B. MISE EN FORME DES DONNEES ET ANALYSE
3. Proposition d’une séquence d’activités coopératives
Suite aux difficultés rencontrées et aux résultats obtenus lors de cette étude, je propose une séquence clé en main (annexe XIII), quasiment identique à celle mise en place lors de cette recherche, comprenant quelques ajustements. Celle-ci permettra, à ceux qui le souhaitent, d’essayer tout comme moi, la mise en place d’activités coopératives avec réflexion critique, pour des élèves en début de scolarité.
Cette séquence est créée et décrite en fonction des éléments de base du dispositif
« Apprendre ensemble ». Afin que la lecture soit plus agréable, voici à nouveau le schéma sur
lequel je me base pour planifier une activité coopérative.
Fig. 1 : Schématisation des composantes de la méthode « Apprendre ensemble » (Buchs, sous presse).
Préparer les apprenants à coopérer
Structurer le travail en équipe
Les groupes restreints
Les groupes sont formés de deux élèves de manière aléatoire. Il est possible d’utiliser le système des étiquettes numérotées (annexe VI) selon lequel chaque élève tire au sort une étiquette avec un numéro et doit se mettre avec l’élève qui a le même numéro que lui.
La responsabilisation individuelle
Pour remplir leur grille, les élèves doivent poser chacun une partie des jetons ou des cartes (p. ex : un élève doit poser les jetons A-B et l’autre élève doit poser les jetons C-D).
Ainsi, chacun des membres a une part de responsabilité dans la tâche.
Les interactions constructives
En enseignant aux élèves des habiletés sociales telles que « encourager l’autre et féliciter », des interactions constructives prennent place au sein des équipes et facilitent le travail de groupe.
Le climat positif
Afin d’instaurer un climat positif au sein de la classe, je propose d’effectuer une activité de climat, « Le dé de nos préférences », au début de la première séance. Les élèves doivent, chacun leur tour, lancer un dé (sur lequel des illustrations sont collées sur chaque face, p. ex.
animal, jeu, couleur, dessert favori, saison, fruit) et doit annoncer, par exemple, sa couleur
préférée (selon la face du dé). Tous les élèves qui aiment la même couleur sont invités à venir
lui serrer la main (activité tirée de Poisson & Sarasin, 1996, p. 135, cités par Lehraus &
Berthiaud, non publié, p. 29).
Il est également souhaitable de discuter des différentes valeurs de la coopération (l’équité, l’ouverture à soi, aux autres et au monde, l’engagement, la solidarité, le respect mutuel, l’entraide) avec les élèves lors des réflexions critiques.
L’interdépendance positive
L’interdépendance positive est structurée premièrement de plusieurs manières. Tout d’abord, les élèves doivent remplir la grille à tour de rôle, la participation des deux élèves est ainsi nécessaire et l’interdépendance est liée à la tâche. De plus, les élèves reçoivent respectivement deux couleurs ou cartes différentes. Ainsi, il est nécessaire que chacun des élèves posent ses jetons ou cartes afin de terminer la grille, la participation des deux élèves est à nouveau sollicitée, l’interdépendance est ainsi structurée par les ressources. Afin de structurer l’interdépendance par les rôles, un rôle cognitif peut être ajouté lors de la seconde séance : celui de vérificateur. Chacun des élèves de l’équipe est vérificateur, cependant, pour que l’interdépendance soit positive, l’un des élèves s’occupe de vérifier les colonnes, tandis que l’autre vérifie les lignes de la grille. Les deux élèves peuvent vérifier ensemble les carrés.
Les habiletés coopératives
Plusieurs habiletés coopératives peuvent survenir au fil des séances et être travaillées. Je propose d’entraîner les élèves à attendre leur tour ; prendre sa place et laisser sa place ; vérifier, regarder ce que l’autre fait ; expliquer, montrer. Des exemples de propos ressortis lors des réflexions critiques de cette étude peuvent être consultés (annexe XII) comme source d’idées en vue d’une réflexion critique.
