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L'accès au juge dans le domaine de l'environnement : le hiatus du droit de l'Union européenne

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Academic year: 2021

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L’accès au juge dans le domaine de l’environnement : le hiatus du droit de l’Union européenne

Estelle Brosset

Professeure Chaire Jean Monnet

Directrice du Master 2 Droit International et Européen de l’Environnement

Aix Marseille Univ, Université de Toulon, Univ Pau & Pays Adour, CNRS, DICE, CERIC, Aix-en-Provence, France

Eve Truilhé-Marengo

Directrice de recherches CNRS

Directrice du Master 2 Droit International et Européen de l’Environnement

Aix Marseille Univ, Université de Toulon, Univ Pau & Pays Adour, CNRS, DICE, CERIC, Aix-en-Provence, France

Résumé

L’accès à la justice est le moyen concret de faire valoir le droit de chacun au respect des dispositions protégeant l’environnement, l’élément essentiel de l’application de celles-ci. Dans quelle mesure l’ordre juridique de l’Union européenne, Union de droit ayant vocation à garantir une protection juridictionnelle effective, garantit-il un tel droit ? Comment sont mis en œuvre les dispositions de la Convention d’Aarhus qui font partie intégrante de l’ordre juridique européen ? Le présent article fait apparaître une différence de traitement par le droit de l’Union de l’accès aux juges nationaux et celui de l’accès à sa propre Cour. En effet, si l’accès aux juges nationaux dans les contentieux environnementaux, est largement promu par le droit de l’Union a contrario, l’accès à la Cour de justice est, au contraire, rigoureusement encadré dans le droit de l’Union et en dépit de propositions et revendications, aucune évolution substantielle ne peut être relevée dans le domaine de l’environnement.

Introduction

L’accès à la justice est le moyen concret de faire valoir le droit de chacun au respect des dispositions protégeant l’environnement et constitue de ce fait l’élément essentiel de l’application de celles-ci. Or, accéder à la justice au nom de la protection de l’environnement n’est pas chose aisée. D’abord, la nature, pas plus que ses éléments, ne peut défendre elle-même ses intérêts en justice1. Cette prérogative doit donc être transférée à des sujets de droit, des individus, seuls ou regroupés en association, agissant au nom de la défense de l’environnement contre une norme juridique insuffisamment protectrice ou contre une décision d’autorisation d’un projet, d’une activité ou d’une substance dangereuse pour l’environnement. Ensuite, même si des intérêts individuels peuvent également être en jeu, la protection de l’environnement constitue, par nature, un intérêt collectif alors que, dans de très nombreux systèmes juridiques, un intérêt personnel est requis pour qui prétend agir en justice. Un aménagement des règles procédurales applicables est donc généralement nécessaire pour que soit assuré le droit d’accès à la justice en matière d’environnement.

* Le présent article est publié dans le cadre d’un projet de recherche collectif financé par la Mission de recherche Droit et Justice, intitulé « Le procès environnemental : du procès sur l’environnement au procès pour l’environnement », sous la direction de M. Hautereau-Boutonnet et E. Truilhé-Marengo.

1 Certains auteurs ont développé des théories inverses, attribuant aux éléments de l’environnement le droit d’ester en justice : C. D. Stone, Should trees have standing ? Toward legal rights for natural objects, South California Law review, 1972, p. 450 et Should tree have standing ? And other essays on law, morals and environment, Oceana Publications, New York, 1996, 181 p.

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Qu’en est-il dans le cadre du droit de l’Union européenne ? C’est l’objectif du présent article que d’analyser dans quelle mesure l’ordre juridique de l’Union européenne garantit un tel droit entendu, dans le cadre de cette étude, comme le droit des personnes physiques et morales d’accéder à un juge. Le droit de l’environnement de l’Union européenne est dense, cumulant instruments sectoriels et instruments de nature transversale2. Il est donc pour le moins essentiel, pour en assurer l’effectivité, que les juges, les juges nationaux comme la Cour de justice de l’Union, puissent être saisis de tous les litiges liés à la mauvaise application des normes qui le composent. À première vue la situation s’annonce plutôt rassurante. Depuis son origine3, l’Union se définit comme une Union de droit4 qui a vocation à garantir une protection juridictionnelle effective désormais5 consacrée dans le Traité6 et dans l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. D’ailleurs, les voies de recours prévues dans le Traité sont nombreuses, « complètes »7

nous dit même la Cour, destinées à permettre le contrôle par la Cour tant des actes pris par les institutions, organes et organismes de l’Union que des actes, comportement ou abstentions des Etats. S’y ajoutent celles prévues devant les juridictions nationales, l’article 19, paragraphe 1, deuxième phrase, du TUE, imposant aux États membres d’établir « les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l'Union ». Dans le domaine de l’environnement, le principe est en outre particulièrement valorisé depuis l’adoption en 1998 de la Convention sur l’accès à l’information, à la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, convention approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2005/370 du 17 février 20058. Depuis lors, l’Union est, aux côtés des Etats membres, partie à la Convention qui fait donc partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union et pour laquelle la Cour a compétence pour statuer à titre préjudiciel en interprétation9. Or, l’objectif de la Convention est ambitieux notamment – mais pas seulement- s’agissant du droit d’accès à la justice en matière d’environnement10

organisé dans trois hypothèses distinctes : en relation avec l’accès à l’information11, avec le processus décisionnel12 et de façon

2

E. Truilhé-Marengo, Droit de l’environnement de l’Union européenne, Larcier, Bruxelles, 2015, 409 p.

3 M. Dougan, The Treaty of Lisbonn 2007 : Winning Minds, Not Hearts, CML Rev., n° 45, 2008, 678. Voir aussi, A. Vauchez, L’Union par le droit, Les presses de Sciences Po, 2013, 398 p.

4 CJUE, 29 juin 2010, E. et F. aff. C-550/09, Rec. p. 6213; CJUE, 19 décembre 2013, Telefonica / Commission

européenne, aff. C-274/12 P, Rec. p. 852, pt. 56. Voir bien avant pour la consécration de la notion de « Communauté de

droit » : CJCE, 23 avr. 1986, "Les Verts" / Parlement européen, aff. 294/83, Rec. p. 1339, pt. 23.

5 La Cour de justice l’avait d’abord reconnu en tant que principe général de droit, inspiré de la Convention européenne des droits de l'homme et des traditions constitutionnelles communes aux États membres : CJCE, 15 mai 1986, Johnston, aff. 222/84, Rec. p. 1651, pt. 18. Voir pour une vue détaillée : F. Picod, Droit au juge et voies de droit communautaire : un mariage de raison, Mélanges en l’honneur de P. Manin, L’Union européenne, union de droit, union des droits, Pedone, 2010, pp. 907-920.

6 Article 19 § 1 TUE. 7

Le Traité FUE a institué, notamment par ses articles 263 et 277, d’une part, et 267, d’autre part, un « système complet

de voies de recours et de procédures destiné à assurer le contrôle de la légalité des actes de l’Union, en le confiant au juge de l’Union » (CJUE, 19 déc. 2013, Telefonica / Commission européenne, précité, pt. 57).

8 Décision 2005/370, du 17 février 2005, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, de la Convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, JOCE du 17/05/2005, n° L 124.

