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Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale

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Academic year: 2022

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2 | 2019

L’ubérisation du travail

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/rdctss/1532 DOI : 10.4000/rdctss.1532

ISSN : 2262-9815 Éditeur

Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale Édition imprimée

Date de publication : 1 juin 2019 ISSN : 2117-4350

Référence électronique

Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, 2 | 2019, « L’ubérisation du travail » [En ligne], mis en ligne le 01 novembre 2021, consulté le 11 novembre 2021. URL : https://

journals.openedition.org/rdctss/1532 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rdctss.1532

Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

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REVUE SOUTENUE PAR L’INSTITUT DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES DU CNRS REVUE SOUTENUE PAR L’INSTITUT DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES DU CNRS

LITTÉRATURE DE DROIT SOCIAL COMPARÉ APERÇU RÉTROSPECTIF DE 2017

Mariapaola Aimo, Rudolf Buschmann et Daniela Izzi

Le droit du travail au-delà des frontières nationales : Principaux débats en 2017

JURISPRUDENCE SOCIALE INTERNATIONALE

JURISPRUDENCE SOCIALE COMPARÉE

L'ubérisation du travail

Coordination par Isabelle Daugareilh et Allison Fiorentino Avec les contributions de :

isabelle daugareilh et allison fiorentino (introduction), vincenzo bavaro et donato marino (italie), isabelle desbarats (france), allison fiorentino (états-unis), lisa rodgers (royaume-uni), jesus cruz villalÓn (espagne), hanneke bennaars et gerrard boot (pays-bas), kurt pärli (suisse), sidnei machado (brésil), urwana coiquaud (canada), kitty malherbe, kgomotso mokoena et darcy du toit (afrique du sud).

Commentaire

Anne Meier et Kurt Pärli - Commentaire des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne c-434/15 du 20 décembre 2017 (Asociacion Profesional Elite Taxi contre Uber Systems Spain sl) et c-320/16 du 10 avril 2018 (Uber France sas)

Actualités

Organisation Internationale du Travail Organisation des Nations Unies Union Européenne

2019/2

Revue

de Droit Comparé

du Travail

et de la Sécurité Sociale

COMP TRASEC 2019/2

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Directrice de la publication Rédactrice en Chef

Secrétaire de rédaction

Membres du Comité éditorial

Correspondants du réseau d’Actualités juridiques internationales

N. Aliprantis (Grèce), G.-G. Balandi (Italie), U. Becker (Allemagne), U. Carabelli (Italie), J. Carby Hall (Royaume- Uni), A. Cissé Niang (Sénégal), L. Compa (États-Unis), W. Däubler (Allemagne), P. Davies (Royaume-Uni), M. Dispersyn (Belgique), S. Gamonal C. (Chili), Adrian O. Goldin (Argentine), Z. Góral (Pologne), M. Iwamura (Japon), J.-C. Javillier (France), P. Koncar (Slovénie), M.  Nasr-Eddine Koriche (Algérie), A.-M. Laflamme (Canada), R. Le Roux (Afrique du Sud), A. Lyon-Caen (France), A. Monteíro Fernandes (Portugal), A. Montoya Melgar (Espagne), A. Neal (Royaume-Uni), R. Owens (Australie), C. Papadimitriou (Grèce), P.-G. Pougoué (Cameroun), M. Rodríguez-Piñero (Espagne), J.-M. Servais (Belgique), A. Supiot (France), M. Sur (Turquie), G. Trudeau (Canada), C. Vargha (Bureau International du Travail), M. Weiss (Allemagne), A. Zheng (Chine).

Isabelle Daugareilh, COMPTRASEC (UMR CNRS 5114), Université de Bordeaux.

Marie-Cécile Clément, COMPTRASEC (UMR CNRS 5114), Université de Bordeaux.

Marilyne Mondolfi, COMPTRASEC (UMR CNRS 5114), Université de Bordeaux.

Philippe Auvergnon (CNRS - Université de Bordeaux - France), Eri Kasagi (CNRS - Université de Bordeaux - France), Risa L. Lieberwitz (Université de Cornell – États-Unis), Pascale Lorber (Université de Leicester - Royaume- Uni), Pablo Arellano Ortiz (Organisation Internationale du Travail - Université Pontifica de Valparaiso PUCV - Chili), Stefania Scarponi (Université de Trento – Italie), Yuki Sekine (Université de Kobé - Japon), Achim Seifert (Université Friedrich Schiller de Iéna – Allemagne) et Ousmane O. Sidibé (Mali).

n Afriques  : A. Govindjee et K. Malherbe (Afrique du Sud), C. Boukli-Hacène et Z. Yacoub (Algérie), B. Millefort Quenum (Bénin), P. Kiemde (Burkina-Faso), P.-E. Kenfack (Cameroun), S. Yao Dje et D. Koffi Kouakou (Côte d’Ivoire), P. Kalay (République Démocratique du Congo - Congo Kinshasa), S. Ondze (République du Congo - Congo Brazzaville), I. Yankhoba Ndiaye et Massamba Gaye (Sénégal), N. Mzid et A. Mouelhi (Tunisie) n Amériques  : A. O. Goldin, D. Ledesma Iturbide et J. P. Mugnolo (Argentine), A. V. Moreira Gomes, S. Machado et J. Sarmento Barra (Brésil), R.-C. Drouin, A. -M. Laflamme, L. Lamarche et G. Trudeau (Canada), P. Arellano Ortiz et S. Gamonal C. (Chili), C. Castellanos Avendano, A. N. Guerrero et V. Tobon Perilla (Colombie), R. L. Lieberwitz (États-Unis), P. Kurczyn Villalobos (Mexique), L. Gamarra Vílchez (Pérou), M. Ermida Fernández et H. Barretto Ghione (Uruguay).

n Asie-Océanie : D. Allen, S. McCrystal et T. Walsh (Australie), A. Zheng (Chine), J. Park (Corée du Sud), G. Davidov (Israël), S. Dake, M. Iwamura, E. Kasagi, H. Nagano, Y. Sekine et Y. Shibata (Japon), S. Taweejamsup (Thaïlande) et Tuấn Kiệt Nguyễn (Vietnam).

n Europe : A. Seifert (Allemagne), A. Csuk et G. Löschnigg (Autriche), A. Lamine et V. De Greef (Belgique), A. Filcheva et Y. Genova (Bulgarie), C. Jacqueson (Danemark), I. Vukorepa (Croatie), J. L. Gil y Gil (Espagne), E. Serebryakova et A. Alexandrova (Fédération de Russie), M. Badel, M. Gally, J.-P. Laborde, S. Ranc et M. Ribeyrol-Subrenat (France), C. Papadimitriou et A. Stergiou (Grèce), T. Gyulavári et K. Rúzs Molnár (Hongrie), M. O’Sullivan (Irlande), A. Mattei et S. Nadalet (Italie), B. Bubilaityte Martisiene et G. Tamašauskaitė (Lituanie), S. Burri et N. Gundt (Pays-Bas), M. Gajda, A. Musiała et M. Pliszkiewicz (Pologne), T. Coelho Moreira et A. Monteiro Fernandes (Portugal), M. Stefko et V. Štangová (République Tchèque), F. Rosioru (Roumanie), J. Carby-Hall et P. Lorber (Royaume-Uni), F. Bojić et L. Kovačević (Serbie), P. Koncar et B. Kresal (Slovénie), J. Julén Votinius (Suède) K. Pärli et A. Meier (Suisse), Kübra Doğan Yenisey et M. Sur (Turquie).

Mise en page

Corinne Blazquez, Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine (MSHA).

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CO M PT R A S E C - U M R 5 1 1 4 - C N R S - U N I V E R S I T É D E B O R D E AU X

REVUE

2019/2

revue soutenue par l’institut des sciences humaines et sociales du cnrs

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publications, d’idées, de développements juridiques et économiques.

