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Reference
L'influence des donateurs privés sur les politiques publiques: une analyse des initiatives populaires en Californie
BRINGOLLET, Cynthia Leslie
Abstract
L'influence des donateurs privés sur les politiques publiques: une analyse des initiatives populaires en Californie
BRINGOLLET, Cynthia Leslie. L'influence des donateurs privés sur les politiques
publiques: une analyse des initiatives populaires en Californie . Master : Univ. Genève, 2018
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:114203
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L’INFLUENCE DES DONATEURS PRIVES SUR LES POLITIQUES PUBLIQUES
Une analyse des initiatives populaires en Californie
1
Cynthia Bringollet Université de Genève
Mémoire de Master en Science Politique Sous la direction de Nathalie Giger
Source: vox.com
1
Remerciements:
Tout d’abord, merci à ma directrice de mémoire, Nathalie Giger, pour tous ses commentaires et pour m’avoir orientée dans la bonne direction.
Un grand merci à Alexandra Feddersen, dont l’aide pour les données et analyses statistiques a été précieuse.
Merci à Diana Andrianarizafy, amie et collègue du Master, pour ses conseils durant la rédaction du mémoire.
Enfin, merci à ma famille et à mes amis, pour le soutien apporté tout au long de mes études.
SOMMAIRE
1. Introduction……….4
2. Revue de la littérature……….8
2.1. Donations privées………8
2.2. Policy-making aux Etats-Unis………...10
2.3. Démocratie directe et son application………14
3. Cadre théorique………..18
3.1. Démocratie directe en Californie………...18
3.2. Campaign Finance et Agenda-Shaping………..22
4. Hypothèses……….27
5. Cadre méthodologique………...28
6. Analyse empirique……….….29
6.1. Description des variables et tendances……….….29
6.2. Test de H1………..39
6.3. Test de H2………..40
6.4. Contrôle……….44
7. Conclusion………..50
8. Bibliographie………..52
9. Annexes………..64
1. Introduction
« There is something you can do right now today to make a difference, and that is to write a big, fat check. »
(Michelle Obama at a fundraising event in Chicago, July 2014).
2Selon Clawson (2001), une des principales contradictions des démocraties capitalistes est que les individus sont supposés être égaux et disposer chacun d’une seule voix lorsqu’ils votent, alors que dans le domaine du marché, ce sont ceux qui disposent du plus de richesse qui sont supposés avoir le plus d’influence. Le problème selon lui est qu’il est « difficile, voire impossible, de maintenir une frontière étanche entre les sphères politiques et économiques » (p. 34). Les individus fortunés disposent de bien d’autres moyens que le vote (en tant que mode de participation conventionnelle) pour influencer les politiques publiques: ils peuvent bien sûr financer les campagnes électorales (donations à un candidat ou parti politique), mais selon Callahan (2017): « bankrolling public policy outfits - at both the national and the state level - can often be far more powerful lever for swaying debates on big questions ». En 2010, Bill Gates et Warren Buffet ont annoncé the Giving Pledge, promesse de 40 milliardaires américains de donner au moins la moitié de leur fortune pour divers causes. Cette annonce s’inscrit dans le trend d’une implication grandissante d’high net worth individuals qui utilisent leurs ressources financières afin de faire avancer leur agenda, que ce soit dans le domaine de l’éducation, de la santé, ou de l’environnement. Ces nouveaux power players viennent de différents secteurs: « tech, wall street, or the old economy » (Ibid, 2017, p. 50-60).
Selon Callahan (2017), il y a eu un « great power shift » dans la société américaine, qui peut s’expliquer par deux raisons: « the rising tide of philanthropic giving » ainsi que « the declining ability of gouvernement to solve big problems and provide public goods » (p. 16). Ce déclin du gouvernement peut s’expliquer par les coupures budgétaires décidées dans les secteurs autres que la défense: « in 2016, the share of the federal budget going to non-defense domestic discretionary
Voir l’article du Washington Post de K. Zezima
2
spending, measured as a percentage of GDP, shrank to 3 percent (…) and is projected to fall to 2.2 percent of GDP by 2024 » (ibid., p. 29). Ainsi, cet échec du gouvernement à résoudre les problèmes les plus pressants auxquels sont confrontés ses citoyens aurait laissé place à l’émergence de l’implication des acteurs privés dans le secteur public. Certains voient dans cette tendance une manière de gagner en efficacité et en flexibilité, ainsi que de trouver de meilleures solutions à des
« wicked problems », c’est-à-dire, des problèmes qui sont très complexes et qui ne peuvent pas être résolus d’une manière traditionnelle et linéaire (Rittel et Webber, 1973). Cependant, elle pose aussi la question de la légitimité de ces acteurs dans la vie publique, étant donné qu’ils ne sont pas élus, et donc not accountable: ce questionnement a donc une très grande importance normative pour la démocratie (Powell, 2014). Ce travail s’intéresse particulièrement aux donateurs privés, dans un contexte d’augmentation des inégalités et du gap entre la majorité et les 1% super-wealthy. Aux Etats-Unis, sous le principe du pluralisme, la compétition entre les groupes d’intérêts est encouragée. Cependant, l’argent semble être une ressource importante pour parvenir à ses fins.
Parmi les différents canaux de participation, on trouve le vote bien-sûr, mais aussi d’autres manières impliquant d’avoir des moyens: finance de lobbies (pour l’influence dans le domaine législatif), finance de think tanks (qui apporte de la crédibilité), finance de campagnes électorales (qui apporte l’ « accès » aux représentants). Pour ce dernier exemple, il est vrai que l’accès lui-même ne garantit pas l’influence, mais il garantit l’opportunité de fournir aux législateurs des informations qui pourraient les influencer (Ansolabehere and al., 2003). Ainsi, on peut se demander si il n’y a pas une inégalité des chances à faire entendre sa voix, contrairement à ce qu’affirment les pluralistes.
