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Article pp.213-266 du Vol.115 n°1-2 (1994)

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COMPTES RENDUS

HISlOIRE DES SOENCES

Rudolf STICHWEH, Etudes surlagenese du systeme scientifiquemodeme. Trad. de I'allemand Fabienne BlAISE. Villeneuve-d'Ascq, Presses universitaires de Lille, 1991. 16 x 20, 209 p. («Opuscule», 7).

Lefonctionnalisme universel a peu d'adeptes en France, si I'on excepte lestra- vaux d'Edgar MorinI. Sans doute connait-on les ecrits de Talcott Parsons, mais l'eeuvre de Niklas Luhmann, dont cette theorie s'inspire directement, n'a jamais ete traduite. Consacre Iila genese du systeme scientifique moderne, tardivement constitue, I'ouvrage deR Stichweh2place au centre de sa demarche la notion de

«differenciation fonctionnelle».L'auteur se situe d'emblee, par Ie biais de l'etude des processus de differenciations interne et externe, dans une approche historique - faut-il dire genetique ? - des choses. On assiste auXIX·siecle non seulementIi la mise en place d'une structure nouvelle des disciplines scientifiques, mais aussiIi un changement dans la conception meme de ce que represente la discipline. C'est done sur ce passage que I'auteur va centrer son analyse. Comprises auparavant comme Ie lieu d'un savoir assure, selon une typologie fondee sur la structure du monde exterieur, les disciplines s'organisent au debut du xIX" siecle en fonction d'un systeme interne qui les subsume.

A

la hierarchie des savoirs (philosophie, mathematiques, histoire) se substitue une nouvelle organisation des formes du savoir dans laquelle la science tWissenschaftt; terme desormais generique, devient le critere central. Cette differenciation interne se double d'une distance prise pro- gressivement face au monde non scientifique que concretise Ie modele de I'Uni- versite. Si ces deux processus de differenciation se superposent et interagissent l'un sur I'autre - ainsi la formation de l'Universite ne signale-t-elle pas la dispari- tion des Academies mais seulement une modification de leur activite -, Ie pro- cessus historique se caracterise par une translation, Ie role moteur etant desormais assume par l'evolution interne au systeme scientifique et non plus par ses rapports

I. EdgarMORIN,La Methode. I,Paris, Seuil, 1977.

2. II s'agit en fait d'un recueil de textes.Lepremier d'entre eux reprend Ie premier cha- pitre de son ouvrage consacre

a

la Genese des systemes modemes des disciplines scientifiques.

La physique en Allemagne de 1740a1890 paru en 1984

a

Francfort. Les trois autres reprennent des articles parus depuis.

(2)

214 REVUE DE SYNIHESE : IV" S.N'" (..2, JANVIER-JUIN 1994

avec le monde exterieur, Le positionnement de chacune des disciplines par rap- port aux autres l'emporte done sur l'autonomisation du systeme dans son ensemble.

Laconstitution de la science comme systeme fonctionnel, selon Ie modele luh- mannien, serait incomprehensible sans une transformation corollaire de la societe europeenne, passant, elle aussi, d'une organisation en strates et en etats

a

une definition fonctionnelle de chacun de ses membres. Cette mutation genere des besoins et des possibilites d'information

a

la fois entre la societe et son systeme scientifique. C'est sur cet espace d'informations que ce dernier va conquerir son autonomie. En etTet, le systeme scientifique ne tire plus ses informations de l'exte- rieur mais les constitue en son sein. Son savoir repose desormais moins sur l'observation empirique des faits que sur la reconstruction au sein d'un systeme de pensee des conditions d'observation. Ce qu'illustre par exemple la methode cri- tique kantienne. L'apparition de problematiques communes engendre done la mise en place de relations entre les differentes disciplines, en meme temps qu'elle pousse

a

la constitution d'une communaute scientifique.

C'est egalement en reference

a

la theorie luhmannienne du social qu'il faut comprendre Ie lien etabli par R. Stichweh entre l'organisation de l'Etat allemand et celIe de l'Universite, et l'efficace qui en decoule. Des trois pays phares du xvn' siecle - la France, l'Angleterre et l'Allemagne -, c'est en effet dans cette derniere qu'a pris forme le plus rapidement Ie nouveau modele d'organisation scientifique. On ne peut d'ailleurs s'empecher de lire dans les developpements qui suivent une analyse assez classique

a

la fois dans le traitement de la distinction entre Acadernie, assimilee au savoir erudit, et Universite comme dans la celebra- tion de l'Universite allemande. R. Stichweh cherche

a

reperer dans la construction de la nouvelle Universite allemande la convergence d'un ideal universaliste et d'une evolution des structures. II interroge done en seconde partie la formation du modele scientifique moderne du point de vue des legitimations. Facon d'ecarter Ie reproche fait au fonctionnalisme de negliger l'existence de limitations internes au systeme jusqu'a faire de celui-ci une puissance absolue. Si l'on retrouve dans son analyse de la constitution d'une communaute scientifique le tryptique «normes, motivations, legitimations», il n'elimine pas, semble-toil, le role du sujet dans l'interiorisation des normes legitimant son activite en tant que specialiste, La theorie de laHi/dung permet ainsi

a

travers son universalisation et l'extension

a

la science de l'idee d'individualite de conserver sa place

a

l'individu.

Lesysteme scientifique moderne peut done s'analyser du point de vue de R. Stichweh comme un «systeme autopoietique ». Si la demonstration parait convaincante en ce qui concerne l'auto-production des elements du systeme et au total du systeme lui-meme, l'argument selon lequel la science est elle-meme pro- ductrice de ses propres fins semble plus contestable. Les debars actuels empechent en effet de voir dans la science un systeme aux frontieres etanches, sauf

a

la considerer comme un sous-systeme(«systeme fonctionnel»), lui-meme produit d'une organisation plus vaste analogue au systeme politico-administratif autonome et auto-suffisant decrit par Luhmann et d'ou le sujet est exclu. Ce qui n'est semble-toil pas la theorie de Stichweh. Reste que cette premiere traduction, dont on ne soulignera pas assez la difficulte, qui temoigne de la vigueur outre-

(3)

COMPfES RENDUS 215 Rhin de la reflexion sur la post-modernite, vient combler une lacune importante dans la connaissance francaise de ce debat.

Perrine SIMON-NAHUM.

La Science sous le Troisieme Reich. Victime ou alliee du nazisme? Sous la dir. de Josiane OLFF-NA1HAN. Paris, Seuil, 1993. IS,S x 24, 336 p., index.

L'histoire:des sciences est toujours aussi celle des cultures et des societes, si bien qu'aucune science n'a jamais pu pretendre vraiment a l'apolitisme. Cela est d'autant plus vrai pour un regime aussi totalitaire que Ie Troisieme Reich qui,a priori,ne pouvait tolerer qu'un secteur aussi capital lui echappat. Quels ont ete les mecanismes d'ingerence, de politisation puis de soumission des sciences par les nazis? Quelles ont He, de la resignation a l'opportunisme et de la passivite a la collaboration la plus zelee les positions des savants et, finalement, la contribution des differentes disciplines a la guerre et a l'holocauste? Voila les questions aux- quelles repond cet ouvrage qui rassemble des textes issus de seminaires organises par Josiane Olff-Nathan de l'universite de Strasbourg sur le theme «Nazisme et science».

Douze textes regroupes en deux chapitres, intitules «De I'opportunisme poli- tique des sciences "dures"» « ...au durcissement ideologique des sciences biolo- giques et humaines », sont Ie fruit d'un minutieux travail de recherche accompli par une jeune generation d'historiens des sciences critiques et - tout au moins en ce qui conceme les coauteurs allemands - d'autant plus concernes et engages qu'il s'agit pour eux egalement de«resoudre Ie probleme de leur propre identite en etudiant l'intrication du normal, de I'historique et de l'horreur».

En ce qui conceme les sciences «dures», on supposait communement que la catastrophe du Troisieme Reich pouvait etre reduite a une tentative de perversion de leurs contenus par quelques nazis convaincus dont Ie role en tant que scienti- fiques aurait finalement He plutot marginal (par exemple Lenard et Stark en ce qui conceme la deutsche Physik). Sur la base de cette image simpliste, de nom- breux scientifiques de l'epoque ont pu, apres coup, pretendre avoir ete apolitiques et n'avoir pactise avec les nazis que par contrainte et pour eviter Ie pire et, en quelque sorte, sauver leur science en attendant des jours meil1eurs (telle a, par exemple, ete la position revendiquee par Heisenberg). Cependant, les cas presen- tes par les auteurs demontrent sans equivoque qu'il ne saurait etre question de voir en la science une victime innocente. Si les physiciens de valeur se sont presque unanimement dresses contre ladeutsche Physik, ce n'etait nullement par opposition au regime et a l'antisemitisme, mais uniquement par opportunite scientifique. Entre les trop rares savants qui ont opte pour l'emigration et ceux qui se sont pretes a une ideologie qui ne leur deplaisait nullement, il y avait une vaste

«zone grise» dans laquelle evoluaient la plupart des scientifiques : ils formaient un milieu essentiellement conservateur et corporatiste et accepterent bien facile- ment de se plier aux exigences d'un pouvoir, soucieux avant tout de se donner toutes les apparences de la legitimite.