Les autres membres de l’association sont :

Análisis Laboral (Pérou) Arbeit und Recht (Allemagne)

Australian Journal of Labor Law (Australie)

Bulletin on Comparative Labour Relations (Belgique) Canadian Labour and Employment Law Journa (Canada) Comparative Labor Law & Policy Journal (États-Unis) Derecho de las Relaciones Laborales (Espagne) Diritto delle Relazioni Industriali (Italie)

Diritti lavori mercati (Italie)

E-journal of International and Comparative Labour Studies (Italie)

Employees & Employers – Labour Law and Social Security Review : Delavci in delodajalci (Slovénie) Europäische Zeitschrift für Arbeitsrecht : EuZA (Allemagne)

European Labour Law Journal (Belgique)

Giornale di Diritto del lavoro e relazioni industriali (Italie) Industrial Law Journal (Royaume-Uni)

Industrial Law Journal (Afrique du Sud)

International Journal of Comparative Labour Law and Industrial Relations (Pays-Bas) International Labour Review (OIT)

Japan Labor Review (Japon) Labour and Social Law (Biélorussie) Labour Society and Law (Israël)

La Rivista Giuridica del Lavoro e della Previdenza Sociale – RGL (Italie) Lavoro e Diritto (Italie)

Pécs Labor Law Review (Hongrie) Revista de Derecho Social (Espagne)

Revue de Droit comparé du travail et de la sécurité sociale (France) Revue de Droit du Travail (France)

Rivista giuridica del lavoro e della sicurezza sociale (Italie) Russian Yearbook of Labour Law (Russie)

Temas Laborales (Espagne)

Zeitschrift für ausländisches und internationales Arbeits - und Sozialrecht (Allemagne)

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SOMMAIRE 2019/2

JURISPRUDENCE SOCIALE COMPARÉE

L’ubérisation du travail

Coordonnée par Isabelle Daugareilh et Allison Fiorentino p. 5 Isabelle Daugareilh et Allison Fiorentino

Introduction

p. 14 Vincenzo Bavaro et Donato Marino Le travail dans l’économie des plateformes dans la jurisprudence italienne

p. 24 Isabelle Desbarats

Les travailleurs des plateformes juridiques en France : le juge, arbitre de leur statut ?

p. 32 Allison Fiorentino

La jurisprudence américaine et l’ubérisation du travail p. 40 Lisa Rodgers

La jurisprudence sur l’ubérisation du travail au Royaume-Uni p. 48 Jesús Cruz Villalón

La notion de travailleur subordonné en Espagne face aux nouvelles formes d’emploi

p. 60 Hanneke Bennaars et Gerrard Boot Les plateformes numériques aux Pays-Bas et la jurisprudence travailliste

p. 68 Kurt Pärli

L’ubérisation du travail en Suisse p. 76 Sidnei Machado

L’ubérisation du travail dans la jurisprudence brésilienne p. 82 Urwana Coiquaud

Uber et la réglementation canadienne : état de la jurisprudence p. 90 Kitty Malherbe, Kgomotso Mokoena et Darcy du Toit

Le droit du travail et la « révolution technologique » en Afrique du Sud

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LITTTÉRATURE DE DROIT SOCIAL COMPARÉ : APERÇU RÉTROSPECTIF DE 2017

p. 123 Mariapaola Aimo, Rudolf Buschmann et Daniela Izzi Le droit du travail au-delà des frontières nationales : principaux débats en 2017

JURISPRUDENCE SOCIALE INTERNATIONALE

COMMENTAIRE

p. 98 Anne Meier et Kurt Pärli

Commentaire des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne c-434/15 du 20 décembre 2017 (Asociacion Profesional Elite Taxi contre Uber Systems Spain sl) et c-320/16 du 10 avril 2018 (Uber France sas)

ACTUALITÉS

p. 108 Alexandre Charbonneau - Organisation Internationale du Travail p. 114 Elena Sychenko - Organisation des Nations Unies

p. 118 Hélène Payancé - Union Européenne

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JURISPRUDENCE SOCIALE COMPARÉE

L’ubérisation du travail

Coordonnée par Isabelle Daugareilh et Allison Fiorentino

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RÉSUMÉ

« L’ubérisation du travail » désigne une nouvelle forme de travail située au carrefour du travail indépendant et du salariat. Les juges nationaux ont souvent été confrontés à cette question. Mais l’émergence des plate- formes de services, telles qu’UBER, a ramené sur le devant de la scène juridique le débat sur les caracté- ristiques du salariat. Si le législateur semble passif, il n’en va pas de même du juge qui a été saisi dans de nombreux pays de différends portant sur la qualification de la relation de travail nouée par l’intermédiaire de la plateforme à l’origine de décisions qui seront analysées dans le cadre de cette publication. Certains juges ont décidé de faire évoluer les critères du salariat pour permettre à ces travailleurs ayant une certaine indépendance de bénéficier de la qualification de salarié. Il en va ainsi de la Cour Suprême californienne qui a révisé une jurisprudence pourtant ancienne et bien établie. D’autres juges, sans toucher aux critères classiques du salariat, n’ont pas hésité à faire entrer les travailleurs des plateformes dans la catégorie des salariés. La Cour de cassation française, mettant fin à une certaine hésitation des juges du fond, a jugé que la particularité de l’activité des travailleurs des plateformes ne suffisait pas pour écarter la qualification de salarié. Certains magistrats, sans reconnaître la qualité de salarié, ont toutefois accordé à ces travailleurs certains droits. Il en va ainsi des magistrats britanniques qui n’ont pas hésité à critiquer le montage contrac- tuel imposé par UBER à ses chauffeurs pour leur faire artificiellement revêtir la qualification d’indépendants.

Les juges canadiens ont également condamné l’attitude des plateformes qui profitent de leur position dominante pour imposer des clauses inéquitables, telles que les clauses compromissoires, visant à priver le travailleur d’accès à un juge. Il est rare à ce jour qu’un consensus prétorien existe dans tous les Etats. Ainsi en Espagne, aux Pays-Bas et en Suisse les réponses des juridictions divergent. D’autres juges, au Brésil ou en Italie, refusent de faire évoluer les critères traditionnels du salariat, ce qui aboutit à priver beaucoup de travailleurs ayant recours à ces plateformes de la protection du statut de salariés. Enfin, certains juges ne sont pas encore prononcés comme le juge Sud-Africain.

Mots clés : Uber, économie de plateforme, indépendant, statut des salariés, réforme juridique

ABSTRACT

«  The uberisation of work  » refers to a new form of work at the crossroads of self-employment and employment. National judges have often been confronted with this issue, but the emergence of service platforms, such as UBER, has brought the debate on the characteristics of the workforce to the forefront of the legal arena. If the legislator seems passive, the same cannot be said of the judge. The various case law cases discussed demonstrate that the courts are uncomfortable with this issue. Some judges have decided to change the criteria for salaried employment in order to allow these workers who benefit from a certain independence from the qualification of employee. This is the case with the California Supreme Court, which has reformed an old and well-established jurisprudence. Other judges, without touching the classic criteria of salaried employment, did not hesitate to include platform workers in the category of employees. The French Court of Cassation, putting an end to a certain hesitation in the case law, ruled that the particular nature of the activity of platform workers was by no means sufficient to rule out the qualification of employee. However, some judges, without recognising the status of employees, have granted these workers certain rights. This is the case for the British magistrates who did not hesitate to criticise the contractual arrangement that UBER imposes on its drivers to make them artificially qualify as self-employed. Similarly, Canadian judges have also pilloried this attitude of platforms that use their dominant position to impose unfair clauses, such as arbitration clauses, to deny workers access to a judge.

It is rare at present for a Praetorian consensus to be established in a State. Thus, in Spain, Netherlands and Switzerland there were divergent responses. Other judges, in Brazil and Italia, refuse to change the traditional criteria of salaried employment, which results in depriving many workers using these platforms of the protection of employees’ status. Finally, some judges have not yet given an answer as the South African judge who has not yet taken a clear position.

Keywords: Uber, platform economy, self-employed, employee status, legal reform

Isabelle Daugareilh

Directrice de recherche CNRS, COMPTRASEC, Université de Bordeaux

Allison Fiorentino

Maître de conférences, CUREJ (EA 4703), Université de Rouen

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JURISPRUDENCE SOCIALE COMPARÉE

L

es plateformes collaboratives ont contribué à l’émergence de ce que les anglo-saxons appellent la « gig-économie ». Le travail dans ce cadre prend souvent la forme d’un travail à la demande via des applications qui mettent en correspondance offre et demande d’activités de travail. La nature des tâches effectuées via les plateformes peut varier considérablement. Très souvent, il s’agit d’activités extrêmement morcelées, souvent subalternes et monotones, qui nécessitent cependant une sorte de jugement au-delà de la compréhension de l’intelligence artificielle (par exemple, trier des photos, évaluer la pertinence d’un site ou d’un texte, compléter des enquêtes). La conduite et la livraison sont les tâches parmi les plus connues parce que les plus visibles pour lesquelles les prestataires opèrent via des plateformes.

