Master
Reference
Alternance et formation à l'enseignement : le développement du guidage des stagiaires par les praticiens formateurs dans un dispositif
de type lesson study...
DE SIMONE, Soraya
Abstract
Dans une perspective historico-‐culturelle (Vygotski, 1934/1985), cette étude s'intéresse au rôle des praticiens formateurs d'enseignants dans une formation en alternance. A partir de plusieurs constats issus de la littérature scientifique étayant la question de la formation à l'enseignement, cette recherche qualitative exploratoire rend visible comment quelques praticiennes formatrices participent à renforcer ou pas une forme d'alternance intégrative chez les étudiants. Ce travail tente d'éclairer comment «l'expert» de terrain guide le stagiaire durant les entretiens, et sur quels éléments porte son discours...
DE SIMONE, Soraya. Alternance et formation à l'enseignement : le développement du guidage des stagiaires par les praticiens formateurs dans un dispositif de type
lesson study... Master d'études avancées : Univ. Genève, 2016
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:87958
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Alternance et formation à l’enseignement :
Le développement du guidage des stagiaires par les praticiens formateurs dans un dispositif de type lesson study.
Le cas de trois praticiennes formatrices intervenant en filière bachelor.
MEMOIRE REALISE EN VUE DE L’OBTENTION DU MASTER OF ADVANCED STUDIES (MAS)
en sciences de l’éducation
« Théories, pratiques et dispositifs de formation d’enseignants »
PAR
Soraya De Simone
DIRECTRICE DE MEMOIRE Anne Clerc Georgy
JURY
Rita Hofstetter Danièle Périsset
Genève, juin 2016
UNIVERSITE DE GENEVE
FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L’EDUCATION SECTION SCIENCES DE L’EDUCATION
Résumé
Dans une perspective historico-‐culturelle (Vygotski, 1934/1985), cette étude s’intéresse au rôle des praticiens formateurs d’enseignants dans une formation en alternance. A partir de plusieurs constats issus de la littérature scientifique étayant la question de la formation à l’enseignement, cette recherche qualitative exploratoire rend visible comment quelques praticiennes formatrices participent à renforcer ou pas une forme d’alternance intégrative chez les étudiants. Ce travail tente d’éclairer comment «l’expert» de terrain guide le stagiaire durant les entretiens, et sur quels éléments porte son discours.
Pour explorer ces questions, nous avons mobilisé le dispositif de recherche-‐formation des lesson study (Miyakawa & Winsløw, 2009). Par son approche simultanément itérative et collective, ce procédé génère une étude diachronique. Ainsi, ce travail se base sur 6 protocoles d’entretiens post-‐leçons réalisés à différents moments par trois praticiennes formatrices. Cette étude a notamment permis d’identifier l’intérêt de convoquer des caractéristiques de la posture clinique de tutorat (Chaliès & al, 2009) lors de l’accompagnement des étudiants sur leur lieu de stage.
« Le progrès, ce n’est pas l’acquisition de biens.
C’est l’élévation de l’individu, son émancipation, sa compréhension du monde.
Et pour ça il faut du temps pour lire, s’instruire, se consacrer aux autres ».
Chritiane Taubira (août 2015)
Table des matières
Préambule.……….5
1 Introduction ... 6
1.1 Présentation générale du travail ... 6
1.2 Contexte général de la recherche ... 6
2 Problématique et questions de recherche ... 8
2.1 Problématique de recherche ... 8
2.2 Questions de recherches pour guider la problématique ... 9
3 Cadrage théorique ... 11
3.1 La formation à l’enseignement : d’une alternance juxtapositive à une forme d’alternance intégrative ... 11
3.2 Le processus de formation et le développement professionnel dans une perspective historico-‐ culturelle ... 13
3.3 Le développement d’une « clinique » de l’enseignement ... 16
3.4 Les rôles et les différentes postures de tutorat des PF dans le développement professionnel des stagiaires ... 17
3.4.1 La « supervision traditionnelle » ou la communauté de compassion ... 19
3.4.2 La « supervision clinique » ou la communauté d’enquête ... 20
3.5 Le développement du stagiaire et les indices d’un stage réussi ... 21
3.5.1 Le PF devrait… focaliser l’attention du stagiaire sur les enjeux, le rôle et la posture enseignante ... 22
3.5.2 Le PF devrait… guider l’attention du stagiaire sur les apprentissages des élèves ... 22
3.5.3 Le PF devrait… guider le stagiaire à expliciter les raisons de ses décisions et les difficultés à distinguer chez les élèves ce qu’ils savent ou ne savent pas ... 23
3.6 Liens entre le praticien réflexif et les supervisions de tutorat ... 24
3.7 La centration de l’attention du stagiaire durant la classe ... 26
3.7.1 L’installation et le maintien de l’ordre ... 26
3.7.2 L’engagement des élèves ou des étudiants dans la tâche proposée ... 26
3.7.3 La quantité de travail fourni par les élèves ... 27
3.7.4 La gestion des apprentissages des élèves ... 27
3.7.5 Le développement des élèves ... 27
3.8 Les savoirs de référence dans la formation à l’enseignement ... 28
3.9 Les savoirs de référence et le développement du processus de secondarisation ... 30
3.10 Les types d’habiletés mobilisées dans les processus de pensée ... 31
4 Considérations méthodologiques ... 33
4.1 Présentation du dispositif lesson study (LS) ... 33
4.2 Transposition du dispositif LS dans le contexte de la formation du stagiaire par le PF ... 35