(4)

216 REVUE DE SYNlHESE : IV'S.N'"1-2, JANVIER-JUIN 1994

Les sciences biologiques et humaines ont, quant

a

elles, precisement joue un role majeur de legitimation. L'emergence (bien avant Ie Troisieme Reich et pas seulement en Allemagne) d'un eugenisme pseudo-scientifique a servi une anthro- pologie raciste qui foumira aux nazis toutes les justifications dont ils avaient besoin, et sans lesquelles Ie genocide et la pratique massive de l'euthanasie, des sterilisations et des experiences sur des sujets humains n'auraient probablement pas ete possibles et, en tout cas, pas dans les dimensions que l'on sait.

Si certains de ces articles, par Ie detail de leur contenu, s'adressent essentielle- ment aux historiens des disciplines en question, la plupart d'entre eux pourtant sont susceptibles d'interesser un public beaucoup plus large. Car il s'agit bien ici d'histoire des sciences au sens Ie plus fructueux du terme, et non pas, comme c'est trop souvent Ie cas sous pretexte d'epistemologie, d'une simple historiographie qui evite, voire empeche l'analyse socio-politique precise. Un ouvrage dont Ie plus grand merite n'est peut-etre pas tant d'eclairer une epoque particulierement dra- matique de notre histoire que de foumir des arguments de poids pour une tres actuelle discussion du probleme de la responsabilite des sciences et des savants.

Jean-PaulGUIOT.

Michel HULIN, Le Mirage et fa necessite. Pour une redefinition de fa formation scientifique de base. Textes rassembles et presentes par Nicole HULIN, avec la collab. de Michel BLAY. Paris, Presses de I'Ecoie normale superieure/Palais de la Decouverte, 1992. 15,5 x 24, 337 p.

Nicole Hulin, aidee de Michel Blay, a eu l'excellente idee de regrouper une serie de textes sur I'enseignement des sciences - principalement de la physique, bien sur - rediges par Michel Hulin de 1970

a

1988. Plusieurs de ces textes sont inedits, Ce livre meriterait,

a

vrai dire, bien plus qu'un simple compte rendu. Mon ambition, ici, est done surtout de donner, aux abonnes de la Revue de synthese, I'envie de Ie lire.

Sa publication survient Ii un moment ou son contenu est particulierement d'actualite. Les responsables de l'education nationale s'inquietent fort3 de l'absence de culture scientifique d'une fraction tres forte des futurs professeurs des eccles, titulaires d'une licence autre que scientifique ou technologique".Lasitua- tion est d'aiIIeurs plus grave qu'il ne parait, II ne s'agit pas seulement d'une carence de connaissances. M. Hulin note que Ie systeme educatif francais rejette 96,7%des eleves en dehors des filieres scientifiques et, ajoute-t-il,«les 96,7%eli- mines gardent un degout profond de ce qui est scientifique»(p.327). C'est pour 3. LaDirection des Eccles et celie de I'Enseignement superieur etudient comment, dans Ie cadre de la formation initiaJe des maitres, il serait possible de communiquer,

a

ceux de l'ecole elementaire, la culture scientifique et technique minimale leur permettant d'enseigner

a

des enfants vivant dans un environnement de plus en plus conditionne par les sciences et les techniques et leurs applications.

4. Et ayant, pour la plupart, des baccalaureats litteraires, economiques, etc.

(5)

COMPfES RENDUS 217 Ie moins facheux chez le simple citoyen; c'est catastrophique pour des personnes qui auront

a

eveiller les enfants

a

l'esprit et

a

la connaissance scientifiques. Ce blo- cage de la plupart des enseignants de l'ecole elementaire conceme, comme Ie fait remarquer M. Hulin, les mathematiques et, peut-etre davantage encore, les sciences physiques dont l'enseignement dans notre pays a progressivement devie

«vers cette mathematique du pauvre, etroitement formelIe, faussement deductive, qui les defigure completement»(p. 76).

M. Hulin a participe activement aux travaux de la commission de reforme de l'enseignement de la physique (dite «commission Lagarrigue» du nom de son premier responsable)

a

partir de 1971. La relation qu'il nous fait des tentatives successives de reforme de 1970

a

1988, son analyse de leurs echecs et des raisons de ces echecs, sont aujourd'hui extremement precieuses. La derive de cet ensei- gnement est ancienne. Elle tient notamment« lil'envahissement par les mathema- tiques deliberement les plus abstraites»(p.41), refuge de maitres peu familiers avec la pratique experimentale, et la plupart du temps depourvus du materiel (et du personnel) de laboratoire qui aurait ete necessaire, Pour vaincre des habitudes ancrees de plus en plus profondement au til des ans, il faut, entre autres, une volonte politique forte, qui se traduise dans les programmes mais aussi par des moyens financiers et humains accordes aux novateurs. L'exemple des refus gou- vemementaux d'accorder aux sciences physiques (et

a

d'autres disciplines!) ce qui avait ete, un temps, attribue aux mathematiques5est

a

cet egard significatif. Des travaux de la commission Lagarrigue sont issus (au-dela des propositions de reforme qui n'ont ete reprises qu'incompletement et en les deformant) plusieurs laboratoires de recherche en didactique des sciences physiques existant actuelle- ment: celui de M. Hulin lui-meme (qui s'est surtout interesse

a

l'enseignement superieur), celui de Goery Delacote et Jean-Louis Martinand, etc. Gracelieux, la didactique de la physique occupe aujourd'hui en France un rang plus que tres honorable, derriere celle des mathematiques sans doute (l'existence des I.RE.M.

a, la, fortement pese), mais nettement devant celIe des autres disciplines.

La responsabilite de la direction du Palais de la Decouverte, assumee par M. Hulin de 1981li1988, est interessantelisuivre parce qu'il a pu, dans ce cadre prestigieux, commencer

a

mettre en oeuvre certaines de ses idees. En se battant, d'abord, pour l'existence de l'institution (menacee de disparaitre au moment de la creation de la Cite des Sciences de la Villette), en Ie renovant ensuite tout en maintenant les caracteres qui en font l'interet et I'originalite. II n'a malheureuse- ment pas pu mener ces reformes

a

leur terme.

L'interet majeur du livre reside dans les propositions que M. Hulin formule pour l'enseignement de la physique et, au-dela, pour «la creation et la diffusion d'une culture scientifique et technique»6. «Nous sommes vouesli l'ignorance, 5. Avec la creation des Instituts de recherche sur l'enseignement des mathematiques (I.RE.M.) qui ont beneficie, au depart, de postes et de moyens raisonnables. Ces derniers ont biendirninue depuis mais la structure demeure et Ie financement, meme reduit, existe quandmeme,

6. Conference prononcee en octobre 1985 aux Journees de I'Union des physiciens

a

Cler- mont-Ferrand, p. 307-320.

(6)

218 REVUE DE SYNIHESE :IV'S.N""1-2, JANVIER-JOIN 1994

dit-il, mais nous pouvons - nous devons - encore lutter pour que ce soit une ignorance de qualite, celie d'un esprit qui reste eurieux, ouvert, critique, actif'»

(p.320).

Comme le fait

a

differentes reprises remarquer I'auteur, les programmes de physique - tout au moins au long de lascolarite obligatoire - ne devraient pas etre concus essentiellement pour former ulterieurement des professionnels de la discipline, c'est-a-dire ceux qui la creent (principalement les chercheurs). «Rap- pelons seulement, ecrit-il, que I'enseignement des sciences physiques doit viser non pas

a

former des physiciens ou des chimistes mais

a

apporter un element de culturegenerale

a

deseleves tresdivers. Certains se toumeront vers des carrieres medicales, economiques, litteraires ;d'autresmemeabandonneront Ielyceeen fin de 3"; il faut d'abord les armer pour leurs etudes ou leurs activites profes- sionnelles futures. L'on ne portera d'ailleurs aueun tort aux futurs physiciens, ingenieurs ou techniciens en considerant les finalites de leur enseignement d'un point de vue general, et sans viser

a

leur foumirtres tot des connaissancesspeci- fiquement adaptees

a

leurs seuls besoins. Nous devons certes tenter de susciter quelques vocations pour nos disciplines, mais surtout informer les enseignants des realites (techniques, conceptuelles, methodologiques) qui leur sont, jusqu'ici, res- tees insuffisammentfamilieresalors qu'ellessontune des caracteristiquesfonda- mentales de notre temps.