Les plateformes ne fonctionnent pas de manière identique. Il existe néanmoins une sélection plus ou moins étendue du candidat à la tâche proposée. Parfois un contact est établi entre le prestataire et le client (par exemple le transport ou la livraison). D’autres fois, c’est la plateforme qui sert d’intermédiaire à tous les niveaux (il en va ainsi de certaines sociétés de traduction). Certaines plateformes fixent une rémunération minimale pour certaines tâches, tandis que d’autres laissent au demandeur le soin de fixer la rémunération1. Les différences d’ordre technique ont parfois des conséquences juridiques sur la proposition, l’acceptation et l’exécution des contrats entre les parties concernées. Ainsi les travaux des chercheurs publiés dans ce numéro mettent en évidence le fait que certaines des clauses du contrat signé entre le prestataire et la plateforme peut avoir pour conséquence le rejet ou l’acceptation de la qualification de salarié. Dans certains pays, la structure des contrats conclus via les plateformes peut déclencher l’application de régimes réglementaires spécifiques régissant les droits, obligations et responsabilités contractuels.

Nonobstant ces différences, ces formes de travail ont en commun plusieurs traits.

D’abord et avant tout, elles sont rendues possibles par les technologies de l’information et utilisent l’Internet pour faire correspondre l’offre et la demande de travail ou de services à une vitesse extrêmement élevée. Cela permet en général de minimiser les coûts de transaction. La rapidité avec laquelle les possibilités d’emploi sont offertes et acceptées ainsi que la grande accessibilité des plates-formes et des applications pour les travailleurs permettent d’accéder à une main-d’œuvre sans cesse renouvelée et nombreuse.

Le travail à la demande via des applications permet et facilite une « externalisation » des activités à des individus plutôt qu’à des entreprises. En fait, dans la « gig-économie », les technologies donnent accès à une main-d’œuvre extrêmement évolutive, ce qui confère aux entreprises concernées un niveau de flexibilité sans précédent. Les travailleurs sont rémunérés selon le principe du « paiement à l’acte», ce qui rend très difficile voire impossible toute négociation salariale. D’ailleurs certains employeurs font cyniquement valoir cette évolution. Le PDG de CrowdFlower, Lukas Biewald, déclarait en 2014 : « Avant Internet, il était très difficile de trouver quelqu’un, de l’asseoir pendant dix minutes et de le faire

1 I. Mandi, I. Biletta, Overviw of new forms of employment, Eurofound, 2018, https://www.eurofound.

europa.eu/publications/customised-report/2018/overview-of-new-forms-of-employment-2018- update

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travailler pour vous, puis de le renvoyer après ces dix minutes. Mais avec la technologie, on peut les trouver, les payer le peu d’argent dont on a besoin et s’en débarrasser quand on n’en a plus besoin »2.

On peut également citer Jeff Bezos, PDG d’Amazon, propriétaire d’Amazon Mechanical Turk, l’une des plateformes de travail les plus célèbres et les plus utilisées selon lequel ces pratiques donnent accès à «  l’humain-service »3. Cette idée de «  l’humain-service » traduit une forme contemporaine de marchandisation de l’être humain, de réification du travailleur. Les transactions qui ne se produisent que virtuellement, comme c’est souvent le cas, contribuent à cacher les activités humaines et les travailleurs qui opèrent de l’autre côté d’un écran. L’humain, comme son travail, deviennent invisibles. Les travailleurs qui peuvent être appelés par les clients d’un simple clic de souris ou d’une pression tactile sur leur mobile, exécutent leur tâche et disparaissent aussitôt le travail accompli dans les limbes du cloud. Ils deviennent ainsi le prolongement d’un appareil informatique. En outre, le moindre défaut dans la prestation peut entraîner l’expression d’un avis négatif du client dont l’effet peut être la désactivation du compte du prestataire. Le travailleur est ainsi écarté et sans possibilité de se défendre. Outre cette problématique de réification de l’humain, le juriste pointera d’emblée le transfert de responsabilités sur les seules épaules du prestataire- travailleur qualifié par les plateformes de « travailleur indépendant », ce qui leur permet d’éluder leur responsabilité de commettant vis-à-vis du client et de ne pas assurer ainsi les obligations qui incombent à un employeur : respect des lois sur le salaire minimum, versement des cotisations de sécurité sociale, réglementation anti- discrimination, indemnités de maladie, congés, droits syndicaux….

D’aucuns pourraient souligner que les travailleurs indépendants affrontent depuis des décennies ces conditions de travail et que les prestataires de la « gig économie » ne font pas figure d’exception. Une telle comparaison n’est pas appropriée dans la mesure où ces intervenants se voient imposer par la plateforme de recourir au statut de travailleur indépendant pour exercer leur activité d’une part. D’autre part, ce ne sont pas réellement des travailleurs indépendants car la plateforme, officiellement simple intermédiaire, intervient en réalité de façon autoritaire dans l’exécution de la prestation de travail ainsi qu’en attestent les récits des demandeurs aux procès à l’origine des décisions de justice dans différents pays qui font l’objet de commentaires par les auteurs réunis pour ce dossier de jurisprudence sociale comparée. En outre, l’indépendance du prestataire s’accommode mal d’un déséquilibre quasi irréductible entre le pouvoir contractuel des plateformes et celui de ces travailleurs. Nous allons étayer cette position en examinant les conséquences de la «  gig économie » sur les droits des travailleurs (I) et en mettant en évidence les distorsions existantes entre ces accords dits de prestation de services et la réalité des conditions de travail des prestataires (II).

2 V. De Stefano, The rise of the «just-in-time workforce»:On-demand work, crowdwork and labour protection in the «gig-economy», Conditions of Work and Employment Series n°. 71, OIT, 2016, p. 4.

3 L. Irani, M.S. Silberman, « Turkopticon: Interrupting Worker Invisibility in Amazon Mechanical Turk », discours prononcé à la SIGCHI Conference on Human Factors in Computing Systems (27 Avril – 2 Mai, Paris), http://crowdsourcing-class.org/readings/downloads/ethics/turkopticon.pdf p. 612.

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JURISPRUDENCE SOCIALE COMPARÉE

I - LES CONSÉQUENCES SUR LES DROITS DES TRAVAILLEURS

Les droits reconnus aux salariés variant énormément suivant les pays concernés, nous avons préféré vérifier l’impact de « l’ubérisation » du travail sur les droits fondamentaux des travailleurs.

L’Organisation internationale du travail (OIT) reconnaît quatre catégories de principes et droits fondamentaux au travail, à savoir la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit à la négociation collective, l’élimination de toutes les formes de travail forcé ou obligatoire, l’abolition effective du travail des enfants et l’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession. Ces principes et droits sont considérés comme universels, ils s’appliquent à tous les travailleurs et sont inscrits dans les huit conventions fondamentales de l’Organisation4. La Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail de 1998 appelle tous les États membres de l’OIT à respecter et promouvoir ces principes et droits, qu’ils aient ou non ratifié les conventions pertinentes.

En ce qui concerne la liberté d’association, par exemple, la possibilité pratique de se syndiquer est réduite, compte tenu de la dispersion des travailleurs sur l’Internet. En outre, compte tenu de l’énorme concurrence qui existe sur les plateformes de travail, les travailleurs peuvent également être réticents à coopérer entre eux et les comportements opportunistes peuvent être facilement encouragés. De plus, dans les formes de travail où la réputation et l’évaluation jouent un rôle majeur pour assurer la continuité du travail avec une application particulière et l’accès à des emplois mieux rémunérés, les travailleurs peuvent se montrer particulièrement réticents à exercer tout droit collectif de crainte que cela ne nuise à leur réputation5. Enfin, le professeur De Stephano attire l’attention sur la possibilité d’être facilement résilié par une simple désactivation ou exclusion d’une plateforme ce qui peut amplifier la crainte de représailles6.