9 CJUE, 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie VLK, Affaire C-240/09, Rec. p. 1255, pt. 30.

10 C. Larssen, B. Jadot, La convention d’Aarhus, dans L’accès à la justice en matière d’environnement, Bruylant, 2005, p. 219

11 Article 9-1 : « Chaque Partie veille, dans le cadre de sa législation nationale, à ce que toute personne qui estime que

la demande d'informations qu'elle a présentée en application de l'article 4 a été ignorée, rejetée abusivement, en totalité ou en partie, ou insuffisamment prise en compte ou qu'elle n'a pas été traitée conformément aux dispositions de cet article, ait la possibilité de former un recours devant une instance judiciaire ou un autre organe indépendant et impartial établi par la loi ».

12 Article 9-2 : « Chaque Partie veille, dans le cadre de sa législation nationale, à ce que les membres du public

concerné a) ayant un intérêt suffisant pour agir ou, sinon, b) faisant valoir une atteinte à un droit, lorsque le code de procédure administrative d'une Partie pose une telle condition, puissent former un recours devant une instance judiciaire et/ou un autre organe indépendant et impartial établi par loi pour contester la légalité, quant au fond et à la procédure, de toute décision, tout acte ou toute omission tombant sous le coup des dispositions de l'article 6 et, si le

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plus générale afin de contester toute hypothèse de violation de dispositions nationales (et de droit de l’Union) protégeant l’environnement. En vertu du troisième paragraphe de l’article 9 du texte, les Parties à la Convention doivent en effet veiller à ce que « les membres du public qui répondent aux critères éventuels prévus par son droit interne puissent engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes ou omissions de particuliers ou d'autorités publiques allant à l'encontre des dispositions du droit national de l'environnement ».

Pourtant, dès que l’analyse se fait plus précise, l’impression se transforme singulièrement et devient plus contrastée. L’actualité la plus récente donne d’ailleurs quelques indices non négligeables. Pour la deuxième fois, dans une décision du 17 mars 201713, le comité d’examen du respect de la Convention d’Aarhus a constaté les insuffisances du droit de l’Union vis-à-vis du droit au juge en matière environnementale et conclu à la non-conformité du droit de l’Union vis-à-vis des prescriptions de la Convention en matière d’accès du public à la justice14. Et pourtant, dans la même période, la Commission publiait, plus précisément le 28 avril 2017, une Communication sur l’accès à la justice en matière d’environnement15 en vue de recenser l’importante jurisprudence de la Cour en la matière et ce faisant, de « clarifier sensiblement les choses et constituer une source de référence » notamment pour « le public, notamment les personnes physiques et les ONG environnementales, agissant en défenseurs de l’intérêt général »16

. En conclusion de son document, la Commission souligne que, de son point de vue, « les exigences figurant actuellement dans l’acquis de l’Union (…) fournissent déjà un cadre cohérent pour l’accès à la justice dans ce domaine17. D’ailleurs, l’arrêt rendu le 20 décembre dernier, Protect Natur18, semble conforter cette conclusion. La Cour, sur le fondement de l’article 47 de la Charte et de l’article 9-3 de la Convention d’Aarhus, rappelle l’impossibilité pour les droits procéduraux nationaux de priver les organisations de défense de l’environnement de la possibilité de faire contrôler le respect des normes issues du droit de l’Union de l’environnement19

et souligne, qu’en ce cas, il incombe à la juridiction nationale, de laisser inappliquée, dans le litige dont elle est saisie, la règle de droit procédural national.

Pour rendre compte de cette situation, il est utile d’envisager d’une part l’accès aux juges nationaux et les règles du droit de l’Union qui s’y appliquent, d’autre part, l’accès à la Cour de justice (et à

droit interne le prévoit et sans préjudice du paragraphe 3 ci-après, des autres dispositions pertinentes de la présente Convention ».

13

Projet de décision du Comité d’examen du respect des dispositions de la Convention d’Aarhus concernant l’Union européenne n° ACCC/C/2008/32 adoptée le 17 mars 2017.

14 J. Bétaille, Accès à la justice de l’Union européenne, le Comité d’examen du respect des dispositions de la Convention d’Aarhus s’immisce dans le dialogue des juges européens : à propos de la décision no ACCC/C/2008/32 du 14 avril 2011, RJE, n°4, 2011. pp. 547-562.

15 COM du 28 avril 2017, C(2017) 2616 final. Cette communication peut être vue comme une réponse – anticipée- de la Commission précisément à la décision du Comité en charge de l’application de la Convention d’Aarhus : la jurisprudence de la Cour sur l’accès aux prétoires nationaux y est présentée comme la marque du respect de cet engagement international par les institutions de l’Union.

16 Point 9 de la Communication. 17 Point 210 de la Communication.

18 CJUE, 20 décembre 2017, Protect Natur, C-664/15. Le litige interne concernait une autorisation d’une installation de production de neige (appartenant à une station de ski) et comprenant un bassin de stockage alimenté par de l’eau prélevé dans une rivière situé en Autriche. En l’espèce, la procédure administrative avait été menée par l’autorité compétente suivant les prescriptions de la loi autrichienne relative au droit de l’eau destinée à transposer la directive-cadre sur l’eau qui ne prévoit pas de dispositions spécifiques relatives à la participation ou au droit de recours juridictionnel des ONG. Protect Natur, une organisation de défense de l’environnement, contestait la décision au motif que le projet en cause aurait des incidences notables sur des zones protégées au titre de la directive « habitats » et détériorerait l’état des masses d’eau. Mais, le droit de participation, en tant que partie à la procédure, à la procédure d’autorisation, lui avait été refusé (notamment car elle n’avait pas fait avoir à temps ses objections) et faute d’être reconnue comme ayant la qualité de partie à la procédure, l’ONG s’était vue également déniée la possibilité d’introduire un recours devant une juridiction nationale afin de contester une décision d’autorisation du projet.

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son Tribunal)20 en tant que tel. En effet, si l’accès aux juges nationaux est, s’agissant des contentieux environnementaux, largement favorisé par le droit de l’Union, a contrario, l’accès à la Cour de justice est, au contraire, rigoureusement encadré dans le droit de l’Union, et en dépit de propositions et revendications, aucune modification n’a eu lieu pour le domaine de l’environnement. Le droit de l’Union -et plus spécifiquement la jurisprudence de la Cour- semble exiger des États membres ce qu’elle n’exige pas pour elle-même. Certes, les conséquences peuvent, d’un certain point, de vue être relativisées car, c’est l’argument régulier dans la jurisprudence, les limites à l’accès à la Cour elle-même sont précisément compensées par l’accès aux juges nationaux qui peuvent connaître des mesures nationales de mise en œuvre du droit de l’Union et qui peuvent, le cas échéant, saisir la Cour d’une question préjudicielle. Toutefois, outre le fait que cela n’est pas toujours le cas, un hiatus existe dans la mesure où l’invalidité des mesures prises au niveau de l’Union elle-même ne peut que très difficilement être avancée devant le juge de l’Union. Il s’agira ici de rendre compte de l’importance d’un tel hiatus entre l’accès aux juges nationaux et l’accès au juge de l’Union en tant que tel. Dans le premier cas, une spécificité dans le domaine de l’environnement est promue (partie 1), dans le second cas, elle demeure encore largement déniée (partie 2.)