Dans le courant de Mills, qui avait étudié le cercle de pouvoir composé par les élites politiques,
militaires, et de l’industrie, l’existence d’une élite qui transformerait son pouvoir économique en
influence politique signifierait un manque de démocratie grave, encore plus s’il existe une distortion
des intérêts de la majorité versus de cette élite. En effet, cela voudrait dire que seule une infime
partie de la population verrait ses intérêts représentés. Ce problème de représentativité et de
différence dans les préférences (entre le « median voter » et l’ « élite ») a déjà été exploré
auparavant: « to raise sufficient funds, candidates might skew policies in ways preferred by
individual donors » (Ansolabehere and al., 2003). De plus, les contributions pourraient agir comme
des votes pondérés (ibid, 2003). Aux Etats-Unis, certains Etats autorisent une forme de démocratie
directe, avec des initiatives et référendums. En effet, à partir d’un certain nombre de signatures, le
peuple peut voter directement sur des sujets très divers, et souvent controversés, tels que
l’avortement, la légalisation de la marijuana, ou encore le salaire minimum. Les corporations ainsi
que les américains les plus fortunés, dépensent beaucoup d’argent dans ces initiatives, afin
d’influencer les politiques publiques. Ces dernières sont définies par Jenkins (1978) comme un ensemble de décisions inter-reliées qui sont prises par un acteur politique ou un groupe d’acteurs politiques. Contrairement à une majorité d’auteurs, il a conscience que les acteurs gouvernementaux ne sont pas les seuls à prendre en compte (Lemieux, 2002). Il est donc intéressant d’étudier qui dépense quoi, pour quel cause, et quels en sont les effets. Un article du New York Times rapporte d’ailleurs les propos de Mark Baldassare, président du Public Policy Institute of California, qui explique que dans cet Etat: « the cost of placing an initiative on the ballot and waging a campaign has grown exponentially, so nearly no initiatives have been driven purely by volunteers in recent decades ». Thad Kousser, un politologue à l’UCSD, affirme aussi qu’en dépensant 15 millions de dollars, un individu a le pouvoir de changer une loi fondamentale dans une des plus grosses économies du monde. Dans un article du Reuters (2012), Henderson explique: « the state’s system of ‘direct democracy’ has morphed into a big-money battleground ». Nous souhaitons donc voir si c’est effectivement le cas, ou en tout cas, voir s’il y a un véritable impact des donations sur le résultat des initiatives proposées. Certaines entreprises donnent en priorité aux ballot measure committees (plutôt qu’aux partis ou candidats par exemple), ce qui nous conforte dans la direction choisie: en effet, pourquoi ces corporations donneraient-elles autant si cela n’avait pas d’impact?
Monsanto et Philip Morris sont des exemples d’entreprises aux activités très controversées, et qui ce sont impliquées dans les politiques publiques au niveau étatique, en contribuant largement aux campagnes représentant leurs intérêts. En effet, selon le National Institute on Money in Politics ,
3Monsanto a beaucoup plus largement contribué aux ballot measure committees en 2011-2012 qu’à un parti politique ou à des candidats (environ 8 millions versus moins d’un million). La plupart de l’argent dépensé visait à opposer les mesures souhaitant rendre obligatoire la mention « OGM ».
Pour prendre un autre exemple, Philip Morris USA, durant les mêmes années, a donné un total de 28’307’295 dollars à des ballot measure committees, 44’854 dollars pour les partis, et 446,300 dollars pour des candidats au niveau étatique. La majorité de ses donations sont allées directement à une campagne d’opposition à la Proposition 29 (« Tobacco Tax for Cancer Research Act ») qui souhaitait donc augmenter la taxe sur les paquets de cigarettes. Cette implication des grosses multinationales et d’individus fortunés dans la politique étatique nous amène à nous interroger sur leur influence. Dans cette étude, nous allons donc nous intéresser au financement des ballot measures ces dernières années (2010-2016), et pour une question de faisabilité, nous nous
Voir la rubrique « Look at This » sur FollowTheMoney.org
3
restreindrons à la Californie, dans laquelle de nombreuses initiatives ont eu lieu. Notre question de recherche est donc la suivante:
Dans quelle mesure les donateurs privés ont-ils influencé le résultat des initiatives populaires en Californie entre 2010 et 2016?
En parlant de donateurs privés, nous englobons à la fois les individus privés (individuals) et les entreprises ou organisations (non-individuals). Sachant que les contributions aux ballot measures sont illimitées, ces donateurs peuvent injecter des sommes colossales dans des campagnes destinées à faire pencher la balance en faveur de leurs intérêts. Nous souhaitons voir s’ils ont effectivement de l’influence. Ce dernier concept est généralement difficile à mesurer, c’est pourquoi, malgré son importance, il n’est pas assez étudié en science politique (Dür et De Bièvre, 2007). Nous avons décidé de nous concentrer sur les années 2010, 2012, 2014, et 2016 (pas de propositions en 2011, 2013 et 2015), ce qui nous fait totaliser 50 propositions, échantillon assez grand pour que nos analyses soient pertinentes. Nous avons également choisis l’Etat Californien en tant que cas particulier, qui à la fois émet de nombreuses propositions en comparaison aux autres (Michelot, 2010), mais aussi car il fait parti de ceux qui reçoivent le plus de contributions financières pour les ballot measures (Ballotpedia, 2016). Le choix des dates s’est fait suivant la volonté d’avoir une étude la plus actuelle possible. Depuis 2010, des propositions ont été soumises au vote en 2012, 2014, et 2016. Les données pour 2018 n’étant pas encore disponible au moment de cette recherche.
Au niveau du vocabulaire, nous utiliserons indistinctement ballot measures, initiatives, et propositions dans cette étude. Nous allons maintenant développer la littérature existante sur la question, le cadre théorique sur lequel nous nous basons, ainsi que les hypothèses qui en découlent.
