2. Revue de la littérature
2.3. Démocratie directe et son application
Au niveau théorique, les études concernant la démocratie directe gravitent autour de 3 idées:
« principal-agent problems, asymmetric information and issue bundling » (Matsusaka, 2005, p.
192). Une des théories principales en économie politique est celle du median voter, selon laquelle (sous certaines conditions) la compétition entre les partis va faire converger leur position vers celle du median voter, soit celui dont les préférences se situent au milieu de l’échelle (Down, 1957).
Cependant: « theories of direct democracy usually assume that (…) an agency problem exists
between voters and their elected representatives » (Matsusaka, 2005, p. 192). Il y aurait donc selon
eux une distortion entre les intérêts des citoyens et les politiques qui poursuivent leurs
représentants. La démocratie directe, selon cette perspective, pourrait influencer la politique de
deux manières. Le premier effet est direct, puisque les initiatives et référendums pourraient
outrepasser les décisions de certains élus ne respectant pas les préférences de ceux qu’ils
représentent. Le second effet, cette fois indirect, est que la menace qu’une proposition soit soumise
au vote populaire puisse influencer les élus à choisir des politiques différentes que si cet instrument
n’existait pas (ibid, 2005). Pour ce dernier, on pense la démocratie directe comme un «
action-forcer », c’est-à-dire un moyen de faire pression sur les législateurs pour qu’ils agissent sur des
issues controversées (Kesselman, 2011). Pour certains détracteurs de la démocratie directe
cependant, le processus référendaire serait formulé de manière à obtenir une certaine réponse, et qui
donc avantagerait inévitablement qui a posé la question (ibid, 2011). Si la démocratie représentative
reste majoritaire, des instruments de démocratie directe sont appliqués dans différents contextes,
mais aussi de différentes manières. Un des pays les plus connus en ce qui la concerne est la Suisse,
pour laquelle ce type de démocratie est au coeur de la vie politique: « The Swiss citizens vote
several times each year on local, cantonal, and national projects. Since the late 1960s, the number
of projects submitted to the vote has considerably increased » (Kriesi, 2005, p.2). Chaque citoyen
peut s’exprimer directement sur les propositions du Parlement fédéral (référendum facultatif ou
obligatoire), ou formuler une proposition pour modifier la Constitution (initiative populaire). Pour
cette dernière, un citoyen doit arriver à récolter au moins 100’000 signatures en 18 mois pour
qu’elle puisse être soumise au vote. La double-majorité (peuple et cantons) est nécessaire pour
amender la Constitution (admin.ch). Le Liechtenstein est aussi un des pays utilisant le plus les outils
de la démocratie directe. En effet, les initiatives populaires permettent aux citoyens (après avoir
récolté le nombre requis de signatures) de proposer des modifications législatives ou
constitutionnelles, ainsi que de s’exprimer sur des questions budgétaires . L ’initiative, si elle réunit
tous les critères, est soumise au Parlement. Si ce dernier la refuse, alors elle est soumise au
référendum (Marxer, 2007) . Après ces deux pays, c’est l’Italie qui semble avoir le plus d’experience
dans la démocratie directe dans une comparaison européenne. Il existe en effet ce qu’on appelle un
référendum correcteur, fréquemment utilisé. L’idée est qu’une loi (ou partie de celle-ci) qui ait été
approuvée par le Parlement, puisse être soumise au vote populaire. Le nombre de signatures à
récolter pour cela est seulement de 500’000, soit 1% des électeurs inscrits. Le problème est que
pour qu’une loi soit rejetée, la majorité doit voter contre, et cette majorité doit représenter au moins
50% des électeurs inscrits, ce qui a causé l’invalidation de nombreuses initiatives (Kaufmann et al.,
2007). Les autres pays européens ont peut-être une utilisation moindre de la démocratie directe, ce
qui ne signifie pas pour autant qu’elle y est absente. Nous allons donc faire un petit tour d’horizon
de l’utilisation du référendum et des initiatives populaires dans certains pays d’Europe (en nous
basant sur Kaufmann and al. (2007) et Kaufmann et Waters (2004)). En Allemagne, la démocratie
directe n’est pas appliquée au niveau national (pas de plebiscite depuis 1945). Cependant, le
référendum d’initiative populaire est fréquemment utilisé dans ses Etats et municipalités. En
Autriche, les révisions complètes de la Constitution sont soumises au référendum obligatoire. Des
révisions partielles peuvent également y être soumises si au moins un tiers du Parlement ou de la
Chambre des représentants des Etats fédéraux requiert ces modifications. Cependant, il n’y a pas
non plus de référendum d’initiative populaire au niveau national, mais le Parlement peut décider de
faire un référendum obligatoire sur une loi ordinaire. Les citoyens peuvent quand même soumettre
une pétition au Parlement (mais elle ne mène pas au référendum). Le référendum d’initiative
citoyenne existe dans seulement deux Etats (Haute-Autriche et Styrie), ainsi que dans toutes les
municipalités. En Belgique, les référendums obligatoires sont inconstitutionnels, et les référendums
d’initiative populaire (non obligatoires), n’existent que dans les municipalités. Dans le cas du
Danemark et de l’Irlande, un amendement constitutionnel doit obligatoirement être soumis au
référendum. En Espagne, si une question est considérée comme étant d’importance nationale, alors
un plébiscite peut être tenu, ce qui n’a cependant pas toujours lieu comme beaucoup d’exceptions
existent (sujets sur lesquels le Parlement a une autorité absolue). Pour ce qui est de l’initiative
populaire, elle « existe » dans le sens où une pétition peut être soumise dès 75’000 signatures, mais
il faut l’accord du président, ce qui questionne donc sa véritable nature. En France, il n’y a pas de
référendum d’initiative populaire, et c’est seulement le président (éventuellement le Parlement) qui
décide d’un plebiscite. En Hongrie, même si la Constitution prévoit l’utilisation d’instruments tels que le référendum et l’initiative populaire, de nombreuses exceptions viennent empêcher leur utilisation régulière, telle que l’exclusion de certains sujets. La Norvège, selon sa Constitution, ne prévoit aucune forme de démocratie directe. Le Parlement peut cependant tenir un plebiscite non-obligatoire, présent aussi au niveau municipal (référendum populaire également à ce niveau là).
