Master
Reference
Mise en place et analyse d'une activité d'apprentissage coopératif en classe de 2P : comment mener une réflexion critique avec des élèves
de 5 ans ?
DARBRE, Cristelle
Abstract
Ce mémoire fait état d'une recherche qui s'est déroulée dans une classe de 2P (Harmos) d'une école primaire genevoise. Trois séances d'activités coopératives ont été menées avec trois groupes d'élèves. L'analyse des données porte sur le guidage des réflexions critiques et sur les habiletés coopératives qui en ressortent avec des élèves d'un si jeune âge (5 ans).
Les résultats sur lesquels ont débouché les analyses permettent de proposer des pistes pour mener des réflexions critiques avec des élèves de 2P et mettent en avant les bénéfices de cette discussion.
DARBRE, Cristelle. Mise en place et analyse d'une activité d'apprentissage coopératif en classe de 2P : comment mener une réflexion critique avec des élèves de 5 ans ? . Master : Univ. Genève, 2014
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:38500
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Mise en place et analyse d’une activité d’apprentissage coopératif en classe de 2P :
Comment mener une réflexion critique avec des élèves de 5 ans ?
MEMOIRE REALISE EN VUE DE LʼOBTENTION DE LA MAITRISE UNIVERSITAIRE EN ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
PAR
CRISTELLE DARBRE
DIRECTRICE DU MEMOIRE CELINE BUCHS
JURY
CAROLE VEUTHEY
LIONEL DECHAMBOUX NYON, JUIN 2014
UNIVERSITE DE GENEVE
FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L'EDUCATION SECTION SCIENCES DE L'EDUCATION
RESUME
Ce mémoire fait état d’une recherche qui s’est déroulée dans une classe de 2P (Harmos) d’une école primaire genevoise. Trois séances d’activités coopératives ont été menées avec trois groupes d’élèves. L’analyse des données porte sur le guidage des réflexions critiques et sur les habiletés coopératives qui en ressortent avec des élèves d’un si jeune âge (5 ans). Les résultats sur lesquels ont débouché les analyses permettent de proposer des pistes pour mener des réflexions critiques avec des élèves de 2P et mettent en avant les bénéfices de cette discussion.
REMERCIEMENTS
Je tiens à exprimer ici ma gratitude envers plusieurs personnes sans lesquelles ce travail n’aurait pu être mené à terme, qu’elles soient toutes remerciées de leur précieuse contribution.
Céline BUCHS, ma directrice de mémoire, pour le partage de ses connaissances, ses corrections et ses encouragements.
Esther BERTHIAUD, ma directrice d’établissement, pour son aide et ses précieux conseils.
Stéphanie FERREIRA et Laurène GROSSGLAUSER, mes collègues, pour avoir accepté de me laisser réaliser cette étude avec leurs élèves et sur leur temps de travail.
Mes parents et mes proches, pour leur aide et leur soutien lors cette période, ainsi que
leurs nombreuses relectures.
Table des matières
INTRODUCTION ... 6
CADRE THEORIQUE ... 9
1. L’apprentissage coopératif... 9
1.1 Spécificités de l’apprentissage coopératif ... 9
1.2 Les éléments communs à tous les dispositifs ... 10
1.3 Préparer les apprenants à coopérer ... 13
1.4 Le rôle de l’enseignant dans l’apprentissage coopératif... 19
1.5 Les valeurs de la coopération ... 19
2. La coopération avec de jeunes élèves ...20
2.1 Elèves en début de scolarité... 20
2.2 Jeunes élèves et apprentissage coopératif... 20
2.3 Jeunes élèves et réflexion critique ... 22
PROBLEMATIQUE ET QUESTIONS DE RECHERCHE...23
REPERES METHODOLOGIQUES...25
A. DISPOSITIF DE L’ETUDE...25
1. Population et contexte de la recherche ...25
2. Choix de la discipline et de la tâche...25
3. Formation des équipes ...27
4. L’auto-‐évaluation ...27
5. La méthode de recueil des données...28
6. Les habiletés coopératives à travailler ...29
7. Déroulement de l’étude ...29
7.1 Le groupe pilote ... 29
7.2 Déroulement des séances pour les groupes 2 et 3... 33
B. MISE EN FORME DES DONNEES ET ANALYSE ...36
1. Traitement de la question de recherche relative au guidage d’une réflexion critique avec des élèves de 5 ans...37
1.1 Comment, en tant qu’enseignant, introduire une réflexion critique sur la tâche scolaire ?... 37
1.2 Comment, en tant qu’enseignant, introduire une réflexion critique sur le fonctionnement en groupe ? ... 41
1.3 Comment relancer, réguler et intervenir dans la discussion afin de fixer les actions à améliorer et les objectifs à atteindre ? ... 42
2. Traitement de la question de recherche relative aux habiletés coopératives...43
2.1 Comment, à partir de la réflexion critique, faire émerger des habiletés coopératives ?... 43
2.2 Quelles sont les habiletés coopératives qui ressortent d’une discussion entre des élèves de 5 ans ? ... 43
3. Synthèse ...51
3.1 Les rôles dans l’apprentissage coopératif ... 53
3.2 La récompense dans l’apprentissage coopératif ... 53
RETOURS SUR LA RECHERCHE ...55
1. Les limites...55
1.1 Limites relatives au temps... 55
1.2 Limite relative aux multiples rôles de l’enseignante ... 56
1.3 Limite relative à l’organisation de la recherche... 57
1.4 Limites relatives à la planification de l’activité... 57
2. Les difficultés rencontrées...58
3. Proposition d’une séquence d’activités coopératives ...59
CONCLUSION ...62
Expérience personnelle...63
BIBLIOGRAPHIE...65
ANNEXES ...68
ANNEXE I – Grille de planification de l’activité...69
ANNEXE II – activité 1...71
ANNEXE II.a – activité 1 – images à découper...72
ANNEXE III – activité 2 ...73
ANNEXE III.a – activité 2 – jetons à découper ...74
ANNEXE IV – activité 3 ...75
ANNEXE V – activité supplémentaire...76
ANNEXE VI – Etiquettes équipes...77
ANNEXE VII – Grille d’auto-‐évaluation...78
ANNEXE VIII – Cartes rôles...79
ANNEXE IX – Diplôme Récompense ...80
ANNEXE X – Affiche sur la coopération...81
ANNEXE XI – Explication du codage des retranscriptions...82
ANNEXE XII – Tableaux récapitulatifs des interactions...83
ANNEXE XIII – Planification clé en main...89
TABLEAUX DES RETRANSCRIPTIONS...103
INTRODUCTION
Les documents officiels romands actuels préconisent le travail de groupe dans la scolarité primaire genevoise. En effet, selon le Plan d’Etudes Romand : « La capacité à collaborer est axée sur le développement de l'esprit coopératif et sur la construction d'habiletés nécessaires pour réaliser des travaux en équipe et mener des projets collectifs ».