Nous nous concentrerons ensuite à définir notre méthode, nos sources pour les données, ainsi que la
sélection de nos cas. Nous pourrons ensuite procéder à l’analyse et à la présentation des résultats.
2. Revue de la littérature:
La question de savoir comment des acteurs privés peuvent faire avancer leur agenda en utilisant leurs ressources financières afin d’entrer le processus de policy making suscite de plus en plus d’intérêt. Cette question de l’economic power qui se transformerait en political influence n’est cependant pas nouvelle. Nous allons donc développer la littérature scientifique existante relative à ce travail, soit les donations privées en général (philanthropie principalement), le policy-making au niveau fédéral et étatique aux Etats-Unis, et enfin la démocratie directe et son application.
2.1. Donations privées
Selon Rogers (2011): « Political scientists, sociologists, philanthropists, journalists, (…) must put
philanthro-policymaking on the public’s radar ». Pour lui, on ne peut pas comprendre les effets de
la philanthropie contemporaine à grande échelle sur la gouvernance globale, les droits humains, la
pauvreté, ou encore la santé, si l’on ne se concentre pas sur le rôle des très riches. Comme nous
l’avons vu précédemment, il y a en effet une tendance grandissante des individus fortunés tels que
Bill Gates, Georges Soros, les frères Koch (parmi les plus connus), mais encore bien d’autres, à
utiliser leur argent pour pousser leur agenda. Selon Skocpol (2016): « through advocacy
organizations and private foundations, these billionaires ‘issue entrepreneurs’ (…) engage in every
stage of the policy process: formulating and amplifying ideas, creating policy networks with
common goals, and pushing coordinated reform agendas ». Par exemple, le réseau politique des
frères Koch rivaliserait avec le Parti Républicain lui-même (Callahan, 2016). Skocpol et Hertel-
Fernandez (2016) expliquent aussi que ce « réseau » est une force émergente majeure dans la
politique américaine: « the recently expanded ‘Koch network’ that coordinates big money funders,
idea producers, issue advocates, and innovative constituency-building efforts in an ongoing effort to
pull the Republican Party and agendas of U.S. politics sharply to the right ». Mais alors que nous
pouvons trouver de nombreux articles journalistiques ou même académiques, il est très rare d’avoir
de véritables recherches empiriques sur l’impact de la philanthropie dans le domaine public. C’est
d’ailleurs pour cela que Skocpol et Rogers en particulier appellent les chercheurs à se concentrer d’avantage sur ce domaine, respectivement dans « Why Political Scientists Should Study Organized Philanthropy » (2016) et « Why the Social Sciences Should Take Philanthropy Seriously » (2015).
Pour Rogers (2015), « if Bill Gates, Michael Bloomberg, Mark Zuckerberg, Bill Clinton, George Soros, and David Rockefeller, to name only a few most well known billionaire philanthropists, all view philanthropy as being a critical force shaping our world, so should social scientists. If they see it as worthy of their time and intellects, so should we » (p. 533). Cependant, il est également conscient des problèmes auxquels sont confrontés les chercheurs s’intéressant à cette thématique (mais aussi pourquoi certains ne se penchent même pas dessus). Une des raisons est que comme on est au niveau privé, il est très difficile d’obtenir des données sur qui donne quoi. La plupart des auteurs se concentrent donc sur l’aspect normatif des donations privées, plutôt que sur une véritable investigation qui déboucherait sur des analyses empiriques. Rogers (2011) demande par exemple:
« should the global rich have more power to determine social policy for the poor if they agree to
pay for it? » (p. 378). Cette question provocatrice reste normative, étant donné que ce domaine est
difficile à explorer, avec des fondations privées et autres organismes de charité qui sont bien moins
transparents et ont bien moins de mécanismes d’accountability que les entreprises ou les
organisations politiques (Rogers, 2015). Il conclut: « therefore both the people and the institutions
involved in mega philanthropy are difficult for scholars to access » (p. 539). Notamment aux Etats-
Unis, ces fondations ont une place particulière: « in the industrial era, the United States has given
more leeway than any other modern democracy to private foundations and other non-profit forms
created and used by wealthy citizens » (Callahan, 2016, p.). Selon Weissert et Knott (1995), les
fondations privées sont des acteurs politiques peu communs: « they have no constituency, are
prohibited from advocating or lobbying on specific pieces of legislation, and cannot persuade the
public or its elected officials with glitzy advertising campaigns or substantial political
contributions » (p. 277). C’est pourquoi, selon les auteurs, elles influencent la politique d’une autre
manière: en partageant leur savoir. Ce partage peut se faire par plusieurs vecteurs, que ce soit en
tenant des conférences ou en finançant des rapports par exemple. Elles ont également un rôle dans
l’évaluation des politiques fédérales existantes et peuvent recommander des améliorations (Ibid,
1995). Enfin, au niveau stratégique, ils soulignent que ces fondations privées vont généralement
choisir des domaines dans lesquels leur argent peut vraiment faire une différence: « those in which
the government role is not strong » (p. 277). Au niveau international, certaines fondations se
démarquent particulièrement dans le domaine de la santé. Si la Rockefeller Foundation a été très
importante dans le façonnement des institutions, idéologies, et pratiques pour la santé globale (mais
aussi dans la médecine, l’éducation, les sciences sociales, l’agriculture, et la science), c’est la Bill and Melinda Gates Foundation qui serait devenue « the current era’s most influential global health agenda-setter ». (Birn, 2014, p. 1). Un des exemples les plus importants de l’influence de la philanthropie privée dans les politiques publiques est le rôle de la Gates Foundation (mais aussi Walton et Broad) dans l’éducation publique (Sievers, 2010). Selon Ravitch (2010): « the offer of a multimillion-dollar grant by a foundation is enough to cause most superintendents and school boards to drop everything and reorder their priorities ». Ainsi, ces fondations, en investissant de manière stratégique, ont réussi à définir l’agenda politique, pas seulement au niveau local, mais aussi à celui étatique, et même au niveau du Département de l’Education américain (ibid, 2010).