Cette forme de travail pourrait également avoir des effets très préjudiciables liés au travail forcé. C’est un fait, par exemple, qu’il existe déjà des « usines » dans certains pays où l’on exerce un type particulier de travail virtuel où les travailleurs sont payés pour passer certaines des épreuves répétitives et ennuyeuses permettant à des joueurs en ligne de développer des personnages virtuels améliorés7. Les travailleurs peuvent consacrer jusqu’à

4 Convention sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 (n° 87); Convention sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949 (n° 98) ; Convention sur le travail forcé, 1930 (n° 29) ; Convention sur l’abolition du travail forcé. 1957 (n° 105) ; Convention sur l’âge minimum. 1973 (n° 138).

Convention sur les pires formes de travail des enfants, 1999 (n° 182) ; Convention sur l’égalité de rémunération. 1951 (n° 100) ; Convention concernant la discrimination (emploi et profession), 1958 (n° 111).

5 E. Dagnino, Uber law: prospettive giuslavoristiche sulla sharing/on-demand economy, Adapt Labour Studies, e-Book series, Bergamo, Adapt, 2015, http://www.bollettinoadapt.it/uber-law- prospettive-giuslavoristiche-sulla-sharingon-demand-economy/

6 V. De Stefano, Non-Standard Workers and Freedom of Association: A Critical Analysis of Restrictions to Collective Rights from a Human Rights Perspective, Working Papers du Centro Studi di Diritto del Lavoro Europeo Massimo D’Antona, n° 123/2015.

7 M. Cherry, « The Global Dimension of Virtual Work », St Louis University Law Journal, vol. 54, 2010, p. 471.

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12 heures par jour à ces tâches. Selon certains auteurs, des détenus dans des camps de travail en Chine auraient été employés pour ce genre de tâches8.

Enfin les travailleurs des plateformes ne sont en aucune manière protégés contre les discriminations. Les préjugés explicites et/ou implicites des clients peuvent jouer un rôle important dans la décision d’accepter ou non un travailleur pour un emploi particulier et, surtout, dans l’évaluation de la tâche. Étant donné que les évaluations des clients peuvent être essentielles pour préserver la possibilité d’accéder à l’application, une évaluation biaisée pourrait avoir un effet préjudiciable majeur sur les possibilités d’emploi des travailleurs, à l’inverse de la situation du salarié qui, subissant une discrimination, pourrait en demander la justification devant les tribunaux.

À ces droits fondamentaux bafoués, peuvent être ajoutées des conditions de travail précaires établies notamment dans une récente étude de l’OIT examinant les résultats de deux enquêtes menées dans 75 pays9. Ce document donne un aperçu actualisé de la vie quotidienne éreintante et de la situation précaire de ces travailleurs « invisibles ». Ils n’ont ni contrat ni garantie sociale et sont tenus de travailler avec le statut d’indépendant. Leurs employeurs ne s’engagent aucunement à fournir des indemnités de maladie, des congés annuels, ni même les outils nécessaires pour effectuer le travail (ordinateur, wifi), et ne garantissent aucune protection sociale ou salaire minimum. Ces emplois à la demande sont difficiles à quantifier et à réglementer et ne sont donc actuellement soumis à aucun contrôle. Le plus souvent, les travailleurs «  au clic » travaillent à domicile, derrière leur écran d’ordinateur à des heures difficiles, afin de gagner un revenu supplémentaire (sur les 3 500 travailleurs interrogés, 43 % travaillent la nuit, dont 68 % entre 18h et 22 h parce qu’ils ont un autre emploi). Ces travailleurs cachés et anonymes n’ont ni protection ni code du travail dédié. Ces travailleurs sont payés à la tâche et, pour la plupart, gagnent moins que le salaire minimum du pays où ils résident et travaillent. La moyenne est de 4,43 $ lorsque l’on ne tient compte que du travail rémunéré, et elle tombe à 3,31 $ l’heure lorsque l’on prend également en compte des heures non rémunérées. Les travailleurs sont rarement payés pour le temps passé à se connecter aux plateformes, à lire et à comprendre les indications.

II - UNE INDÉPENDANCE AFFICHÉE VIRTUELLE

L’un des points communs entre travailleurs de la gig economy c’est l’insertion de clauses dans leur engagement contractuel, excluant l’existence d’un contrat de travail.

Bien évidemment, ces clauses sont parfaitement légitimes et justifiées lorsque la personne engagée conserve réellement et pleinement son autonomie dans l’exécution effective des tâches. Si tel n’est pas le cas, la relation pourrait être requalifiée comme un contrat de travail.

Dans l’ensemble, les juges des pays retenus dans ce dossier soumettent la qualification juridique de la relation de travail à l’épreuve de la «  réalité  des faits». Peu importe les stipulations contractuelles qui ne permettent pas à elles seules de nier l’existence du salariat. Pourtant, force est de constater que les plateformes rivalisent d’efforts pour rédiger des accords qui excluent avec rigueur l’existence d’une relation de travail.

8 D. Vincent, « China used prisoners in lucrative internet gaming work », The Guardian, 25 Mai 2011, http://www.theguardian.com/world/2011/may/25/china-prisonersinternet-gaming-scam

9 J. Berg, M. Furrer, E. Harmon, U. Rani, M S. Silberman, Digital labour platforms and the future of work Towards decent work in the online world, OIT, 2018, https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/

public/---dgreports/---dcomm/---publ/documents/publication/wcms_645337.pdf

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JURISPRUDENCE SOCIALE COMPARÉE

Indépendamment des études ici publiées, une analyse des contrats types imposés par les plateformes témoigne de leur volonté d’éliminer toute idée du salariat. Ainsi la plateforme Mapillary qui met en contact des entreprises ou particuliers ayant besoin d’images et des fournisseurs d’images s’exprime dans ces termes contractuels : « les présentes conditions générales ne créent pas une coentreprise, un partenariat, une association, une franchise ou une relation employeur/employé entre vous et Mapillary, ou entre vous et le Requérant ; - vous ne pouvez en aucun cas vous présenter comme un salarié, agent ou représentant de Mapillary ou d’un Requérant ; - vous n’aurez pas droit aux avantages sociaux que Mapillary ou un Requérant accorde à ses employés 10».

Ces dispositions semblent quelque peu redondantes mais illustrent une ferme détermination à exclure toute idée même de salariat. On peut comprendre cette attitude des plateformes dans la mesure où les entrepreneurs indépendants ne sont pas protégés comme le sont les salariés et, à ce titre, ne bénéficient pas d’un salaire minimum garanti, ni d’aucun avantage social tel que les vacances, les assurances, les congés de maternité ou les congés maladie payés. Les entrepreneurs indépendants doivent également faire face à des dépenses professionnelles et contracter une assurance, ce qui réduit d’autant leur revenu.

En théorie, il existe une distinction claire entre les deux formes de travail. Les entrepreneurs indépendants relèvent du travail indépendant et à ce titre gèrent leur propre entreprise, peuvent avoir leurs propres employés, tenir des comptes chèques distincts, avoir plus d’un client, utiliser leurs propres outils, fixer leur rémunération. Les salariés, pour leur part, travaillent pour un employeur et exécutent des tâches assignées et contrôlées par celui-ci. On leur fournit les outils nécessaires pour effectuer leur travail et leur rémunération leur est, au moins partiellement, imposée. En somme, ce qui distingue un salarié d’un entrepreneur indépendant, c’est que les salariés dépendent économiquement de leur employeur et doivent se plier à ses instructions alors que l’entrepreneur indépendant n’est pas soumis à ces contraintes dictées par un autre agent mais à celles de ces clients. Dès lors que l’une des parties au contrat dispose du pouvoir d’imposer une certaine conduite à l’autre sous peine de sanction, alors celle-ci ne peut revendiquer le statut d’indépendant.

Cette distinction n’étant pas toujours aisée à établir, certains pays ont créé, bien avant l’émergence de la « gig economy », une troisième voie intermédiaire. C’est le cas du Royaume-Uni qui distingue les salariés, les travailleurs et les indépendants ou de l’Espagne qui a créé la catégorie des travailleurs autonomes économiquement dépendants ou encore de l’Italie à l’origine des Cococo, collaboration continue co-organisée. Les autres pays qui n’ont pas fait ce choix hésitent entre les deux catégories précitées. Les études ici publiées témoignent de la grande difficulté à laquelle sont confrontés les juges nationaux qui examinent minutieusement à la fois les stipulations contractuelles et les conditions réelles d’exercice des activités.