L’apprentissage coopératif permet de favoriser l’atteinte des objectifs des trois domaines du PER (disciplinaire, capacités transversales et formation générale). Bien qu’il s’agisse d’un outil pour travailler la collaboration et la communication entre élèves, certains dispositifs favorisent également la démarche réflexive. En effet, le dispositif « Apprendre ensemble » (R.T. Johnson & Johnson, 1998) souligne l’importance de faire réfléchir les élèves sur leurs apprentissages et leur fonctionnement en groupe et vise également à développer conjointement les compétences cognitives et sociales des élèves. « La pédagogie coopérative est […] une philosophie qui guide l’enseignante, l’aide à se définir davantage comme facilitatrice, encourage la participation des élèves et augmente leurs chances de succès » (Howden & Laurendeau, 2005, p. 10). De nombreuses recherches montrent, en effet, l’efficacité d’un travail de groupe structuré par les principes de base de l’apprentissage coopératif tant sur les apprentissages que sur les relations sociales (Abrami, Chambers, Poulsen, De Simone, D’Appolonia, & Howden, 1996). Cette pratique consiste à enseigner aux élèves à apprendre à coopérer (travailler les habiletés coopératives nécessaires, les faire réfléchir sur leur fonctionnement dans le groupe) et à structurer la tâche de groupe en termes d’interdépendance positive et de responsabilisation. Cependant, bien qu’il existe de nombreuses recherches sur la pédagogie coopérative, peu d’entre elles se basent sur des élèves au début de leur scolarisation.
Plus de la moitié des études prises en considération dans une des méta-analyses récentes (D.W. Johnson, Johnson, & Stamme, 2000) est menée entre le secondaire inférieur et le post-obligatoire ainsi qu’en formation d’adultes (54%). Parmi les recherches conduites à l’école primaire (46%), seule une petite partie (14%) concerne l’école élémentaire, c’est-à-dire des élèves âgés de quatre à neuf ans.
(Lehraus, 2010, p. 23)
Par ailleurs, dans ce 14% des recherches concernant l’école élémentaire, la mise en place et le déroulement des réflexions critiques restent très peu développés (Lehraus, 2010).
C’est pourquoi il me semble intéressant de se pencher sur la réflexion critique auprès de très jeunes élèves afin d’obtenir des pistes pour sa mise en place en classe. Ces élèves étant tout juste scolarisés, il est intéressant d’analyser comment l’enseignant peut construire un dispositif les amenant à réfléchir sur leurs apprentissages en groupe et d’observer leurs interactions et la manière dont ils s’expriment. A travers cette étude, je souhaite répondre aux besoins exprimés par les enseignants
1qui s’essaient, tout comme moi, à la mise en pratique d’activités coopératives avec leurs jeunes élèves. Ma recherche se centrera particulièrement sur le moment de réflexion critique avec les élèves afin de répondre à la question : Comment mener une réflexion critique avec des élèves de 5 ans ?
Pour ce faire, j’ai profité de mon emploi actuel à 50% en tant qu’Enseignante Chargée du Soutien Pédagogique (ECSP) afin de mettre en place un dispositif d’apprentissage coopératif avec des élèves de 5 ans provenant de deux classes genevoises. Au cours de mon Certificat Complémentaire en Enseignement Primaire (CCEP), j’ai eu l’occasion de suivre l’unité de formation intitulée « apprentissage coopératif : jalons pour une mise en œuvre » donnée par Mme Lehraus (chargée d’enseignement à l’Université de Genève). Bien que la « Formation Enseignement Primaire » encourage à s’investir dans l’enseignement et l’apprentissage métacognitif, les pistes d’intervention concrètes restent peu nombreuses. La pédagogie coopérative mentionnée dans plusieurs cours de la Formation Enseignement Primaire et observée lors de quelques stages est une thématique qui attise toujours ma curiosité. Ces années de formation m’ont ainsi donné l’envie d’exploiter, dans ma pratique régulière en tant qu’enseignante, toute cette théorie accumulée, afin d’en constater les effets par moi-même en introduisant des activités d’apprentissage coopératif.
Je suis actuellement engagée dans une école primaire genevoise dont la directrice, Mme Berthiaud, pratique depuis longtemps l’apprentissage coopératif. Auteure de la vidéo « Des interactions constructives dès le cycle élémentaire » diffusée à l’Université de Genève, elle est un exemple pour les étudiants et les enseignants genevois qui s’essaient à la pédagogie coopérative. C’est avec son soutien et son enthousiasme à introduire la pédagogie coopérative dans son école que je me suis lancée. Mon taux d’activité et ma fonction me permettent de mettre en place cette pédagogie avec des élèves que je côtoie régulièrement et d’avoir le temps d’observer de plus près les effets du travail en coopération. Le fait de ne pas être
1 Dans ce document, l’emploi du masculin pour désigner des personnes n’a d’autres fins que celle d’alléger le texte.
titulaire d’une classe m’a permis de choisir avec quels élèves (quel degré) je souhaitais mettre en place cette recherche. Après m’être décidée sur la thématique de la pédagogie coopérative chez de jeunes élèves, j’ai tout d’abord fait le choix de ne pas travailler la coopération avec les élèves de 1P dont j’ai la charge, puisqu’ils sont non-francophones (la question de recherche aurait pris alors une autre tournure). C’est pourquoi j’ai finalement décidé de travailler avec des élèves de 2P. Ma situation d’ECSP me permet ainsi de planifier des activités coopératives et de les mettre en place. En plus d’être observatrice des faits, je suis l’enseignante qui dirige les activités de cette recherche. J’ai ainsi élaboré l’étude qui suit en adoptant une posture d’enseignante et non uniquement de chercheuse. Cette expérience, qui laissera une trace dans mon parcours, me permet d’exploiter cette pratique qu’est la pédagogie coopérative, et d’accumuler ainsi des acquis pour les prochaines années.