A

cette information doit s'ajouter une formation (par I'observation, I'activite pratique et l'exercice de la reflexion theorique) qui trouvera

a

s'employer dans les domaines les plus divers et dont les sciences physiques offrent I'occasionexem- plaire»(p. 57-58).Le texte du 14 octobre 1971, d'ou ce passage est extrait, s'inti- tule«Remarques preliminaires relatives

a

l'enseignement dit de .. technologie "» (p. 51-61) et constitue, apres un certain nombre de definitions prealables, un veri- table programme d'action dont les reformateurs pourraient heureusement s'inspi- rer.

L'opposition, definie par M. Hulin, entre«disciplines qui s'enseignentx(latin, mathematiques), pour lesquelles les methodes de type traditionnel peuvent mar- cher avec une fraction au moins des eleves et celles qui ne «s'enseignent pas [...

J

(par Ie biais d'un expose discursif essentiellement lineaire») (p. 126) peut eton- nero Elle est reprise

a

differents endroits et developpee dans un expose de juin 1987 : «Ia Physiqueou l'enseignement impossible» (p. 147-176) ou il pre- cise :«La Physique des physiciens ne s'enseigne pas» (p. 147). II s'agit notam- ment d'expliquer que, faute du bagage rnathematique de niveau eleve indispen- sable, de la pratique de terrain (du laboratoire en I'occurrence) necessaire, Ie non-specialiste reste obligatoirement, au mieux, au niveau d'une connaissance generale (bien) vulgarisee, bref de ce que M. Hulin baptise «une ignorance de qualite», laquelle doit inclure une comprehension des enjeux et une approche epistemologique. II envisage done de distinguer,

a

partir d'un certain niveau, les eleves qui saisissent manifestement et peuvent etre consideres comme d'eventuels futurs physiciens professionnels ; en effet, pour lui, il est vain - voire nuisible - d'enseigner

a

la totalite des eleves une pale transposition, obligatoirement defor- mee, de la physique des chercheurs, laquelle se traduit majoritairement, dans un premier temps, par une incomprehension, dans un deuxieme par un rejet.

L'auteur propose de la remplacer, dans Ie cas general, par ce qu'il appelle de la

(7)

COMPfES RENDUS 219

«protophysique». La formation du professionnel, elle, intervient posterieure- ment. II suit, certes, un enseignement pertinent, mais surtout il se construit sa connaissance de la physique, par sa recherche documentaire et les acquis theo- riques qu'il recueille, et par sa pratiqueexperimentale,

Nous trouvons dans cet ouvrage quantite de remarques et de propositions inte- ressantes. Entre autres : l'insistance avec laquelle M. Hulin revient sur la necessite pour un simple citoyen (si l'on a en vue Ie bon fonctionnement d'une reelle demo- eratie) de posseder un minimum de comprehension des sciences, si I'on souhaite qu'il saisisse les elements et la portee des choix qu'on lui propose quelquefois (et ne s'en remette pas aveuglement au jugement des «experts») ;I'attention portee au cas des eleves-instituteurs (aujourd'hui eleves-professeurs des ecoles7); Ie besoin imperieux, affirme plusieurs fois, d'une bonne comprehension de la langue (francaise )...

Et, comme je ne saurais tout dire ici, je repete : enseignants (de sciences et autres), didacticiens, fonnateurs des maitres, reformateurs, ..., lisez ce livre.

Jean Rossroanuc.

Feminist Epistemologies. Ed. and with an introd, by LindaALCOFFand Elizabeth

POTIER. New York/Londres, Routledge, 1993. 15,3 x 23, 256 p., bibliogr.,

index («Thinking Gender»).

Cette anthologie rassemble dix essais originaux (precedes d'une introduction) sur la theorie de la connaissance, ecrits par des philosophes et des specialistes d'etudes feministes anglophones. Letitre n'implique en aucun cas que les ques- tions traitees relevent d'une exploration du «feminin»; il fait seulement refe- rence aux origines des reflexions et des approches multiples proposees dans Ie recueil, Issues d'une critique feministe de resultats ou de demarches presentes comme scientifiques, particulierement dans le domaine des sciences naturelles et sociales, elles articulent interrogation de leur ideologie sous-jacente et souci de repenser en general les theories philosophiques traditionnelles de la connaissance.

Des voies variees ont

ete

suivies pour cela : contrairement

a

la situation franeaise ou ces recherches restent marginales8, elles fonnent un domaine academique important, en plein essor, dans les pays anglo-saxons et au Quebec, et il est peut- etre utile d'en rappelerici quelques composantes qui servent de toile de fond

a

la

plupart des articles.

Une premiere attitude a consiste

a

critiquer la mise en ceuvre de certains travaux scientifiques, sans remettre en cause la legitimite de la demarche scientifique elle- 7. Voir notammentp.36 mais Ie meme theme se retrouve

a

d'autres endroits du livre.

8. Voir toutefois: Ie bilan de l'A.T.P. 6 du C.N.RS., Recherches sur les femmes et recherches feministes,2 vol., Paris, Ed. du C.N.RS., 1989; MicheleLE Da;uFF, L'Etude et Ie rouet,Paris, Seuil, 1989; ColetteGUILLAUMIN,Sexe, race et pratique du pouvoir : l'idee de nature,Paris, Ed. Cote-femmes, 1992.

(8)

220 REVUE DE SYNJl{ESE : IV S.N'"1-2, JANVIER·JUIN 1994

mme, et

a

reclarner une meilleure application - ou aurnieuxun raffinement - de ses normes, de maniere

a

en eliminer les biais sexistes (ou racistes aussi bien).

Les tenants et tenantes de cette position, designes comme «empiristes femi- nistes»dans le livre, ont par exemple recuse la pretention d'observations basees sur l'etude des seuls males

a

determiner globalementlesrapports entre individus dans certaines societes animaJes ; ils ont analyse la partialite des selections et des tests utilises dans les etudes qui coneIuent

a

l'inferiorite intellectuelle ou morale des noirs, des femmes, des homosexuels, etc.

Niant en revanche qu'il soit possible d'eliminer de la science les effets de classe, de sexe, de couleur, les philosophes en faveur d'une«epistemologie de position»

ont suggere de fonder une theorie de la connaissance de maniere preferentielle sur les processus cognitifs des opprimes et des exclus : la reference, souvent explicite, est iei la these marxiste selon laquelle le point de vue du proletariat est privilegie pour reconnaitre le fonctionnement ideologique des rapports sociaux. Cette stra- tegie s'est ramifiee de diverses facons, dont plusieurs sont representees dans le livre: les unes ont privilegie exclusivement le point de vue feminin (evidemment

a

definir au passage) en suggerant qu'une science «autre», par exemple plus

«comprehensive», ou plus soucieuse de I'environnement, pourrait en resulter, D'autres ont, au contraire, souligne l'interet de prendre en compte toutes sortes de points de vue, differents, mais epistemologiquement non hierarchises : la connaissance ne pouvant etre neutre, son objectivite devrait, paradoxalement peut-etre, sortir renforcee de ce qu'elle serait capable d'anaJyser, de rendre compte, des formes variees d'approche, de validation des resultats, que represen- teraient ces differents points de vue. En forcant Ie trait, on pourrait dire que oonnaitre ne signifie pas la meme chose pour une lesbienne pauvre de Chicago, une inteileetuelle de Ouagadougou et un pere de famille

a

Budapest, mais que tous oes modes de connaissance sont dignes d'etre analyses. Qui plus est, qu'il faut faire ressurgir ces positions speeifiques de l'enonce cognitif lui-meme.

Une critique plus radicale encore est venue, bien sur, des tendances post- modernistes, pour lesquelles ancune base n'existe pour une epistemologie convaincante : toute opinion est egalement acceptable et rien ne distingue, ni a fortiorine valide, les fondements d'un acte qui serait authentiquement cognitif.

Hors de ces positions marquees sont apparues d'innombrables variantes, Un trait cornmun

a

tous les articles du recueil est, il me semble, la volonte d'aller plus loin dans la critique que les ernpiristes feminisees tout en recusant le relativisme absolu : cornme le remarque energiquement Sandra Harding, celui-ci ne peut etre satisfaisant que pour quelqu'un situe deja dans une position privilegiee car il ne Iournit aucune base

a

une transformation possible du monde. L'autre trait com- mun, plus ou moins explicite, de ces articles est justement Ie desir d'une action effective, et les editrices insistent dans leur introduction sur I'importance d'une interrogation reflexive des auteurs de ces essais pour tester leurs fondations epis- temologiques sur le terrain coneret du social.