4.3 Le dispositif LS et la perspective vygotskienne ... 37
4.4 Buts visés par cette démarche itérative dans le cadre de l’accompagnement du stagiaire par le PF ... 37
4.5 Brève présentation des participantes à la recherche et abréviations utilisées pour nommer les acteurs de cette étude ... 39
4.6 Présentation de la mise en œuvre des boucles LS ... 40
4.6.1 Première et deuxième boucles LS (LS1 et LS2) ... 40
4.6.2 Troisième boucles LS (LS3) ... 41
4.7 Présentation des caractéristiques de la recherche ... 42
4.7.1 Mise en lumière des significations internes des acteurs (mouvement inductif) et
interprétations de ces significations à l’aune des cadres théoriques (mouvement déductif) ... 43
4.7.2 Les critères de validité scientifique de la recherche ... 44
4.8 Présentation de la grille d’analyse en vue du codage des données (catégorisations) ... 44
4.8.1 Catégorisation des interactions relative aux différents types de savoirs mobilisés ... 45
4.8.2 Catégorisation des interactions relatives aux opérations cognitives et/ou métacognitives, au registre exotopique, ainsi qu’aux indices de secondarisation ... 47
4.8.3 Catégorisation des interactions relatives à la centration de l’attention du novice ... 51
4.8.4 Catégorisation des interactions relatives aux postures de tutorat des PF ... 52
4.9 Régulations apportées à la grille d’analyse des données ... 55
5 Analyse des protocoles d’entretiens et interprétations ... 56
5.1 Présentation du matériau récolté ... 56
5.2 Analyse des protocoles et pistes d’interprétation du point de vue des postures de tutorat et des habiletés mobilisées ... 57
5.2.1 Analyse des huit extraits issus des entretiens des boucles LS1 et LS2 : éléments relevant des postures de tutorat articulés aux opérations cognitives et métacognitives ... 57
5.2.2 Analyse des huit extraits issus des entretiens de la boucle LS3 : éléments relevant des postures de tutorat articulées aux opérations cognitives et métacognitives ... 63
5.2.3 Interprétations des analyses du point de vue des postures de tutorat articulées aux habiletés mobilisées ... 69
5.2.4 Evolution des postures de tutorats d’une boucle à l’autre, intra PF ... 72
5.3 Analyse des protocoles et pistes d’interprétation du point de vue des types de savoirs mobilisés ... 76
5.4 Analyse des protocoles et pistes d’interprétation du point de vue de la centration de l’attention ... 80
5.5 Synthèse des analyses et pistes d’interprétations ... 82
6 Discussion ... 85
6.1 Limites de l’étude ... 85
6.1.1 Le nombre de participantes ... 85
6.1.2 Le changement de stagiaire d’un entretien à l’autre ... 85
6.1.3 Les tensions inhérentes aux fonctions de formatrice et de chercheuse ... 85
6.2 Ouvertures, suite à l’étude ... 87
6.2.1 De la question du feedback et des dimensions du processus de formation des stagiaires .. 87
6.2.2 Du choix des types de savoirs dans les interactions et du basculement vers une posture clinique de tutorat grâce au dispositif LS ... 89
6.2.3 La question de la formation des praticiens formateurs ... 90
7 Conclusion et perspectives ... 92
Bibliographie………..94
Annexes………..………100
Liste des tableaux……….………115
Préambule
Comme à chaque fois que l’on arrive au terme de ce genre de travail, c’est par le préambule ou l’introduction que son auteur termine sa rédaction. Ainsi, malgré les apparences, « c’est par la fin » que vous commencez cette lecture.
Si j’ai choisi de traiter du développement professionnel des praticiens formateurs, c’est parce qu’ils jouent également un rôle majeur dans la formation à l’enseignement. Ayant été praticienne formatrice « dans une autre vie », j’ai pu mesurer l’impact que pouvaient générer certaines de mes paroles lors des entretiens avec les stagiaires. Je dois bien avouer qu’à l’époque, cet effet m’avait quelque peu questionnée, notamment par le risque de produire de l’applicationnisme chez les étudiants que j’étais censé former. De plus, dans le canton de Vaud, l’absence de critères spécifiques attendus de manière explicite à la fin de chaque semestre de formation pour évaluer les stagiaires m’avait également interrogée. Au moment de ces questionnements, j’étais engagée comme responsable dans une structure vaudoise de transition1 « école-‐métier », où l’on forme des adolescents à l’insertion professionnelle. C’est-‐à-‐dire que l’on disposait d’une année scolaire pour les transformer en futurs apprentis, insérables dans une entreprise du point de vue des connaissances et des habiletés cognitives, métacognitives, affectives et sociales. Pour ce faire, l’institution qui m’employait à l’époque avait notamment édité à partir de recherches psycho-‐sociales et des contraintes du milieu professionnel, des critères spécifiques d’un stage en entreprise. Ces derniers avaient le mérite de clarifier les attendus chez tous les acteurs : élèves, enseignants et les employeurs qui accueillaient ces novices sur leur lieu de travail. D’un point de vue institutionnel, telle n’a pas été ma surprise quand j’ai réalisé que la HEP Vaud ne préconisait aucun critère spécifique de stage, laissant le soin au jugement professionnel des praticiens formateurs de poser leurs exigences d’un seuil de réussite en fin semestre. Ces constats m’avaient à l’époque laissée perplexe. Ainsi, trois ans plus tard lors de la sélection du thème de mémoire de MAS, je me suis « naturellement » dirigée vers la littérature scientifique traitant de la formation en alternance et de la question des tuteurs.
