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Article pp.451-0 du Vol.3 n°3-4 (2005)

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Texte intégral

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Lecture critique de l’ouvrage de Dominique Wolton

Il faut sauver la communication, Paris, champs Flammarion, 2005, 220 p.

Dominique Wolton nous interpelle dès le titre de son ouvrage : « Il faut sauver la communication ! » La communication, serait-elle en danger ? On la croyait omnipotente ! Qui la menace ? Sur quel champ de bataille se trouve-t-elle ? De quoi faut-il la protéger ? A peine née va-t-elle disparaître ?

Cet appel provocateur est destiné à toucher, à émouvoir, à faire bouger les choses en place. Un humaniste s’exprime et il veut défendre son éthique de la communication à l’âge de la mondialisation. La façon très moderne et très imagée d’écrire, les exemples choisis dans la vie quotidienne, l’appel aux proverbes, la déconstruction des stéréotypes montrent que Dominique Wolton s’adresse, dans cet ouvrage, à une cible large et grand public, à commencer par nos étudiants.

Il s’agit pour lui de dénoncer des idéologies, de faire un tri dans les idées reçues afin de faire émerger ce qu’il en est de l’état de la communication aujourd’hui dans nos sociétés. On la croyait en passe d’investir tous les domaines et Wolton la pense fragile (tout comme la démocratie) sans cesse à défendre, mais aussi suspecte, déconsidérée par l’ampleur même de la place qui est la sienne, et minée par des ennemis souterrains que peuvent être, dans certaines conditions, les médias, les objets techniques d’information et la communication elle-même qui se dégrade en

« com’ » lorsqu’elle s’abaisse à n’être que la star de l’espace public.

Le risque est grand alors de perdre l’essentiel : l’intercompréhension humaine.

Face à ces risques, la prescription proposée par Wolton sera difficile à appliquer : il faudra accepter l’autre dans sa diversité culturelle, le respecter et apprendre à cohabiter sur cette planète, en somme « communiquer » au plein sens du terme, apprendre à se comprendre.

A ce seul tarif, la guerre des civilisations n’aura pas lieu (p. 175). Aussi, on l’a compris, le livre fait de la communication une valeur morale à défendre : « il faut sauver la communication », et elle nous sauvera aussi car elle peut nous donner des clés pour notre émancipation politique.

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L’ouvrage s’articule en cinq chapitres que nous pouvons regrouper en trois volets :

– la communication dans notre société : sa puissance et ses limites, ainsi que son destin lié aux valeurs de la démocratie ;

– ses ennemis, à commencer par nous-mêmes ;

– le chantier à entreprendre pour la sauver dans un contexte planétaire.

Quelle communication ?

La communication est souvent définie simplement comme l’intercompréhension entre les hommes, entendue au sens anthropologique du terme. Ce n’est pas l’objet du livre de nous donner des définitions pointues ou scientifiques de la communication, Wolton reprend et fait fonctionner tout au long de l’ouvrage la distinction déjà présente dans « Penser la communication1 » entre communication fonctionnelle et communication normative. Cette distinction risque de poser deux problèmes aux lecteurs de Wolton : le premier est le choix du mot « normative » pour parler de la communication « idéale » de la communication-communion dont nous rêvons tous, « l’idéal de l’intercompréhension : informer, échanger, partager, se comprendre » (p. 15). Normatif est ce qui réfère à la « norme » c’est-à-dire à une codification culturelle, une convention, qu’y a-t-il de normé dans cette communication ? Le choix de ce terme peut-être un obstacle à l’immédiate compréhension de cette définition.

Le deuxième problème vient du fait que la communication dite fonctionnelle est définie comme une communication mineure, celle nécessaire au fonctionnement des rapports humains et sociaux : « chacun a besoin pour vivre, travailler, se déplacer, de gérer un grand nombre d’informations pratiques utiles à la vie quotidienne », et il ajoute « beaucoup de rapports humains et sociaux peuvent être strictement fonctionnels » ce qu’il oppose à des échanges « authentiques » (p. 16).