Mais les angles d'attaque et les questions precises abordees par les differents auteurs sont par ailleurs tres varies. Si l'on admet que l'epistemologie classique (au moins anglo-saxonne..,) vise

a

rendre compte soit de I'exercice scientifique,

(9)

COMI'fES RENDUS 221 soit (de maniere non exclusive) d'enonces du type«S connait p»,ou S est un sujet, individuel mais neutre, desincarne, immuable, indifferent, garde hors du champ de mire des philosophes, et p un objet, en general inanime ou traite autant que possible comme tel, tous les termes, et leurs relations, peuvent etre pris

a

par- tie tour

a

tour. L. Code suggere ainsi de travailler sur d'autres situations cognitives plus complexes (comme celles intervenant dans la connaissance d'une personne);

S. Harding preconise une variante de l'epistemologie de position qui restitue l'importance du sujet dans l'analyse de l'acte cognitif; B.A. Bar On et H. E. Lon- gino articulent les differentes options disponibles avec la structure des pouvoirs, discursifs ou sociaux, au cceur de toute connaissance; L. H. Nelson recommande de considerer les communautes, et non les individus, comme fondements, initia- teurs et propagateurs des connaissances; E. Potter souligne l'importance des options sociales dans les macro-decisions scientifiques; E. Grosz souhaite resti- tuer au corps, lieu d'exercice d'un vecu social, sa fonction cognitive; V. Dalmiya et L. Alcoff revalorisent d'autres formes, non articulees ou non ecrites, de savoir ou de connaissance (en insistant sur la necessite de les distinguer pourtant theorique- ment d'un simple savoir-faire); S. E. Babbitt reclame une theorie de la delibera- tion rationnelle qui puisse rendre compte des processus de transformation des individus au cours de et par ces actes rationnels; K.P. Addelson montre que la forme meme d'une question epistemologique est modelee par Ie debat social ou elle emerge et done par une convivialite intellectuelle specifique.

L'ensemble des articles est bien ecrit et riche d'informations et de modeles ; une large gamme d'exemples est appelee

a

la rescousse, depuis les differentes opposi- tions aux theories de «l'homme-chasseur comme source majeure de l'evolution humaine »,jusqu'aux enjeux politiques des options scientifiques de Boyle, en pas- sant par une analyse du role des sages-femmes, l'evolution des personnages des romans d'Alice Walker et du Mahabharata, et bien d'autres.

Se dessinent en filigrane au moins trois autres pistes de reflexions supple- mentaires : !'insertion sociale de la philosophie contemporaine, plusieurs textes evoquant concretement l'intervention des philosophes dans les debars publics (en ethique, par exemple). L'histoire des sciences, en particulier les courants du constructivisme social, aptes

a

soutenir des orientations epistemologiques qui visent toutes

a

faire ressurgir des relations sociales precises des phenomenes cognitifs : les travaux de Woolgar et Latour, mais aussi Ie renouvellement recent des recherches sur les debuts de la methode experimentale au xvn" siecle, sont ainsi appeles

a

temoigner (mais reciproquement leur sont proposees aussi d'autres legitimations). Enfin, pour les lecteurs francais, ces etranges passages de l'ocean de certains philosophes qui servent de points de reference dans plusieurs articles:

Foucault, Irigaray, Lyotard, et Duhem Iui-mernet I); Ie phenomene rappelle, toutes proportions gardees, l'interet pour Koyre des cercles anglo-saxons mar- xistes des annees 60. II y a quelque malice dans ces translations tant geo- graphiques que culturelles, car les ceuvres semblent parfois citees contre leurs auteurs, lorsqu'on en connait l'evolution. L'absence de toute mention d'Aithusser, dont Ie travail (sur les pratiques theoriques) semble pourtant pertinent pour plu- sieurs des themes abordes, est tout aussi revelatrice de ces decalages.

(10)

222

REVUE DE SYNIHESE :IV'S.N'"1-2, JANVIER-JUIN 1994

Comme dans tout recueil de ce type, l'interet des articles (et surtout leur nou- veaute) est inegal" et chacunydesignera ses favoris. lis constituent ensemble une excellente introduction Ii ce champ d'etudes auquel l'abondante bibliographie donnerad'ailleurs un meilleur acres encore. Alors que certains travaux du courant rationaliste liberal (Rawls entre autres) sont actuellement importes en France, alors meme que la reactivation politique de theses racistes, defendues au nom de la liberte scientifique, estIil'ordre dujour (P. Rushton, A. Carrel), il n'est pas inu- tile de temoigner qu'une reflexion se poursuit sur d'autres bases, hors de l'alterna- tive sans surprise entre idealistes rationalistes et idealistes relativistes,

CatherineGOLDSTEIN.

Ugo BALDINI, Legem impone subactis. Studi su filosofia e scienza dei Gesuiti in Italia. 1540-1632. Rome, Bulzoni, 1992. 17 x 24, 600 p., index (« Collana dell'Istituto di filosofia dell'Universita degli Studi G. d'Annunzio di chieti»), S'il fallait une nouvelle preuve que le dynamisme de la recherche et la rigidite des champs disciplinaires ne font pas toujours bon menage, J'ouvrage de l'italien U. Baldini,Legem impone subaais, vient nous l'apporter, Ce premier livre du phi- Iosophe et historien des sciences, specialiste de la «science des Jesuites» Ii la charniere de la Renaissance et de I'epoque moderne, est Ie fruit d'un travail de plus de dix annees consacrees aux depouillements d'archives, II interesse les his- toires specifiques, histoire de l'education, de la culture, des sciences, de la philo- sophie, que, en regie generale, les specialistes meconnaissent. II apporteIichacun des informations et des pistes de reflexion nouvelles.

Avec les qualites et la rigueur qui sont attendues d'un historien,U.Baldini s'est immerge dans les fonds italiens de la Compagnie de Jesus10et en a exhume matiereIidifferents articles reunis ici, pour une premiere synthese sur Ie role du Collegio Romano comme instance de constitution et de diffusion de la science jesuite. Cette premiere synthese est d'autant plus remarquable qu'elle vient combler un vide historiographique particulierement criant11. Elle propose en outre d'eclairer Ii la lumiere des avancees les plus recentes de la recherche, la 9. On pourra, par ex., se reporter

a:

Feminism and Science,ed. NancyTUANA,Blooming- ton&Indianapolis, Indiana University Press, 1989, pour apprecier en perspective ce recueil.

10. Les documents concernant les instances centrales de l'ordre ignacien sont principaie- ment regroupes dans trois lieux : l'Arehivium Romanum Societatis Iesu, l'Archivio Pontifi- cale dell'Universita Gregoriana (il s'agit de l'ancien Collegio Romano) et Ie fonds jesuite de la Biblioteca Nazionaie Vittorio Emmanuele. D'autres sources, notamment pedagogiques, se trouvent dans des bibliotheques universitaires ou communales.

II. En effet, Ie seul ouvrage disponible sur cette question offre une bonne vue d'ensemble de l'histoire de cet etablissement. Pourtant, des lors qu'il aborde des problemes precis, il est tres insuffisant: RiccardoVILWSLADA,s.j., Storia del Collegio Romano dol suo inizio (155/) alla soppressione della Compagnia di Gesu(/773), Rome, Universita Gregoriana, 1954.

(11)

COMPTES RENDUS 223 question hautement polemique du rapport des Jesuites avec la science moderne dans la periode de genese de la pensee galileenne.

C'est la rencontre avec Christophe Clavius, mathematicien de la Compagnie de Jesus au Collegio Romano entre 1563 et 161112,qui a determine le philosophe

a

s'engager dans cette etude. De fait, la figure du mathematicien allemand structure l'ensemble du livre, tout comme son activite et ses travaux avaient,

a

partir des annees 158013, determine une orientation scientifique de la formation intellec- tuelle au sein de la Compagnie par le biais de l'organisation d'une Academie de mathematiques14. Et c'est l'un des acquis les plus importants de cet ouvrage d'U. Baldini que de nous avoir appris et montre l'importance de cet«Euclide du xvn" siecle»pour le developpement des mathematiques en milieu jesuite,

S'appuyant sur l'etude de nombreuses archives souvent inconnues et toujours inedites, U. Baldini consacre des lignes passionnantes

a

l'analyse des positions de Clavius face aux grandes mutations qui affectent mathematiques et cosmologie de son temps. Ainsi, par exemple, il se livre

a

la publication15et

a

l'etude d'un frag- ment inedit d'une Theoria Solis redige par Ie pere mathematicien qui permet d'eclairer la question de la reception du systeme tychonien dans la Compagnie.