Vous tenez entre vos mains, le fruit d’un travail d’investigation qui aura duré près d’un an.
REMERCIEMENTS
Merci à Anne, qui a soutenu mes questionnements, qui a su mobiliser les médiations nécessaires pour me guider sur la voie de la recherche, tout en me permettant d’avancer à mon rythme sur ce chemin sinueux. Merci à Ariane, Sophie et Sylvie, pour leur précieuse collaboration, leur confiance et surtout leur persévérance dans ce dispositif de recherche-‐formation. Merci à Gabriel, qui m’a généreusement éclairée sur les codes du milieu académique, les considérations méthodologiques et les méandres de l’outil Excel. Merci à Amalia, Maria, Morgane et Anne Ch. pour les moments de débriefing qui nous ont permis d’avancer dans nos pérégrinations de ce troisième cycle. Merci à Sandrine, Gabriel, Daniel et Mylène pour leurs commentaires constructifs. Merci à René pour la chasse aux coquilles. Merci à l’équipe de formateurs « PF200 », Claire, Lionel, René, Maya, Julien, Daniel pour leur patience à mon égard lors de nos réunions. Et, bien sûr, merci à tous les autres collègues de l’unité « Enseignement, apprentissage et évaluation ».
Enfin, merci à Prune qui m’a soutenue dans cette aventure avec constance et patience, car il n’est pas simple de concilier simultanément vie privée, formation et activité professionnelle.
Note au lecteur : dans cet espace de préambule, la première personne est privilégiée. Concernant la suite de la rédaction, même si le « nous » est mobilisé à plusieurs reprises, la forme impersonnelle de rigueur dans un texte scientifique est utilisée au fil des pages.
1 OPTI, Organisme de Perfectionnement, de Transition et d’Insertion professionnelle – voir le site Transition 1 canton de Vaud : http://www.vd.ch/themes/formation/orientation/formations/transition-‐1
1 Introduction
Les propos contenus dans cette étude se situent dans un dispositif de formation des enseignants en alternance. A partir de plusieurs constats issus de la littérature scientifique, étayant la question de la formation à l’enseignement, cette recherche qualitative exploratoire souhaite rendre visible comment les praticiens formateurs participent ou pas à renforcer une forme d’alternance intégrative chez les étudiants. Ainsi, ce travail tente d’éclairer où «l’expert» de terrain guide le stagiaire durant les entretiens, et sur quels éléments porte son discours.
1.1 Présentation générale du travail
Ce travail se compose de plusieurs parties. A commencer par le premier chapitre dédié à la présentation du contexte de l’étude. Les chapitres deux et trois présenteront respectivement, la problématique et le cadrage théorique dans lesquelles se situe cette recherche. Le chapitre quatre abordera les considérations méthodologiques.
L’analyse des données récoltées et leurs interprétations constitueront le propos de la cinquième partie. Ensuite, le chapitre six exposera les éléments en vue d’alimenter la discussion. Enfin, le dernier point concluera cette étude par la suggestion de perspectives, relatives notamment à la formation des praticiens formateurs vaudois.
1.2 Contexte général de la recherche
Les HEP vaudoise et valaisanne proposent chacune une formation postgrade2 pour devenir formateur de terrain de futurs enseignants. « Accompagner et former » se situant au cœur des compétences professionnelles qu’ils doivent développer, il est intéressant de questionner les formes d’accompagnement que les praticiens formateurs3 proposent aux étudiants sur leur lieu de stage pratique. Dans ce contexte, l’enseignant souhaitant assumer cette nouvelle fonction devra nécessairement développer des compétences d’accompagnement du stagiaire.
Du côté de la filière bachelor primaire (BP), les étudiants partagent leur temps de formation durant trois ans, entre les cours reçus à la HEP et les stages pratiques effectués dans les établissements scolaires. Leurs apprentissages sont régulièrement évalués, selon deux formes différentes. La première s’effectue de manière formative tout au long de leur parcours en institution et en stage. Cette fonction formative de l’évaluation vise la régulation de leur construction des différents savoirs à intégrer, tels que les concepts théoriques, ou les compétences du référentiel de la formation des enseignants (Hep Vaud). La seconde forme d’évaluation remplit la fonction certificative, ayant comme visée de valider (ou non) l’atteinte des objectifs de formation en institution et dans les classes. Concernant le cas des stages vaudois, les objectifs de la formation pratique ne sont pas clairement définis en
2 La HEP Vaud propose une offre de formation continue postgrade certifiée permettant de développer ou d’approfondir des compétences professionnelles. Pour répondre à la diversité du public, ces formations mènent à 3 types de certification: Certificate (CAS), Diploma (DAS) ou Master (MAS) of advanced studies.