Au cours de ce travail, je tenterai d’articuler la mise en place de l’apprentissage coopératif, la gestion d’une réflexion critique et le jeune âge des élèves ciblés. Dans un premier temps, j’exposerai les bases théoriques nécessaires à l’élaboration d’un projet de pédagogie coopérative. Ensuite, je relaterai la mise en place de ce projet avec des élèves de 2P. Après quoi, je traiterai et analyserai les données récoltées lors des réflexions critiques menées avec les élèves, ceci dans le but d’élaborer des pistes sur comment mener une réflexion critique avec des élèves d’un si jeune âge et de partager mon expérience et mes propositions avec les enseignants souhaitant également introduire de la pédagogie coopérative en classe.
CADRE THEORIQUE
Dans cette partie, je vais exposer en quelques mots les bases de la pédagogie coopérative ainsi que les spécificités d’un travail avec des élèves de 5 ans.
1. L’apprentissage coopératif
L’apprentissage coopératif fait partie des pédagogies nouvelles qui se sont développées au début du XXème siècle. Il s’agit d’« une stratégie d’enseignement et d’apprentissage qui met précisément l’emphase sur le travail en groupe restreint dans lequel des élèves de capacités et de talents différents ont chacun une tâche précise et travaillent ensemble pour atteindre le même but » (Howden & Martin, 1997, p.1). L’élève est placé au centre de son apprentissage et c’est au sein d’un groupe, et non plus seul, qu’il apprend par l’enrichissement des interactions avec ses pairs.
1.1 Spécificités de l’apprentissage coopératif
L’apprentissage coopératif revient à rendre le travail de groupe efficace en visant des objectifs sociaux et cognitifs. Ce dispositif a pour but d’améliorer la réussite des élèves en misant sur la qualité des interactions entre pairs lors des activités proposées. Selon Clarke, Wideman et Eadie (1992), « l’apprentissage coopératif entraîne une amélioration du rendement scolaire et des capacités à résoudre les problèmes, une utilisation accrue des habiletés intellectuelles de haut niveau, le développement d’une attitude plus positive face à la matière étudiée et un accroissement de la motivation à apprendre » (p. 4). En outre, cette méthode instaure une nette différence entre les situations d’apprentissage coopératif, compétitif et individuel. Les recherches de D.W. Johnson et Johnson (1989) et Slavin (1983) (cités par Buchs, Filisetti, Buttera, & Quiamzade, 2004) démontrent que les situations de type coopératif par rapport aux situations de type compétitif ou individualiste obtiennent de meilleurs résultats sur le plan des performances et des relations entre pairs. En effet, « le recours à l’apprentissage coopératif améliore les relations interpersonnelles dans plus de 71%
des études et augmente l’estime de soi des élèves/étudiants dans plus de 66% des études »
(Buchs & al., 2004, p. 171).
Dans la situation d’apprentissage coopératif, l’élève est conscient que sa réussite est intimement liée à celle de chacun des membres de son groupe – « On coule ou on s’en sort ensemble ». Dans la situation d’apprentissage compétitif, les élèves travaillent les uns contre les autres et dans la situation d’apprentissage individuel, les élèves travaillent individuellement pour atteindre leurs objectifs et ceci n’a aucune incidence sur la réussite de leurs camarades.
(Davidson, 1998, p. 69)
Le travail de groupe en lui-même consiste à mettre les élèves ensemble pour effectuer une tâche. Selon R. T. Johnson et Johnson (1998), « il existe une différence entre demander simplement à des élèves de travailler en groupe et avoir des groupes d’élèves structurés qui travaillent en coopération » (p. 105). En effet, lors des travaux de groupes, il est possible que certains élèves effectuent tout le travail alors que d’autres se laissent guider. Ce phénomène, appelé paresse sociale, désigne le fait que « la performance d’un individu à une tâche est plus faible lorsqu’il effectue cette dernière en groupe que lorsqu’il l’effectue seul » (Toczek, 2004, p. 125). L’apprentissage coopératif, en revanche, est fondé sur des éléments de structuration des dispositifs qui engendrent la coopération au sein des groupes (Buchs et al., 2004). La structure coopérative du travail permet la participation de chaque élève à l’accomplissement de la tâche. Cette méthode favorise ainsi les interactions entre élèves en créant un contexte favorable à la discussion et pousse les élèves à verbaliser et à reformuler leurs idées. Ainsi, ils ont l’occasion de développer des habiletés liées à la communication en échangeant et en apprenant avec leurs pairs.
1.2 Les éléments communs à tous les dispositifs
Il existe plusieurs dispositifs d’apprentissage coopératif, la plupart sont structurés par des éléments de base communs : la responsabilisation individuelle, l’interdépendance positive et les groupes restreints.
a) La responsabilité individuelle
La responsabilité individuelle est un principe essentiel de l’apprentissage coopératif, qui
assure que tous les membres du groupe participent à la réalisation de la tâche. Ce principe
implique que chaque membre du groupe coopératif est tenu de faire sa part de travail
(Johnson & Johnson, 1998) et doit se sentir responsable à la fois de sa contribution et de son
apprentissage (Abrami & al., 1996). La contribution et les efforts de chaque membre sont donc indispensables à la réussite du groupe. Il est en outre « important de proposer une tâche qui soit réellement une tâche de groupe, à savoir une tâche qui ne peut pas être réalisée de manière individuelle » (Buchs, sous presse) afin de favoriser la participation de chacun et d’éviter le phénomène de paresse sociale qui, selon Jackson et Williams (cités par Toczek, 2004), réduirait la tension motivationnelle de l’élève lorsqu’il est en présence d’autrui dans des situations de travail de groupe.
b) L’interdépendance positive
L’interdépendance positive est le terme technique employé pour définir la double responsabilité de l’élève dans une situation d’apprentissage coopératif : celle de comprendre le travail assigné ainsi que celle de s’assurer que tous les membres du groupe le comprennent aussi (R.T. Johnson & Johnson, 1998).
Cette interdépendance a lieu lorsque les élèves saisissent qu’ils ne peuvent réussir que si leurs camarades réussissent (et vice versa). L’objectif commun est d’apprendre la matière assignée et de s’assurer que tous les membres du groupe y parviennent aussi (Johnson &
Johnson, 1998). L’interdépendance peut être structurée de plusieurs manières, selon les objectifs, les ressources matérielles, les différents types de rôles (fonctionnels et cognitifs), les tâches scolaires ou encore, les récompenses (Chambers, Patten, Schaeff & Wilson Mau, 1997).
La tâche est commune à l’ensemble du groupe donc le but l’est lui aussi.