Les acteurs privés ont également un rôle important dans l’aide au développement, notamment depuis les Objectifs du Millénaire (2000-2015) et les Objectifs du Développement Durable (2015-2030), qui se veulent ambitieux. Les gouvernements n’ayant pas les moyens de s’attaquer à tous ces objectifs seuls, il y a eu une augmentation ces dernières années des partenariats publics- privés (PPPs). Ce type d’outils de gouvernance est en effet principalement supporté par cette idée de « problem-solving effectiveness » selon laquelle les secteurs public et privé seraient dépendants l’un de l’autre au niveau de leurs ressources (Börzel and Risse, 2002): « in the issue areas of international development and of humanitarian aid, PPPs between, for instance, UN organizations and the private sector (mainly NGOs) was simply a necessity given the lack of material ressources of the international organizations » (ibid, 2002, p. 14). Ce manque de ressources des gouvernements et des organisations internationales a donc ouvert la porte à l’implication grandissante des acteurs privés dans des affaires définies à la base comme étant publiques. Selon Lafourcade (2014), ce type d’aide ne s’expliquerait pas par un élan de solidarité, mais plutôt par des intérêts personnels, politiques, économiques, commerciaux, ou encore sécuritaires.
2.2. Policy-making aux Etats-Unis:
Concentrons nous maintenant sur les Etats-Unis, pays connu pour l’importance qu’il accorde au
principe de pluralisme. Dans le Fédéraliste No 10 (« The Utility of the Union as a Safeguard
Against Domestic Faction and Insurrection »), James Madison défend le fait que les instruments
prévus par la nouvelle Constitution vont équilibrer les conflits internes entre différents groupes
d’intérêts. Cependant, certains se sont interrogés sur la véracité de son application. En effet, s’il n’y
a pas un engagement pour le bien commun ou pour l’intérêt public, il résulte de ce pluralisme une compétition entre individus déconnectés, qui conduit au final à un échec de l’atteinte de biens publics importants (Sidorsky, 1987): « autonome large-scale donors, whether individuals or foundations, can increase these desintegrative tendencies » (Sievers, 2010, p. 386). Deux principales perspectives s’affrontent lorsque l’on s’interroge sur qui détient le pouvoir. Le courant principal remettant en question ce supposé pluralisme où tous les intérêts seraient au final représentés est le courant élitiste. Alors que les pluralistes défendent l’idée que de nombreux groupes d’intérêts sont constamment en compétition et qu’ils arrivent tous à avoir une part de pouvoir, la vision élitiste remet cela en cause, et postule que seule une minorité de la population détient actuellement le pouvoir. Ce courant prend souvent pour référence le travail de C. Wright Mills. Effectivement, son livre, intitulé The Power Elite (1956) en distingue 3 types: the political elite (les politiciens qui ont assez d’influence pour faire passer des lois), the business elite (leaders du secteur industriel, individus fortunés), and the military elite (skills et ressources pour faire la guerre). Ces trois types d’élite sont, selon Mills, interconnectés: ils font parti du même réseau, fréquentent les mêmes écoles et clubs. Pour lui, ce sont les positions de ces individus qui leur confère leur pouvoir (key positions), mais surtout leur coopération. Même si d’après lui c’est le secteur corporate qui a le plus de pouvoir, c’est bien l’alliance entre les trois qui est la plus importante. Beaucoup d’académiques se sont donc lancés dans la recherche d’évidences de l’influence de l’argent sur la politique, mais la plupart ont eu de la difficulté à trouver des résultats pertinents. Beaucoup d’entre eux ont d’ailleurs conclu que: « money does not matter » (Powell, 2014). Le problème est qu’il est généralement difficile de directement mesurer l’influence de l’argent sur l’output politique, en étudiant le passage des lois au Congrès, comme la plupart des auteurs ont décidé de le faire (Powell, 2012). Selon Clawson (2001) cependant, s’interroger sur si les contributions achètent ou pas le vote des politiciens révèle une incompréhension fondamentale du fonctionnement du système: « le processus est beaucoup plus lâche et beaucoup plus incertain qu’une transaction sur le marché » (p. 45). Certains ont plutôt préféré se concentrer sur la comparaison des préférences entre différentes catégories de citoyens, ainsi que le résultat des bills.