Première partie – L’accès aux juges nationaux : la spécificité environnementale promue par le droit de l’Union

Principe d’administration indirecte et autonomie institutionnelle et procédurale des Etats membres. Si le droit de l’Union peut être avancé au fond devant les juridictions nationales, juridictions de droit commun du droit de l’Union, celui-ci n’a pas, par principe, vocation à s’intéresser aux conditions de l’accès à de telles juridictions. Il faut rappeler en effet que, en vertu du principe d’administration indirecte, ce sont les Etats membres qui ont la charge de mettre en œuvre le droit produit par l’ordre juridique de l’Union qui, bien qu’autonome dans sa conception, « dépend des efforts des Etats membres » s’agissant du respect de ses dispositions21. Il faut également rappeler que, en ce but, l’article 19-1 du TUE consacre, de manière générale, l’obligation pour les Etats membres de garantir une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l'Union. Il convient enfin de rappeler qu’il est de jurisprudence constante qu’« il appartient à chaque Etat membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice »22 visant à assurer le respect du droit de l’Union ce que l’on peut désigner sous le nom de principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale. On remarquera que ce principe est compatible avec ce que prévoit la Convention d’Aarhus elle-même. Celle-ci accorde en effet aux Etats Parties une marge de manœuvre dans l’application du droit à l’accès à la justice et l’organisation des recours ayant pour objectif de contester un acte ayant été adopté en dépit des règles relatives à la participation du public ou plus largement de contester un acte portant atteinte à toute autre norme environnementale. Ainsi, pour le premier cas, l’article 9-2 prévoit que le droit de recours est accordé aux « membres du public concerné » ayant un intérêt suffisant pour agir ou faisant valoir une atteinte à un droit. Or, il est précisé que « ce qui constitue un intérêt suffisant et une atteinte à un droit est déterminé selon les dispositions du droit interne (…) ». Ainsi, les organisations non gouvernementales sont réputées avoir un intérêt et des droits auxquels il pourrait être porté atteinte lorsqu’elles œuvrent en faveur de la protection de l'environnement et qu’elles remplissent les conditions pouvant être requises en droit interne. Dans le second cas, l’article 9-3 prévoit que « les membres du public » doivent pouvoir engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes ou omissions de particuliers ou d’autorités publiques allant à l’encontre des dispositions du droit national de l’environnement, mais

20 Dans le cadre de l’étude, l’expression « Cour de justice de l’Union européenne » sera entendue, suivant le traité (article 19 § 1 TUE) comme désignant la Cour de justice et le Tribunal.

en première instance le Tribunal, puis en pourvoi la Cour)

21 Conclusions rendues le 29 avril 2004 dans l’affaire Commission /France, C-304/02, pt. 29. 22

CJCE, 16 décembre 1976, Rewe, aff. 33/76, Rec. p. 1989, pt. 5. Voir, par analogie, CJUE, 18 octobre 2011, Boxus e.a., C-128/09 à C-131/09, C-134/09 et C-135/09, Rec. p. 9711, pt. 52.

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uniquement lorsqu’ils répondent « aux critères éventuels prévus par son droit interne ». Ces dispositions consacrent donc bien un droit au juge en matière d’environnement mais en aucune manière un accès inconditionnel des membres du public à la justice, une actio popularis environnementale, autorisant les Etats parties à établir des critères spécifiques auxquels ces derniers doivent répondre pour pouvoir effectivement exercer les recours prévus23. C’est d’ailleurs précisément pour cette raison que la Cour a, à l’occasion d’un renvoi préjudiciel formé dans un litige portant sur la protection d’une espèce d’ours brun en Slovaquie24, conclu à l’absence d’effet direct de l’article 9-3, estimant que la disposition ne contient aucune obligation claire et précise de nature à régir la situation des particuliers25.

On doit toutefois admettre que et ce, en dépit de l’autonomie institutionnelle procédurale sans cesse rappelée, le droit de l’Union dit beaucoup, et c’est là un élément important de spécificité, à propos des conditions d’accès aux juges des Etats membres de l’Union, notamment dans le domaine de l’environnement en arguant du principe de l’effectivité du droit de l’Union mais également de la nécessaire application des principes de la Convention d’Aarhus. Certes, les dispositions du droit dérivé se révèlent relativement limitées, sans doute ultime marque d’une volonté d’assurer le respect du principe de l’autonomie procédurale dont jouissent les Etats membres de l’Union (I). Mais, du côté de la jurisprudence de la Cour de justice, les prescriptions sont au contraire tout à fait nombreuses et précises et attestent clairement de ce que le juge de l’Union s’efforce, en la matière, à concilier autonomie procédurale et protection effective du droit d’accéder à la justice (II).

I – Un bilan législatif en demi-teinte : la marque de l’autonomie procédurale des Etats

Les prescriptions dans le droit dérivé de l’Union demeurent relativement rares mais surtout faiblement développées.

Eclatement des dispositions consacrant le droit au juge. Pendant longtemps, la question de l’accès au juge en matière d’environnement n’avait quasiment jamais été abordée en droit de l’Union européenne, si ce n’est, très succinctement par la directive 90/313 concernant la liberté d'accès à l'information en matière d'environnement26. La question est aujourd’hui régie par plusieurs directives : la directive 2003/4 concernant l accès du public à l information en matière d'environnement ; la directive 2003/35 prévoyant la participation du public lors de l'élaboration de certains plans et programmes relatifs à l'environnement27 ; la directive 2004/35 sur la responsabilité environnementale28 ; la directive 2010/75 relative aux émissions industrielles29 ; la directive 2011/92 relative à l évaluation des incidences sur l'environnement30 et la directive 2012/18 (dite

23 K. Andrusevyvh, Case Law of the Aarhus Convention, 2004‑2011, p. 80.

24 CJUE arrêt du 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie VLK, aff. C-240/09, Rec. p. 1255

25 La Cour se fonde ici sur le fait que, comme évoqué plus haut, le texte fait référence à des critères spécifiques auxquels le public doit répondre selon le droit interne pour bénéficier de ce droit. Il nécessite donc un acte ultérieur pour son application et à ce titre ne peut prétendre à être qualifié d’effet direct.

26 Directive 90/313 du 7 juin 1990, concernant la liberté d'accès à l'information en matière d'environnement,

JOCE n° L 158 du 23/06/1990 p. 56. Article 4 : « Une personne estimant que sa demande d'information a été abusivement rejetée ou négligée, ou qu'elle n'a pas reçu une réponse satisfaisante de la part de l'autorité publique, peut introduire un recours judiciaire ou administratif à l'encontre de la décision, conformément à l'ordre juridique national en la matière ».

27 Directive 2003/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 mai 2003 prévoyant la participation du public lors de l'élaboration de certains plans et programmes relatifs à l'environnement, et modifiant, en ce qui concerne la participation du public et l'accès à la justice, les directives 85/337/CEE et 96/61/CE du Conseil, JOCE n° L 156 du 25/06/2003 p. 17.

28 Directive 2004/35 du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux, JOCE du 30/04/2004, n° L 143.

29 Article 27. 30 Article 11.

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Seveso III)31. À l’évocation de cette liste, on constate que le droit d’accès à la justice est envisagé uniquement dans des textes sectoriels imposant d’autres obligations environnementales (information, participation du public, évaluation des incidences…). L’option législative consistant à établir un instrument spécialement consacré à l’accès à la justice a en effet été écartée en 2003 alors que la Commission avait présenté une proposition dans ce sens32 auxquels plusieurs Etats membres se sont opposés (au nom notamment du principe de subsidiarité33). C’est donc uniquement au sein de textes non spécifiques et épars qu’il est possible de trouver quelques dispositions relatives à l’accès aux juges nationaux et aux conditions qui l’entourent. En outre, à l’analyse, on ne peut que constater que les obligations y sont définies de manière relativement minimale.