On le voit, la différence entre communication triviale et communication authentique passe par le contenu de ce qui est échangé. Il y a de « vrais » échanges et d’autres plus prosaïques. Habituellement, lorsqu’on analyse la communication comme un phénomène scientifique, toute situation de communication est un objet bon à prendre, et les communications « nécessaires à la vie quotidienne » mettent aussi en scène toute la dimension relationnelle fut-elle furtive entre deux ou trois acteurs. Il y a de la communication dans toute communication, et le contenu ne permet pas de distinction sauf pour les linguistiques. Mais pour Wolton, ce n’est pas la compréhension du phénomène

« communication » qui est au premier plan c’est sa teneur éthique. Au moins est-on

1. Dominique Wolton, Penser la communication, Paris, Champ Flammarion, 1997.

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placé d’emblée dans le contexte correct : « la communication est une affaire politique » (p. 17).

Et Wolton articule cette notion à celle de démocratie dans un paragraphe habermassien (« La naissance du sujet ») où il montre que les sociétés ouvertes en fondant l’individu comme légitime, libre et égal à un autre individu ont fait surgir la nécessité de communiquer pour s’affirmer, et compenser la perte des marqueurs sociaux traditionnels. Cette société qu’il qualifie « d’individualiste de masse » (notion qui a fait flores depuis qu’il l’avait introduite dans ses premiers ouvrages) fait payer à chacun le droit d’être libre par la solitude. C’est pourquoi chacun s’empresse de rétablir du lien. La liberté étant garantie, on peut se permettre d’être toujours connecté : « seul et multibranché » (p. 30). Mais aussi, suggère l’auteur, l’individu est d’autant plus interactif que les contacts réels sont difficiles. La relation

« authentique » est complexe : elle renvoie à la notion de confiance en l’autre et butte de toute façon sur une limite que nous impose l’autre en tant que tel, cet autre dont l’irréductible différence nous fait toucher du doigt l’incommunicabilité profonde : rencontrer autrui c’est prendre le risque de l’échec. Mais s’il n’y avait pas l’incommunication, il n’y aurait pas non plus de communication car on serait dans la communion totale, plus besoin de parler. On ne communique que pour tenter de combler cette brèche. C’est une situation ontologique qu’aucune technique ne réduira, seule la compréhension de nos altérités peut nous aider à l’accepter comme telle et à finalement faire confiance à l’autre pour créer un espace symbolique communicant malgré tout. Reconnaître l’incommunication c’est admettre finalement la liberté de l’autre avec ses différences.

Les ennemis de la communication

Mais la communication la plus authentique est en danger nous dit Wolton : elle a des ennemis des plus pernicieux puisqu’ils sont à l’intérieur d’elle-même.

A peine née (un demi-siècle), la communication a tout envahi : les métiers de l’entreprise, de l’édition, de l’art, la technique, le social, le politique et la sphère marchande. Plus qu’une idéologie elle est devenue une « caricature de la modernité » (p. 57). Mais parallèlement, et l’auteur insiste sur ce thème, les fonctions liée à la communication ne sont jamais valorisées, ses métiers sont toujours brocardés, les formations à la communication n’ont pas le prestige de diplômes plus traditionnels, bien que les jeunes aiment suivre ces filières. Cette dévalorisation de tout ce qui a trait à la communication est flagrante dans l’entreprise : « les métiers qui tournent autour de la communication traduisent un réel changement dans les rapports de travail et sont révélateurs d’une mutation des rapports sociaux » (p. 103) pourtant « la hiérarchie regarde les fonctions de communication avec condescendance (…) comme un paternalisme déguisé ». La

« communication-huile dans les rouages est un stéréotype » (p. 100) qu’il faut

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dépasser afin de remettre à sa place la nécessité de la relation qui correspond à un changement réel.

Cet exemple est le paradigme de beaucoup de situations dans lesquelles la communication est en porte-à-faux et qu’examine successivement Wolton :

– la communication politique où le réductionnisme des sondages est une nécessité et un danger, car la politique n’est pas entièrement contenue dans l’opinion publique ;

– la télévision : Wolton parle de « mur médiatique » (avec son sens si personnel de la formule-choc), et critique cette communication refermée sur elle-même. Mais ensuite examinant la position ambiguë des élites culturelles qui n’aiment pas le grand public et qui dénigrent cette « com-paillettes », il nuance : « la société du spectacle n’est pas la société des spectacles et l’équation société de masse = culture de masse = médias = communication = baisse de niveau est fausse » (p. 67) bien que très confortable pour les élites érudites. Car globalement la société plus ouverte a favorisé l’élévation du niveau d’information en dépit de la starisation de la société, de la télé-réalité et de la peopolisation des émissions fabriquant du spectacle à partir de leurs propres acteurs en milieu fermé ;