3 L'utilisation du masculin dans le présent document s'applique sans discrimination aux personnes des deux sexes et a pour seul but d’alléger la lecture
regard des six semestres. Ce dernier point est différent dans le contexte valaisan, dont l’institution de formation a déterminé des critères spécifiques attendus au terme de chaque semestre de la filière bachelor.
Dans le cadre de la formation en alternance des futurs enseignants, si l’on interroge des étudiants ou des professionnels de l’école à propos du lieu de formation qui permet le mieux d’apprendre le métier d’enseignant, il y a fort à parier que les réponses obtenues seront basées sur une conception largement répandue, que c’est en stage que le stagiaire apprend à enseigner. Or, de nombreux chercheurs (Feinam-‐Nemser et Buchmann, 1987 ; Chaliès, Cartaut, Escalié, Durand, 2009 ; Boudreau, 2005) ont montré que les futurs enseignants novices portent en priorité leur attention sur la gestion de la classe, autrement dit sur les éléments visibles, directement observables au travers du comportement des élèves (Durand, 2002). Cette conception spontanée renforce l’idée que le stage contribue à développer d’abord et surtout l’habileté à gérer une classe au jour le jour (Boudreau, 2005).
Partant du constat que seule la partie émergée de l’iceberg est prise en compte spontanément par le novice, cette recherche souhaite questionner cet implicite, en relevant à l’instar de Boudreau (2005) que vivre un stage n’assure pas automatiquement l’apprentissage de l’enseignement. Dans ce contexte, le travail des praticiens formateurs4 (dorénavant PF) est intéressant puisque pleinement impliqués dans l’accompagnement des étudiants en stage. Cette étude propose donc d’investiguer sur quels éléments d’attention les PF privilégient leurs entretiens, en particulier au moment du feedback individuel proposé au stagiaire, suite à une leçon qu’il a dispensée.
4 PF en Valais et PraFo dans le canton de Vaud, ou encore « tuteurs et mentors » dans d’autres pays, pour des raisons de simplification, nous utiliserons l’abréviation PF tout au long du présent mémoire
2 Problématique et questions de recherche
De nombreux auteurs issus de la littérature scientifique traitent de la question du tutorat. En référence à ces apports issus de la recherche5, un certain nombre de travaux sur la construction des inégalités scolaires montrent que l’invisibilité des enjeux d’apprentissage à l’école n’est pas sans conséquence sur les difficultés de certains élèves (travaux de l’équipe ESCOL6). Dans cette perspective, il paraît important de former le futur enseignant au fait de porter son attention sur les savoirs en jeu dans les tâches qu’il propose aux élèves et sur leur appropriation par les élèves (Clerc, 2013). Ensuite, notamment Beckers (2007) relève la nécessité de permettre aux futurs enseignants d’éprouver et de prendre conscience durant leur formation initiale des effets de leurs pratiques sur les apprentissages des élèves. Dans ce sens, quelques recherches, qui interrogent les dispositifs proposant de former des
« praticiens réflexifs », méritent qu’on y prête attention. En effet, différents auteurs, notamment Vanhulle (2009) et Schneuwly (2012) montrent que dans les dispositifs destinés à la formation de la posture de « praticiens réflexifs », les savoirs scolaires ou les contenus disciplinaires ne sont pas convoqués dans les réflexions des participants.
Par ailleurs, la revue de littérature proposée par Chaliès, Cartaut, Escalié et Durand (2009) montre que différentes postures de tutorat sont mobilisées par les PF, certaines peuvent induire des biais de complaisance dans la certification de leurs stagiaires. Enfin, dans le contexte d’une formation en alternance, les dispositifs mis en place réunissent peu les formateurs de terrain avec ceux des institutions, phénomène que Pajak (2002, cité par Chaliès & al, 2009) définit comme « association manquée ». Cette absence de collaboration masque ainsi les enjeux d’une alternance intégrative se situant notamment dans l’articulation coordonnée des différents savoirs mobilisés sur les différents lieux de formation de l’étudiant (Ronveaux, Mehran & Vanhulle, 2007).
2.1 Problématique de recherche
A partir des apports mobilisés dans le cadrage théorique, notamment en lien avec la question de la formation en alternance, différentes problématiques émergent. Comment et à quelles conditions les praticiens formateurs peuvent-‐ils participer à renforcer une alternance intégrative (Gohlen, 2005) chez les étudiants ? Est-‐il possible de les faire basculer d’une supervision traditionnelle vers une supervision clinique, plus propice à ce type d’alternance (Chaliès & al, 2009) ?
Nous nous appuyons notamment sur les travaux de Vygotski (1934/1985) qui explique que les fonctions psychiques se développent, en devenant conscientes et volontaires, grâce aux prises de conscience que l’apprentissage de concepts scientifiques rend possible. Dans cette perspective, les analyses entre PF devraient influencer leurs interactions pour les centrer progressivement sur les apprentissages des élèves et la prise en compte des effets de l’enseignement du stagiaire sur ceux-‐ci. Cela nous semble être une condition pour favoriser les apprentissages des étudiants et leur permettre de prendre en compte les savoirs à enseigner et leur appropriation par les élèves.
