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2. Revue de la littérature

2.2. Policy-making aux Etats-Unis

Concentrons nous maintenant sur les Etats-Unis, pays connu pour l’importance qu’il accorde au

principe de pluralisme. Dans le Fédéraliste No 10 (« The Utility of the Union as a Safeguard

Against Domestic Faction and Insurrection »), James Madison défend le fait que les instruments

prévus par la nouvelle Constitution vont équilibrer les conflits internes entre différents groupes

d’intérêts. Cependant, certains se sont interrogés sur la véracité de son application. En effet, s’il n’y

a pas un engagement pour le bien commun ou pour l’intérêt public, il résulte de ce pluralisme une compétition entre individus déconnectés, qui conduit au final à un échec de l’atteinte de biens publics importants (Sidorsky, 1987): « autonome large-scale donors, whether individuals or foundations, can increase these desintegrative tendencies » (Sievers, 2010, p. 386). Deux principales perspectives s’affrontent lorsque l’on s’interroge sur qui détient le pouvoir. Le courant principal remettant en question ce supposé pluralisme où tous les intérêts seraient au final représentés est le courant élitiste. Alors que les pluralistes défendent l’idée que de nombreux groupes d’intérêts sont constamment en compétition et qu’ils arrivent tous à avoir une part de pouvoir, la vision élitiste remet cela en cause, et postule que seule une minorité de la population détient actuellement le pouvoir. Ce courant prend souvent pour référence le travail de C. Wright Mills. Effectivement, son livre, intitulé The Power Elite (1956) en distingue 3 types: the political elite (les politiciens qui ont assez d’influence pour faire passer des lois), the business elite (leaders du secteur industriel, individus fortunés), and the military elite (skills et ressources pour faire la guerre). Ces trois types d’élite sont, selon Mills, interconnectés: ils font parti du même réseau, fréquentent les mêmes écoles et clubs. Pour lui, ce sont les positions de ces individus qui leur confère leur pouvoir (key positions), mais surtout leur coopération. Même si d’après lui c’est le secteur corporate qui a le plus de pouvoir, c’est bien l’alliance entre les trois qui est la plus importante. Beaucoup d’académiques se sont donc lancés dans la recherche d’évidences de l’influence de l’argent sur la politique, mais la plupart ont eu de la difficulté à trouver des résultats pertinents. Beaucoup d’entre eux ont d’ailleurs conclu que: « money does not matter » (Powell, 2014). Le problème est qu’il est généralement difficile de directement mesurer l’influence de l’argent sur l’output politique, en étudiant le passage des lois au Congrès, comme la plupart des auteurs ont décidé de le faire (Powell, 2012). Selon Clawson (2001) cependant, s’interroger sur si les contributions achètent ou pas le vote des politiciens révèle une incompréhension fondamentale du fonctionnement du système: « le processus est beaucoup plus lâche et beaucoup plus incertain qu’une transaction sur le marché » (p. 45). Certains ont plutôt préféré se concentrer sur la comparaison des préférences entre différentes catégories de citoyens, ainsi que le résultat des bills.

Gilens (2012) a par exemple comparé les préférences de différents groupes de revenus avec les

policy outcomes. Il a trouvé que les préférences de la majorité des américains n’avaient pas

vraiment d’impact sur les politiques publiques que le gouvernement adoptent ou pas, alors que

leur ‘responsiveness’ est « strongly tilted toward the most affluent citizens ». Bartels (2008) en est

aussi arrivé à la conclusion que les préférences des personnes ayant le plus faible niveau de revenu

n’avaient apparement aucun impact sur le comportement des élus. Ainsi, les individus ayant un

revenu élevé auraient plus de « voix » que les autres au niveau du Congrès. D’ailleurs, selon Clawson (2001), si l’influence politique dépend de la richesse, cela signifie que: « 10% de la population appartenant à la classe sociale la plus aisée a plus de ‘voix’ que l’ensemble des 90% de la population restante », mais aussi que « Bill Gates, à lui seul, a davantage de voix que 100 millions des Américains les plus pauvres » (p. 34). Déjà au niveau du taux de participation politique, il semble y avoir une forte inégalité entre les individus de différents social and economic backgrounds: la non-participation aux élections est fortement liée au niveau d’éducation et de revenus (Ibid, 2001). Ces études raisonnent aussi avec la théorie de la Social Construction of Target Populations (SCTP), développée par Ingram et Schneider (1993), qui offre également une perspective intéressante sur la relation entre la manière dont un certain groupe est construit ainsi que son degré de pouvoir, et les politiques publiques qui le visent. Les auteurs distinguent entre 4 types de groupes (advantaged, contenders, dependants, deviants). Ils démontrent que les policymakers sont biaisés, et qu’ils ne vont ni utiliser les mêmes outils, ni avoir le même type de politique en fonction de quel groupe est visé. Sans surprise, les riches donateurs que nous allons étudier vont soit se situer dans la catégorie des advantaged (high power, positive social construction), soit dans celle des contenders (high power, negative social construction). D’ailleurs, 77% des américains pensent que les membres du Congrès sont plus à l’écoute des gros donateurs venant d’un autre Etat que de ceux qu’ils sont sensés représenter, c’est-à.dire des électeurs de leur propre Etat (Princeton Survey, 1997). La plupart de ces dons ont en effet pour but d’obtenir une