– l’ambivalence des technologies de communication, du téléphone portable à Internet, est aussi un des chevaux de bataille favoris de Wolton. On sait que, dans une interview célèbre donnée au journal Libération, il a déclaré « internet n’est pas un media mais un tuyau » ce qui a suscité l’émoi de certains internautes et fait couler beaucoup d’encre virtuelle2. L’argumentation sur Internet était déjà développée dans son livre « Internet et après ? 3 » aussi n’y revient-il guère dans le présent ouvrage ; par contre il remarque que les même élites qui semblent mépriser la télévision valorisent les nouvelles techniques de communication. Pourquoi ? Peut-être « parce qu’Internet met en jeu les valeurs de l’individualisme alors que la radio et la télévision relèvent d’une problématique collective (…). On considère faussement le lien collectif comme acquis et les liens individuels comme fragiles et à construire » (p. 112). Pour lui les médias de masse sont la culture moyenne mais ils jouent un rôle essentiel de lien social, bien sûr dévalorisé et par là menacé et donc à défendre.

On peut avoir l’impression fréquente en lisant ces pages sur la société spectacle que Wolton navigue lui-même entre le rejet de cette com’ spectacle et, malgré tout, sa valorisation (dans le refus de s’assimiler à la classe critique des érudits). Mais le leitmotiv, le trait d’union reste toujours la défense de la communication- compréhension de l’autre dans le respect et la différence, et la dévalorisation de la com’ « people ». « L’accessoire c’est la profusion des activités et publications autour des “recettes” de la communication et qui ont beaucoup à voir avec les logiques de marchands du temple. L’essentiel c’est cette demande de compréhension de soi et d’amélioration des relations avec autrui » (p. 107). Faire la différence entre

2. www.uzine.net/article182.html – 100 k

3. Dominique Wolton Internet et après ?, Paris, Flammarion 1999.

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l’accessoire et l’essentiel de la communication n’est pas simple et pourtant on est bien face à un conflit entre une philosophie technique et économique (de l’information), et une philosophie humaniste et démocratique (de la communication), et si nous défendons la communication, nous défendons par là même la démocratie. Or nous sommes souvent plus « en défensive » contre la communication que contre l’information. « De toute façon, “information” et

“informatique” ont toujours fait intelligent, technique et progressiste, en symétrie le mot “communication” fait vraiment vulgaire » (p. 73). Et nous restons méfiant face à cette communication insaisissable, souvent trompeuse, que l’on pense manipulatrice : « on veut nous faire croire n’importe quoi » « on nous prend pour des idiots » « la com, c’est du vent » (p. 165) : l’idéologie techniciste peut s’infiltrer par le biais de stéréotypes dont la compréhension est plus difficile que celle des idéologies, affirme Wolton, car les idéologies sont des discours construits qui servent de représentation du monde or « les stéréotypes sont des obstacles à la communication (…) et en même temps des passeurs de communication » (p. 154).

Mais admettons que l’on trie l’ivraie du bon grain et que l’on distingue la

« vraie » communication, il reste un obstacle et de taille : nous-même (p. 165). Et c’est de l’essence même de la communication que l’on se méfie. La rencontre avec l’autre, on l’a dit, est souvent une déception « la communication est à la fois désirée et suspectée car elle révèle nos difficultés dans le rapport au monde ». Rencontrer autrui c’est prendre la risque de l’échec « c’est pourquoi les chats, les chiens et les ordinateurs ont tant de succès dans nos sociétés de liberté et de solitude » (p. 163).

Ainsi, au-delà de son apparent triomphe, la communication est fragile

« comment attirer l’attention sur cet enjeu (de sa préservation) quand tout le monde ne voit que triomphe et insolence de la communication et nécessité de s’en garantir ? » (p. 119) et quand « défendre la communication revient à se faire partisan de fausse valeur, de commerce, de mépris d’autrui » (p. 57).