L’interdépendance liée aux objectifs a lieu lorsque « les élèves se rendent compte qu’ils peuvent atteindre leurs objectifs d’apprentissage quand et seulement quand tous les membres de leur groupe atteignent les leurs » (R. T. Johnson & Johnson, 1998, p. 108). Ainsi, l’atteinte de l’objectif par tous les membres du groupe est primordiale et aucun membre ne peut y parvenir sans les autres. L’interdépendance peut également être liée aux ressources. Celle-ci est caractérisée par le fait que « chaque membre du groupe dispose seulement d’une partie des ressources, de l’information ou du matériel nécessaire pour effectuer la tâche d’apprentissage » (R.T. Johnson & Johnson, 1998, p. 108-109). Pour réussir la tâche, les élèves sont alors dépendants des informations ou des compétences que détiennent les autres (Rouiller & Howden, 2010). Lorsque l’interdépendance est liée à la tâche, l’activité à réaliser est répartie entre les élèves de l’équipe en créant ainsi une part de responsabilité individuelle,
« chaque membre d’une équipe [est] responsable d’accomplir une partie distincte du travail »
(Rouiller & Howden, 2010, p. 129). Il est également possible d’ajouter des rôles favorisant la responsabilité individuelle des élèves et créant ainsi une interdépendance liée aux rôles. « À chaque membre est assigné un rôle relié à celui des autres qui définit les responsabilités que le groupe doit assumer pour effectuer la tâche commune » (R. T. Johnson & Johnson, 1998, p.
109). Rouiller et Howden (2010) distinguent deux types de rôles, des rôles liés à la tâche (vérificateur, rapporteur, observateur, …) et des rôles fonctionnels (contrôleur du niveau sonore, contrôleur du temps, …). Ces derniers sont intéressants à travailler avec de jeunes élèves puisqu’ils responsabilisent sans demander une surcharge cognitive. Finalement, l’interdépendance liée aux récompenses permet d’augmenter la motivation et l’implication des élèves. R.T. Johnson et Johnson (1998), parlent d’incitatif coopératif lorsque « tous les membres du groupe reçoivent la même récompense quand le groupe atteint son objectif » (p.108). Selon eux, la récompense peut également être extrinsèque, si les groupes sont opposés les uns aux autres. Rouiller et Howden (2010), conseillent d’utiliser les récompenses de manière collective et non individuelle afin de favoriser également l’interdépendance positive au sein de l’équipe et de prêter attention au fait qu’elles doivent être à la portée de tous. Cependant, cette manière de procéder fait office de débat dans la littérature et chez les enseignants.
c) Les groupes restreints
Les groupes peuvent être constitués de deux à six élèves, le nombre de membres dépend
de l’activité prévue. « Plus il y a de membres dans un groupe, plus la communication est
complexe et plus il est difficile de favoriser la participation égale de tous et le développement
d’habiletés sociales » (Abrami et al., 1996, p. 65). Les groupes peuvent être formés de
manière aléatoire, par les élèves ou encore par l’enseignant. Les auteurs préconisent souvent
les groupes hétérogènes afin de favoriser les discussions entre pairs. Ainsi, les enfants pour
qui les habiletés langagières ne sont pas encore totalement développées pourront prendre
exemple sur les élèves plus avancés (Chambers et al., 1997). Cependant, le type de
groupement choisi dépend de nombreux facteurs : l’âge des élèves, leurs habiletés sociales,
les objectifs de l’enseignement, etc. (Abrami et al., 1996).
Pour cette étude, j’ai choisi de former des équipes de deux élèves et ceci, de manière aléatoire. Selon Abrami et al. (1996), « quand on commence avec l’apprentissage coopératif, on forme d’abord des petits groupes » (p. 65). La gestion de ceux-ci est moins complexe pour un enseignant débutant dans le domaine car ils demandent moins d’habiletés sociales à travailler. De plus, être à deux diminue la tendance vers le phénomène de paresse sociale et renforce la responsabilisation individuelle. Moins les élèves sont nombreux, plus ils prennent leur place. D’un point de vue pratique pour la recherche, il est également plus facile de réécouter les enregistrements lorsqu’il y a un minimum de voix différentes.
d) Les interactions entre pairs
Les interactions entre les apprenants rendent le travail de groupe efficace. Dans les dispositifs coopératifs, il est important de promouvoir des interactions « constructives » (Buchs, 2002, citée par Lehraus, 2010) entre les élèves. Ces dernières « conduiraient ainsi les individus à progresser, car ceux-ci s’encouragent et s’entraident pour mener à terme leurs tâches en vue de l’atteinte d’un objectif commun » (Johnson et al., 2002, cités par Lehraus, 2010, p. 49). Les élèves sont encouragés, par exemple, à donner des explications. L’apport d’explications est bénéfique pour l’apprentissage, non seulement de l’élève qui les reçoit, mais surtout de celui qui les donne (Buchs, Lehraus & Butera, 2006). Le développement des habiletés coopératives et la réflexion critique sont deux principes coopératifs dont la mise en place favorise le développement des interactions entre élèves. Ces deux principes sont développés ci-dessous.
1.3 Préparer les apprenants à coopérer
La méthode « Apprendre ensemble » (R.T Johnson & Johnson, 1998) propose des
principes généraux pour structurer le travail de groupe facilement abordables pour
l’enseignant et ajustables selon le contexte (Buchs, sous presse). Dans cette méthode
apparaissent deux principes supplémentaires aux autres dispositifs, afin de préparer les
apprenants à coopérer : les habiletés coopératives et la réflexion critique. De plus, cette
méthode est bien documentée et a l’avantage de proposer des ressources accessibles aux
enseignants francophones (par exemple, Abrami et al., 1996 ; Howden & Martin, 1997 ;
Howden & Kopiec, 1999 ; Rouiller & Howden, 2010). C’est pourquoi, parmi les différents
dispositifs d’apprentissage coopératif existants, la méthode « Apprendre ensemble » est celle
que j’ai choisie de mettre en place pour cette recherche. Le schéma suivant regroupe les
composantes du dispositif « Apprendre Ensemble ». Les trois composantes du bas assurent la structuration du travail en équipe, tandis que celles du haut préparent les apprenants à coopérer.
Fig. 1 : Schématisation des composantes de la méthode « Apprendre ensemble » (Buchs, sous presse).