5 Les éléments mobilisés de la littérature scientifique sont présentés en détail dans le cadrage théorique (ch.3)
6 Equipe de recherche française « Education et scolarisation », fondée en 1987 par Charlot, reprise par Bautier et Rochex.
A partir des travaux de Leutenegger (2004), il paraît intéressant de former les superviseurs à la dénaturalisation de leurs gestes professionnels. Le dispositif lesson study7 (Miyakawa & Winsløw, 2009) nous a semblé prometteur pour favoriser cette dénaturalisation. Il semble, par un travail collectif, provoquer un changement d’usage et de pointage des différents savoirs en jeu dans l’accompagnement du stagiaire par le PF. Dans ce sens, l’identification collective, consciente et volontaire (Vygotsky, 1934/1985) des caractéristiques des savoirs et/ou des objectifs de formation proposés au stagiaire devrait permettre de modifier les points d’attention des PF lors des entretiens. Cette recherche questionne donc, comment, à partir de l’analyse collective de protocoles d’entretien entre PF et étudiants, l’apprentissage du guidage des stagiaires chez les PF peut se développer en direction d’une supervision clinique, dans un dispositif de recherche-‐formation de type lesson study ?
2.2 Questions de recherches pour guider la problématique
Quelques questions nous accompagnerons pour guider la réflexion autour de cette problématique :
• Sur quels éléments de la pratique enseignante observée, le PF organise-‐t-‐il son feedback ? Sur quelles dimensions du processus d’apprentissage des stagiaires portent ses guidages ?
• Quels sont les types de savoirs émergeant du discours du PF et de l’étudiant-‐e ?
• Quels sont les changements que ce dispositif de recherche-‐formation permet de rendre visible chez les PF à différents moments de la formation, quant aux transformations de posture des PF et, le cas échéant, quant aux effets sur les interactions avec leur stagiaire durant le second entretien ? Pour le dire autrement, comment basculent-‐ils d’une posture traditionnelle à une posture clinique de tutorat ?
En lien avec le dispositif itératif des lesson study, nous tenterons de mettre en lumière dans quelle mesure ce procédé permettra de rendre visibles les changements de posture des PF, leur évolution et, le cas échéant, leurs effets sur leurs interactions avec le stagiaire. Dès lors, il s’agira de repérer ce qui est mobilisé par les praticiens formateurs en termes d’informations données pour analyser l’effet de leur discours sur les étudiants-‐
stagiaires et de clarifier, dans leurs interactions, les indices de savoirs mobilisés lors du feedback donné à l’étudiant à la suite d’une leçon.
La recherche tentera également de questionner le modèle d’une alternance juxtapositive, où l’étudiant passerait d’un milieu de formation à l’autre, entre le terrain et l’institution sans liens apparents. Le risque de cette alternance juxtapositive se situe au niveau de l’apparition d’effets de clivage entre théorie et pratique, ainsi qu’un rapport prescriptif et utilitariste face aux différents savoirs en présence (Buysse et Vanhulle, 2009 ; Gohlen, 2005). Dans le contexte de formation en alternance auquel sont confrontés PF et stagiaires, l’action de former est toujours doublement médiatisée, par des systèmes sémiotiques, identifiant par la même occasion ce que le terme même d’enseigner signifie étymologiquement : rendre accessible par des signes (Hofstetter & Schneuwly, 2009).
7 Le dispositif de recherche-‐formation de lessons study (LS) est présenté de manière détaillée dans le chapitre 4, traitant des considérations méthodologiques.
Cette recherche interroge donc le développement professionnel d’un formateur de terrain, notamment dans sa capacité à guider un stagiaire, dans le cadre d’un dispositif de recherche-‐formation lesson study. Dans ce sens, nous verrons notamment si la clarification des objectifs de formation visés, explicitée par les PF aux étudiants offre la possibilité de diminuer les malentendus quant aux enjeux visés dans le contexte d’une formation à l’enseignement en alternance. Enfin, nous verrons si ce dispositif de recherche encourage ou pas les participants à « traduire leurs actions professionnelles en stratégies de formation » (Timperley, 2001, p. 113) à l’aune des savoirs existants, relatifs notamment aux postures de tutorat.
3 Cadrage théorique
Afin de situer le cadrage théorique de cette étude, ce chapitre présentera les éléments théoriques mobilisés dans la littérature scientifique. Ainsi, nous nous intéresserons d’abord à la formation en alternance préconisée par les parcours de formation à l’enseignement (3.1), notamment du point de vue de l’alternance intégrative. L’ancrage vygotskien dans lequel se situe cette étude fera l’objet d’un exposé sous le point 3.2. Nous prendrons ensuite le temps de poser quelques notions relatives au développement d’une
« clinique » de l’enseignement (3.3). Ensuite, nous irons identifier les rôles et les différentes postures de tutorat mobilisés par les PF (3.4). Dans la partie 3.5, nous nous intéresserons au stagiaire en présentant quelques éléments relatifs à son développement et aux indices révélateurs d’un stage réussi. Dans le point 3.6, nous étudierons quelques apports théoriques relatifs aux effets générés par la posture de « praticien réflexif ». Puis, nous poserons la focale sur la centration de l’attention du stagiaire durant la classe, afin de mieux comprendre ses préoccupations (3.7).