L’apparent désordre de ces chapitres sur la communication spectacle et technicienne cache une argumentation structurée en ce qui concerne le garde-fou qui doit éviter que l’on confonde toutes les strates de la communication et qu’il appelle

« le respect des légitimités symboliques ». Il y a trois ordres des choses, trois grands rapport au monde qu’il ne faut point mélanger sous peine de voir s’effondrer la démocratie : ce sont la connaissance, l’information et l’action.

L’information c’est le domaine des journalistes qui doivent rester dans leur espace symbolique même s’ils sont en contradiction avec le public, leur tâche est d’informer, c’est ce qu’on attend d’eux et ils sont contrôlés pour cela. Ce ne serait pas leur rôle de faire de la politique ou du spectacle. Wolton réclame une charte de protection de l’information.

La connaissance c’est le domaine des scientifiques, plus particulièrement des sciences sociales. « L’intellectuel doit rester modeste parler au nom de ses compétences et non pas de l’universel » (p. 50). La figure du « Conseiller du Prince » qui disait le « bien » et le « vrai » n’est plus de mise.

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Et enfin l’action qui est le domaine du politique (et de l’armée, des gouvernants).

Leurs représentants doivent se garder de faire de l’information sur d’autres domaines.

Il faut apprendre à garder ses distances car la société de communication mélange tout ; connaître et agir relève de logiques hétérogènes. La disjonction entre l’information et la connaissance et l’action est l’acquis le plus important et l’argument central pour éviter une technocratisation de la société. Entre information, connaissance et action il y a un faux continuum.

Donc Wolton nous dit en substance qu’une des façons de garder un minimum de cohérence sociale et culturelle c’est d’éviter de confondre les niveaux. C’est une première façon de sauver la communication réelle.

Sauvons la communication

Le couple « culture-communication » souvent évoqué va permettre le glissement de l’analyse vers un champ d’importance : celui de la mondialisation. Quelle mondialisation ? la troisième, celle que l’auteur évoquait dans son livre L’autre mondialisation4. Il y a eu une mondialisation politique puis économique mais la mondialisation de l’information est un grand chantier à entreprendre, et l’auteur demande expressément une convention internationale sur l’information et l’image (comme il en existe une pour le statut des prisonniers de guerre) car il n’y pas vraiment de « village global, mais une tectonique des plaques culturelles » (p. 122) et « l’effort pour comprendre l’autre semble inversement proportionnel à la facilité avec laquelle on échange avec lui des messages » (p. 19). Le dernier chapitre et la conclusion sont écrits comme d’un seul jet avec une volonté affirmée de faire passer le message humaniste de la nécessaire cohabitation planétaire.

Le concept important de ces chapitres est cohabitation « l’Ouest a toujours cru que les différences culturelles étaient solubles dans la consommation » (p. 177). Il ne s’agit pas de fondre les cultures en une seule mais de maintenir les écarts afin d’en faire une richesse. Un exemple est particulièrement développé : celui des rapports de l’Europe avec ses ex-pays colonisés. Sortir « le cadavre dans le placard » que représente une décolonisation honteuse et amnésique permettrait de respecter enfin les nations d’Outre-mer et nous apprendrait à cohabiter. A travers les problèmes de l’immigration nous pourrions aussi reconnaître l’apport des autres cultures à notre propre identité.

Le lien de cette problématique avec la communication apparaît à la fin. Il s’agit dans l’acceptation de l’autre de dissoudre le non-dit de la communication politique (p. 187) et de rester fidèle à une communication idéale qui est l’intercompréhension.

« La communication est un concept indispensable pour penser la mondialisation »

4. Dominique Wolton, L’autre Mondialisation, Flammarion, Paris, 2003.

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(p. 209). Communication = démocratie = cohabitation (p. 213) donne une conclusion au chapitre.

Dans cette ultime partie, le ton est toujours aussi résolument prescriptif, l’auteur ne se positionne-t-il pas alors comme cet intellectuel conseiller du Prince qu’il évoquait au premier chapitre et qui dit le vrai et le faux ? Au final, l’ouvrage, comme beaucoup de ceux de Dominique Wolton, est en lui-même un objet de débat sans que l’on puisse nier qu’il ouvre le débat sur la mondialisation de la communication.

Françoise Colin GERSIC (EA32-50) Université de la Méditerranée fcolin@univ-aix.fr

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