Minimalisme des dispositions consacrant le droit au juge. La directive 2003/35 prévoyant la participation du public lors de l'élaboration de certains plans et programmes relatifs à l'environnement (qui est venue modifier les directive 85/337 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement et la directive 96/61 relative à la prévention et à la réduction intégrées de la pollution) constitue une illustration très claire d’un tel minimalisme. La directive 85/337 prévoyait la possibilité de recours devant les instances judiciaires ou administratives en cas de refus de communication abusif et se contentait de souligner que ce recours sera conforme à l’ordre juridique national. Pour assurer la mise en conformité du droit de l’Union à la Convention d’Aarhus, la directive 2003/35 révise ladite directive et insère un article 10 bis, à première vue plus développé, rédigé d’ailleurs en termes très proches de ceux utilisés dans la Convention34. Toutefois, les obligations prévues dans l’article sont, au final, pour le moins générales puisqu’il est prévu que les Etats membres garantissent que les membres du public ayant un intérêt suffisant pour agir ou faisant valoir une atteinte à un droit (lorsque le droit administratif procédural d'un État membre impose une telle condition) puissent former un recours devant une instance juridictionnelle ou un autre organe indépendant et impartial établi par la loi pour contester la légalité des décisions, des actes ou omissions relevant des dispositions de la directive. Ainsi, la directive confie clairement le soin aux États membres de déterminer à quel stade les décisions, actes ou omissions peuvent être contestés, ainsi que ce que constitue un intérêt suffisant pour agir ou une atteinte à un droit et donc ne vient pas réellement ouvrir les possibilités de recours déjà existantes dans les droits nationaux. Les obligations prévues par les autres textes sectoriels sont aussi minimales et ce, sans aucun doute, afin d’assurer le respect de l’autonomie procédurale des Etats. L’article 25 de la directive 2010/75 relative aux émissions industrielles, tout comme l’article 11 de la directive 2011/92 relative à l'évaluation des incidences sur l'environnement sont rédigés en des termes identiques à la directive 2003/35. L’article 23 de la directive 2012/18 est rédigé encore plus succinctement puisqu’il prévoit une possibilité de réexamen des actes ou omissions d’une autorité compétente en lien avec une demande d’information et opère un renvoi à la directive 2011/92

31 Article 23.

32 Proposition de directive relative à l’accès à la justice en matière d’environnement /COM/2003/0624 final- COD 2003/0246.

33

J.-F. Delile, La protection juridictionnelle dans le domaine environnemental en droit de l’Union européenne : la victoire de l’incohérence. Julien Bétaille. Le droit d'accès à la justice en matière d'environnement, LGDJ, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2016, p. 100 ; L. Krämer, The Environement Complaint in the EU, Journal of

European Environmental and Planning Law, 2009, p. 17.

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« Les États membres veillent, conformément à leur législation nationale pertinente, à ce que les membres du public

concerné : a) ayant un intérêt suffisant pour agir, ou sinon b) faisant valoir une atteinte à un droit, lorsque le droit administratif procédural d'un État membre impose une telle condition, puissent former un recours devant une instance juridictionnelle ou un autre organe indépendant et impartial établi par la loi pour contester la légalité, quant au fond ou à la procédure, des décisions, des actes ou omissions relevant des dispositions de la présente directive relatives à la participation du public. Les États membres déterminent à quel stade les décisions, actes ou omissions peuvent être contestés. Les États membres déterminent ce qui constitue un intérêt suffisant pour agir ou une atteinte à un droit, en conformité avec l'objectif visant à donner au public concerné un large accès à la justice. À cette fin, l'intérêt de toute organisation non gouvernementale, répondant aux exigences visées à l'article 1er, paragraphe 2, est réputé suffisant aux fins du point a) du présent article. De telles organisations sont aussi réputées bénéficier de droits susceptibles de faire l'objet d'une atteinte aux fins du point b) du présent article ».

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s’agissant de l’accès à la justice35

. La directive 2003/4 concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement36 prévoit, sans plus de précision, une possibilité de réexamen et un recours devant un organe indépendant et impartial établi par la loi. L’article 13 de la directive 2004/35 sur la responsabilité environnementale, qui a notamment pour objectif d’encourager les personnes physiques et morales à jouer un rôle actif pour aider les autorités compétentes à remédier aux dommages environnementaux, prévoit enfin le principe d’un droit au recours tout en précisant qu’elle ne porte atteinte pas atteinte aux dispositions nationales éventuelles réglementant l accès à la justice.

Au-delà du droit au recours ? Au total, rien n’est prévu au-delà de l’affirmation d’un droit au recours. Pourtant, le droit d’accéder à la justice dépend clairement de ce qui peut être considérer comme un intérêt pour agir ou une atteinte à un droit ; en outre, il emporte des conséquences plus larges, comme la possibilité de demander des mesures provisoires, la limitation des coûts des procédures voire une aide juridictionnelle ou le droit d’accéder à l’expertise, qui peut être essentiel dans les litiges environnementaux. Or, rien n’est prévu à ce sujet dans le droit de l’Union et les Etats membres sont donc libre de prévoir –ou non- des aménagements permettant de rendre effectif en pratique le droit au recours en matière d’environnement. Le bilan législatif est donc relativement maigre. Mais il est en partie compensé par une jurisprudence exigeante vis-à-vis des Etats membres, développée sur le fondement du principe d’effectivité du droit de l’Union et de la nécessaire application de la Convention d’Aarhus.

II – Une jurisprudence exigeante : la volonté de garantir l’accès au juge en matière d’environnement

Contrairement aux prescriptions législatives, les prescriptions jurisprudentielles sont nombreuses et souvent exigeantes. Celle énoncée par la Cour dans l’affaire emblématique des ours bruns slovaques38 est tout à fait symptomatique : « [i]l appartient [...] à la juridiction de renvoi d’interpréter, dans toute la mesure du possible, le droit procédural relatif aux conditions devant être réunies pour exercer un recours administratif ou juridictionnel conformément tant aux objectifs de (…) la convention d’Aarhus qu’à celui de protection juridictionnelle effective des droits conférés par le droit de l’Union, afin de permettre à une organisation de défense de l’environnement (…) de contester en justice devant une juridiction une décision prise à l’issue d’une procédure administrative susceptible d’être contraire au droit de l’Union de l’environnement »39

. En application de cette prescription générale, les arrêts rendus en la matière ont précisé les contours du droit au recours (1.), mais, au-delà, ont également délimité les conditions pratiques essentielles à son effectivité (2.). Ces précisions s’imposent aux juridictions nationales qui ont l’obligation d’interpréter de façon conforme le droit procédural national voir même, dans le cas où une telle interprétation conforme devait s’avérer impossible, de laisser inappliquée, dans le litige dont elle est saisie, la règle de droit procédural national contraire, même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel40.

35 Article 23 Accès à la justice : « Les États membres veillent à ce que a) toute personne qui demande des informations

conformément à l'article 14, paragraphe 2, point b) ou c), ou à l'article 22, paragraphe 1, de la présente directive, puisse demander le réexamen, conformément à l'article 6 de la directive 2003/4/CE, des actes ou omissions d'une autorité compétente en ce qui concerne une telle demande, b) dans leur cadre juridique national respectif, les membres du public concerné aient accès aux procédures de recours visées à l'article 11 de la directive 2011/92/UE pour les affaires relevant de l'article 15, paragraphe 1, de la présente directive ».

36 Directive n° 2003/4 du 28 janvier 2003 concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement et abrogeant la directive 90/313/CEE du Conseil, JOCE n° L 41 du 14 février 2003.

38 CJUE, 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie VLK, Affaire C-240/09, Rec. p. 1255. 39

Pt. 51 de l’arrêt.