Lastructure de l'ouvrage rend compte de la richesse des themes abordes. La premiere partie,

a

caractere general, est consacree

a

la dimension doctrinale et ins- titutionnelle des questions scientifiques abordees par la Compagnie dans les annees 1550-1630.Laseconde traite de l'ecole de Clavius et de la crise de la theo- rie astronomique : c'est dans ces deux cents pages que se situe l'apport Ie plus decisif et le plus original du travail d'U. Baldini. Enfin, la troisieme partie ouvre la reflexion sur les rapports entre le centre romain et les provinces peripheriques

a

travers l'etude d'un autre pole de l'activite scientifique, la province de Venise dans la premiere moitie du xvn" siecle.

Les onze chapitres16sont ainsi distribues selon une demarche progressant du general au particulier : les grandes problematiques correspondant au theme de 12. Cette rencontre a ete d'autant plus determinante que U. Baldini s'est lance sirnultane- ment dans l'edition complete de la correspondance du mathematicien jesuite, en collab. avec un autre historien des sciences italien, P.-D. Napolitani. Cette entreprise considerable a abouti a la publication de 336 lettres echangees avec 98 personnalites differentes, parmi les- quelles les principales figures de la science pendant cette peri ode : Christoph CIAVIUS,Cor- rispondenza, 7 vol., a cura di U. BALDINI e Pia-Daniele NAPOLITANI, Pise, Universita di Pisa, Sezione di didattica e storia della matematica, 1992.

13. Acette question, U. BALDINI a deja consacre un remarquable article, qui n 'est pourtant pas repris ici :« Christoph Clavius and the Scientific Scene in Rome », inGregorian Reform ofTheCalendar. Proceedings of the Vatican Conference to Commemorate its 400" Anniver- sary. 1582-1982, ed. by George V. COYNE, MichaelA.HOSKIN, Olaf PEDERSEN, Rome, Cite du Vatican, 1983, p. 137-169.

14. Cet aspect de l'ceuvre de Clavius, peu developpe dans l'ouvrage, est eclaire par des pages tout a fait pertinentes dans la presentation de la correspondance citeesupra n. 3, vol. I, I"partie, p. 68-83.

IS. Letexte est edite en appendice aux p. 469-564.

16. II faut souligner que sept d'entre eux avaient deja ete publies dans diverses revues spe- cialisees, Pour les quatre inedits, ils se rapportent autant aux positions d'ensemble de la Compagnie a propos des rapports entre theologie, philosophie et mathematiques (chap. I) qu'aux travaux astronomiques du groupe des mathernaticiens du Collegio Romano a l'epo- que de Clavius (chap. 3 et 7) ou a ceux de la Province de Venise (chap. 10).

(12)

224 REVUE DE SYNIHESE : IV" S.N'" 1-2, JANVIER-JUIN 1994

I'ouvrage sont Ie plus souvent eclairees par la micro-analyse appuyee sur une documentation inedite. Ces coupes au cceur d'un probleme precis17,restitue avec une erudition et une rigueur constantes, permettent

a

terme d'envisager sous un jour nouveau la toujours ouverte«affaire Galilee»18.

U.Baldini se livre dans Ie chapitre inaugural19

a

un cadrage epistemologique des problematiques developpees dans les chapitres suivants. Ces pages tentent de construire une synthese, qui integre l'ensemble des resultats fournis par ses pre- cedents travaux et embrasse dans un seul regard la totalite de la periode definie et comprise entre la fondation de I'ordre " et Ie proces de Galilee. Comme pour pre- venir Ie lecteur, l'auteur, avant de livrer ce texte, en propose un copieux mode d'emploi, relegue paradoxalement dans Ie paratexte (un asterisque) :«Cet article se propose d'exposer un modele synthetique de la doctrine en vigueur dans I'ancienne Compagnie, dont l'influence a ete determinante sur I'ensemble des conceptions et de l'activite scientifique jesuites» (p. 19-20).

Dans ce champ, en effet, les grilles de lecture traditionnellement retenues (ins- piration scholastique de la philosophie de la Compagnie, influence du thomisme) ne peuvent que proposer des approximations tant les concepts medievaux de

«nature» ou «mathematiques» sont d'un maniement complexe, d'autant plus complexe que certains peres de la Compagnie en ont fait un emploi particulier.

Pourtant, et c'est ce qui justifie aux yeux de l'auteur ce chapitre, par-dela les usages specifiques, doit primer la mise en evidence des postulats et presupposes communs, ceux-la memes dont il esquisse Ie reperage ici. Car, et c'est la conclu- sion

a

laquelle il veut nous conduire, U.Baldini voit dans l'heritage jesuite en matiere de science non pas l'apport de nouveaux concepts, mais I'invention d'une articulation nouvelle et d'une nouvelle structuration de concepts largement herites de la scholastique medievale. Cette these, longuement developpee et argumentee, est soumise

a

l'epreuve des cas particuliers dans les chapitres suivants.

C'est done sur Ie terrain philosophique qu'U, Baldini situe l'analyse de la culture jesuite, d'ou l'architecture de I'ouvrage, qui propose un itineraire du gene- rique au singulier, du centre

a

la peripherie, Et l'etude des relations entre theolo- gie, philosophie et mathematiques dans l'ancienne Compagnie, entreprise dans ces premieres pages, constitue bien la toile de fond des articles suivants, dans les- quels Ie modele general est confronte

a

des situations et

a

des protagonistes singu- liers.

Si des six cents pages editees, beaucoup sont connues d'un nombre restreint de specialistes, la publication du livre a Ie merite d'ouvrir ce champ de la recherche

a

17. On lira avec beaucoup d'interet les pages consacrees aux positions de Bellannin face

a

l'astronomie heliocentriste, etudiees

a

partir des lecons professees

a

Louvain en 1572 et d'une partie de la correspondance personnelle du Cardinal.

18. Cette vaste question, relancee par Ie livre de Pietro REDOND!,Galilee heretique, 1983, Paris, Gallimard, 1985, continue

a

faire couler beaucoup d'encre sur fonds de « rehabilita- tion » par I'Egiise du fondateur de la science moderne.Laderniere contribution en date est celie de Pierre-NoelMAYAUD,s.j., « Une "nouvelle" affaire Galilee? », Revue d'histoire des sciences, XLV, 2-3, 1992,p. 161-230.

19. Voir Legem impone subactis,«Teologia, filosofia e scienze matematiche della dittatica e nella dottrina della Compagnia di Gesu (1550-1630) », p. 19-74.

20. II convient de rappeler que cette fondation est presque contemporaine de la publica- tion de I'ouvrage de CoPERNIC,De revolutionibus orbium celestium.

(13)

COMPTES RENDUS 225 une communaute scientifique plus large, et notamment la comrnunaute histo- rienne. II apporte, enfin,

a

cette branche de l'historiographie consacree

a

la place de la Compagnie de Jesus dans Ie complexe processus de genese de la science moderne ", sa premiere et remarquable synthese.

Antonella ROMANO.

Les Eglisesfaee aux sciences, du Moyen Age au xx' siecle. Actes du Colloque de la Commission intemationale d'histoire ecclesiastique comparee tenu

a

Geneve en aout 1989. Ed. par OlivierFAllO. Geneve, Droz, 1991. 15,2 x 22, 177 p., indexHistoire des idees et critique litteraire»,vol. 300).

Les communications presentees

a

ce colloque ont permis de baliser les rapports reciproques entre les Eglises et les progres des sciences de la nature (fonda- mentales et appliquees) dans notre Europe. David Lindberg rappelle quelle revi- sion decisive de nos vues a provoquee l'eeuvre de Pierre Duhem continuee par les chercheurs americains (A. N. Whitehead, R Hooykaas et St.L.Jaki), sur l'esprit scientifique au sein des universites medievales. Avec une belle erudition et une reelle maitrise, Francois Laplanche retrace l'evolution des recherches sur la compatibilite entre la cosmologie mosalque et les acquisitions de l'astrophysique, duXVI"auXIX"siecle, La rigoureuse distinction entre l'hermeneutique biblique et I'observation scientifique se laisse suivre depuis la fin du XVI"siecle, des quatre volumes de Pereyra jusqu'au premier XVIII"siecle qui applique ce principe aux ecrivains sacres, tributaires des idees recues

a

leur epoque sur Ie systeme du monde. AuXIX"siecle, c'est la part faite par Schelling au mythe,«expression col- lective spontanee de la conscience primitive », qui est peu

a

peu introduite dans l'exegese ; depuis que G. Smith eut donne la preuve archeologique de I'emprunt des mythes assyriens par les auteurs sacres, ce terme de mythe a ete depouille de sa signification pejorative et les vues du P. Lagrange sur«Ie genre litteraire»qu'il represente sont passees dans l'enseignement pontifical.