Ensuite, des éléments théoriques relatifs aux savoirs de référence dans les formations à l’enseignement seront abordés (3.8), s’agissant d’une question nodale relative au statut des savoirs à enseigner et celui des savoirs pour enseigner. Dans la partie 3.9, nous évoquerons quelques caractéristiques des savoirs de référence et du processus de secondarisation ; et enfin, les propos abordés dans le dernier point (3.10) exposeront de manière détaillée différents types d’habiletés nécessaires pour développer, notamment, des prises de conscience chez les étudiants, mais également chez les PF.
3.1 La formation à l’enseignement : d’une alternance juxtapositive à une forme d’alternance intégrative
Le modèle « d’alternance juxtapositive» est le fait de superposer des éléments de la formation les uns avec les autres sans autre forme d’articulations explicites. Les programmes de formation s’appuient très fréquemment sur une « vision fragmentée des savoirs entre les cours et le terrain » (Ben-‐Peretz, 1995, p. 546, cité par Chaliès & al, 2009) et sont encore
« largement vécus par les étudiants en formation comme une collection de cours pour la plupart sans relations » (Darling Hammond, 2006, cité par Chaliès & al, 2009, p. 99).
L’étudiant passe ainsi d’un milieu de formation à l’autre sans liens apparents, renforçant un rapport prescriptif entre institution et terrain, pouvant générer un apport utilitariste au savoir.
La forme de « l’alternance intégrative », quant à elle, pose le postulat que l’action éducative s’articule autour d’un réseau de partenaires, dans lequel il existe des échanges réguliers entre les différents temps et lieux de formation (Gohlen, 2005). Les dispositifs d’alternance intégrative se caractérisent par une articulation entre les lieux qui accueillent l’étudiant (institution et établissement scolaire). Dans ce contexte, les modalités de formation devraient favoriser l’articulation entre pratique et théorie, ayant comme objet d’apprentissage l’articulation entre des éléments tels que l’expérience, les savoirs d’action et les savoirs théoriques. Comme le souligne Bourgeois cité par Merhan : « la formation en alternance qui vise une maîtrise et une culture spécifique les (étudiants) sort d’un modèle disciplinaire, académique et constitue une difficile mise à l’épreuve de leur identité faite de
résistances, d’ambivalence et d’efforts pour construire de nouveaux repères » (2007, p.
228).
Les travaux de Clerc (2013) ont montré que, du côté des étudiants, l’intériorisation des savoirs proposés dans les formations pouvait prendre du temps. Ainsi, plusieurs semestres sont parfois nécessaires pour qu’à partir des cadres théoriques à s’approprier, ils construisent des significations qui leur permettent de penser les phénomènes de la pratique en faisant usage de ces savoirs. Le travail de l’inter-‐ vers l’intrapsychique8 des étudiants serait favorisé par un accompagnement et une articulation explicite et cohérente, entre les différents enjeux de formation présents dans chacun des lieux qui les accueille.
Ces différents endroits représentent le système de formation à l’enseignement en alternance. Le schéma des systèmes didactiques élaboré par Barioni (2012) illustre ces différents lieux auxquels sont confrontés les étudiants. Ainsi, le tableau 1 expose des triangles représentant les contrats distincts auxquels sont soumis les acteurs, en particulier l’étudiant qui est présent dans les trois systèmes. Le premier contrat, de formation (CF19-‐
HEP, triangle bleu) met en relation l'étudiant, le formateur de la HEP et les savoirs des différentes unités de formation et de recherche.
Tableau 1 : Formation à l’enseignement en alternance -‐ Systèmes didactiques en présence (d’après Barioni, 2012)
Le deuxième contrat de formation (CF210-‐ Etablissement scolaire, triangle rouge) met en relation l'étudiant, transformé en « stagiaire, le praticien formateur et les savoirs en lien avec les processus d’enseignement-‐apprentissage en classe ». Enfin, le troisième contrat (CD11-‐Classe, triangle vert) met en relation le stagiaire, les savoirs scolaires à enseigner et les élèves. Les flèches montrent les interactions implicites possibles entre les différents niveaux (relations non exhaustives). L’enjeu dans une alternance intégrative est de rendre ces différents mondes visibles pour que chaque acteur perçoive le plus consciemment possible les interactions potentielles et les objectifs visés par les différents espaces et temps de formation.
8 l’inter-‐ et l’intrapsychique sont des notions qui seront définies et explicitées dans la partie 3.2 dédiée à l’approche historico-‐culturelle (Vygotski)
9 CF1 : Contrat de Formation 1
10 CF2 : Contrat de Formation 2
11 CD : Contrat Didactique ou Contrat de Formation 3
Dans ce contexte où se côtoient différents mondes, il n’est pas simple pour l’étudiant de s’y retrouver. Car « en apparence, les programmes de formation proposés aux étudiants prennent en effet appui sur une alternance effective entre l’université (ou le centre de formation) et les établissements scolaires. Cependant, une analyse détaillée du contenu et des retombées de ces programmes laisse apparaître une « cassure » entre, d’une part, le programme de formation des enseignants élaboré et mis en œuvre à l’université et, d’autre part, « l’organisation des savoirs dans les écoles » (Cochran-‐Smith, 2003 ; Schepens, Aelterman & Van Keer, 2007, cités par Chaliès & al, 2009, p. 98).