« accessibilité » au pouvoir, et font partis d’un système d’échange complexe créant un réseau d’obligations (Clawson, 2001). Les grandes entreprises ont aussi l’habitude d’aller à de nombreuses séances de collecte de fonds afin de discuter avec les candidats et leur équipe des intérêts qu’elles ont, et donc de créer du lien, tout en établissant des stratégies avec les autres entreprises du même secteur (ibid, 2001). Au niveau individuel, il a aussi été prouvé que les citoyens les plus aisés sont plus actifs politiquement, et surtout qu’ils ont des préférences très différentes que celles de la majorité des citoyens. En effet, Page and al. (2013) ont comparé la majorité des citoyens avec le

« top 1 percent »: ils ont trouvé que ces derniers favorisent beaucoup plus les coupes budgétaires

pour Medicare et dans le secteur de l’éducation, qu’ils soutiennent une diminution du rôle de l’Etat

en tant que régulateur du marché, et qu’ils s’opposent à l’implication du gouvernement dans le

secteur du travail. Dans un article du New York Times (1997, p .9), le président Clinton expliquait

les séances café tenues à la Maison-Blanche avec certains citoyens comme ceci: « Je cherche des

moyens d’avoir de véritables conversations avec les gens. J’apprends des choses lorsque j’écoute

les gens ». Cependant, pour être admis à ces séances, il fallait déboursé 100’000 dollars, montant

largement inaccessible pour la plupart des américains, et qui signifie qu’encore une fois, la

population n’était clairement pas représenté dans l’échantillon de personnes sélectionnées

(Clawson, 2001). Avoir des instruments de démocratie directe semble donc être une bonne solution

afin de contrer cette apparente distortion dans la représentation des différents intérêts. La plupart

des études se sont donc concentrées sur le niveau fédéral, mais moins sur le state level. Nous savons

qu’il existe différents types de démocratie. Cependant, c’est la dichotomie entre représentative et

directe qui est tout particulièrement accentuée dans le débat politique (Dalton and al., 2001). Le

système de démocratie directe postule que les citoyens sont en mesure de prendre des décisions

réfléchies et informées sur des questions politiques. Selon Lijphart (1989), la démocratie directe est

en pratique un phénomène plutôt rare. De plus, « of the various devices of direct democracy, such as

the referendum, initiative, recall, and primary elections, only the referendum is frequently

used » (Ibid., 1989). Cela peut s’expliquer par le fait que ce modèle de démocratie, plaçant le

contrôle du gouvernement dans les mains des citoyens eux mêmes, ne peut pas fonctionner

efficacement dans de larges « constitutions politiques », ce qui a donc conduit à la prédominance du

système représentatif (citoyens élisent des ‘représentants’ qui voteront à leur place) (Dalton and al.,

2001). Ce dernier système a beaucoup été critiqué par rapport à la centralisation de la prise de

décision (ibid, 2001), ainsi que sur la véritable représentativité exercée. En effet, de nombreux

académiques, Pitkin (1967) parmi les plus connus, se sont interrogés sur les facteurs de la

représentation. Selon elle, les représentants ne peuvent pas seulement exécuter les demandes des

citoyens, mais ils doivent plus généralement représenter leurs idées et préférences. Si pour elle les

caractéristiques à proprement parler des représentants (être une femme par exemple) ne sont pas les

plus importants, d’autres auteurs tels que Mansbridge (1999) suggèrent qu’une ressemblance entre

représentants et représentés est désirable. Il est ainsi question de représentation dite descriptive, où

le background des élus (éducation, origine, genre, etc) est de grande importance. Selon cette

perspective, le Congrès (ou Parlement) devrait donc être une représentation miniature de sa

population, afin d’être responsive envers cette dernière. De nombreux débats existent donc au

niveau de la démocratie représentative. Plutôt que de s’ajouter aux nombreuses études analysant ce

lien entre divers segments de la population et décisions des élus, nous nous intéressons à la

démocratie directe au niveau étatique, pour laquelle il existe beaucoup moins d’études, et qui a

pourtant une importance cruciale. Ce type de démocratie autorise en effet les citoyens dans la

plupart des Etats à proposer des initiatives et à voter directement par référendum sur des questions

variées, amenant à des modifications législatives et constitutionnelles qui impactent véritablement

la vie des citoyens.

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