Gilens (2012) a par exemple comparé les préférences de différents groupes de revenus avec les
policy outcomes. Il a trouvé que les préférences de la majorité des américains n’avaient pas
vraiment d’impact sur les politiques publiques que le gouvernement adoptent ou pas, alors que
leur ‘responsiveness’ est « strongly tilted toward the most affluent citizens ». Bartels (2008) en est
aussi arrivé à la conclusion que les préférences des personnes ayant le plus faible niveau de revenu
n’avaient apparement aucun impact sur le comportement des élus. Ainsi, les individus ayant un
revenu élevé auraient plus de « voix » que les autres au niveau du Congrès. D’ailleurs, selon Clawson (2001), si l’influence politique dépend de la richesse, cela signifie que: « 10% de la population appartenant à la classe sociale la plus aisée a plus de ‘voix’ que l’ensemble des 90% de la population restante », mais aussi que « Bill Gates, à lui seul, a davantage de voix que 100 millions des Américains les plus pauvres » (p. 34). Déjà au niveau du taux de participation politique, il semble y avoir une forte inégalité entre les individus de différents social and economic backgrounds: la non-participation aux élections est fortement liée au niveau d’éducation et de revenus (Ibid, 2001). Ces études raisonnent aussi avec la théorie de la Social Construction of Target Populations (SCTP), développée par Ingram et Schneider (1993), qui offre également une perspective intéressante sur la relation entre la manière dont un certain groupe est construit ainsi que son degré de pouvoir, et les politiques publiques qui le visent. Les auteurs distinguent entre 4 types de groupes (advantaged, contenders, dependants, deviants). Ils démontrent que les policymakers sont biaisés, et qu’ils ne vont ni utiliser les mêmes outils, ni avoir le même type de politique en fonction de quel groupe est visé. Sans surprise, les riches donateurs que nous allons étudier vont soit se situer dans la catégorie des advantaged (high power, positive social construction), soit dans celle des contenders (high power, negative social construction). D’ailleurs, 77% des américains pensent que les membres du Congrès sont plus à l’écoute des gros donateurs venant d’un autre Etat que de ceux qu’ils sont sensés représenter, c’est-à.dire des électeurs de leur propre Etat (Princeton Survey, 1997). La plupart de ces dons ont en effet pour but d’obtenir une
« accessibilité » au pouvoir, et font partis d’un système d’échange complexe créant un réseau d’obligations (Clawson, 2001). Les grandes entreprises ont aussi l’habitude d’aller à de nombreuses séances de collecte de fonds afin de discuter avec les candidats et leur équipe des intérêts qu’elles ont, et donc de créer du lien, tout en établissant des stratégies avec les autres entreprises du même secteur (ibid, 2001). Au niveau individuel, il a aussi été prouvé que les citoyens les plus aisés sont plus actifs politiquement, et surtout qu’ils ont des préférences très différentes que celles de la majorité des citoyens. En effet, Page and al. (2013) ont comparé la majorité des citoyens avec le
« top 1 percent »: ils ont trouvé que ces derniers favorisent beaucoup plus les coupes budgétaires
pour Medicare et dans le secteur de l’éducation, qu’ils soutiennent une diminution du rôle de l’Etat
en tant que régulateur du marché, et qu’ils s’opposent à l’implication du gouvernement dans le
secteur du travail. Dans un article du New York Times (1997, p .9), le président Clinton expliquait
les séances café tenues à la Maison-Blanche avec certains citoyens comme ceci: « Je cherche des
moyens d’avoir de véritables conversations avec les gens. J’apprends des choses lorsque j’écoute
les gens ». Cependant, pour être admis à ces séances, il fallait déboursé 100’000 dollars, montant
largement inaccessible pour la plupart des américains, et qui signifie qu’encore une fois, la
population n’était clairement pas représenté dans l’échantillon de personnes sélectionnées
(Clawson, 2001). Avoir des instruments de démocratie directe semble donc être une bonne solution
afin de contrer cette apparente distortion dans la représentation des différents intérêts. La plupart
des études se sont donc concentrées sur le niveau fédéral, mais moins sur le state level. Nous savons
qu’il existe différents types de démocratie. Cependant, c’est la dichotomie entre représentative et
directe qui est tout particulièrement accentuée dans le débat politique (Dalton and al., 2001). Le
système de démocratie directe postule que les citoyens sont en mesure de prendre des décisions
réfléchies et informées sur des questions politiques. Selon Lijphart (1989), la démocratie directe est
en pratique un phénomène plutôt rare. De plus, « of the various devices of direct democracy, such as
the referendum, initiative, recall, and primary elections, only the referendum is frequently
used » (Ibid., 1989). Cela peut s’expliquer par le fait que ce modèle de démocratie, plaçant le
contrôle du gouvernement dans les mains des citoyens eux mêmes, ne peut pas fonctionner
efficacement dans de larges « constitutions politiques », ce qui a donc conduit à la prédominance du
système représentatif (citoyens élisent des ‘représentants’ qui voteront à leur place) (Dalton and al.,
2001). Ce dernier système a beaucoup été critiqué par rapport à la centralisation de la prise de
décision (ibid, 2001), ainsi que sur la véritable représentativité exercée. En effet, de nombreux
académiques, Pitkin (1967) parmi les plus connus, se sont interrogés sur les facteurs de la
représentation. Selon elle, les représentants ne peuvent pas seulement exécuter les demandes des
citoyens, mais ils doivent plus généralement représenter leurs idées et préférences. Si pour elle les
caractéristiques à proprement parler des représentants (être une femme par exemple) ne sont pas les
plus importants, d’autres auteurs tels que Mansbridge (1999) suggèrent qu’une ressemblance entre
représentants et représentés est désirable. Il est ainsi question de représentation dite descriptive, où
le background des élus (éducation, origine, genre, etc) est de grande importance. Selon cette
perspective, le Congrès (ou Parlement) devrait donc être une représentation miniature de sa
population, afin d’être responsive envers cette dernière. De nombreux débats existent donc au
niveau de la démocratie représentative. Plutôt que de s’ajouter aux nombreuses études analysant ce
lien entre divers segments de la population et décisions des élus, nous nous intéressons à la
démocratie directe au niveau étatique, pour laquelle il existe beaucoup moins d’études, et qui a
pourtant une importance cruciale. Ce type de démocratie autorise en effet les citoyens dans la
plupart des Etats à proposer des initiatives et à voter directement par référendum sur des questions
variées, amenant à des modifications législatives et constitutionnelles qui impactent véritablement
la vie des citoyens.
2.3. Démocratie Directe et son application
Au niveau théorique, les études concernant la démocratie directe gravitent autour de 3 idées:
« principal-agent problems, asymmetric information and issue bundling » (Matsusaka, 2005, p.
192). Une des théories principales en économie politique est celle du median voter, selon laquelle (sous certaines conditions) la compétition entre les partis va faire converger leur position vers celle du median voter, soit celui dont les préférences se situent au milieu de l’échelle (Down, 1957).