Pour tenter de palier au piège d’un empilement des apports de chaque monde sans autres formes d’articulations entre eux, différents auteurs, comme Gohlen (2005), ou encore, Ronveaux, Mehran & Vanhulle (2007) proposent de penser la formation des futurs enseignants dans la perspective d’une alternance intégrative. Celle-‐ci repose sur le postulat que l’action éducative s’articule autour d’un réseau de partenaires, dans lequel il existe des échanges réguliers entre les différents temps et lieux de formation (Gohlen, 2005). Ainsi, une alternance intégrative devrait renforcer les collaborations entre les formateurs de terrain et ceux de l’institution.
Viser un modèle d’alternance intégratif dans les formations à l’enseignement se traduit par la nécessité de penser l’accompagnement du sujet pour qu’il puisse progressivement se transformer en un acteur autonome et réflexif (Clénet, 2002) ou, pour reprendre la terminologie vygotskienne, de viser l’autorégulation de l’étudiant en lui offrant le guidage nécessaire à l’appropriation de modes de pensée, de l’inter-‐ vers l’intrapsychique.
3.2 Le processus de formation et le développement professionnel dans une perspective historico-‐culturelle
De manière générale la question du développement professionnel s’inscrit dans des processus psycho-‐sociaux. Ainsi, la rencontre entre intériorisation des interactions et autorégulation du sujet influence la personne dans son ensemble, incluant son identité et son rôle professionnel (Calgar, 1999 ; Cifali, 1994 ; Mezirow, 2001, cités par Buysse et Vahulle, 2009). Si l’on s’intéresse à la situation d’un étudiant ayant choisi l’enseignement comme futur métier, les travaux de Cohen-‐Scali (2000) ont montré « comment la prise de contact du novice avec un groupe professionnel marque le début du processus d’acculturation professionnelle », vers une « construction de l’identité idoine. Le sentiment d’appartenance et la conception de la vie future qui s’ancrent dans ces nouvelles expériences enclenchent une transformation identitaire profonde du sujet qui réorganise et hiérarchise ses activités et ses priorités » (cité par Périsset Bagnoud, 2009, p. 55). Comme déjà brièvement évoqué, effectuer des stages ne suffit pas à garantir le développement du formé (Feiman-‐Nemser et Buchmann, 1987), au sens proposé notamment par la clinique de l’enseignement (Leutenegger, 2004).
En prolongement du développement d’une alternance intégrative et comme déjà brièvement annoncé, cette recherche s’inscrit dans un cadre historico-‐culturel, tel que développé à partir des travaux de Vygotski (1934/1985). Dans cette perspective, l’appropriation de savoirs considérés comme des outils socialement élaborés et transmis, constitue un vecteur potentiel du développement psychique des individus.
Le sens de l’appropriation a pour conséquence de modifier les modes de « penser », en d’autres termes, la réorganisation « interne» des concepts entre eux, dans le sens de la poursuite au niveau intrapsychique de l’intériorisation rendue possible par des interactions,
puis dans un deuxième temps par de l’autorégulation de l’étudiant-‐stagiaire (Brossard, 2004 ; Buysse, 2008a ; Wertsch, 1985). Cette restructuration interne entraine le déplacement de la zone proximale de développement vers ce que l’apprenant pourra atteindre à partir de son niveau de développement actuel, déterminé par la maturation déjà atteinte des fonctions intrapsychiques avec l’aide des médiations apportées par un expert dans ce que Vygotski appelle la zone interpsychique (Vanhulle et Buysse, 2009, p. 227).
« La maturation des fonctions se réalise lors de l’autodéveloppement du sujet, à travers la poursuite de l’intériorisation, que les auteurs qualifient d’internalisation » (Vanhulle et Buysse, 2009, p. 227) en lien avec le développement de l’intrapsychique. Cette maturation représente donc « la restructuration des fonctions psychiques, générées au départ par des interventions formatives médiatisant le processus » (Vanhulle et Buysse, 2009, p. 227). Là où se situe la rencontre entre l’intériorisation des interactions et l’autodéveloppement du sujet se réalise une transformation des savoirs préexistants (Vanhulle et Buysse, 2009).
Partant de l’hypothèse que l’adulte se développe encore, Clerc & Ducrey (2014) supposent que le développement professionnel serait le résultat d’une transformation du fonctionnement psychique de la part du formé, découlant d’une construction de significations réalisées à partir des savoirs appropriés durant la formation. Ces auteures préconisent que les adultes en formation continuent de s’approprier des modes de pensées développant leurs fonctions psychiques supérieures, « dont les traits distinctifs fondamentaux sont précisément l’intellectualisation et la maîtrise, c’est-‐à-‐dire la prise de conscience et l’intervention de la volonté » (Vygotski, 1934/1985, p. 309).