Des etudes paralleles sont presentees sur les reactions des Eglises nees de la Reforme : Luther assimile la connaissance scientifique

a

l'etude de la Parole de Dieu (Dino Bellucci); les diverses tendances au sein des Eglises etablies comme des non-conformistes convergent vers un progressif alignement sur les positions de Kepler,

a

partir de la seconde moitie du XVII"siecle : elles privilegient la voie reflexive qui assimile l'analyse scientifique

a

la connaissance de Dieu (Michael Heyd). Beaucoup plus hesitante,

a

la meme epoque, apparait la theologie catho- lique, au moins celle des Jesuites redacteurs des Memoires de Trevoux, adeptes tardifs du systeme cartesien et qui se montrent fort embarrasses pour batir une 21. Pour plus de precision sur cette question, voir AntonellaROMANO, «Apropos des rnathematiques jesuites : notes et reflexions sur I'ouvrage d'A. Krayer,Mathematik im Stu- dienplan der Jesuiten» (Stuttgart, 1991), Revue d'histoire des sciences, XLVI, 2-3, avr.- sept. 1993, p. 281-292.

(14)

226

REVUE DE SYNlHESE :IV'S.N'"\-2, JANVIER-JUIN \994

apologetiqueIipartir de la cosmologie newtonienne : Maria Cristina Pitassi parle de leur oscillation entre «refus et recuperation».

L'analyse du xx" siecle permet de signaler une attitude beaucoup plus decidee des representants des EglisesIine pas laisser Ie scientisme confisquer les progres de la connaissance scientifique. Christoph Wassermann oppose la defiance des Eglisesen face des applications de la thermodynamiqueIila premiere industriali- sation, et I'incorporation Ii la theologie des trois concepts cles de la physique actuelle; l'irreversibilite du temps et Ie couple espace-temps (ouvrage de Karl Heim en 1924); la physique quantique appliqueeIil'electromagnetisme (theolo- gie du «process» par A. N.Whitehead, en 1927-1928); la physique atomique entrainant les prises de position des EglisesfaceIiI'utilisation du nucleaire. On retrouve ce meme souci d'accorder la recherche scientifique aux exigences de la conscience morale et religieuse, ainsi qu'aux besoins materiels des societes en voie de developpement, dans les themes proposes aux ateliers de recherche et aux deux sessions plenieres annuelles de l'Academie pontificale des sciences: Charles Burns en retrace l'historique, depuis la premiere academie fondee dans ses pro- prietes du Latium par Federico Cesi,Iila fin duXVIesiecle ; elle survit aux vicissi- tudes de I'administration pontificale jusqu'a ce que Pie XI, en 1936, decide de la transformer en un veritable senat mondial de soixante-dix membres, recrutes en dehors de toute discrimination de nation ou de confession parmi les savants les plus prestigieux de la planete ",

Enfin, ces Actes contiennent aussi des monographies plus ponctuelles sur Copernic et l'autorite ecclesiastique (Pawel Czartoryski), sur Ie haut enseignement des sciences exactesIiBucarest auxXVII"etXVIIIesiecles (Viorel Ionita), sur la vul- garisation tres large de l'interpretation des six jours de la Genese dans Ie cate- chisme de perseverance de Jean-Joseph Gaume (1838) (Daniel Moulinet) : la publication, trente ans apres (1867), par la meme maison d'edition de la traduc- tion de Henri Reusch, La Bible et la nature (1867), fait mesurer Ie chemin par- couru par rapport au concordisme initial.

Jacques GADILLE.

La Science catholique. L'« Encyclopedie theologique» de Migne (1844-1873) entre apologetique et vulgarisation. Sous la dir. de Claude LANGWIS et Francois LAPLANCHE. Paris, Sciences en situation/Cerf, 1992. 14,5x 23,5,276 p., index («Histoire »),

Une biographie et un colloque" avaient permis d'eclairer la personnalite de Jacques-Paul Migne, cet extraordinaire polygraphe, entrepreneur de l'oceanique

22. Voir I'histoire scientifique de cette institutioninRegisLADOUS,Des Nobel au Vatican:

la fondation de l'Academie pontificale des sciences,Paris, Cerf, 1994.

23. AdalbertHAMMAN,Jacques-Paul Migne. Le retour des Peres de l'Eglise,Paris, Beau- chesne, 1975.Migne et le renouveau des etudes patristiques. Actes du colloque de Saint- Flour, 7-8 juil. 1975, ed, par AndreMANDOUZEet Joel FOUILHERON,Paris, Beauchesne, 1985.

(15)

COMPffiS RENDUS 227 Bibliotheque universelle du clerge,qui depasse le millier de volumes. «Continent oublie»de cette production, les cent soixante et onze volumes de l'Encydopedie theologiquepermettent de faire Ie point sur la vision qui etait donnee au public catholique du siecle demier des recherches scientifiques contemporaines.

Les auteurs s'etaient fixe un double but: - vulgariser les connaissances en matiere de sciences de la nature et de I'homme,

a

I'usage des quelque trente-cinq mille pretres ordonnes entre 1820 et 1840; - confronter la revelation biblique et les connaissances«profanes », dans la ligne de Lamennais projetant de composer une encyclopedic chretienne qui repondit

a

celie de Diderot et D'Alembert, en allant du fait observe au concept, selon la methode des sciences. De la, cette juxta- position des deux termes«science catholique».Mene aussi au plan de la science des religions, ce second aspect a ete laisse en dehors de la perspective des auteurs: leur publication est le fruit d'une recherche collective dans Ie cadre du Groupe de recherches sur I'histoire de la medecine (GREHM) et d'un colloque (Universite de Paris-Xll, 7-8 octobre 1988).

C. Langlois commente la repartition des volumes en trois series (Ie detail figure en annexe), la part relativement restreinte consacree aux matieres «profanes» (soit vingt-sept volumes), l'absence d'un dictionnaire consacre aux mathema- tiques, malgre I'ceuvre de Cauchy, Ie tirage moyen compris entre 1000 et 1 500 exemplaires, enfin la difficulte Oil 1'0n se trouve de determiner les 65 auteurs (9 dictionnaires sont restes anonymes). La plupart sont«des vulgarisa- teurs prolifiques»comme Perennes, Chesnel, Cheve et Jehan de Saint-Clavien ; les seuls«techniciens»sont des chartistes, les collaborateurs scientifiques quali- fies sont l'exception, comme Louis Mas-Latrie ou Louis de Saulcy, membres de I'Institut. Une des faiblesses de l'entreprise est que Migne n'a pu s'assurer le concours de vrais specialistes.

Malgre ces limites, l'etude de quelques corpus revele une information scrupu- leuse sur les grands debats en cours : ainsi, la reedition du Dictionnaire de Bergier par l'abbe Pierrot, rapprochee d'autres dictionnaires permet

a

C. TImmermans de montrer la diversite des options prises sur la question de la generation spontanee, jusqu'a ce que Ie debat soit clos par Ie ralliement de Boyer, auteur du Dictionnaire de physiologie (1861),

a

la position de Pasteur, victorieux de Pouchet. La part faite aux sciences naturelles,

a

la medecine est majeure, mais on ne trouve aucune allusion

a

Darwin, ni

a

Albert Gaudry, ce paleontologue chretien qui servit d'illus- tration

a

I'auteur de l'Origine des especes. B. Bensaude-Vincent presente un Die- tionnaire de chimie et mineralogiepartieulierement developpe et temoignant de la connaissance des decouvertes de Dumas, Berzelius et Liebig. J.-M. Drouin montre les intentions vulgarisatrices et utilitaires (piantes medicinales) du Die- tionnaire de botanique et G. Laurent fait apparaitre les curieuses divergences entre les deux dictionnaires qui traitent de la geologie et de la paleontologie : Ie second (redige par Jehan de Saint-Clavien) conclut

a

la necessaire separation de la religion par rapport aux observations en ce domaine. Celui des sciences humaines est illustre par la physiologie analysee par R Rey, la medecine presentee par J. Poirier, enfin les psychologies, volume qui donne occasion

a

P. Mingal de recti- fier les idees recues sur l'origine de cette science, qui remonte ici bien en deca de 1870, puisque les six dictionnaires qui en traitent ont ete composes entre 1849 et 1861. Ces deux dernieres analyses mettent en relief l'opposition entre l'ecole

(16)

228

REVUE DE SYNIHESE : IV" S.N'''1-2,JANVIER-JUIN1994

montpellieraine,

a

caractere spiritualiste ou «animiste»,et celIe de Paris (Brous- sais et Bichat) : Migne et ses collaborateurs tiennent de la premiere.