Préparer les apprenants à coopérer
Structurer le travail en équipe
a) Les habiletés coopératives
Il n’est pas naturel pour tout le monde d’entrer en relation avec les autres efficacement,
c’est pourquoi « il faut enseigner aux élèves les habiletés sociales requises pour savoir
comment collaborer » (R. T. Johnson & Johnson, 1998, p. 114) et communiquer. Exercer les
habiletés coopératives avec les élèves peut s’avérer bénéfique pour la qualité des interactions
et des apprentissages, elles sont donc importantes pour l’efficacité du travail de groupe. Les
habiletés coopératives peuvent être simples et de tout genre, telles que apprendre à prendre sa
place et laisser sa place ; développer l’écoute active ; parler à voix basse ; etc. (Chambers et
al., 1997, pp. 16-17-18). « L’apprentissage de ces habiletés est important, parce que les
enfants peuvent les transférer d’un champ de connaissance à l’autre et s’en servir dans toutes
les sphères de leur vie » (Chambers et al., 1997, p. 18). Lors de l’activité, l’enseignant peut
observer le travail en équipe des élèves puis identifier avec eux, lors d’une discussion, quelles
habiletés permettraient de mieux travailler ensemble (Howden & Lourendeau, 2005).
Il arrive souvent que les élèves ne sachent pas comment mettre les habiletés coopératives en pratique. Pour présenter clairement aux élèves une habileté coopérative, ces derniers peuvent être amenés à lister les comportements verbaux (paroles) et non verbaux (actions) observés lors de la mise en œuvre d’une habileté coopérative. Ces comportements peuvent ensuite être classés à l’aide d’un tableau (cf. fig. 2). Ce dernier est entièrement construit sur la base des énoncés des élèves.
Fig. 2 : Tableau à titre d’exemple
« Attendre son tour»
J’entends Je vois
« C’est à ton tour. » Les élèves parlent chacun leur tour.
« Attends, c’est à moi de jouer. » L’élève lève la main pour montrer que c’est son tour.
« C’est à qui maintenant ?» Les élèves n’agissent pas en même temps.
Lors de leur prochain travail en équipe, les élèves devront veiller à utiliser ces
comportements pour développer l’habileté coopérative souhaitée. L’enseignant ou l’un des
élèves (selon son âge et son expérience en coopération) peut alors observer la manière dont
l’habileté est mise en pratique pour ensuite pouvoir y réfléchir lors de la réflexion critique
suivante. Il est important d’offrir régulièrement des occasions d’exercer les habiletés
coopératives. « La pratique permet d’acquérir une expérience qui servira dans les activités de
réflexion ultérieures » (Clarke et al., 1992, p. 97). Selon l’âge des élèves, les habiletés
coopératives peuvent varier. En effet, lorsqu’ils sont plus âgés et habitués à travailler
ensemble, le travail coopératif des élèves peut se porter sur la manière d’élaborer ensemble en
exerçant par exemple comment vérifier la compréhension des autres ou en suggérant des
moyens de mémorisation (Buchs, séminaire 7524AM, 2013-2014).
Buchs (sous presse) a étudié l’importance de travailler les habiletés coopératives avec des élèves de primaire. Les résultats de son étude montrent que les élèves qui ont bénéficié d’une préparation à la coopération (les élèves ont eu l’occasion, durant dix minutes, de réfléchir et de discuter sur des habiletés coopératives ciblées) ont dans l’ensemble mieux coopéré (ont montré plus de soutien envers leur partenaire, ont eu des interactions plus constructives, ...) que les élèves qui n’ont pas bénéficié de cette préparation. Buchs, Gilles et Buetera (2013) (cités par Buchs, sous presse) ont également étudié l’effet d’un travail spécifique sur les habiletés coopératives avec des étudiants universitaires. Ces derniers ont effectué des exercices dans l’une des trois conditions suivantes : travail individuel, duos coopératifs ou duos coopératifs avec sensibilisation aux habiletés coopératives. Les résultats de l’étude montrent que les meilleures performances sont obtenues par les étudiants travaillant en duos coopératifs avec sensibilisation aux habiletés coopératives. Ces étudiants ont établi une meilleure relation et une plus grande coopération avec leur pair et se sont plus investis dans leur travail que les étudiants travaillant dans les autres conditions.
Clarke et al., (1992) proposent un schéma représentant les quatre étapes du cycle d’apprentissage par lequel les individus apprennent à travailler efficacement avec les autres (pp. 90-91). La première étape pouvant débuter ce cycle est celle de la compréhension de l’habileté coopérative à travailler et de la manière de l’utiliser. La suivante est l’étape de la mise en pratique de cette habileté suivie par celle de l’expérience de celle-ci dans un travail de groupe. La dernière étape avant de recommencer le cycle est celle de la réflexion sur l’expérience du travail en groupe. Cette réflexion, souvent nommée réflexion critique, est la dernière composante du dispositif « Apprendre ensemble ».
b) La réflexion critique
Cette composante du dispositif « Apprendre ensemble » concerne la réflexion qu’auront
les apprenants sur leur travail de groupe (Johnson & Johnson, 1998 ; Abrami & al., 1996 ;
Buchs, sous presse). Il est en effet « nécessaire d’enseigner [aux élèves] comment travailler
ensemble de manière efficace » (Buchs et al., 2004). Il s’agit d’un moment où l’enseignant
peut questionner et mettre en place un dialogue lors duquel chaque élève est sollicité pour
s’exprimer autour de l’activité réalisée (Howden & Laurendeau, 2005). Cette réflexion
critique peut avoir lieu à la fin de chaque séance de coopération, afin de faire le point sur les
comportements à adopter et d’identifier si une habileté permettrait aux apprenants de mieux
travailler ensemble. « Il est important d’offrir régulièrement aux élèves, à la suite des séances
de travail de groupe, des occasions de réfléchir sur l’expérience du travail en équipes et sur les façons d’utiliser les habiletés coopératives pour accroître l’efficacité des groupes » (Clarke et al., 1992, p. 99). Cette réflexion n’a pas à durer longtemps, l’essentiel est de l’intégrer à toutes les activités coopératives (Chambers et al. 1997). Elle pourra prendre la forme « d’une discussion [collective] et faire suite à une série de questions dont l’objectif sera de susciter un examen critique des comportements individuels et collectifs » (Howden & Laurendeau, 2005, p. 6). De plus, elle peut également être effectuée en début de leçon pour rappeler les objectifs de la fois précédente. L’important est de laisser parler les élèves et de les guider pour que tous les objectifs, disciplinaires ou coopératifs, soient rappelés et intégrés. Le fait de reformuler permet également aux élèves de mieux comprendre la tâche et à l’enseignant de vérifier leur compréhension.