40 CJCE, du 9 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77, Rec. p. 629, pts. 21 et 24 et CJUE, 5 avril 2016, PFE, aff. C-689/13,

(8)

1. Les contours du droit au recours

Généralités sur la notion d’atteinte à un droit. Dans la mesure où la protection de l’environnement a principalement pour but de défendre l’intérêt public général et non de conférer expressément des droits aux particuliers, l’obstacle principal au droit au recours en matière d’environnement réside probablement dans la « doctrine de l’atteinte à un droit » qui exige, pour pouvoir agir en justice, d’apporter la preuve d’une atteinte portée à un intérêt individuel. Or, la jurisprudence de la Cour a précisé les limites au recours à une telle doctrine, considérant que, s’il appartient aux États membres de définir ce qui constitue une atteinte à un droit, ce pouvoir doit être modulé par la nécessité de garantir un large accès à la justice pour le public concerné. Un arrêt rendu sur question préjudicielle le 12 mai 2011 dans l’affaire Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland41 a porté précisément sur une telle doctrine, retenue en Allemagne où le droit de recours reconnu aux organisations non gouvernementales contre un acte administratif n’est considéré recevable que si l’acte porte atteinte aux droits subjectifs du requérant. Le litige opposait une association à une autorité administrative allemande, au sujet d’une autorisation accordée pour la construction et l’exploitation d’une centrale électrique à charbon situé dans une zone autour de laquelle se trouvent cinq zones protégées au titre directive « Habitats »42. La Cour va affirmer que les différentes dispositions de la directive 85/337 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement telle que modifiée par la directive 2003/35 et particulièrement son article 10 dis déjà évoqué, doivent être interprétées à la lumière et compte tenu des objectifs de la convention d’Aarhus43

. Elle insiste sur le fait qu’il convient de ne pas priver les associations de l’exercice du droit qui leur est reconnu par la Convention comme par le droit de l’Union44

et déclare que la législation allemande en ce qu’elle restreint le droit d’accès au juge des associations de protection de la nature s’avère contraire au droit de l’Union45. Restreindre le droit au recours des associations au seul motif que celles-ci protègent des intérêts collectifs, dit-elle, met à mal l’objectif « d’assurer au public concerné un large accès à la justice », en les privant « très largement de la possibilité de faire contrôler le respect des normes issues de ce droit, lesquelles sont, le plus souvent, tournées vers l’intérêt général et non vers la seule protection des intérêts des particuliers pris individuellement »46. On peut souligner que cette interprétation n’est pas isolée et a été, au contraire, confirmée, pour ce qui concerne la directive 2011/92 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, dans une affaire Gruber à propos d’une législation autrichienne 47

.

Droit de recours des associations. Les conditions d’accès au juge propres aux associations ont également été envisagées dans la jurisprudence de la Cour. Rappelons simplement que, selon les dispositions de la Convention d’Aarhus et du droit dérivé rappelé plus haut, toutes les ONG (et tous les membres du public) ne se voient pas reconnaître automatiquement qualité pour agir. Des critères peuvent être valablement prévus par le droit interne. La jurisprudence est pourtant venue préciser ce que peuvent être ces critères admissibles. Dans un arrêt rendu le 15 octobre 2009 dans l’affaire Djurgarden 48, la Cour a confirmé qu’une loi nationale, ici la loi suédoise, peut exiger qu’une

41 CJUE arrêt du 12 mai 2011, Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland, Landesverband NordrheinWestfalen

eV, aff. C-115/09, Rec. p. 3673.

42 Directive 92/43 du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite « Habitats », JOCE du 22/7/1992, n° L 206.

43 Pt 41. 44

Pt 44. 45 Pt 45. 46 Pt 46.

47 CJUE, 16 avril 2015, Karoline Gruber / Unabhängiger Verwaltungssenat für Kärnten e.a., Aff. C-570/13, Rec. p. 231, pts. 39 et 40.

48 CJCE, 15 octobre 2009, Djurgården-Lilla Värtans Miljöskyddsförening et le Stockholms kommun genom dess

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association - qui entend contester par la voie juridictionnelle un projet couvert par la directive évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement- ait « un objet social en rapport avec la protection de la nature et de l’environnement » 49. Le juge de l’Union a estimé en revanche que la législation en cause, qui subordonne le droit de recours des associations de protection de l’environnement à l’exigence d’un nombre minimum d’adhérents (plus de 2 000), était incompatible avec le droit de l’Union. Elle indique que si un tel critère peut s’avérer pertinent pour s’assurer de la réalité de l’existence et de l’activité d’une association, « le nombre d’adhérents requis ne saurait toutefois être fixé par la loi nationale à un niveau tel qu’il aille à l’encontre des objectifs de la directive 85/337 et notamment de celui de permettre facilement le contrôle juridictionnel des opérations qui en relèvent »50. En l’occurrence, selon la Cour, le niveau fixé par la législation suédoise -2000 adhérents minimum- risquait de priver, de fait, la plupart des associations de toute possibilité de recours51.

Limites au droit de recours. Parmi les limites au droit de recours qui peuvent être prévues par les législations nationales, certaines tiennent non pas aux requérants (et à ses conditions en propre), mais aussi aux types d’actes attaquables. Rappelons d’ailleurs que l’article 2 de la Convention d’Aarhus exclut de son champ d’application les actes du pouvoir législatif et que l’article 1§5 de la directive n° 85/337 prévoit que celle-ci ne s’applique pas « aux projets qui sont adoptés en détail

par un acte législatif national spécifique ». Dans l’affaire Boxus52 la Cour a précisément eu à

connaître de cette limite et a, en l’espèce, développé une position tout à fait favorable au recours et

donc rigoureuse quant aux limites admises. Dans l’affaire, la Cour a d’abord clairement entendu élargir les actes contre lesquels les personnes physiques devraient pouvoir agir. Elle a en effet considéré qu’en dépit de la marge dont disposent les Etats membres qui leur permet notamment de déterminer quelle juridiction est compétente, les dispositions de la Convention et de la directive « perdraient cependant tout effet utile si la seule circonstance qu’un projet est adopté par un acte législatif (…) avait pour conséquence de le soustraire à tout recours permettant de contester sa

légalité, quant au fond ou à la procédure »53. Et elle en conclut que dans l’hypothèse où aucun

recours ne serait ouvert à l’encontre d’un tel acte, « il appartiendrait à toute juridiction nationale saisie dans le cadre de sa compétence d’exercer le contrôle décrit au point précédent et d’en tirer, le

cas échéant, les conséquences en laissant inappliqué cet acte législatif »54. Dans la même affaire, la

CJUE a par ailleurs eu à connaître d’autres limites posées au droit de recours. Elle a également à ces propos développé une jurisprudence rigoureuse. Elle a ainsi affirmé que « la participation au processus décisionnel en matière d’environnement [...] est distincte et a une finalité autre que le recours juridictionnel ». Par conséquent, « les membres du public concerné [...] doivent pouvoir exercer un recours contre une décision quel que soit le rôle qu’ils ont pu jouer dans l’instruction de ladite demande »55. Les Etats membres n’ont donc pas la possibilité de limiter le droit d’attaquer en justice une décision aux seuls membres du public concerné qui ont participé à la procédure d’adoption de celle-ci56

. Dans un arrêt récent -Protect Natur déjà cité- relatif à une autorisation de captage d’eau dans une rivière afin d’alimenter les canons à neige d’une station de ski et où était en jeu l’application des dispositions de la directive-cadre sur l’eau57

, la Cour va plus loin encore

49 Pt 46. 50 Pt 47. 51

Le gouvernement suédois reconnaissait que seules deux associations répondaient en pratique à cette condition. 52 CJUE, 18 octobre 2011, Boxus, aff. C-128/09 à 131/09 et C-134/09, 135/09, Rec. p. 9711. Voir : J.-F. Delile. La protection juridictionnelle dans le domaine environnemental en droit de l’Union européenne : la victoire de l’incohérence in J. Bétaille. Le droit d'accès à la justice en matière d'environnement, LGDJ, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2016, pp. 91-124.