La réflexion critique
Au début et à la fin de chaque séance a lieu une réflexion critique. Cette dernière est
utile en début de séance pour rappeler les éléments liés à la tâche et ceux liés à la coopération
devant être respectés. En fin de séance elle est également très importante pour favoriser le
développement des habiletés coopératives.
CONCLUSION
Les objectifs de cette étude étaient de mettre en place une activité coopérative et de mener une réflexion critique avec des élèves âgés de 5 ans.
Quelques difficultés ont été rencontrées dues au jeune âge des élèves. En effet, les habiletés sociales ne sont pas entièrement développées chez la plupart des élèves (Chambers et al., 1997), en outre, ils possèdent encore un caractère égocentrique. C’est pourquoi, les faire interagir entre eux et leur faire prendre en compte l’avis d’autrui n’a pas toujours été évident.
De plus, ces élèves ont une attention de courte durée. Comme mentionné dans l’analyse, ce dernier point m’a posé problème lorsque j’ai dû définir une durée de réflexion critique, ni trop courte pour laisser le temps à la discussion de prendre du sens, ni trop longue afin d’éviter une déconcentration des élèves. Cependant, bien que quelques difficultés aient été rencontrées, sept habiletés coopératives sont ressorties lors des réflexions critiques, malgré le jeune âge des élèves et la courte durée de l’étude (trois séances par groupe d’élèves). Voici un rappel de ces habiletés coopératives : se mettre d’accord sur qui commence ; jouer à tour de rôle ; féliciter ; être gentil, respecter l’autre ; s’entraider ; vérifier, regarder ce que l’autre fait ; expliquer, montrer. Les trois premières peuvent être relatives au fonctionnement en groupes, les deux suivantes peuvent être travaillées en tant que valeurs de la coopération, tandis que les deux dernières favorisent les interactions constructives entre pairs. Ces différentes habiletés coopératives n’auraient sans doute pas été mises en évidence par les élèves si je n’avais pas mené avec eux une réflexion critique. En effet, « c’est à travers une prise de conscience de ce qui vient de se passer que les enfants peuvent dégager des pistes d’amélioration en vue de la prochaine activité en coopération » (Lehraus, 2002, p. 3).
Cependant, j’ai constaté que certaines de ces habiletés (l’entraide, le respect des autres) étaient déjà développées chez certains élèves puisque ce sont eux qui les ont énoncées.
Pratiquer l’apprentissage coopératif et mener une réflexion critique avec des élèves de 5 ans est donc réalisable. Il me semble cependant important de se rendre compte du temps d’investissement nécessaire à la mise en œuvre de séances d’apprentissage coopératif en classe. Bien que la plupart des ouvrages proposent des pistes et mettent en avant tous les bienfaits de cette pratique, il n’est pas toujours précisé qu’il s’agit d’une pratique qui n’est pas simple à mettre en place, encore moins en parallèle avec les contraintes d’un plan d’étude.
Il est donc possible, dès l’âge de 5 ans, d’effectuer des activités coopératives et de réfléchir
sur son travail. Cela prend du temps, les discussions ne sont pas évidentes à mener, mais les élèves sont généralement motivés, d’autant plus s’ils ont compris quel était l’objectif à atteindre et comment s’y prendre pour y parvenir.
Le fait d’avoir intégré une interdépendance positive liée aux récompenses a montré de l’intérêt quant à la motivation des élèves et à leur implication dans les comportements coopératifs. Cependant, il me semble qu’une activité qui motive les élèves intrinsèquement est une meilleure manière de procéder afin que la gratification extrinsèque ne devienne pas indispensable (Chambers et al., 1997).
Je peux désormais proposer quelques pistes (annexe XII) concernant la mise en place d’une réflexion critique avec des élèves de 5 ans, notamment sur l’introduction de la discussion et sur les questions et relances en lien avec le fonctionnement de groupe, mais également en lien avec la tâche.