Howden et Laurendeau (2005) proposent trois niveaux successifs pour amener chaque
fois un peu plus loin les élèves dans la réflexion. Le premier niveau, l’introspection, invite les
élèves à s’auto-évaluer en répondant à certaines questions relatives à leurs comportements et à
leur participation lors de la tâche. Moorman et Dishon (1983, cités par Abrami et al., 1996),
affirment que le fait d’inviter « les élèves à participer au processus d’évaluation, [produira
chez eux le] sentiment d’exercer un pouvoir sur leur évaluation » (p. 112) et ceci favorisera
également leur responsabilité individuelle (Abrami et al., 1996). L’auto-évaluation est une
procédure impliquant l’élève dans la formulation d’une appréciation par rapport à ses acquis
et à sa démarche (Tessaro, UF 742722, 2011-2012). Ainsi, elle donne du sens aux
apprentissages et « […] permet à l’élève de s’évaluer à partir d’objectifs précis et de divers
critères » (Howden & Laurendeau, 2005, p. 124). Le second niveau est celui de la réflexion
sur la participation des membres de l’équipe. Les élèves doivent non seulement évaluer leur
propre participation, mais aussi celle des membres de leur équipe. L’évaluation par les pairs
(Abrami et al., 1996) peut installer un certain malaise entre les élèves lors des premières fois,
en effet, « les élèves peuvent manquer d’expérience dans l’évaluation des pairs et craindre de
blesser leurs camarades » (p. 114). C’est pourquoi il est nécessaire, tout au long des séances,
de pratiquer l’évaluation par les pairs ou l’auto-évaluation, afin que l’élève s’habitue à
recevoir des rétroactions. Finalement, le troisième niveau concerne celui de la réflexion de
l’équipe. Les questions sont posées à tous les membres de celle-ci et un consensus doit être
établi pour chaque réponse (Howden & Laurendeau, 2005). Ces retours permettent aux élèves
de se sentir écoutés et ainsi de donner du sens aux apprentissages. Le fait de leur poser des
questions sur le fonctionnement de l’équipe les implique davantage dans l’évaluation de leur
travail de groupe (Abrami et al., 1996).
Les buts de cette réflexion sont donc « de clarifier et d’améliorer l’efficacité des membres pour atteindre les objectifs communs » (Johnson & Johnson, 1998, p. 116), d’améliorer la qualité du travail de groupe, d’augmenter la responsabilité individuelle et les efforts, d’expliciter le processus d’apprentissage, d’éliminer les actions inappropriées et de stimuler les relations de travail efficace (Buchs, séminaire 7524AM, 2013-2014). Les élèves sont amenés, lors de cette discussion, à parler concrètement des comportements listés dans le tableau (fig. 2) mentionné précédemment.
L’importance de cette réflexion critique est soulignée par deux recherches effectuées dans des classes avec des élèves plus âgés. La première (Yager, Johnson, & Snider, 1986) a comparé, pendant 25 séances, trois conditions de travail : 1) des élèves travaillant individuellement, 2) des groupes d’élèves travaillant dans des conditions d’apprentissage coopératif sans réflexion critique, 3) des groupes d’élèves travaillant dans des conditions d’apprentissage coopératif avec cinq minutes de réflexion critique. Les résultats de l’étude démontrent, non seulement que les conditions d’apprentissage coopératif engendrent de meilleurs apprentissages scolaires, mais aussi que la réussite quotidienne, la performance ainsi que la rétention des contenus travaillés à long terme sont améliorés par la présence de la réflexion critique à la fin de l’activité. En effet, « having members of cooperative learning groups discuss how well their group is functioning and how they may improve its effectiveness has sizable and positive effect on student achievement » (Yager, Johnson, &
Snider, 1986, p. 395).
La seconde recherche (Johnson, Johnson, Stanne & Garibaldi, 1990, cités par Buchs,
2014) étudie l’importance du rôle actif des apprenants lors de la réflexion critique à
l’université. Trois conditions de travail ont été comparées : des étudiants travaillant 1) de
manière individuelle, 2) dans des conditions d’apprentissage coopératif sans réflexion
critique, 3) dans des conditions d’apprentissage coopératif avec un travail de trois habiletés
coopératives ciblées (résumer les actions et les idées de tous les membres, encourager la
participation de tous et vérifier l’accord entre les membres) avec une réflexion critique suite à
l’activité. La réflexion critique était introduite sous deux formes différentes et menée soit par
l’enseignant en collectif, soit par l’enseignant et reprise par les étudiants dans les petits
groupes. Comme pour la première recherche, les résultats démontrent que les conditions
d’apprentissage coopératif favorisent la qualité des apprentissages par rapport au travail
individuel. En ce qui concerne les conditions d’apprentissage coopératif, les meilleures
performances scolaires sont obtenues par les apprenants qui ont pu prendre une part active à
la réflexion critique.
Bien que ces études soient menées avec des apprenants plus âgés, elles soulignent l’importance d’effectuer des réflexions critiques après les activités coopératives et préconisent la participation des apprenants lors de celles-ci.
1.4 Le rôle de l’enseignant dans l’apprentissage coopératif
L’enseignant a un rôle important à jouer dans la mise en place d’activités de pédagogie coopérative. Tout d’abord, il lui revient de concevoir et de planifier des activités qui permettront aux élèves de développer leurs capacités à collaborer (Howden & Laurendeau, 2005). De plus, lorsque les équipes sont en action, il est important de les observer. Il est possible pour l’enseignant d’intervenir dans les équipes lorsqu’il constate un blocage, cependant, « de trop fréquentes interventions risquent de réduire la coopération au sein du groupe et d’empêcher les élèves d’apprendre les uns des autres » (Abrami, et al., 1996, p.
112). Il peut être utile de créer une grille d’observation afin de prendre des notes sur ce qui pourra être discuté lors de la réflexion critique (Howden & Laurendeau, 2005). Lors de cette dernière, le rôle de l’enseignant sera d’évaluer les objectifs d’un point de vue disciplinaire et social.