53 CJUE, 18 octobre 2011, Boxus, précité, pt. 53. 54 Pt. 55 de l’arrêt.

55 Pt. 38 DJUGARDEN 56

Ce qui est conforme au Guide d’application de la Convention d’Aarhus, p. 195, disponible sur : https://www.unece.org/fileadmin/DAM/env/pp/implementation%20guide/french/aigf.pdf.

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s’opposant au droit autrichien qui prévoit que l’obtention de la qualité de « partie à la procédure » est une condition obligatoire pour pouvoir introduire un recours visant à contester la décision prise à l’issue de cette procédure, en ce que cette condition restreint le droit d’accéder à la justice car cela reviendrait à « priver le droit de recours de tout effet utile, voire de sa substance même, ce qui serait contraire à l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus, lu conjointement avec l’article 47 de la Charte »58.

La Cour a également eu l’occasion d’affirmer que, conformément à l’objectif visant à lui donner un large accès à la justice, le public concerné doit pouvoir, par principe, invoquer tout vice de procédure à l’appui d’un recours en contestation de la légalité des décisions visées par ladite directive59. Saisie en manquement s’agissant du système juridictionnel allemand, la Cour a eu, en 201560, l’occasion de s’exprimer à nouveau sur les limites tenant à l’étendue du recours et notamment sur cette dernière limite. Le recours en manquement concernait en effet la législation allemande qui liait la possibilité d’invoquer un vice de procédure à la condition que celui-ci ait eu une incidence sur le sens de la décision finale contestée. La Cour a considéré qu’une telle condition rendait excessivement difficile l’exercice du droit de recours visé à l’article 11 de la directive 2011/92 et portait atteinte à l’objectif de cette directive visant à offrir aux « membres du public concerné » un large accès à la justice en privant cette disposition de tout effet utile. Il en irait autrement, selon elle, si la législation prévoyait une telle condition sans faire peser sur le demandeur la charge de la preuve du lien de causalité entre le vice de procédure invoqué et le résultat de la décision administrative attaquée, en renvoyant par exemple aux éléments de preuve fournis par le maître de l’ouvrage ou par les autorités compétentes et, plus généralement, de l’ensemble des pièces du dossier qui leur est soumis61. La législation allemande va également être condamnée par le juge de l’Union en ce qu’elle limite, au nom de l’efficacité des procédures administratives, les moyens susceptibles d’être invoqués par un requérant à l’appui d’un recours juridictionnel contre une décision administrative aux objections formulées durant la procédure administrative. Le fait de soulever un moyen pour la première fois dans le cadre d’un recours juridictionnel peut entraver le bon déroulement de cette procédure mais, selon la Cour, les dispositions du droit de l’Union visent à faire en sorte que le contrôle porte sur la légalité de la décision attaquée, quant au fond ou à la procédure, dans sa totalité62. Selon la Cour, les Etats demeurent toutefois libres de prévoir certaines limites à la recevabilité des recours au nom de l’efficacité des procédures, telle notamment l’irrecevabilité d’un argument présenté de manière abusive ou de mauvaise foi63

. Il en va de même pour les règles de forclusion, à condition qu’elles ne restreignent pas excessivement le droit de recours juridictionnel64.

Au terme de cette jurisprudence, qui est sans doute encore en construction, on constate donc que la marge de manœuvre des Etats au moment de fixer les critères encadrant le droit au recours, si elle existe, est bien loin d’être absolue. Qu’il s’agisse de l’intérêt à agir, du type d’associations pouvant saisir le juge, du type et de l’étendue du recours en cause, les prescriptions qui sont apportée par le juge de l’Union sont significatives et participent d’une certaine manière à une mise en œuvre satisfaisante des dispositions de la Convention d’Aarhus au niveau national, Convention qui est d’ailleurs utilisée systématiquement par la Cour en tant qu’élément d’interprétation. Mais la jurisprudence va plus loin, en consacrant, au-delà du droit au recours, les conditions visant à rendre celui-ci effectif en pratique.

58

Pts. 68-69 de l’arrêt.

59 CJUE, 7 novembre 2013, Gemeinde Altrip e.a., aff. C-72/12, Rec. p. 712, pts 47 et 48. 60 CJUE, 15 octobre 2015, Commission / Allemagne, aff. C-137/14, Rec. p. 683.

61 Voir, CJUE, 7 novembre 2013, Gemeinde Altrip e.a., précité, pt. 53. 62

CJUE, 15 octobre 2015, Commission c/ Allemagne, précité, pt. 80. 63 Pt. 81 de l’arrêt.

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2. Au-delà du droit au recours

Si le droit au recours permet d’assurer l’effectivité des dispositions protectrices de l’environnement, sa consécration ne suffit pas à atteindre cet objectif. Encore faut-il que le justiciable puisse concrètement obtenir l’application des dispositions protectrices de l’environnement, en demandant par exemple, des mesures provisoires. Encore faut-il, en outre, que les coûts de procédure ne dissuadent pas celui-ci de faire usage de son droit.

Possibilité de demander des mesures provisoires. La possibilité de demander l’adoption d’une mesure administrative ou judiciaire de nature provisoire en application du droit interne (par exemple, ordonner la suspension du caractère exécutoire de la décision intégrée), qui permette temporairement, c’est-à-dire jusqu’à la décision au fond, d’arrêter la réalisation d’un projet ou l’exécution d’une décision risqués pour l’environnement semble être essentielle pour assurer l’effectivité de la protection de l’environnement, parfois tout autant que le recours en tant que tel. L’article 9-4, de la Convention d’Aarhus, exige d’ailleurs pour cette raison que les recours prévus permettent l’adoption de mesures provisoires adaptées. Toutefois, le droit dérivé de l’Union européenne quant à lui est muet sur la question. Dans l’arrêt Kriz an65, qui concernait une autorisation de décharge, la Cour a été interrogée sur la question de savoir si les dispositions en matière d’accès à la justice de la directive 96/61 devenue la directive 2010/75 relative aux émissions industrielles, permettait, y compris en l’absence de disposition expresse, aux membres du public concerné de demander au juge d’ordonner des mesures provisoires de nature à suspendre temporairement l’application d’une autorisation dans l’attente de la décision définitive à intervenir. La Cour va répondre par la positive. Elle estime que l’objectif de cette directive qui est la prévention et la réduction intégrées des pollutions (par la mise en œuvre de mesures visant à éviter ou à réduire les émissions dans l’air, l’eau et le sol) ne serait pas rempli « s’il était impossible d’éviter qu’une installation susceptible d’avoir bénéficié d’une autorisation accordée en violation de cette directive continue à fonctionner dans l’attente d’une décision définitive sur la légalité de ladite autorisation »66. Ayant rappelé que la possibilité d’ordonner des mesures provisoires était une exigence générale de l’ordre juridique de l’Union67 et l’expression du droit à un recours effectif reconnu par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux, le juge en conclut que la garantie de l’effectivité du droit d’exercer un recours prévu à l’article 15 bis exige que les membres du public concerné aient précisément le droit de demander à la juridiction des mesures provisoires de nature à prévenir ces pollutions, y compris, le cas échéant, par la suspension temporaire de l’autorisation contestée. En revanche, en conformité avec le principe de l’autonomie procédurale, il revient aux Etats membres qu’il appartient de fixer les modalités régissant l’octroi de mesures provisoires. Limitation des coûts des procédures. La limitation des co ts des procédures participe à l’évidence au principe d’effectivité des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union. Il s’agit en effet concrètement d’éviter que les requérants ne soient pratiquement empêchés de former ou de poursuivre un recours juridictionnel à cause de la charge financière qui pourrait en résulter. D’ailleurs le paragraphe 4 de l’article 9 de la Convention exige que les procédures prévues soient objectives, équitables et rapides et leur coût ne soit prohibitif, ce qui est repris dans les dispositions du droit de l’Union et notamment dans l’article 10 bis de la directive 85/337 ainsi que l’article 15 bis de la directive 96/61. L’article 9-5, de la Convention prévoit, en ce but, l’obligation de mise en place de mécanismes appropriés d assistance visant à éliminer ou à réduire les obstacles financiers ou autres qui entravent l'accès à la justice. L’article 47, troisième alinéa, de la Charte des droits fondamentaux prévoit qu’une « aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait

65 CJUE, 15 janvier 2013, Jozef Križan, Aff. C-416/10, Rec. p. 8. 66

Pts. 108 et 109 de l’arrêt précité.

67 CJCE, 19 juin 1990, Factortame e.a., C-213/89, Rec. p. 2433, pt. 21, CJCE, 13 mars 2007, Unibet, C-432/05, Rec. p. 2271, pt. 67.

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nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la justice » mais le droit dérivé de l’Union européenne ne met en place aucun mécanisme particulier en matière de protection de l’environnement. Or, certains systèmes nationaux, en particulier le système juridictionnel britannique, ont été soumis à l’appréciation de la Cour. Dans l’affaire Edwards et Pallikaropoulos, la Cour a considéré que l’interprétation de la notion de couts « prohibitifs » ne saurait relever du seul droit national et que, dans l’intérêt d’une application uniforme du droit de l’Union et en vertu du principe d’égalité , cette notion devait trouver, dans l’Union, une interprétation autonome et uniforme. En vertu de cette exigence, et dans le cas des particuliers et des membres d’associations appelés à jouer un rôle actif dans la défense de l’environnement, selon la Cour, le coût d’une procédure ne doit « ni dépasser les capacités financières de l’intéressé ni apparai tre, en tout état de cause, comme objectivement déraisonnable »68

. L’affaire a conduit à ce que le juge se prononce sur la règle « perdant payeur », selon laquelle la juridiction nationale peut ordonner que la partie qui succombe supporte l’ensemble des dépens de la procédure, y compris les dépens de la partie adverse. Sans remettre en cause le principe de la condamnation de la partie défaillante, la CJUE affirme que l’exigence de co t non-prohibitif oblige la juridiction nationale appelée à statuer sur les dépens à tenir compte tant de l’intérêt de la personne qui souhaite défendre ses droits que de l’intérêt général lié à la protection de l’environnement. Dans le cadre de cette appréciation, le juge national ne saurait se fonder uniquement sur la situation économique de l’intéressé, mais doit également procéder à une analyse objective du montant des dépens. Il peut tenir compte de la situation des parties en cause, des chances raisonnables de succès du demandeur, de la gravité de l’enjeu pour celui-ci et pour la protection de l’environnement, de la complexité du droit et de la procédure applicables, du caractère éventuellement téméraire du recours à ses différents stades ainsi que de l’existence d’un système national d’aide juridictionnelle ou d’un régime de protection en matière de dépens. Saisie d’un recours en manquement contre le Royaume-Uni69, la Cour a également envisagé un système de plafonnement des dépens et constaté qu’a priori, la possibilité pour le juge saisi d’octroyer une ordonnance de protection des dépens assure une plus grande prévisibilité du coût du procès et participe du respect de l’exigence relative aux coûts non prohibitifs. Elle a toutefois jugé que plusieurs caractéristiques du régime de protection des dépens de l’État membre – telles que l’absence d’obligation d’accorder la protection lorsque le coût de la procédure est objectivement déraisonnable et l’exclusion de la protection dans le cas où seul l’intérêt particulier du requérant est en cause – impliquaient que le régime en question ne pouvait satisfaire à l’exigence relative à l’absence de coût prohibitif.

Au terme de ce panorama, il apparaît clairement qu’en dépit du principe d’autonomie procédurale, le droit de l’Union, prioritairement jurisprudentiel, garanti de manière assez vigoureuse le principe d’un accès effectif au juge dans le domaine de l’environnement. Or, paradoxalement, le droit de l’Union ne garantit pas de manière équivalente l’accès à son propre prétoire.

Deuxième partie – L’accès à la Cour de justice de l’Union européenne : la spécificité environnementale déniée par le droit de l’Union

Intérêt de la question. La question de l’accès à la Cour de justice de l’Union européenne présente, à première vue, un intérêt moindre que la précédente dans la mesure où le contentieux relatif aux actes et activités ayant possiblement un impact sur l’environnement se déroule principalement devant les juges nationaux, y compris lorsque le droit de l’Union européenne est en jeu. Et pour cause, ce que le droit de l’Union, au plan matériel, prévoit, ce sont principalement des obligations à destination des autorités nationales (en matière de qualité environnementale, de surveillance de l’état de l’environnement ou

68 CJUE, 11 avril 2013, Edwards et Pallikaropoulos, Aff. C-260/11, Rec. p. 221, Pt. 40. 69 CJUE, 13 février 2014, Commission / Royaume-Uni, Aff. C-530/11, Rec. p. 67.

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relatives à l’élaboration de plans et de programmes visant à réduire la pollution et les déchets ou encore relatives au conditionnement de certaines activités à l’octroi d’un permis ou d’une autorisation) qui se concrétisent par des réglementations générales internes, ainsi que par des décisions et actes spécifiques émanant des autorités publiques nationales. La question n’est pourtant pas, loin de là, marginale. Elle est ne l’est pas d’abord car, au plan pratique, un nombre non négligeable de décisions, plus exactement des autorisations de faire (ou de ne pas faire), sont prises au niveau de l’Union, par la Commission européenne qu’il s’agisse des décisions d’autorisation de dissémination d’OGM, d’utilisation d’herbicides, des décisions d’approbation de plans nationaux (en matière d’émissions industrielles, de réduction de gaz à effet de serre) ou encore des décisions de soutien d’activités (de financement de création de centrales électriques). Elle ne l’est pas ensuite au plan axiologique car, les personnes physiques et morales doivent, eu égard à l’objectif d’Union de droit, pouvoir accéder au juge de l’Union pour contester l’ensemble des actes – y compris de portée générale- pris par l’Union dans le secteur de l’environnement.