Ces constats permettent

a

F.Laplanche de conclure sur l'optique «finaliste» de ces ouvrages (on parle, par exemple, de «botanique chretienne, - un spec- tacle organise au profit de la religion»), sur les attaches des auteurs

a

la philo- sophie traditionaliste (L. Bautain ou encore les theses de Bonald sur l'origine sociale du langage), qui font passer les auteurs

a

cOte des directions majeures de la science contemporaine. De ce point de vue, l'Encyclopedie des sciences religieuses publiee par Lichtenberger, de 1877

a

1882, fera preuve d'une actualite scientifique incontestablement plus grande.

Jacques GADILLE.

Marat, homme de science? Dir. Jean BERNARD, Jean-Francois LEMAIRE, Jean- Marie POIRIER. Le Plessis-Robinson, Synthelabo, 1993. 11 x 20, 224 p., bibliogr. («Les Empecheurs de penser en rond»),

The title Marat homme de science? was no doubt designed to provoke the curiosity of bookstore browsers, but the book's contents unambiguously answer the question in the affirmative: Yes, Jean-Paul Marat was indeed a man of science. This conclusion, of course, would astonish previous generations of histo- rians who had written ofTMarat's scientific endeavors as the work of a charlatan, pseudoscientist, and quack.

How is this dramatic reversal to be explained? The revision has little to do with Marat himself; no previously unknown scientific works of his have recently come to light. Nor is there any reason to believe that Marat's notoriety, which has always made objective assessment difficult, has suddenly ebbed. What has changed is the way historians approach«science» as a focus of historical inquiry.

Traditional history of science naively judged the science of the past by the stan- dards of modem scientific knowledge and practice. By that yardstick, very few eighteenth-century scientists measure up ashommes de science, and Marat would not likely be numbered among them. More recently, however, historians have begun to insist that science must be studied in its proper historical context.

Viewed against the background of science as it was actually practiced in the late eighteenth century, then, Marat was certainly a legitimate - and even a rather prominent - member of the contemporary Parisian scientific community, though not of its elite institutions.

The importance of this colloquium, however, is not that it raises Marat to an elevated place in the history of science, but that it implicitly revises the historical treatment of the entire panorama of French science at the time of the Revolution.

If this more sophisticated methodological approach toward understanding Marat's science is generalized, then the old-fashioned «Whiggish» history that devoted itself to glorifying Lavoisier and a few other elite figures is exposed as ahistorical, anachronistic, and essentially mythological.

(17)

COMPTES RENDUS 229 First of all, to include Marat in the realm of science from which he was pre- viously excluded implies a considerably broadened conception of science. Arthur Molella's paper notes that modern historians have usually defined Marat's researches in terms of those who rejected his theories. Itmight be useful, he sug- gests, to also consider how he was seen by those who accepted them. «Itis there- fore necessary to compare Marat with a group of natural philosophers who were located outside the walls of the Academy of Sciences.»

Marat was «greeted warmly by a group of kindred souls who sought, in the study of "imponderable fluids", the explanations of heat, oflight, of electricity, of magnetism, and even of the cosmos as a whole». Drawing upon the insights of Robert Darnton's seminal study of the Mesmerist movement, Molella describes a current of«romantic science» that employed the rhetorical style of Jean-Jacques Rousseau and«opposed Newton's mechanical universe as a nonliving, alienating universe ». Nicolas Bergasse, the Baron de Marivetz, Jean-Louis Carra, Jacques- Pierre Brissot, and Antoine Court de Gebelin were among the natural philo- sophers who had much in common with Marat, Molella also points out an impor- tant distinction, however: Marat was a talented experimenter, whereas most of his emules were primarily theory-spinners.

Olivier Coquard's paper provides an excellent example of how putting the spot- light on an individual like Marat can illuminate much broader areas of scientific history that had previously been hidden from view. Coquard discusses Marat's extensive relations with provincial academies of science, something that had always been difficult to reconcile with the picture of Marat as pure charlatan.

Marat participated in a number of scientific essay competitions sponsored by the academies of Rouen, Lyon, Dijon, and Montpellier. His submissions were treated seriously by all and Rouen's academy even awarded him its first prize on more than one occasion. Previous authors, interested mainly in denigrating Marat, sought to explain this as the result of manipulative factionalism on the part of Marat's cronies within the academies. According to this view, Marat's supporters had subverted the normal processes of disinterested scientific discourse.

Coquard, however, utilizes the Marat episodes as a means of obtaining«a bet- ter grasp of the reality of the provincial academies' practices».He concludes that as a generalrulethese academies' prize committees made their decisions«under the more or less constant pressure of the various candidates' partisans. Their ver- dicts were more a reflection of the clash of forces within the institutions than of the real quality of the competing essays».The factionalism in the cases involving Marat, then, was no aberration, but was simply business as usual.

A number of contributors reexamine Marat's record as a medical practitioner and his contributions to medical science. Jean-Francois Lemaire does a parti- cularly admirable job of providing the necessary context for understanding Marat's career as a doctor and his writings on medical subjects. First of all, Lemaire counters the frequent charge that Marat's medical degree from S1. Andrews University, Edinburgh, was a «diplome de complaisance». In the eighteenth century, he reminds us, it was common practice for universities to award degrees as a means of certifying the professional competence and education- al preparation of working practitioners who had not actually attended classes at those institutions - a practice that continued in France well into the nineteenth

(18)

230 REVUE DE SYNTIIESE :IV'S.N'"1-2, JANVIER-JUIN 1994

century. St. Andrews, moreover, did not have a reputation as a «universite de pacotille» ;Benjamin Franklin was proud of the doctorate it had conferred upon him.

Asfor Marat's practice, Lemaire demonstrates that he was on the leading edge of - and perhaps even in advance of - the medical revolution described by Michel Foucault in his Naissance de la clinique. In conclusion, Marat was a

«conscientious and knowledgeable practitioner, a pioneer clinician, and an imagi- native and prudent therapist».

One connecting point between Marat's interests in medicine and experimental physics was electrotherapy. Marcel Boiteux reviews Marat's writings on electricity and exclaims :«Marat competent, clear, and judicious? Who would have belie- ved it? But it is certainly true, as these three books I've cited reveal.»

Marat's electrical experiments with small animals led him to challenge the effi- cacy of certain therapeutic fads, such as generalized «baths» of positive and negative electricity, and convulsive shock treatments. Instead, Marat recommen- ded the use of milder, localized electrical stimulation for specific ailments. He carefully recorded the results of his electrical treatments and catalogued their pos- sible curative effects.

Moving from electrotherapy to more basic research into the physics of electri- city, Marat set up a laboratory, designed sophisticated electrical apparatus, perfor- med hundreds of experiments, developed a comprehensive theory of electricity, and published his findings in 1782. Boiteux concludes that this «very substantial part of Marat's scientific work undeniably deserves to be chalked up to his credit for posterity».

Another path that led Marat from medical practiceto experimental physics was his work on diseases of the eye, which stimulated an interest in optics. Pierre Almaric reports that «for Marat ophthalmology had already become the combi- nation of physiological optics, medicine, and ocular surgery that today still repre- sents the three aspects of the specialty»,Marat's«principal merit», he adds, was his opposition to the widespread use of mercury in treating eye problems. Marat's

«refusal to use this toxic substance» represented«good sense» on his part; the prestigious doctors of the Faculty of Medicine, by comparison, «did not play a very good role» in the controversy over this issue.

Marat's researches into the physics of light and color led him to challenge cer- tain aspects of Newton's optical theory. Leaders of the Parisian Academie des sciences branded him a «fool» for having the effrontery to criticize the great Newton; many historians have parroted that appraisal without bothering to inves- tigate the points at issue. Michel Blay, however, after carefully examining Marat's optical theory, has arrived at a rather different conclusion. «Far from being foo- lish pedantry, Blay says, it is a well-organized theory, but its experimental field cannot be superimposed upon the Newtonian experimental field. Itis necessary, therefore, to guard against thea priori introduction of Newtonian terms into an interpretation of Marat's experiments».

Marat's critique of Newton, Blay explains, was aimed more at his epistemology than at his physicsper se. The eminent American historian of science C. C. Gillis- pie adds that«it must be admitted that several of Marat's criticisms of Newton

(19)

COMPTESRENDUS 231 were justified, although he was certainly not the only one making those criti- cisms ».

Gillispie's comments are of particular interest, because it was a chapter in his 1980 Science and Polity in France at the End ofthe Old Regime that perhaps ini- tiated the revisionist view of Marat as scientist. Although that work made clear to careful readers that Marat's scientific endeavors were legitimate and far from valueless, less careful readers could easily have been reinforced in their traditional prejudices, since Gillispie included the section on Marat in a discussion of quacks and charlatans. There is no trace of that ambiguity, however, in Gillispie's contri- bution to this colloquium. On the other hand, while not denying the authenticity of Marat's scientific credentials, Gillispie's sober appraisals serve as a restraint upon enthusiasts who might be tempted to indulge in «reverse Whiggism»by portraying Marat as a great precursor of modern science.