10 «  As a Provider you agree that: (…) -these Marketplace Terms does not create a joint-venture, partnership, association, franchise or employer/employee relationship between you and Mapillary, or you and the Requester; -you may not under any circumstances represent yourself as an employee, agent or representative of Mapillary or a Requester (…)-you will not be entitled to any employment benefits that Mapillary or a Requester gives to its employees ». https://www.mapillary.

com/marketplaceterms

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Il est vrai que les prestataires qui opèrent via les plateformes semblent jouir d’une certaine indépendance à l’image du livreur Deliveroo ou du chauffeur Uber qui peut décider du moment de son travail ou du nombre de courses. En outre, certaines compagnies acceptent que les prestataires se substituent un remplaçant dans l’exercice de leur fonction, ce qui les éloigne davantage du salariat. Cependant, d’autres éléments viennent tempérer cette apparente liberté du prestataire. D’abord, les plateformes imposent certaines directives dans l’exécution des prestations. Elles délivrent parfois des « codes de bonne conduite » ou des injonctions sur la manière d’exécuter le travail. Parfois, ces directives sont particulièrement détaillées. Ainsi, les chauffeurs de Lyft ont pour instruction d’« aller au-delà d’un bon service, comme aider les passagers à transporter leurs bagages ou leur tenir un parapluie pour les protéger s’il pleut »11. Cette attitude qui pourrait s’apparenter à un pouvoir de direction de l’employeur est renforcée par la possibilité de sanctionner le prestataire récalcitrant. Toutes les plateformes se réservent le droit de rompre l’engagement contractuel sans qu’il y ait un quelconque devoir de motivation ou une possibilité de se défendre. Ainsi Uber, désactive automatiquement le profil des chauffeurs dont l’évaluation est insatisfaisante12. D’autres plateformes usent d’un pouvoir de sanction plus discret mais non moins réel en désactivant temporairement l’accès à l’application du prestataire, ce qui prive ce dernier de revenu.

Enfin la liberté du travailleur vantée par les plateformes est souvent illusoire. Ainsi, le livreur de repas est en théorie libre de décider de travailler au moment qu’il déterminera dans la journée. Mais en pratique, il ne trouvera des clients à livrer que principalement aux heures des repas. En dehors, il y aura beaucoup moins de demandes donc moins de possibilités de gagner des revenus.

Le professeur Valerio De Stephano, dans une étude de 2016 pour l’OIT13, a même mis en évidence certaines clauses des contrats imposées aux prestataires qui permettent de dépouiller le travailleur de ses gages alors que dans le même temps un employeur qui agirait de la sorte s’exposerait à des poursuites pour sanction pécuniaire. Il évoque, à cet effet, des plateformes permettant aux clients de refuser le paiement du travail effectué s’il est jugé insatisfaisant, sans avoir à fournir de raison.

En conclusion,l’ubérisation est-elle le nouveau modèle qui caractérisera les relations de travail de demain ? Il serait dangereux d’ignorer ce glissement progressif de modèle qui tente de reléguer dans le passé le modèle du salariat au profit de celui de l’indépendant qui se trouve en situation d’extrêmement vulnérabilité car à la merci du pouvoir contractuel des plateformes. D’aucuns arguent que ce ne sont que quelques secteurs ou fonctions qui sont concernés. Or ce qui est frappant, c’est au contraire de constater une progression continue de l’emprise de ce statut dans des secteurs de l’économie de plus en plus divers.

Même le domaine juridique ne sera pas épargné par la révolution de la « legal tech » qui promet d’introduire des changements profonds des métiers du droit et sans doute des formations qui y conduisent.

11 E. Ales, Y. Curzi, T. Fabri, O. Rymkevich, I. Senatori, G. Solinas, Working in Digital and Smart Organizations: Legal, Economic and Organizational Perspectives on the Digitalization of Labour Relations, Springer, 2018, p.97.

12 Ibid., p. 98.

13 V. De Stefano, The rise of the «just-in-time workforce»:On-demand work, crowdwork and labour protection in the «gig-economy», op. cit., p. 14.

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JURISPRUDENCE SOCIALE COMPARÉE

Les différentes jurisprudences abordées dans les dix pays retenus pour ce dossier (Afrique du Sud, Brésil, Canada, Espagne, France, Etats-Unis, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suisse), attestent de la gêne des juges vis-à-vis de ces nouvelles formes d’emploi. Tout d’abord, certains juges ont décidé de faire évoluer les critères du salariat pour permettre à ces travailleurs qui bénéficient d’une certaine indépendance de jouir de la qualification de salarié. Il en va ainsi de la Cour Suprême californienne qui a réformé une jurisprudence pourtant ancienne et bien établie. D’autres juges, sans toucher aux critères classiques du salariat, n’ont pas hésité à faire entrer les travailleurs des plateformes dans la catégorie des salariés. La Cour de cassation française, mettant fin à une certaine hésitation de la jurisprudence, a jugé que la particularité de l’activité des travailleurs des plateformes ne suffisait nullement pour écarter la qualification de salarié. Certains magistrats, sans reconnaître la qualité de salarié, ont toutefois accordé à ces travailleurs certains droits. Il en va ainsi des magistrats britanniques qui n’ont pas hésité à critiquer le montage contractuel qu’Uber impose à ses chauffeurs pour leur faire artificiellement revêtir la qualification d’indépendants. De même les juges canadiens ont également cloué au pilori cette attitude des plateformes qui profitent de leur position dominante pour imposer des clauses inéquitables, telles que les clauses compromissoires, visant à priver le travailleur d’accès à un juge. Il est rare qu’à l’heure actuelle un consensus prétorien soit établi dans un Etat.

Ainsi en Espagne, aux Pays-Bas et en Suisse règnent des divergences entre les juridictions.

D’autres juges, tels les magistrats brésiliens et italiens, refusent de faire évoluer les critères traditionnels du salariat, ce qui aboutit à priver nombre de travailleurs ayant recours à ces plateformes de la protection du statut de salariés. Enfin, certains juges ne se sont pas encore prononcés, comme en Afrique du Sud.

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LE TRAVAIL DANS L’ÉCONOMIE DES PLATEFORMES DANS LA JURISPRUDENCE ITALIENNE

1

Vincenzo Bavaro

Professeur, Université de Bari Aldo Moro

Donato Marino

Chercheur, Université de Bari Aldo Moro

F

orce est de constater que, dans toute l’Europe, la doctrine porte une attention croissante à l’égard du travail dans l’économie des plateformes. Cependant, les caractéristiques et les effets de cette

« quatrième révolution industrielle » ne sont pas encore clairement établis. D’ailleurs, le fait même que de multiples formules soient utilisées pour décrire cette phase de développement de l’économie capitaliste nous démontre la nécessité d’être encore plus attentifs dans la détermination des critères distinctifs des relations de travail instaurées au sein des entreprises du secteur de la production: le chauffeur d’Uber, le coursier de Foodora, l’artisan de Victor, l’évaluateur d’AMT, effectuent des prestations de travail qui s’inscrivent dans le cadre de cet éventail de formes d’emplois.

La question des effets de l’innovation technologique sur les relations de travail est une antienne qui se répète périodiquement : songeons à la qualification de la relation de travail des personnels externes employés dans les centres d’appel, ou

1 Le contenu de l’article est le fait des deux auteurs. Cependant, D. Marino a rédigé les parties 2 et 3, tandis que V. Bavaro a rédigé les parties 1 et 4.

2 Gig economy, sharing economy, platform economy, etc... Ces différentes formules démontrent l’hétérogénéité des caractères distinctifs de cette nouvelle « économie ».

Pour les auteurs, il s’agit d’un « modèle d’organisation de l’entreprise et du travail qui, en ayant recours aux technologies informatiques et à la possibilité d’être perpétuellement connecté à internet, propose, face aux demandes qui se présentent au fur et à mesure, des produits, des services et des compétences  » (G.A. Recchia, «  Gig economy e dilemmi qualificatori: la prima sentenza italiana », il Lavoro nella Giurisprudenza, 2018, n° 7, p.726).

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au travail dans les systèmes d’organisation ayant adopté le modèle de ce que l’on a dénommé la « qualité totale3 », ou encore plus tôt, aux pony express.

C’est dans ce contexte que le juge italien est aujourd’hui appelé à se prononcer sur le type spécifique des contrats de travail des coursiers à vélo. Les modalités d’exécution de cette relation de travail - caractérisée par l’intermédiation d’une plateforme informatique dans l’organisation du travail - remémore en Italie l’affaire des Pony express dans la jurisprudence des années 80 4.