1.5 Les valeurs de la coopération
Travailler en coopération signifie également favoriser certaines valeurs afin de créer un
climat positif d’esprit d’équipe. Howden et Martin (1997), Rouiller et Howden (2010) ainsi
que Howden et Laurendeau (2005), recommandent plusieurs valeurs pouvant être mises en
rapport avec les expériences des élèves afin qu’ils comprennent leur importance lors d’un
travail en coopération. L’équité, l’ouverture à soi, aux autres et au monde, l’engagement, la
solidarité, le respect mutuel, ainsi que l’entraide sont les valeurs les plus récurrentes dans les
ouvrages sur la coopération. Il est possible d’utiliser les structures coopératives et les
principes coopératifs sans définir les valeurs coopératives, cependant, la pédagogie
coopérative dans toute sa complexité ne serait ainsi pas mise en œuvre (Rouiller et Howden,
2010). Il est donc primordial, selon Rouiller et Howden (2010), « de discuter avec les élèves
de l’importance de chacune des valeurs dans la culture de la classe » (p. 87). Howden et
Laurendeau (2005), proposent également des activités pour travailler les valeurs au sein de la
classe (pp. 15-26).
2. La coopération avec de jeunes élèves
2.1 Elèves en début de scolarité
Lorsqu’ils sont en début de leur scolarité, il y a tout un travail de socialisation à faire avec les élèves. Certains d’entre eux ne sont jamais allés à la crèche et n’ont peut-être jamais été mis en contact avec d’autres enfants. C’est après avoir vécu une première rentrée scolaire que je peux affirmer cela. En arrivant à l’école, les élèves de 4 ans doivent s’adapter à de nouvelles règles, mais surtout au simple fait d’être plusieurs enfants dans la classe. Ils doivent ainsi parvenir à se décentrer d’eux-mêmes et apprendre à interagir avec leurs pairs.
2.2 Jeunes élèves et apprentissage coopératif
Ces caractéristiques des élèves en début de leur scolarité laissent à penser qu’il est peut- être difficile de les concilier avec l’idée de la coopération (Lehraus, 2002). Selon Piaget (1967, cité par Lehraus, 2010), « avant l’âge de sept-huit ans, les structures propres à la pensée naissante excluent la formation des rapports sociaux de coopération » (p.18). Ce concept de pensée égocentrique encore présent dans le monde scolaire, ainsi que le manque d’autonomie des jeunes enfants, sont souvent invoqués comme des obstacles au bon fonctionnement à la qualité des apprentissages lors du travail de groupe (Lehraus, 2010).
Cependant, selon Chambers et al. (1997), bien que « les jeunes enfants possèdent des qualités qui facilitent leur participation active aux activités coopératives [d’autres] inhibent cette participation » (p. 5). Ces auteurs développent ces qualités inhibitrices ou favorisant l’apprentissage coopératif.
2.2.1 Les qualités inhibant l’apprentissage coopératif
L’égocentrisme : Les jeunes élèves n’ont pas encore développé toutes les habiletés cognitives facilitant l’interaction avec les autres et ont ainsi du mal à prendre le point de vue d’un tiers. C’est pourquoi il est important de commencer les activités de coopération en groupes restreints (deux à trois élèves) afin qu’il n’y aient pas trop de points de vue à prendre en compte par les élèves.
Les habiletés sociales peu développées : Les habiletés sociales sont encore peu
développées chez les jeunes enfants, surtout si ceux-ci n’ont pas été fréquemment mis en
relation avec d’autres enfants de leur âge avant l’école. C’est pourquoi il est important de leur
donner « l’occasion de mettre en pratique les habiletés sociales qui correspondent à leur stade de développement » (Chambers et al., 1997, p. 6).
Attention de courte durée : Les élèves en début de scolarité possèdent une attention et une concentration d’une durée relativement courte. C’est pourquoi il est nécessaire de prévoir des activités coopératives courtes et dynamiques afin de garder les élèves impliqués tout au long de la tâche.
Besoin de gratification immédiate : Les jeunes enfants perdent rapidement de l’intérêt lorsque les tâches se prolongent sur de longues périodes. Ils ressentent le besoin de voir le résultat de leur travail rapidement.
Habiletés langagières limitées : Les interactions entre pairs ne sont pas évidentes à cet âge-là puisque les habiletés langagières des élèves ne sont pas encore entièrement développées. « Les enfants plus jeunes peuvent acquérir des habiletés langagières et de raisonnement au contact d’enfants plus avancés » (Chambers et al., 1997, p. 6), en groupes restreints.
Impulsivité : Les jeunes élèves ne maîtrisent pas encore totalement leurs impulsions.
Les activités proposées doivent, par conséquent, capter et maintenir leur attention jusqu’à la fin.
Capacité de lecture restreinte : Les premiers pas dans l’apprentissage de la lecture s’effectuent en cours de deuxième année primaire (2P). La majorité des jeunes élèves ne savent donc pas encore lire. Par conséquent, il est important de proposer des « activités concrètes pendant lesquelles les élèves manipulent de vrais objets » (Chambers et al., 1997, p.
6) et d’éviter celles comportant de la lecture.
2.2.2 Les qualités favorisant l’apprentissage coopératif
Les jeunes élèves possèdent également des qualités favorables aux démarches coopératives. Selon Chambers et al., (1997) « les jeunes enfants possèdent beaucoup de qualités qui facilitent leur participation aux activités interactives et il faut en tenir compte pour établir un programme d’apprentissage coopératif adapté à eux » (p. 7).
Peu d’inhibitions : Les jeunes enfants ont plus de facilité à participer aux activités de
groupe car ils ne sont pas encore timides et appréhendent moins les prises de risques face à
leurs camarades.
Curiosité : Les jeunes enfants débordent souvent de curiosité, c’est pourquoi ils sont généralement partants pour découvrir de nouvelles activités, il faut ainsi, en tant qu’enseignant, profiter de ces moments de curiosité.
Besoin de bouger : Les jeunes enfants éprouvent un grand besoin de bouger. Ainsi, il est important de proposer des activités contenant du matériel à manipuler (Chambers et al., 1997) et de varier les espaces de travail.
Besoin de socialiser : La sociabilité est généralement naturelle chez les jeunes enfants, ils aiment jouer avec les autres et ne sont pas gênés par les différences de sexes ou raciales (Chambers et al., 1997).
Peu d’idées préconçues sur l’école : Les élèves en début de scolarisation perçoivent l’école comme un lieu où l’on découvre des choses et n’ont pas encore de pensées négatives à son sujet. Il faut profiter de cette représentation pour leur proposer de nouvelles activités par lesquelles ils seront motivés à participer.