Enfin, ce serait les Pays-Bas qui auraient le moins d’expérience dans le domaine de la démocratie
directe, avec une Constitution rigide et ne permettant pas les votes populaires obligatoires, mais
seulement les facultatifs au niveau municipal. Cependant, très peu ont eu lieu, et la plupart du
temps, il s’agissait plutôt de plebiscites. Au niveau international: « over the past 25 years
participatory democracy has experienced an enormous boom. More than half of all referendums
ever held in history fall into this period ». (Kaufmann, Büchi, & Braun, 2007, p. 106). Cependant,
cette expansion n’a pas été égale partout. Au Canada par exemple, l’utilisation de référendums pour
guider la politique gouvernementale n’a été que très peu pratiquée (Blais and al., 2001), malgré le
fait que la majorité de la population soutient ce type d’instruments de démocratie directe
(Mendelsohn et Parkin, 2001): « Canada did not substantially add direct democracy to its political
system » (Boyd, 2010). De plus, quand certains référendums sont tenus, ils ne concernent souvent
qu’une certaine catégorie de citoyens, comme les agriculteurs ou les propriétaires (Boyer, 1992). En
Amérique Latine, et jusqu’à récemment, la plupart des experiences référendaires se sont faites sous
des régimes non-démocratiques (Boyd, 2010). Au Chili, Pinochet a conduit des référendums afin de
légitimer son pouvoir: en 1988, après avoir perdu le troisième, il a admit sa défaite, ce qui a mis fin
à la loi martiale (Butler and Ranney, 1994). Les pays d’Amérique latine ont connus un
accroissement de l’utilisation des référendums au vu de leur récente progressive démocratisation
(Madroñal, 2005). L’Uruguay, la Colombie, le Guatemala, et le Venezuela, bénéficient tous
d’instruments de la démocratie directe. Cependant, ils sont en pratique plutôt faibles, comme au
Venezuela, pays pour lequel le nombre de signatures requis est tellement élevé que le seuil n’est
jamais vraiment atteint, ce qui fait que le référendum est plutôt rare (ibid, 2005). L’Uruguay est
celui se défendant le mieux, avec l’implémentation des référendums populaires dans un format
utilisable, ce qui en fait un leader de la démocratie directe en Amérique latine. Sur le continent
asiatique, la plupart des référendums importants ayant eu lieu ont pour la plupart été conduits par
les autorités nationales (Hwang, 2006). Mais certains pays tels que la Corée du Sud, le Japon, ou
encore Taïwan, ont vus des référendums se produire à l’initiative de leurs citoyens, notamment au
niveau de questions environnementales (ibid, 2006). Taïwan, par exemple, a utilisé le système
référendaire pendant des années au niveau local, et en 2003, a adopté une loi autorisant les
initiatives et les référendums au niveau national. Cette nouveauté a conduit l’année suivante au
« Peace Referendum » sur les relations entre Taïwan et la Chine continentale (Matsusaka, 2005). En Océanie, l’Australie et la Nouvelle-Zélande doivent toutes deux faire appel au référendum pour des réformes constitutionnelles. De plus, la Nouvelle-Zélande autorise les initiatives populaires, mais leur « pouvoir » est atténué par un important nombre de signatures requises, ainsi que leur « non-binding » nature (Boyd, 2010). En Australie, malgré le fait que de nombreux référendums obligatoires soient tenus, les représentants contrôlent ces derniers (ce qu’ils sont, quand ils ont lieu, etc): « they thus become a battleground of representative rather than direct democracy » (ibid, 2010, p. 14). En effet, les représentants de l’opposition contrent toujours les appels aux référendums de la majorité, même si cela signifie devoir changer leurs propres positions politiques (Kobach, 1993). Enfin, en ce qui concerne le continent africain et le moyen-orient, ils n’ont pas encore eu de véritable experience de la démocratie directe (Boyd, 2010), même si des référendums obligatoires ont déjà été tenus: « in the nondemocratic world the outcomes are different. Only nine out of ninety-two referendums in Africa have failed to yield a 90 percent Yes vote. In a majority (fifty-ninety-two), the outcome was, implausibly, more than 98 percent Yes » (Butler and Ranney, 1994, p. 4). Ainsi, certains référendums, plutôt que d’être des vecteurs d’expression pour les citoyens, sont parfois utilisés comme outils au service du pouvoir afin de se légitimer (que cela passe par des moyens
« démocratiques » ou non). Nous venons donc de voir que l’utilisation des instruments de
démocratie directe est très inégale, et que cette dernière n’est souvent pas appliquée de la même
manière. Au final, ce sont la Suisse et les Etats-Unis qui ont le plus d’histoire avec la démocratie
directe (Boyd, 2010). Nous allons maintenant nous concentrer sur ce dernier pays, les Etats-Unis, et
plus particulièrement sur l’Etat auquel nous nous intéressons dans cette étude, soit la Californie.
Dans le document
L'influence des donateurs privés sur les politiques publiques: une analyse des initiatives populaires en Californie
(Page 15-19)