Expérience personnelle
Après cette étude et ce début dans la vie professionnelle, je me rends compte de l’importance d’un climat de classe agréable. Celui-ci favorise l’apprentissage et le bien-être des élèves et il me semble important d’y prêter attention. La coopération n’est pas une pratique évidente à mettre en place. Elle demande du temps, de la réflexion, elle peut même parfois être décourageante. Cependant, les bénéfices au niveau social et au niveau de l’apprentissage des élèves valent l’énergie consacrée à sa mise en place. Les progrès, ou du moins les changements dans le comportement des élèves, sont visibles rapidement si les séances sont régulières et rapprochées et qu’elles contiennent des réflexions critiques permettant les interactions entre les pairs et l’enseignant.
Concernant ces réflexions critiques, j’ai pris conscience de leur importance lors de ce travail. Elles ne sont certes pas évidentes à mener et peuvent vite être décourageantes selon les premières réponses des élèves. Cependant, dès la deuxième séance je me suis moi-même sentie plus à l’aise et ce sentiment s’est développé au fur et à mesure des séances. Je pouvais reprendre des exemples concrets vécus par les élèves, je savais quelles questions poser sans avoir à trop les guider, et eux-mêmes commençaient à donner du sens à ces discussions et à comprendre le but du travail en coopération. Ainsi, je suis persuadée que même avec de si jeunes élèves et avec un peu de persévérance, les résultats peuvent être là.
Je suis satisfaite d’avoir pu « tester » cette pratique avant d’avoir ma propre classe,
d’avoir pu la mener du début à la fin, avec plusieurs groupes d’élèves, et d’avoir eu l’occasion
de réfléchir et d’analyser les différents échanges. Avoir trois différents groupes d’élèves m’a
permis d’analyser ma pratique et de me réguler au fur et à mesure. Grâce à cette recherche, je sais désormais à quoi m’attendre l’année prochaine, lorsque je souhaiterai mettre en place de l’apprentissage coopératif dans ma propre classe. Je reste cependant un peu frustrée quant au temps à ma disposition. Les discussions lors des réflexions critiques devenaient réellement intéressantes et il aurait été plus sensé pour les élèves que les objectifs discutés continuent d’être travaillés sur le restant de l’année.
D’un point de vue de chercheuse mais aussi d’enseignante, j’ai apprécié avoir des caméras filmant et enregistrant les interactions entre élèves. En effet, c’est grâce à elles, finalement, que j’ai pu revenir sur des exemples concrets lors des réflexions critiques et surtout que j’ai constaté les effets des discussions sur le travail de groupe des élèves.
Finalement, je pense qu’il serait intéressant et moins décourageant si on avait l’assurance que l’enseignant suivant continue la pratique l’année d’après avec les mêmes élèves. C’est pourquoi je conseille vivement de mettre en place de petites activités de coopération dès le début de l’année et dès les premières années de scolarisation. C’est ainsi que le travail sera le plus gratifiant selon moi.
Afin d’encourager les enseignants lisant ce travail à se lancer dans la pratique de l’enseignement coopératif, voici quelques ouvrages publiés récemment, traitant de la coopération au début de la vie scolaire : Sabourin, Bernard, Duchesneau, Fugère, Ladouceur (2002) ; Sabourin, Andreoli, Campeau, Gévry, Trudel, (2002) ; Howden et Laurendeau, (2005) ; Rouiller et Howden, (2010).
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Yager, S., The impact of group processing on achievement in coopérative Learning groups, Journal of Social Psychology, 126 :3 (1986 : June) p. 389
Séminaires suivis :
Séminaire de recherche 7524AM : Interactions entre apprenants et apprentissage.
(2013-‐2014) donné par Céline Buchs
Séminaire CCEP F4P10202 : Apprentissage coopératif : jalons pour une mise en œuvre.
(2012-‐2013) donné par Katia Lehraus
Séminaire EAT2 -‐ UF 742722 : Régulation des processus d’apprentissage et évaluation.
(2011-‐2012) donné par Walter Tessaro
ANNEXES
ANNEXE I – Grille de planification de l’activité