Le problème pour les juristes spécialistes du droit du travail vient du fait que ces contrats de travail sont tous, du point de vue formel, de type « indépendant », et donc dépourvus des protections garanties par le droit du travail aux travailleurs subordonnés. Tout cela parce que, selon une représentation de la doctrine, la plateforme de travail transformerait le travail subordonné en travail indépendant5. Or, tous les travailleurs des plateformes numériques aspirent à bénéficier des protections du travail subordonné, qu’il s’agisse des chauffeurs de la plateforme FedEx (dans l’Oregon et en Californie), d’Uber (en Californie et en Angleterre6), de Lyft (en Californie), du travailleur de CrowdFlower, ou encore des coursiers à vélo de Foodora ou Foodinho en Italie. Toutes ces personnes ont sollicité auprès de leurs tribunaux nationaux respectifs la protection juridique accordée aux travailleurs salariés7, obligeant systématiquement à soulever la question théorique récurrente de la qualification juridique des relations de travail instaurées avec les travailleurs app-driven8 : sont-ils des travailleurs subordonnés ou des indépendants ?

3 L. Gaeta, « Qualità totale e teorie della subordinazione », Diritto delle Relazioni Industriali, 1994, p. 3, et L. Castelvetri, « Contratto di lavoro e qualità totale », Rivista Giuridica del Lavoro, 1994, I, p. 431.

4 R. Voza, dans « Il lavoro e le piattaforme digitali: the same old story ? », Working Paper Massimo D’Antona, n° 336/2017, a raison de dire qu’il n’y a pas de grande différence, du point de vue de la qualification de la relation de travail, entre le coursier de Foodora et le coursier de l’affaire Pony express auquel la doctrine juridique italienne du milieu des années 80 a prêté attention. Voir le jugement du Tribunal d’instance de Milan du 20 juin 1986, in Orientamenti di Giurisprudenza del Lavoro, 1986, p.978, suivi d’une note de L. Spagnuolo Vigorita, «Subordinazione e impresa ».

5 P. Ichino, « Le conseguenze dell’innovazione tecnologica sul diritto del lavoro », Rivista Italiana di Diritto del Lavoro, 2017, I, p. 525.

6 A. Donini, « Regole della concorrenza e attività di lavoro nella on demand economy: brevi riflessioni sulla vicenda Uber », Rivista Giuridica del Lavoro, 2016, II, p. 46.

7 Ce n’est pas un hasard si les toutes les actions en justice sont des recours contre un licenciement ou sont relatives à des demandes de salaire ; cf. A. Donini, « Il lavoro su piattaforma digitale “prende forma” tra autonomia e subordinazione. Nuove regole per nuovi lavori ? », Diritto delle Relazioni Industriali, 2016, p. 174-175.

8 P. Tullini, « Prime riflessioni dopo la sentenza di Torino sul caso Foodora », Lavoro Diritti Europa, 2018, p. 1 ; C. Spinelli, « La qualificazione giuridica del rapporto di lavoro dei fattorini di Foodora tra autonomia e subordinazione », Rivista Giuridica del Lavoro, 2018, II, n° 3, p. 371.

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I - PREMIÈRE THÈSE : LA RELATION DE TRAVAIL DES COURSIERS N’EST PAS SUBORDONNÉE

La question de la qualification juridique de la relation de travail des coursiers aboutit, pour la première fois devant les instances judiciaires italiennes, à la suite du recours présenté par des travailleurs engagés par la société Foodora et par la société Foodinho sur la base de contrats de travail non subordonné, mais de « collaboration coordonnée et continue ».

Jusqu’à présent, les affaires judiciaires italiennes ne sont qu’au nombre de deux et ont fait l’objet de trois décisions : le Tribunal9 puis la Cour d’appel10 de Turin dans une affaire de six travailleurs engagés en vertu de contrats de collaboration coordonnée et continue - au titre de l’art. 409 du Code de procédure civile - pour livrer à vélo des plats cuisinés pour le compte de la société Foodora et enfin le Tribunal de Milan11 pour le cas d’un travailleur - engagé au titre d’un contrat de collaboration coordonnée et continue - qui effectuait des livraisons avec son propre véhicule pour le compte de la société Foodinho (qui intervient en Italie via la plateforme espagnole Glovo). Dans les deux affaires, les coursiers ont demandé que leur relation de collaboration coordonnée et continue soit qualifiée de relation de travail subordonnée.

L’examen des modalités d’exercice de l’activité professionnelle des coursiers a conduit les tribunaux, tout comme la Cour d’appel, à rejeter les demandes des travailleurs et à déclarer qu’il n’y avait là aucune relation de travail subordonnée dans la mesure où les travailleurs n’étaient assujettis, ni au pouvoir de direction et d’organisation de leur employeur, ni à son pouvoir disciplinaire. Ces tribunaux ont réaffirmé une orientation de la Cour de cassation selon laquelle la subordination comporte une « obligation de soumission du travailleur au pouvoir de direction, d’organisation et de sanction de l’employeur, qui découle de l’émission d’ordres spécifiques, ainsi que de l’exercice d’une activité assidue de surveillance et de contrôle de l’exécution des prestations de travail »12.

Les tribunaux ont accordé de l’importance au fait que dans tous les contrats de collaboration, il existe une clause dite « independent contractor » à travers laquelle on a voulu mettre l’accent sur l’indépendance du coursier appelé à effectuer sa prestation « en toute indépendance, sans être assujetti à un quelconque lien de subordination, pouvoir hiérarchique ou disciplinaire, ou encore à des obligations de présence ou des contraintes horaires de tout type envers le donneur d’ordre ».

9 Tribunal de Turin, 07.05.2018. P.  Ichino, « Subordinazione, autonomia e protezione del lavoro nella Gig-Economy», Rivista Italiana di Diritto del Lavoro, 2018, II, p. 294 ; M. Del Conte, O. Razzolini, « La gig economy alla prova del giudice : la difficile reinterpretazione della fattispecie e degli indici denotativi », Giornale di Diritto del Lavoro e di Relazioni Industriali, 2018, n° 3, p. 673.

10 Cour d’appel de Turin, 04.02.2019.

11 Tribunal de Milan, 10.9.2018 ; C. Spinelli, « Rider: anche il Tribunale di Milano esclude il vincolo di subordinazione nel rapporto lavorativo », Rivista Giuridica del Lavoro, 2019, n° 1.

12 Les décisions des tribunaux font expressément référence à la Cour de Cassation (arrêt n° 2728 du 08.02.2010 et arrêt n° 21028 du 28.09.2006).

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ITALIE

Cependant, tout en tenant compte de la volonté des parties exprimée à travers cette clause, les tribunaux ont jugé bon de vérifier la nature indépendante ou subordonnée de la relation de travail, au moyen d’un examen des modalités concrètes d’exécution de la prestation de travail et en faisant abstraction de la qualification juridique donnée au contrat par les parties13.

Pour ce qui est de la qualification juridique de la relation de travail, l’élément déterminant résidait dans l’importance accordée par les tribunaux à la liberté du coursier de déterminer s’il devait effectuer la livraison, quand l’effectuer et pendant combien de temps être disponible. En effet, la relation de travail était caractérisée par le fait, d’une part que les coursiers n’avaient aucune obligation d’effectuer la prestation de travail et, d’autre part que l’employeur n’était nullement obligé de recourir à leur disponibilité pour effectuer des livraisons. Cette « liberté » contractuelle dans la gestion de la relation a concerné tout autant le travail des coursiers de Foodora que ceux de Foodinho.

La relation de travail était gérée au moyen d’une plateforme multimédia (appli) sur laquelle la société publiait une fois par semaine les tours de service (slots), en indiquant le nombre de coursiers requis pour couvrir chaque tour de service. Chaque coursier pouvait donc se montrer disposé à assurer les différents slots en fonction de ses exigences personnelles, mais il n’était pas obligé de le faire. Une fois reçue confirmation de l’affectation de son tour de service de la part du « responsable du parc », le travailleur devait se rendre dans l’une des zones de départ préétablies, se connecter sur l’appli et activer la géolocalisation. À ce moment-là, le coursier recevait sur l’appli la notification de la commande avec l’indication du restaurant et, une fois la commande acceptée, il devait prendre en charge les produits en utilisant son propre véhicule (vélo ou voiture), vérifier qu’ils correspondaient bien à la commande et, après avoir chargé les plats dans le coffre, veiller à les livrer au client dans un délai donné.