Cependant: « theories of direct democracy usually assume that (…) an agency problem exists
between voters and their elected representatives » (Matsusaka, 2005, p. 192). Il y aurait donc selon
eux une distortion entre les intérêts des citoyens et les politiques qui poursuivent leurs
représentants. La démocratie directe, selon cette perspective, pourrait influencer la politique de
deux manières. Le premier effet est direct, puisque les initiatives et référendums pourraient
outrepasser les décisions de certains élus ne respectant pas les préférences de ceux qu’ils
représentent. Le second effet, cette fois indirect, est que la menace qu’une proposition soit soumise
au vote populaire puisse influencer les élus à choisir des politiques différentes que si cet instrument
n’existait pas (ibid, 2005). Pour ce dernier, on pense la démocratie directe comme un « action-
forcer », c’est-à-dire un moyen de faire pression sur les législateurs pour qu’ils agissent sur des
issues controversées (Kesselman, 2011). Pour certains détracteurs de la démocratie directe
cependant, le processus référendaire serait formulé de manière à obtenir une certaine réponse, et qui
donc avantagerait inévitablement qui a posé la question (ibid, 2011). Si la démocratie représentative
reste majoritaire, des instruments de démocratie directe sont appliqués dans différents contextes,
mais aussi de différentes manières. Un des pays les plus connus en ce qui la concerne est la Suisse,
pour laquelle ce type de démocratie est au coeur de la vie politique: « The Swiss citizens vote
several times each year on local, cantonal, and national projects. Since the late 1960s, the number
of projects submitted to the vote has considerably increased » (Kriesi, 2005, p.2). Chaque citoyen
peut s’exprimer directement sur les propositions du Parlement fédéral (référendum facultatif ou
obligatoire), ou formuler une proposition pour modifier la Constitution (initiative populaire). Pour
cette dernière, un citoyen doit arriver à récolter au moins 100’000 signatures en 18 mois pour
qu’elle puisse être soumise au vote. La double-majorité (peuple et cantons) est nécessaire pour
amender la Constitution (admin.ch). Le Liechtenstein est aussi un des pays utilisant le plus les outils
de la démocratie directe. En effet, les initiatives populaires permettent aux citoyens (après avoir
récolté le nombre requis de signatures) de proposer des modifications législatives ou
constitutionnelles, ainsi que de s’exprimer sur des questions budgétaires . L ’initiative, si elle réunit
tous les critères, est soumise au Parlement. Si ce dernier la refuse, alors elle est soumise au
référendum (Marxer, 2007) . Après ces deux pays, c’est l’Italie qui semble avoir le plus d’experience
dans la démocratie directe dans une comparaison européenne. Il existe en effet ce qu’on appelle un
référendum correcteur, fréquemment utilisé. L’idée est qu’une loi (ou partie de celle-ci) qui ait été
approuvée par le Parlement, puisse être soumise au vote populaire. Le nombre de signatures à
récolter pour cela est seulement de 500’000, soit 1% des électeurs inscrits. Le problème est que
pour qu’une loi soit rejetée, la majorité doit voter contre, et cette majorité doit représenter au moins
50% des électeurs inscrits, ce qui a causé l’invalidation de nombreuses initiatives (Kaufmann et al.,
2007). Les autres pays européens ont peut-être une utilisation moindre de la démocratie directe, ce
qui ne signifie pas pour autant qu’elle y est absente. Nous allons donc faire un petit tour d’horizon
de l’utilisation du référendum et des initiatives populaires dans certains pays d’Europe (en nous
basant sur Kaufmann and al. (2007) et Kaufmann et Waters (2004)). En Allemagne, la démocratie
directe n’est pas appliquée au niveau national (pas de plebiscite depuis 1945). Cependant, le
référendum d’initiative populaire est fréquemment utilisé dans ses Etats et municipalités. En
Autriche, les révisions complètes de la Constitution sont soumises au référendum obligatoire. Des
révisions partielles peuvent également y être soumises si au moins un tiers du Parlement ou de la
Chambre des représentants des Etats fédéraux requiert ces modifications. Cependant, il n’y a pas
non plus de référendum d’initiative populaire au niveau national, mais le Parlement peut décider de
faire un référendum obligatoire sur une loi ordinaire. Les citoyens peuvent quand même soumettre
une pétition au Parlement (mais elle ne mène pas au référendum). Le référendum d’initiative
citoyenne existe dans seulement deux Etats (Haute-Autriche et Styrie), ainsi que dans toutes les
municipalités. En Belgique, les référendums obligatoires sont inconstitutionnels, et les référendums
d’initiative populaire (non obligatoires), n’existent que dans les municipalités. Dans le cas du
Danemark et de l’Irlande, un amendement constitutionnel doit obligatoirement être soumis au
référendum. En Espagne, si une question est considérée comme étant d’importance nationale, alors
un plébiscite peut être tenu, ce qui n’a cependant pas toujours lieu comme beaucoup d’exceptions
existent (sujets sur lesquels le Parlement a une autorité absolue). Pour ce qui est de l’initiative
populaire, elle « existe » dans le sens où une pétition peut être soumise dès 75’000 signatures, mais
il faut l’accord du président, ce qui questionne donc sa véritable nature. En France, il n’y a pas de
référendum d’initiative populaire, et c’est seulement le président (éventuellement le Parlement) qui
décide d’un plebiscite. En Hongrie, même si la Constitution prévoit l’utilisation d’instruments tels que le référendum et l’initiative populaire, de nombreuses exceptions viennent empêcher leur utilisation régulière, telle que l’exclusion de certains sujets. La Norvège, selon sa Constitution, ne prévoit aucune forme de démocratie directe. Le Parlement peut cependant tenir un plebiscite non- obligatoire, présent aussi au niveau municipal (référendum populaire également à ce niveau là).