Rappels liminaires sur les voies de droit devant la Cour de justice. Envisager l’accès des personnes physiques et morales à la Cour impose d’effectuer quelques rappels liminaires. Il faut d’abord rappeler que certains recours ne sont pas ouverts aux particuliers. C’est le cas du recours en manquement. Certes, toute personne peut déposer, sans frais, une plainte auprès de la Commission contre un État membre et il n’a pas à démontrer l’existence d’un intérêt à agir. Toutefois, la Commission apprécie discrétionnairement si une suite doit être donnée ou non à une plainte. Il importe en outre de rappeler que certains recours, s’ils sont ouverts aux personnes physiques et morales ne sont, dans le domaine environnemental, quasiment jamais activés. C’est le cas du recours en responsabilité extracontractuelle de l’Union70. Dès lors, l’analyse se porte logiquement principalement sur les conditions de recevabilité du recours en annulation qui d’ailleurs déterminent en grande partie celles des recours complémentaires que sont l’exception d’illégalité et le recours en carence. La question centrale peut être résumée ainsi : dans quelles conditions, une personne physique ou morale peut-elle saisir la Cour de justice de l’Union européenne (entendu comme désignant en première instance le Tribunal, puis en pourvoi la Cour) lorsqu’elle estime que les institutions ou les organes européens ont violé les droits qu’elle tire des dispositions protectrices de l’environnement ? Plus spécifiquement, dans quelle situation se trouvent un individu ou une organisation non gouvernementale qui souhaitent remettre en question la validité d’un acte de l’Union susceptible de porter atteinte à la protection de l’environnement, que l’acte en question soit de nature législative ou exécutive ?

La réponse n’est pas a priori complexe : les conditions classiques (et génériques) d’accès au juge de l’Union pour les personnes physiques et morales telles qu’énoncées dans le traité s’appliquent, ce qui est n’est pas surprenant, dans le domaine de l’environnement. Il suffit dès lors de les rappeler pour rendre compte de l’accès au juge de l’Union dans la matière environnementale. Doit-on pourtant conclure- et c’est dès lors la question principale- à l’absence de spécificités procédurales en cette matière ? La question est d’autant plus importante que les conditions prévues par le traité et interprétées par le juge ne permettent qu’un accès étroit des personnes physiques et morales au juge. A l’examen71

, la

70 Cette voie est tout à fait ouverte aux personnes physiques et morales puisqu’aucune condition ne leur est imposée quant à leur intérêt pour agir. Toutefois, les conditions de la responsabilité sont telles que ce recours n’a quasiment jamais été activé pour demander la réparation de préjudices dans le domaine de l’environnement. Les contentieux portent pour l’heure exclusivement sur des comportements des institutions qui – dans l’objectif de protéger l’environnement- créent des préjudices économiques dans le chef de particuliers. Voir par exemple CJUE, 14 octobre 2014, Jean-François Giordano c/ Commission, Aff. C-611/12 P, Rec. p. 2282l. Des mesures d’urgence interdisant la pêche du thon rouge dans l’océan Atlantique et dans la Méditerranée adoptées par la Commission n’engagent pas la responsabilité de l’Union dans la mesure où elles sont prévues par le règlement (CE) no

2371/2002, relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques. Il n’y a dès lors pas d’illégalité du comportement de la Commission et les préjudices économiques liés à l’interdiction de l’activité de pêche ne pourront pas être indemnisées.

71

Voir il y a quelques années, sur ce thème, l’excellent article de N. De Sadeleer et C. Poncelet, Contestation des actes des institutions de l’Union susceptibles de porter atteinte à l’environnement et à la santé humaine, un pas en avant, deux pas en arrière, RTDE, janv-mars 2013, p. 15.

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conclusion est clairement positive. L’interprétation jurisprudentielle desdites conditions par le juge de l’Union dans les contentieux environnementaux est absolument identique à l’interprétation classique sans qu’aucune spécificité ne puisse être, en dépit de propositions en ce sens, relevée (I). Or, alors même que des potentialités étaient et sont espérées, pour l’heure, l’application de la Convention d’Aarhus et de ses prolongements dans l’Union n’a pas permis de modifier la situation d’un prétoire encore clairement verrouillé (II).

I- Le statu quo dans l’interprétation des conditions d’accès à la Cour

Délimitées à l’article 263 § 4 TFUE, substantiellement modifiées par le traité de Lisbonne72 , les conditions du recours en annulation pour les personnes physiques et morale envisagent trois hypothèses pour lesquelles les conditions fixées sont distinctes. Toute personne physique ou morale peut d’abord former un recours contre les actes dont elle est le destinataire. Elle peut aussi le faire contre les autres actes dont elle n’est pas le destinataire, mais qui la concernent directement et individuellement. Enfin, un recours peut être formé « contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d'exécution ». C’est précisément cette troisième hypothèse qui a été ajoutée dans le dernier traité et qui, en ne répétant pas, pour cette hypothèse, la condition contestée d’individualité visée dans la seconde, a vocation à élargir le droit de recours des personnes physiques et morales. Ces trois hypothèses et surtout les conditions qu’elles prévoient ont fait l’objet naturellement de nombreuses interprétations qu’il convient de rappeler (1) avant de constater qu’elles ont été absolument reprises, sans changement, dans les contentieux environnementaux (2).

1- Rappel des conditions « interprétées » du recours en annulation

Interprétation ancienne : l’exemple de l’interprétation de la condition d’individualité. Sans qu’il soit besoin d’y revenir tant la question est bien connue, l’interprétation la plus déterminante a longtemps été celle relative aux conditions prévues dans le cadre de la seconde hypothèse : soit celle qui exige qu’il soit démontré que l’acte -dès lors qu’il n’a pour destinataire le requérant- le concerne « individuellement » et « directement ». Elle est, on le sait, particulièrement stricte, notamment (mais pas seulement73) à propos du critère d’individualité, pour lequel le juge exige, depuis l’arrêt Plaumann, qu’il soit démontré que l’acte atteint le requérant « en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle d’un destinataire »74

. Et l’invocation du droit à une protection juridictionnelle effective consacré sous la forme principe

72

E. Brosset, Clartés et obscurités des actes de l’Union européenne dans le traité de Lisbonne in E. Brosset, C. Chevallier-Govers, V. Edjaharian, C. Schneider (Dir.), Le traité de Lisbonne, déconstitutionnalisation ou

reconfiguration de l’Union européenne, Bruylant, 2009, pp. 107-138.

73 La condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par un acte communautaire pour être recevable à agir dans le cadre d’un recours en annulation requiert deux éléments. Premièrement, l’acte attaqué doit produire directement des effets sur la situation juridique du requérant. Deuxièmement, cet acte ne doit laisser aucun pouvoir d’appréciation aux autorités nationales chargées de sa mise en œuvre (Voir arrêt de la Cour du 5 mai 1998, Dreyfus/Commission, C-386/96 P, Rec. p. 2309, pt. 43 et arrêt du Tribunal du 27 juin 2000,

Salamander e.a./Parlement et Conseil, T-172/98, T-175/98 à T-177/98, Rec. p. II-2487, pt. 62 et la jurisprudence citée).

Ces critères ne sont pas négligeables et la démonstration n’est pas toujours facile : voir parmi d’autres exemples, Ordonnance du Tribunal du 22 juin 2006, Markku Sahlstedt et autres / Commission, aff. T-150/05, Rec. p. 172. Le recours en annulation introduit par les requérants contre la décision 2005/101/CE de la Commission, du 13 janvier 2005, arrêtant, en application de la directive « habitats », la liste des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique boréale, n’est pas recevable car la décision litigieuse ne produit pas, par elle-même, des effets sur la situation juridique des requérants qui ont la qualité de propriétaire de terrains situés dans ces zones. Cette décision ne contenant aucune disposition quant au régime de protection des sites d’importance communautaire, telles des mesures de conservation ou des procédures d’autorisation à respecter, elle n’affecte ni les droits et obligations des propriétaires de biens fonciers ni l’exercice de ces droits.

Références

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