Le coursier pouvait par conséquent se rendre disponible pour effectuer l’un des tours de service indiqués par Foodora ou par Foodinho, mais sans être obligé de le faire ; de la même façon, l’appli pouvait également ne pas accepter la disponibilité exprimée par un travailleur et ne pas l’inclure dans les tours de service.

Selon le Tribunal de Turin, cette caractéristique de la relation « est en soi déterminante pour exclure la soumission des demandeurs au pouvoir de direction et d’organisation de l’employeur. En effet, il est évident que si l’employeur ne peut exiger du travailleur qu’il exécute la prestation de travail, il ne peut d’autant pas exercer sur lui son pouvoir de direction et d’organisation ». De manière analogue, le Tribunal de Milan a également vu dans ce « facteur essentiel de l’autonomie organisationnelle, se traduisant par la liberté de fixer la quantité et le moment de la réalisation de la prestation de travail [...] un élément incompatible avec le lien de subordination ». Selon le Tribunal de Milan, la subordination implique « l’intégration du travailleur dans l’organisation de l’entreprise de l’employeur, en

13 Pour la jurisprudence italienne, «  aux fins de la détermination de la nature indépendante ou subordonnée d’une relation de travail, la qualification formelle établie par les parties au moment de la conclusion du contrat individuel, même si elle est significative, n’est pas déterminante, étant donné que les parties, tout en souhaitant mettre en œuvre une relation de travail subordonnée, pourraient très bien avoir simultanément déclaré souhaiter une relation indépendante en vue de contourner la réglementation légale en la matière » (Cour de cassation, arrêt n°  19199 du 19.08.2013 ; Cour de cassation, arrêt n° 7024 du 08.04.2015 ; Cour de cassation, arrêt n° 4884 du 01.03.2018).

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contrepartie de la mise à disposition de ses capacités de travail (operæ) au bénéfice de celui-ci ainsi que de sa soumission concomitante au pouvoir de direction de ce dernier », alors que « dans le travail indépendant, l’objet de la prestation est constitué par le résultat de l’activité (opus) ».

Par conséquent, pour les tribunaux de Turin et Milan, étant donné que l’obligation d’exécution de la prestation de travail fait défaut - au sens où il n’y a aucune obligation d’être disposé à s’intégrer dans un tour de service (slot) -, la possibilité de soumission au pouvoir de direction, d’organisation et de sanction de la société est totalement absente ; l’existence d’un lien de subordination est donc exclue d’emblée. L’absence de risque économique, la détermination du lieu de la prestation, le mode de rémunération sont des indices qui « ne peuvent avoir qu’une valeur indicative et non déterminante, ces éléments ne constituant par eux-mêmes que des facteurs qui, bien que significatifs dans la reconstitution de la relation, sont susceptibles in abstracto d’être compatibles avec l’une comme l’autre des qualifications de la relation en question »14.

Néanmoins, comme la société peut exercer son pouvoir de direction et d’organisation, dès l’instant où les coursiers sont disposés à travailler et ensuite intégrés dans un tour de service, les tribunaux ont vérifié dans quelle mesure, pendant les tours de service des coursiers, les sociétés ont effectivement exercé leur pouvoir de direction et d’organisation.

Cette seconde analyse des modalités concrètes du déroulement de la prestation a renforcé la conviction des tribunaux sur l’inexistence d’un pouvoir de direction sur les coursiers.

Selon les tribunaux de Turin et Milan, tout en admettant qu’à l’ére du travail numérique, ce que l’on appelle l’hétéro-direction - élément caractéristique de la subordination, qui consiste dans «  l’émission d’ordres spécifiques et dans l’exercice d’une activité assidue de surveillance et de contrôle de l’exécution des prestations de travail »15 - pourrait être exercée au moyen d’instruments faisant abstraction de la présence physique, en un seul et même lieu, de la personne qui donne les ordres et de celle qui les reçoit, cette hétéro- direction n’ayant été exercée par aucune des sociétés, celles-ci s’étant limitées à l’exercice d’un simple pouvoir de coordination des prestations, typique des relations de travail indépendantes.

La détermination du lieu et des heures de travail (points de départ et créneaux horaires), le contrôle de la présence des coursiers aux points de départ, le rappel des travailleurs qui tardent à accepter la commande, la nécessité - en cas d’impossibilité d’effectuer la prestation de travail - de transmettre à ses supérieurs une demande de réaffectation de la commande, l’obligation d’effectuer la livraison des produits dans des délais préétablis en suivant le trajet suggéré par le GPS de l’appli, le suivi de la productivité de chacun des travailleurs... Rien de tout cela, aux dires des tribunaux, n’a pu être constaté dans les éléments de la procédure et, de toute manière, il s’agissait là d’indices jugés non déterminants pour la qualification de la relation de travail subordonnée. Selon les tribunaux, les instructions fournies par les sociétés sur le contenu et les objectifs de la mission confiée au cas par cas, ainsi que la fixation de normes qualitatives et quantitatives relatives aux prestations, constituaient l’exercice d’une activité de coordination du donneur d’ordre typique de la relation de travail indépendante.

14 En ce sens, voir l’arrêt de la Cour de cassation n° 15631 du 14.06.2018.

15 Tel qu’écrit par le Tribunal de Turin le 07.05.2018 et rappelé dans la jurisprudence de la Cour de cassation.

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ITALIE

Par ailleurs, dans le cas Foodora, le tribunal a également estimé qu’il n’y avait pas lieu de mettre en avant la soumission des travailleurs au pouvoir disciplinaire, c’est-à-dire à l’avertissement verbal et à l’exclusion temporaire ou définitive du forum de discussion (chat) de l’entreprise ou des tours de service. Selon le Tribunal de Turin, dès lors que les coursiers se sont vu attribuer le pouvoir d’annuler leur disponibilité sur un tour de service déjà confirmé par la société en utilisant la fonction de permutation (dite swap), voire de ne pas effectuer la prestation sans aucune communication préalable (fonction dite no show), et que l’exercice de ce pouvoir par les coursiers n’a jamais entraîné une quelconque sanction disciplinaire, cela confirme bien leur absence de subordination. L’avertissement verbal et l’exclusion temporaire ou définitive du forum de discussion de l’entreprise ou des tours de service n’ont pas été considérés comme l’exercice d’un pouvoir disciplinaire car cela n’avait pas pour objet de « priver les travailleurs d’un de leurs droits ». En définitive, les Tribunaux de Turin et de Milan, ainsi que la Cour d’appel de Turin, ont déclaré que les relations de travail des coursiers n’étaient pas subordonnées au titre de l’art. 2094 du Code civil.

II - DEUXIÈME THÈSE : LA RELATION DE TRAVAIL DES COURSIERS EST UNE COLLABORATION HÉTÉRO-ORGANISÉE

Dans les trois décisions, les tribunaux italiens ont soulevé une deuxième question.

Après avoir repoussé la demande des coursiers relative au constat de leur subordination, ces derniers se sont également penchés sur l’éventualité que les relations de travail en question puissent être qualifiées de relations de travail hétero-organisé, conformément à l’art. 2 du décret-loi n° 81/2015.

Cette règle de droit établit qu’« à compter du 1er janvier 2016, la réglementation de la relation de travail subordonnée s’applique aussi aux relations de collaboration qui se concrétisent par des prestations de travail exclusivement personnelles, continues et dont les modalités d’exécution sont organisées par le donneur d’ordre, notamment en ce qui concerne le temps et le lieu de travail ». Cette règle a suscité un vif débat dans la doctrine italienne16, qui s’est reflété dans les trois décisions examinées. Cette fois cependant, les tribunaux ont tranché différemment.

Pour le Tribunal de Turin, cette règle n’aurait aucun « contenu susceptible de produire de nouveaux effets juridiques sur le plan de la réglementation applicable aux différents types de relations de travail ». Ce tribunal a adhéré à la doctrine soutenant que l’art. 2 du décret législatif n°  81/2015 est une «  règle apparente  »17 voire «  inutile  »18, c’est-à- dire «  se limitant à inscrire dans le droit positif une orientation extensive antérieure de la jurisprudence »19. En d’autres termes, selon cette doctrine, la « collaboration continue

16 S. Ciucciovino, «  Le collaborazioni organizzate dal committente nel confine tra autonomia e subordinazione», Rivista Italiana di Diritto del Lavoro, 2016, I, p. 321; G. Ferraro, « Collaborazioni organizzate dal committente », Rivista Italiana di Diritto del Lavoro, 2016, I, p. 53.