Enfin, ce serait les Pays-Bas qui auraient le moins d’expérience dans le domaine de la démocratie
directe, avec une Constitution rigide et ne permettant pas les votes populaires obligatoires, mais
seulement les facultatifs au niveau municipal. Cependant, très peu ont eu lieu, et la plupart du
temps, il s’agissait plutôt de plebiscites. Au niveau international: « over the past 25 years
participatory democracy has experienced an enormous boom. More than half of all referendums
ever held in history fall into this period ». (Kaufmann, Büchi, & Braun, 2007, p. 106). Cependant,
cette expansion n’a pas été égale partout. Au Canada par exemple, l’utilisation de référendums pour
guider la politique gouvernementale n’a été que très peu pratiquée (Blais and al., 2001), malgré le
fait que la majorité de la population soutient ce type d’instruments de démocratie directe
(Mendelsohn et Parkin, 2001): « Canada did not substantially add direct democracy to its political
system » (Boyd, 2010). De plus, quand certains référendums sont tenus, ils ne concernent souvent
qu’une certaine catégorie de citoyens, comme les agriculteurs ou les propriétaires (Boyer, 1992). En
Amérique Latine, et jusqu’à récemment, la plupart des experiences référendaires se sont faites sous
des régimes non-démocratiques (Boyd, 2010). Au Chili, Pinochet a conduit des référendums afin de
légitimer son pouvoir: en 1988, après avoir perdu le troisième, il a admit sa défaite, ce qui a mis fin
à la loi martiale (Butler and Ranney, 1994). Les pays d’Amérique latine ont connus un
accroissement de l’utilisation des référendums au vu de leur récente progressive démocratisation
(Madroñal, 2005). L’Uruguay, la Colombie, le Guatemala, et le Venezuela, bénéficient tous
d’instruments de la démocratie directe. Cependant, ils sont en pratique plutôt faibles, comme au
Venezuela, pays pour lequel le nombre de signatures requis est tellement élevé que le seuil n’est
jamais vraiment atteint, ce qui fait que le référendum est plutôt rare (ibid, 2005). L’Uruguay est
celui se défendant le mieux, avec l’implémentation des référendums populaires dans un format
utilisable, ce qui en fait un leader de la démocratie directe en Amérique latine. Sur le continent
asiatique, la plupart des référendums importants ayant eu lieu ont pour la plupart été conduits par
les autorités nationales (Hwang, 2006). Mais certains pays tels que la Corée du Sud, le Japon, ou
encore Taïwan, ont vus des référendums se produire à l’initiative de leurs citoyens, notamment au
niveau de questions environnementales (ibid, 2006). Taïwan, par exemple, a utilisé le système
référendaire pendant des années au niveau local, et en 2003, a adopté une loi autorisant les
initiatives et les référendums au niveau national. Cette nouveauté a conduit l’année suivante au
« Peace Referendum » sur les relations entre Taïwan et la Chine continentale (Matsusaka, 2005). En Océanie, l’Australie et la Nouvelle-Zélande doivent toutes deux faire appel au référendum pour des réformes constitutionnelles. De plus, la Nouvelle-Zélande autorise les initiatives populaires, mais leur « pouvoir » est atténué par un important nombre de signatures requises, ainsi que leur « non- binding » nature (Boyd, 2010). En Australie, malgré le fait que de nombreux référendums obligatoires soient tenus, les représentants contrôlent ces derniers (ce qu’ils sont, quand ils ont lieu, etc): « they thus become a battleground of representative rather than direct democracy » (ibid, 2010, p. 14). En effet, les représentants de l’opposition contrent toujours les appels aux référendums de la majorité, même si cela signifie devoir changer leurs propres positions politiques (Kobach, 1993). Enfin, en ce qui concerne le continent africain et le moyen-orient, ils n’ont pas encore eu de véritable experience de la démocratie directe (Boyd, 2010), même si des référendums obligatoires ont déjà été tenus: « in the nondemocratic world the outcomes are different. Only nine out of ninety- two referendums in Africa have failed to yield a 90 percent Yes vote. In a majority (fifty-two), the outcome was, implausibly, more than 98 percent Yes » (Butler and Ranney, 1994, p. 4). Ainsi, certains référendums, plutôt que d’être des vecteurs d’expression pour les citoyens, sont parfois utilisés comme outils au service du pouvoir afin de se légitimer (que cela passe par des moyens
« démocratiques » ou non). Nous venons donc de voir que l’utilisation des instruments de
démocratie directe est très inégale, et que cette dernière n’est souvent pas appliquée de la même
manière. Au final, ce sont la Suisse et les Etats-Unis qui ont le plus d’histoire avec la démocratie
directe (Boyd, 2010). Nous allons maintenant nous concentrer sur ce dernier pays, les Etats-Unis, et
plus particulièrement sur l’Etat auquel nous nous intéressons dans cette étude, soit la Californie.
3. Cadre théorique:
3.1. Démocratie directe en Californie
Aux Etats-Unis, toutes les constitutions étatiques contiennent des éléments de démocratie directe (Möckli, 1994). Cependant, seulement la moitié des Etats ont des instruments tels que le référendum, l’initiative, ou le recall (Wagschal, 1997). Ce dernier permet au peuple de convoquer une nouvelle élection en cours de mandat (gouverneur par exemple) si il estime que l’élu a trahi sa confiance (Michelot, 2010). Nous souhaitons cependant nous concentrer dans cette étude sur les initiatives soumises au référendum. En effet, parmi les différentes formes de « citizen lawmaking », les ballot initiatives sont les plus courantes (Kesselman, 2011). Elles peuvent soit être une proposition d’un nouveau texte législatif, soit un amendement de la Constitution. Comme on le voit sur la carte ci-dessous, seulement certains Etats autorisent les deux types d’initiatives (constitutionnelles et législatives) ainsi que le référendum. Les initiatives constitutionnelles amendent le texte organique de l’Etat, alors que les initiatives législatives proposent l’adoption d’une loi et les référendums sont des validations par le peuple de lois votées par l’Assemblée législative (Michelot, 2010).
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Source: ballotpedia.org
De nombreuses importantes lois ont été adoptées par ce biais: quelques exemples datant du début du XXème siècle incluent l’assurance contre les accidents au travail en 1910 dans l’Oregon, l'interdiction du travail des enfants dans l'Arkansas en 1914, la retraite dans l'Arizona en 1914, ou encore la limitation de la journée de travail à huit heures dans le Colorado et l'Oregon en 1912 (Heußner, 1999). Les sujets se sont multipliés depuis, avec des référendums concernant aussi bien les taxes, que la drogue, les droits sociaux, l’immigration, l’avortement, ou encore l’environnement.
