un ou de plusieurs signe linguistiques renvoyant à un concept » (ibid. : 182).

La socioterminologie (Gaudin 1993, 2003, 2007), met l’accent sur les conditions sociales et discursives de l’existence du terme. Pour la socioterminologie l’unité terminologique est un praxème, qui n’est pas doté « d’un sens pré-établi, mais implicite à une expérience diverse » (Gaudin 1993 : 109). Le concept n’est pas une entité figée, il se construit en discours où il subit des tensions et change en fonction de variables sociales et historiques (Gaudin 2003).

L’approche sociocognitive (Temmerman 2000) attribue une grande importance aux phénomènes cognitifs et à la fonction communicative de la terminologie qui représente les connaissances. L’unité de compréhension devient l’unité d’analyse au lieu du terme dénommant un concept.

La terminologie textuelle (Bourigault & Slodzian 1999) est dans l’interaction entre les travaux des terminologues et ceux des informaticiens qui travaillent sur le traitement des corpus spécialisés. Elle refuse le caractère fixe des notions terminologiques et envisage le terme comme le résultat d’une analyse qui prend en compte sa place dans un corpus, la validation par des experts et les objectifs de la description. Le sens des unités terminologiques

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doit être dégagé des textes. L’approche est en grande partie issue de la linguistique de corpus qui analyse automatiquement des ensembles de textes.

La théorie communicative de la terminologie (Cabré 1998, 2003) considère la terminologie dans le cadre de la théorie du langage en rapport avec la théorie de la connaissance. Cette approche souligne la fonction communicative de la terminologie au sein du système linguistique. Les représentants des trois approches présentées ci-dessus revendiquent la révision des principes wüstériens ; la théorie communicative accueille des perspectives différentes sur la terminologie. C’est une approche fédératrice où les méthodologies onomaséologique et sémaséologique sont adoptées suivant les besoins de l’analyse. Les unités terminologiques sont des unités lexicales qui entrent dans la structure conceptuelle du domaine. L’étude des termes doit prendre en compte les aspects de leur fonctionnement discursif.

Les termes [] reflètent la structure conceptuelle d’une discipline, et, dans ce sens ils constituent le fondement de la communication spécialisée. [] Si la structuration de la pensée et la conceptualisation représentent la dimension cognitive de la terminologie, le transfert des connaissances constitue sa dimension communicative. La terminologie est la base de la communication entre spécialistes (Cabré 1998 : 90).

Dans l’approche fonctionnelle de la terminologie, on trouve l’idée que « le terme est une variété fonctionnelle du nom commun » (Sager 2000 : 53).

Les termes représentent des unités conceptuelles appartenant à des domaines spécifiques et qu’ils ne font pas partie de ce qui est considéré comme le lexique général de la langue. Ils sont fixés avant tout acte de parole. Leurs qualité de terme doit être reconnue par les acteurs de l’acte de la communication. Il ne suffit donc pas pour les comprendre de faire appel à la

« compréhension passive », qui permet de déduire la signification des unités lexicales par le contexte mais qui ne permet pas l’utilisation active de ces unités (ibid : 55-56).

Nous pouvons également citer les approches modernes suivantes :

La théorie variationniste de la terminologie et des langues de spécialité (Desmet 2006, 2007) où la variation sous toutes ses formes et dimensions est au cœur des problématiques actuelles, y compris de la réalisation terminologique.

La terminologie culturelle est orientée vers la culture de chaque communauté humaine (Diki-Kidiri 2000, 2007). Elle permet à la société de trouver le mot « pour exprimer chaque concept nouveau en puisant ses ressources linguistiques dans sa propre culture et selon sa

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propre perception du réel ». D’après l’auteur, la terminologie culturelle se démarque de la terminologie classique, laquelle recherche davantage la normalisation terminologique internationale et considère la culture comme un obstacle à une communication sans équivoque des concepts scientifiques et techniques (Diki-Kidiri 2007 : 14).

Le terme scientifique et/ou technique est une unité complexe constituée d’un concept appartenant à un domaine de spécialité et d’au moins un percept et un signifiant. Le terme est linguistique quand son signifiant est de nature strictement linguistique. Dans ce cas, le terme appartient à une langue particulière et obéit aux règles générales de cette langue comme tout autre mot de même nature dans la langue (Diki-Kidiri 2007 : 15).

La pragmaterminologie ou une terminologie de l'entreprise Dardo de Vecchi (2009) vise le monde des organisations et plus particulièrement les entreprises. Elle constate que « les termes des parlers d’entreprise peuvent emprunter d’autres formes que les seules formes linguistiques ». Les termes sont vus dans la dynamique et la pratique qui justifient leur présence. La terminologie orientée vers les actions concrètes prend en compte la culture de l’entreprise qui l’a créée. Selon l’auteur ce sont les termes qui construisent une terminologie et non la délimitation arbitraire du domaine (Vecchi (de) 2009 : s.p.)