Dès lors, les différents types de savoirs à s’approprier durant la formation sont considérés comme des outils sémiotiques. Clerc & Ducrey (2014) s’appuient sur les travaux de Vygotski (1934/1985). Ainsi, pour agir sur le monde et faciliter son travail, l’humain a inventé des outils matériels. Par analogie avec ces instruments matériels, il explique que l’esprit humain a développé des outils lui permettant d’agir non seulement sur son environnement (outil matériel) mais aussi sur sa pensée et celle d’autrui (outil psychologique ou sémiotique) (1934/1985). Le langage constitue un outil qui permet la transformation de notre pensée. Il est socialement élaboré et transmis. Dans cette continuité, les outils matériels et psychologiques sont culturels et acquis tout au long de la vie, ils ne sont donc pas innés. Cela suppose que le novice bénéficie de médiations générées par l’expert. Vygotski définit la médiation comme une forme de collaboration.
Le développement d’un concept scientifique s’effectue dans les conditions d’un processus éducatif, qui représente une forme spécifique de collaboration systématique entre le pédagogue et l'enfant12, collaboration au cours de laquelle les fonctions psychiques supérieures de l’enfant mûrissent avec l’aide et la participation de l’adulte. Dans le domaine qui nous intéresse, cela se traduit par le caractère de plus en plus relationnel de la pensée causale et dans la maturation à un certain niveau du caractère volontaire de la pensée scientifique (Vygotski, 1934/1985, p. 274).
Dans la perspective historico-‐culturelle, les savoirs sont donc enseignés par l’expert.
Les interactions sont ainsi médiatisées par la mobilisation d’outils ou d’instruments
12 Bien que ces affirmations soient également en lien avec le contrat de formation 3 du stagiaire, cité dans le point 3.1, il s’agit de transposer cette citation à la relation pédagogique entre tuteur (« pédagogue ») et stagiaire (« enfant »)
extérieurs au sujet, qui doivent faire l’objet d’une appropriation ou d’une intériorisation de la part de l’étudiant, grâce au guidage de l’expert. Comme le défendent également Clerc et Ducrey (2014), l’appropriation d’outils sémiotiques aura des effets sur leur développement psychique. L’appropriation de ces outils est médiateur du développement, générant potentiellement une zone de tension entre conceptions spontanées et savoirs scientifiques, tension dont la résolution provoque la réorganisation des fonctions psychiques de l’individu. Vygotski (1934/1985) présuppose en effet que l’appropriation des outils restructure le psychisme. Ainsi, il s’agit pour le sujet d’entrer dans un système extérieur à lui-‐même, représentant un système de contraintes externes, générant de nouvelles formes de pensée. En tant que PF, il est donc important d’en être conscient, et d’en tenir compte lors de l’accompagnement du stagiaire.
Vygotski (1934/1985) explique que l’expert devrait prendre en charge une partie de l’apprentissage que le novice ne peut encore connaître, ni intégrer. Cet échange suppose une relation asymétrique. Dans cette perspective, un novice ne peut s’approprier des apprentissages nouveaux que si quelqu’un peut les lui montrer, pour l’expert cela signifie d’enseigner en faisant avec celui qui n’arrive pas encore à faire tout seul. Ainsi, le psychologue russe attribue un rôle spécifique au pédagogue et aux médiations qu’il construit avec le novice. C’est lui qui devra proposer des savoirs ou des pistes pour que l’apprenant puisse prendre à sa charge, ce qu’il doit s’approprier. Comme déjà évoqué brièvement, l’appropriation des outils sémiotiques est un mouvement qui va de l’extérieur vers l’intérieur, c’est-‐à-‐dire de l’inter-‐, de manière collective, vers l’intrapsychique, de manière individuelle. Dès lors, l’auteur insiste sur le fait qu’il doit y avoir collaboration entre expert et novice pour que ce dernier puisse s’approprier les apprentissages visés. En lien avec ce qui précède, Vygotski s’explique au sujet de la double médiation des savoirs, de l’inter-‐ vers l’intrapsychique :
en travaillant avec l'élève sur un thème, le maître13 a expliqué, transmis des connaissances, questionné, corrigé, il a obligé l'élève à expliquer lui-‐
même. Tout ce travail sur les concepts, tout le processus de leur formation a été effectué en détail par l'enfant en collaboration avec l'adulte, dans le processus de l'apprentissage. Et lorsque maintenant l'enfant résout un problème, qu'est-‐ce que cela exige de lui ? Qu'il sache le résoudre par imitation, avec l'aide du maître, bien qu'à ce moment de cette situation, cette collaboration ne soit pas réellement présente. Elle appartient au passé. L'enfant doit cette fois utiliser tout seul les résultats de son ancienne collaboration (Vygotski, 1934/1985, p. 365).
Dans les médiations proposées, l’origine des outils ou des savoirs mobilisés peut être de sources variées. Il peut s’agir généralement de savoirs proposés au niveau académique (recherches, théories, savoirs académiques), issus du terrain (savoirs de la pratique et de l’expérience des enseignants rencontrés en stage) ou des savoirs dépendant du prescrit (plans d’études, cadre général de l’évaluation, référentiel de compétence métier). Dans cette approche vygotskienne, le développement des fonctions psychiques supérieures (Vygotski, 1934/1985) est présenté comme la conséquence de l’intériorisation et de l’appropriation de l’usage de savoirs académiques, considérés alors comme des outils de la pensée. Ainsi, dans cette perspective les médiations organisées de manière consciente et volontaire de la part de l’expert devraient viser in fine chez le sujet, la capacité de faire face
13 ibid