17 P. Tosi, «  L’art. 2, comma 1, d. lgs. n. 81/2015  : una norma apparente ? », Argomenti di Diritto del Lavoro, 2015, n° 6, p. 1117; C. Pisani, « Le collaborazioni coordinate e continuative a rischio estinzione », Rivista Italiana di Diritto del Lavoro, 2018, I, p. 43.

18 C. Salazar, «  Diritti e algoritmi  : la Gig Economy e il “caso Foodora”, tra giudici e legislatore », Consulta Online, 2019, fasc. 1, p. 154.

19 M. Biasi, « L’inquadramento giuridico dei riders alla prova della giurisprudenza », Lavoro Diritti Europa, 2018, n°2, p. 9.

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organisée par le donneur d’ordre » (hétéro-organisée) n’est rien d’autre qu’une manière différente d’entendre la collaboration subordonnée prévue par l’art. 2094 du Code civil.

Cela serait d’autant plus vrai que la loi, en cas de collaboration hétéro-organisée, attribue les mêmes protections que celles prévues pour le travail subordonné. En conséquence, après avoir exclu la subordination, le Tribunal de Turin a également écarté la collaboration hétéro-organisée.

Ce faisant, on finit assurément par introduire une notion de travail subordonné encore plus restreinte que celle contenue dans l’art. 2094 du Code civil, dans la mesure où le travailleur devrait être assujetti au pouvoir de direction de l’employeur, lequel devrait se concrétiser encore et toujours par rapport au temps et au lieu de travail.

Le Tribunal de Milan aboutit de surcroît à la même conclusion, quoique de manière différente. Dans ce cas, l’art. 2 du décret législatif n° 81/2015 n’apparaît pas tant comme une règle « apparente » que comme une règle qui « aurait uniquement pour effet d’étendre à certains travaux indépendants se distinguant par certaines de leurs caractéristiques de faiblesse économique et/ou organisationnelle, voire par une certaine proximité

“morphologique” par rapport au travail subordonné, la réglementation de celui-ci  ».

Compte tenu des modalités d’exécution de la prestation, le Tribunal de Milan n’a pas estimé devoir qualifier la relation de travail de relation hétéro-organisée, « étant donné que le choix fondamental concernant les temps de travail et de repos a été laissé à la discrétion du demandeur, qui l’exerçait au moment où il faisait savoir qu’il était disposé à travailler certains jours et à certaines heures, et non pas à d’autres ». Comme on peut le voir, le fait que le coursier ait la liberté de choisir s’il doit travailler ou non est, une fois de plus, déterminant.

Toutefois, comme le tribunal ne saurait ignorer le fait qu’une fois intégré dans les tours de service, le travailleur est intégré dans l’organisation en recevant des directives, il se soucie de préciser que « le fait que, dans l’exécution concrète de son activité, le demandeur soit tenu, après avoir accepté d’effectuer une livraison, de finaliser celle-ci le plus rapidement possible n’est pas de nature à inclure le paramètre susmentionné, car il ne semble pas que la demande, par le donneur d’ordre, d’exécuter le travail dans un délai déterminé puisse être considérée comme une organisation du temps de travail ».

La décision de la Cour d’appel de Turin est différente20. La Cour, tout en convenant de l’inexistence de la subordination, a en effet estimé que l’art. 2 du décret-loi n° 81/2015 a instauré un nouveau cas de contrat de collaboration hétéro-organisée, permettant de définir une troisième catégorie de contrat entre la relation de travail subordonnée au titre de l’art. 2094 du Code civil et la collaboration coordonnée et continue au titre de l’art. 409 n. 3 du Code de procédure civile. Le nouveau cas de contrat introduit par la loi, ayant un « contenu normatif », vise à « assurer une meilleure protection des nouvelles formes de travail qui, suite à l’évolution des technologies les plus récentes et à leur mise en œuvre toujours plus rapide, sont en train de se développer ». Donc, la collaboration est hétéro- organisée lorsque «  l’on constate une intégration fonctionnelle effective du travailleur dans l’organisation de la production du donneur d’ordre, de sorte que la prestation de travail finit par être structurellement liée à celle-ci (l’organisation) et se présente comme quelque chose allant au-delà de la simple coordination visée à l’art. 409 alinéa 3 du Code

20 U. Carabelli et C. Spinelli, « La Corte d’Appello di Torino ribalta il verdetto di primo grado : i rider sono collaboratori etero-organizzati », Rivista Giuridica del Lavoro, 2019, n° 1.

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de procédure civile, car dans ce cas, c’est le donneur d’ordre qui détermine les modalités de l’activité de travail exercée par son collaborateur ».

En définitive, compte tenu des modalités d’exécution concrètes de la prestation de travail, la Cour d’appel de Turin a jugé bon de qualifier la relation de travail de collaboration hétéro-organisée en précisant que « le travailleur hétéro-organisé reste du point de vue technique ‘indépendant’ mais pour tout le reste, notamment en ce qui concerne la sécurité et l’hygiène, la rémunération directe ou différée, les limitations d’horaires, les congés et la sécurité sociale, la relation est régie » comme si elle était de nature subordonnée.

Ce qu’il convient de mettre en évidence, suite à l’arrêt de la Cour d’appel de Turin, c’est que les tribunaux excluent qu’il puisse s’agir là d’un travail subordonné. En effet, la relation de travail est fondée sur une double liberté du travailleur : d’une part, la liberté de s’intégrer ou non dans les tours de service, à savoir la liberté de se mettre à la disposition de l’organisation, d’autre part, une fois intégré dans ces tours, la liberté d’accepter ou non les appels de livraison.

La seule possibilité permettant de garantir des protections à ces relations de travail est d’admettre l’existence d’une hétéro-organisation en se référant au temps et au lieu de la prestation de travail, laquelle - selon la Cour d’appel de Turin - existe chaque fois que le coursier accepte d’effectuer une livraison. C’est pour cette raison que les coursiers de Foodora ont obtenu le droit aux mêmes protections que les travailleurs subordonnés dans la limite du temps d’exécution effective de la prestation de travail. Autrement dit, la liberté par rapport à l’obligation existe également lorsque le coursier est disposé à s’intégrer dans un tour de service ; mais chaque fois qu’il est appelé pour une livraison, une relation de travail organisée par la société se met aussi en place, y compris en ce qui concerne le temps et le lieu.

III - LA QUESTION (NON RÉSOLUE) DE LA DIMENSION TEMPORELLE DU TRAVAIL SUBORDONNÉ

En conclusion, nous estimons être en mesure d’affirmer que la question essentielle relative à la qualification de la relation de travail gérée par des plateformes informatiques (et donc, les protections qui doivent être garanties à ces travailleurs) réside précisément dans la configuration du rapport entre la liberté et la soumission au pouvoir. Comme nous l’avons vu, les trois décisions de justice se fondent sur la liberté de s’intégrer dans l’organisation des tours de service et sur la liberté d’accepter les appels de livraison. En somme, dans le travail via une plateforme, « les travailleurs n’ont normalement aucune obligation d’être disposés à exécuter leur prestation d’une manière continue dans le temps »21. Voilà pourquoi, du point de vue formel, s’il n’y a pas d’obligation de travailler, il ne peut exister de contrat de travail ; le fait qu’un travailleur puisse être obligé de se mettre à disposition ne peut donc permettre de conclure, « sur le fond »22, que l’on est en présence d’un contrat de travail si la société n’a pas le pouvoir d’exiger, d’organiser et d’utiliser une prestation de travail. En

21 V. De Stefano, «  Lavoro “su piattaforma” e lavoro non standard in prospettiva internazionale e comparata », Rivista Giuridica del Lavoro, 2017, I, p. 249 ; P. Loi, « Il lavoro nella gig economy nella prospettiva del rischio », Rivista Giuridica del Lavoro, 2017, I, p. 259.

22 S. Auriemma, « Impresa, lavoro e subordinazione digitale al vaglio della giurisprudenza », Rivista Giuridica del Lavoro, 2017, I, p. 286.

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