In addition to the colloquium papers, this volume includes more than forty pages of excerpts from Marat's writings on physics, physiology, and medicine.

Although constituting only a small and not very representative sampling of Marat's output, these selections succeed in conveying a general idea of how Marat approached scientific problems and how he reported his findings. They also pro- vide sufficient evidence to substantiate the colloquium's affirmation of Marat as a man of science.

Only one paper in this collection seems to question that verdict by echoing hoary comparisons of Marat to Lavoisier, which of course are always to Marat's disadvantage. Such comparisons are of little value in understanding science at it was understood in the late eighteenth century, even by Lavoisier himself. By focusing on Marat, this colloquium has chosen not to concentrate on a«hero of modern science» and has thereby struck a blow against the presentism that has long retarded the development of genuinelyhistorical history of science.

Clifford D. CoNNER.

The Correspondence

0/

Michael Faraday. Vol. 1 : 181l-December 1831. Letters 1-524. Ed. by Frank A. J.L. JAMES. Stevenage, The Institution of Electrical Engineers, 1991. 15,5 x 23,5, XLIX-673 p., bib1iogr., index.

Comme un des plus grands physiciens du xIX" siecle, Michael Faraday aurait depuis longtemps mente une edition complete de sa correspondance. II faut done savoir greIiFrank A. J.L.James de s'etre charge de l'enorme travail de localiser toutes les lettres disponibles que Faraday a ecrites ou recues, et de les mettreIila disposition des chercheurs. Ceci etait d'autant plus difficile que 1es papiers de Faraday ont ete disperses plusieurs fois apres sa mort.

Dans la presente edition, les lettres sont arrangees dans un ordre strietement chronologique, ce qui fait que 1a correspondance scientifique est entremelee de lettres personnelles, voire intimes, que Faraday a ecritesIisa famille,Iisa fiancee

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232

REVUE DE SYNlHESE ; IV'S. N"" ]-2, JANVlER-JUlN 1994

etIises amis.Aquelques rares exceptions pres, iIn'existe plus de lettres privees adresseesIiFaraday puisqu'il avait I'habitude de detruire la correspondance non scientifique qu'il recevait. Panni ses amis, son correspondant Ie plus empresse, et Ie plus interessant pour l'historien des sciences, etait Benjamin Abbot (1793- 1870). Les 581ettres que Faraday lui a adressees sont un temoignage unique pour les annees comprises entre 1812 et 1818, periode decisive de la vie du physicien, dans laquelle s'est notamment deroule son voyage a travers Ie continent europeen en compagnie de son patron Humphry Davy.

Impossible de resumer tous les sujets scientifiques qui sont abordes dans ce volume.

A

part l'electricite (qui fait surtout l'objet des lettres echangees avec Ampere), il est souvent question de problemes chimiques, et la oorrespondance nous rappelle que Faraday, surtout connu auiourd'hui pour ses decouvertes elec- triques, etait plutot chimiste au debut de sa carriere. Panni les correspondants, nous retrouvons toute l'elite scientifique du debut du xrx" siecle : Ampere, Arago, Berzelius, Cuvier, Davy, de la Rive, Gay-Lussac,1. F.W.Herschel, Mitscherlich, Oersted, Wollaston, Young - pour ne nommer que les plus importants,

Lacorrespondance est presentee de facon exemplaire. Retenons d'abord que plus de la moitie des lettres de ce volume sont de veritables trouvailles inedites.

Quant aux lettres deja publiees, elles ont toutes ete transcrites a nouveau si les ori- ginaux sont encore disponibles, et de nornbreuses erreurs dans des publications anterieures ont ainsi etecorrigees,Ceci est particulierement frappant a propos de l'etude de Henry Bence Jones (The Life and Letters of Faraday, Londres, 1870, 2 volumes) : James a trouve des erreurs de transcription dans presque toutes les lettres contenues dans eet ouvrage qui a fait autorite pendant longtemps. Les lettres sont presque toutes en anglais; quelques correspondants qui n'ecrivaient pas cette langue se sont cependant exprimes en francais, Ces lettres sont naturel- lement reproduites dans leur langue originale, mais l'editeur y a ajoute une tra- duction anglaise.

James n'a pas succombeIila tentation de surcharger Ie texte original de notes et de commentaires sur Ie contenu. II s'est borne - ce qui est parfaitement legitime - a donner un instrument de travailIi l'historien des sciences qui pourra lui- meme,

a

I'aide de cette edition, retracer la genese des decouvertes de Faraday et placer dans Ie contexte scientifique de l'epoque les sujets dontitest question dans la correspondance. Les notes se limitent essentiellementIiI'identification de per- sonnages, de publications et d'evenements historiques

a

qui les auteurs des lettres font allusion.

C'est un veritable plaisir de se servir de ce volume comme instrument de refe- rence. Un index detaille et soigneusement etabli permet de retrouver facilement dans Ie texte des personnages et des sujets. Toutes les publications mentionnees dans les notes et dans I'index sont regroupees dans la bibliographie. Dans un

«Biographical Register», on trouve des informations biographiques sur les per- sonnages qui apparaissent plus de deux fois dans Ie texte, et de toutes les informa- tions donnees dans I'introduction technique («Editorial Procedure and Abrevia- tions»),la plus precieuse pour moi a ete Ia table de conversion pour Ies unites des poids et mesures utilisees par Faraday et ses contemporains.

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COMPTES REND US 233 Ce travail pourra servir de modele a d'autres editeurs de correspondances. Avec impatience, nous attendons la parution du deuxieme volume.

Andreas KLEINERT.

Bernard BOLZANO, Les Paradoxes de l'infini. Introd., trad. de I'allemand et notes par Hourya SINACEUR. Paris, Seuil, 1993. 14 x 20,5, 192 p., index (« Sources du savoir »),

Presenter les paradoxes inherents a la notion d'infini n'est pas une tache facile.

II fallait un specialiste pour se tirer de cette entreprise epineuse, et l'auteur de Corps et modeles. Essai sur l'histoire de l'algebre reelle(Paris, Vrin, 1991) reunit toutes les qualites requises par la volonte d'introduire au texte de Bolzano : sens historique, precision du raisonnement mathematique, maitrise philologique et perspicacite philosophique quant a I'enjeu global du theme de l'infini.

On apprend ainsi a se reperer dans Ie vaste parcours intellectuel qu'impose cette notion. On identifie Ie moment ou une simple reflexion philosophique sur l'infini ne suffit pas a produire la mise en marche d'une operativite de la mathe- matique qui implique l'invention d'un nouveau type d'ordre et d'egalite entre les infinis (Bolzano), ainsi que l'approfondissement de la notion d'ensemble infini dans Ie sens de sa cardinalite (Dedekind et Cantor).

Les paradoxes de I'infini se montrent nombreux dans l'histoire des mathema- tiques. II est cependant possible de leur assigner une origine commune. De la relation geometrique biunivoque entre Ie cOte d'un carre et sa diagonale qui mene a leur egalite de points alors qu'ils semblaient strictement incommensurables, ala tentative archimedienne de calcul de la quadrature du cercle qui aboutit a cher- cher par approximations, a partir de la mesure d'une figure rectiligne, la mesure inconnue d'une figure curviligne, le mathematicien achoppe toujours, dans son travail avec l'infini, sur Ie probleme de l'heterogeneite entre deux domaines : le nombre et la grandeur, Ie discret et Ie continuo Ainsi, on peut constater que la serie des entiers est illimitee et que toute grandeur se divise, que l'on admette l'existence d'une infinite d'indivisibles ou bien l'hypothese de sa divisibilite a l'infini. D'ou les premieres questions qui surgissent. Peut-on assigner un nombre a toute grandeur? Est-il possible de comparer deux infinis?

Sur ce fond problematique de l'infini se greffe I'effort des mathematiciens pour en donner une definition intrinseque, Ne pas determiner l'infini par Ie fini devient la tache centrale des mathematiques qui se constituent, du meme coup, notons-le, dans un mouvement de contestation des developpements aristoteliciens de Phy- siqueIII, 6 et V, 3.Ladefinition aristotelicienne du continu aboutissait, en effet, comme une conclusion decoule de ses premisses, a un irreductible dualisme entre Ie physique et Ie mathematique en meme temps qu'a la position d'un infini poten- tiel. Comme si la seule preoccupation du continuum physique obligeait Aristote a determiner l'infini par Ie fini, Ie passage au continu mathematique tente, en retour, de definir l'infini par l'infini.

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