2.3 Jeunes élèves et réflexion critique
La thématique de cette étude porte principalement sur la réflexion critique car ce
principe est malheureusement souvent négligé lors des séances de coopération, ceci est peut-
être dû au fait que peu d’ouvrages indiquent comment guider les enseignants dans ce
processus. Pourtant, c’est lors de ces moments de discussion que les élèves sont amenés à
réfléchir sur leur pratique grâce aux échanges et c’est lors de ces moments que nous,
enseignants, pouvons les aider à comprendre l’importance de la coopération, du dialogue
entre pairs et de l’appartenance au groupe-classe. Avec des élèves en début de scolarité, ces
moments d’échanges semblent avoir moins d’importance ou du moins paraissent plus
complexes à mener. L’attention momentanée et le manque de contrôle de leurs impulsions
(Chambers et al., 1997) sont des facteurs pouvant décourager un enseignant souhaitant mettre
en place des réflexions critiques avec de jeunes élèves. Par conséquent, il est nécessaire de
proposer à ces élèves des moments lors desquels ils peuvent acquérir les habiletés sociales,
langagières et cognitives favorisant leur capacité à coopérer (Chambers et al., 1997).
PROBLEMATIQUE ET QUESTIONS DE RECHERCHE
L’apprentissage coopératif comporte de nombreux avantages dont le développement de l’autonomie, l’appropriation du savoir et la connaissance de nouvelles méthodes de travail.
Cependant, « sa mise en place pose quelques difficultés pouvant contraindre l’enseignant à ne pas l’organiser » (Buchs et al. 2004, p. 168). Cet abandon face aux contraintes est d’autant plus fréquent dans les classes élémentaires que celles de division moyenne. Lehraus (2010), met en avant deux problèmes identifiés en tant qu’obstacles potentiels à la mise en place d’activités coopératives : les difficultés de gestion du travail de groupe par l’enseignant (Blatchford et al., 2003 ; Kutnick et al., 2008) et les craintes concernant son efficacité, notamment avec de jeunes élèves (Baines et al., 2003 ; Bennett, 1991) p.119. J’ai moi-même constaté cela lors de mes différents stages ou discussions entre collègues. Le travail de groupe est présent dans les classes élémentaires, cependant la structure coopérative l’est beaucoup moins. J’ai pu observer que les enseignants ne prennent pas le temps de mettre en place cette pratique, car sa mise en œuvre au quotidien ne se révèle pas toujours évidente sans accompagnement (Lehraus & Berthiaud, non publié). De plus, si certains tentent de structurer le travail de groupe de manière coopérative en classe élémentaire, rares sont ceux qui prennent le temps d’effectuer les moments de réflexion critique. Comme mentionné précédemment, ces moments apportent pourtant de nombreux bénéfices au bon fonctionnement du travail de groupe, puisqu’ils permettent d’amener les apprenants à proposer des objectifs pour améliorer la qualité de leur travail, et ainsi de leur apprendre à travailler ensemble de manière efficace (Abrami et al., 1996).
Le nombre restreint d’ouvrages publiés en français sur les méthodes coopératives avec
des élèves de classes élémentaires semble insuffisant pour que les enseignants se sentent aptes
à les mettre en place. Lehraus (2010), souhaitant combler ce manque, se centre sur les
habiletés coopératives dans les classes élémentaires. Afin d’enrichir son travail et d’apporter
plus de réponses aux enseignants, ma recherche concerne également les habiletés coopératives
mais aussi la gestion de la réflexion critique avec de jeunes élèves. En effet, la réflexion
critique est, selon de nombreuses recherches, nécessaire au travail de groupe chez les élèves
plus âgés, mais qu’en est-il chez les plus jeunes ?
Les questions qui émergent quant à cette composante coopérative qu’est la réflexion critique sont les suivantes :
Comment l’enseignant guide-t-il une réflexion critique lors d’activités de pédagogie coopérative avec des élèves de 5 ans ?
Comment, en tant qu’enseignant, introduire une réflexion critique sur la tâche scolaire ?
Comment, en tant qu’enseignant, introduire une réflexion critique sur le fonctionnement en groupe ?
Comment relancer, réguler et intervenir dans la discussion afin de fixer les actions à améliorer et les objectifs à atteindre ?
Comment faire émerger les habiletés coopératives au cours d’une réflexion critique ?
Quelles sont les habiletés coopératives et les stratégies d’apprentissage qui émergent d’une discussion avec des élèves de 5 ans ?
REPERES METHODOLOGIQUES
A. DISPOSITIF DE L’ETUDE
1. Population et contexte de la recherche
Cette recherche s’effectue dans une école primaire genevoise dans laquelle je travaille en tant qu’ECSP à 50%. La population ciblée représente trois groupes de 14 élèves de 2P formés d’un mélange de deux classes. N’étant pas titulaire d’une classe, j’ai sollicité deux collègues qui ont répondu favorablement à ma demande. L’une d’elles est particulièrement intéressée par les démarches d’apprentissage coopératif et a déjà tenté des activités avec ses élèves l’année précédente. Habituellement, avec ces deux enseignantes, nous effectuons des décloisonnements et organisons des jeux de mathématiques. Lors de ces décloisonnements, les élèves des deux classes sont mélangés et sont divisés en trois groupes de 14 élèves. Pour cette recherche, j’ai travaillé successivement avec les trois groupes d’élèves durant trois périodes de 45 min. Ainsi, le nombre total de périodes de cette étude est de neuf (trois périodes par groupe-classe) réparties sur six semaines.
Afin d’affiner la mise en place des dispositifs, j’ai choisi d’utiliser le premier groupe comme groupe pilote, des ajustements ont été effectués entre ce premier groupe et les suivants. Ainsi, uniquement les deux derniers groupes sont analysés afin de répondre aux questions de recherche.
2. Choix de la discipline et de la tâche
Puisque cette période de la semaine est normalement consacrée aux mathématiques, je me suis mise d’accord avec les enseignantes pour trouver une activité adéquate, restant dans le domaine et s’encrant dans le programme. Je me suis référée à l’ouvrage (non publié) de Lehraus et Berthiaud pour trouver l’activité « Sudoku » (annexe I) adaptée au niveau et à l’âge des élèves. Lors des trois séances, les élèves ont dû, par équipes de deux, remplir une grille selon les règles du jeu Sudoku
2.
2 Le Sudoku est un jeu de logique dont le but est de remplir une grille avec des nombres selon la règle suivante : un même
nombre ne peut pas se trouver deux fois dans la même ligne, colonne ou zone proche.