Les ballot measures ont en effet été des arènes de choix pour les « guerres culturelles » aux Etats- Unis, notamment du côté des conservateurs, dont le but est de mobiliser des « moral voters » (Kesselman, 2011). Mariage gay, avortement, et immigration, sont par exemple des sujets à la fois sensibles et controversés, et dont de nombreuses propositions les concernaient directement.
Ainsi, en 2008, l’Etat d’Arkansas a refusé l’adoption aux couples gays, ainsi qu’à tout couple non- marié. L’Arizona et la Californie ont aussi adopté des lois anti-mariage gay la même année, et en novembre, 41 Etats avaient passé les amendements constitutionnels définissant pour la plupart l’institution maritale comme étant l’union d’un homme et d’une femme (ibid, 2011). Dans l’Etat du Colorado, une proposition voulait définir la vie humaine comme existant à partir du moment de la fertilisation, ce qui aurait eu de très graves conséquences pour le droit des femmes à l’avortement (ibid, 2011). Un autre exemple est celui de cannabis, interdit au niveau fédéral, mais pour lequel de nombreuses initiatives ont eu lieu au niveau étatique afin de la décriminaliser (utilisation, possession, ou vente). Cela s’est produit dans le Colorado, le Michigan, et l’Utah en 2000, ainsi, que dans l’Etat du Massachusetts en 2008. En revanche, des mesures similaires ont été rejetées en Dakota du Sud, Oregon, Alaska, Nevada, et Ohio. Dans l’Etat de Washington, une initiative datant de 2008 n’a pas récolté assez de signatures pour être au ballot. Enfin, en Californie, la marijuana est décriminalisée, mais la proposition 19 (2010) a été rejetée (personal cultivation, possession and transportation) (ibid., 2011). Ces dernières années, de nombreux débats et affrontements ont aussi porté, dans le secteur de l’éducation, sur l’autorisation et le développement des charter schools. Ces écoles sont publiquement financées, mais ont une gestion privée. Elles sont souvent définies comme
« independant public schools of choice, freed from rules but accountable for results » et les
personnes à leurs têtes peuvent être un groupe de parents ou de professeurs, une entreprise privée,
ou encore une organisation communautaire (Finn, Manno, and Vanourek, 2000). Leur effectivité
(principal argument de leur défenseurs) par rapport aux écoles traditionnelles est plutôt mitigée
(Bettinger, 2005). Pourtant, si l’on regarde l’activité législative au niveau étatique, il semblerait que
ce type d’école ait de plus en plus de soutien dans le public agenda (McNeal and al., 2007). L’Etat
du Minnesota a été le premier à adopter cette réforme de l’éducation, en 1991, qui s’est depuis développée dans la majorité des Etats (ibid, 2007). Le principal problème, pour ses détracteurs, est que n’importe qui peut les créer, et que ces derniers sont libres du programme enseigné. De plus, comme elles fonctionnent principalement comme des entités privées, il y aurait un véritable manque de transparence. Avec ces quelques exemples, on peut donc comprendre que les résultats de la plupart des initiatives populaires aux Etats-Unis ont des implications majeures, et ce dans la plupart des domaines. Selon Kaussman (2011): « citizen lawmaking is a privileged tool for grasping the American political psyche -how individuals attitudes and behaviors interact with politics- and the reflexive tactical adaptations by parties and interest groups » (p. 4). On aurait donc une meilleure perception en étudiant les ballot measures, qui nous font réfléchir au-delà de la simple polarisation entre deux types d’Etats « red conservative Republican » ou « blue liberal Democrat » (ibid). L’Etat auquel nous nous intéressons principalement dans cette étude, la Californie, a adopté en 1911 les initiatives populaires, en tant que moyen d’autoriser les citoyens à directement promulguer des lois et même à amender la Constitution sans devoir accéder aux représentants. Selon Berg et Holman (1989): « the process was instituted in reaction to an unresponsive legislature dominated heavily by well-financed and professional special interest groups ». Rarement utilisées au début du siècle, ces mesures d’initiatives populaires sont devenues pour certains groupes de citoyens le meilleur moyen de défendre leurs intérêts particuliers (Douzet et Cain, 2007). Elles peuvent aussi servir comme outil de contournement de la législature en place par le gouverneur, comme lorsqu’en 2005, Arnold Schwarzenegger avait (en vain) tenté de court-circuiter le pouvoir législatif (ce dernier étant opposé à ses projets de lois) en soutenant des mesures d’initiative populaire (ibid, 2007). Au niveau légal, certains critères doivent être respectés afin de « qualifier » une initiative pour qu’elle soit soumise au vote. Pour le premier type d’initiative (constitutionnelle), il s’agit de 5 % du total des électeurs ayant participé au dernier scrutin pour l’élection au poste de gouverneur. Pour les deuxième et troisième types, il s’agit de 8 %. Le nombre de signatures doit être obtenu sous 150 jours. Si la pétition rassemble moins de 95 % des signatures nécessaires, elle est disqualifiée (donc non soumise au vote); si elle rassemble plus de 110 % des signatures nécessaires, elle est qualifiée et inscrite au vote. En revanche, si elle rassemble entre 95 % et 110 % des signatures nécessaires, cela entraîne automatiquement une vérification individuelle de toutes les signatures (dans les 30 jours) .
4La Californie fait partie des Etats ayant eu le plus recours à ces outils de démocratie directe: « seul l’Oregon – historiquement à l’origine de l’introduction de cet acte de démocratie participative
Informations sur le site du California Secretary of State Alex Padilla: http://www.sos.ca.gov/elections/ballot-measures/how-qualify-
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initiative/