4 Considérations méthodologiques
4.8.4 Catégorisation des interactions relatives aux postures de tutorat des PF
Cette catégorie a déjà été largement évoquée dans le troisième chapitre. En référence notamment aux travaux de Chaliès et al (2009), Boudreau (2001) et Timperley (2001), la littérature scientifique retient deux grandes tendances d’accompagnement :
• Supervision « traditionnelle » ou communauté de compassion (ST) ;
• Supervision « clinique » ou communauté d’enquête (SC).
Cette partie précise les éléments pouvant être associés à chacune des supervisions.
Des exemples issus des extraits d’entretiens sont mobilisés pour illustrer le propos des types de postures revêtues par les PF, ainsi que les codes utilisés lors de l’analyse des entretiens.
• Supervision « traditionnelle » ou communauté de compassion (ST)
Comme évoqué dans le cadrage théorique, la supervision traditionnelle se définit par un accompagnement proposant une relation d’égalité entre PF et ST, par le fait de se situer en tant qu’ami ou conseiller. Cette posture a tendance à renforcer un modèle prescripteur et priorise la relation et le soutien émotionnel des stagiaires pour qu’ils persévèrent dans le métier. Pour terminer, la littérature scientifique relève les biais d’indulgence générés lors de la certification du stagiaire. Ci-‐dessous, la liste détaillée des indices relevant d’une posture traditionnelle :
-‐ se situer en tant qu’évaluateur conseil ou ami critique : lorsque, par exemple, la PF valide ce que dit l’étudiant, alors qu’il n’adhère pas forcément à l’argument proposé par ST. Autre exemple lorsque la PF fait le constat sans apporter de réponses (PFval) ; exemple : PF2 (LS2) : « Oui, je suis d’accord avec toi, dans le sens où tout le monde est occupé, mais par contre dans le garage, tu vois, ils sont pas occupés » ;
-‐ entretenir une relation d’égalité : lorsque, par exemple, la PF fait deviner le stagiaire, pédagogie de la découverte (PFDEV), implicitement cela signifie que la PF pense que le ou la stagiaire possède les outils pour répondre à la question posée, le considère comme un alter égo, de manière inconsciente (PFEG) ; Exemple : PF1 (LS1) : « Est-‐ce que tu penses que c’est ça qui les freine ? le fait que tu sois pas assez disponible ? Ou il y a autre chose ? » ;
-‐ adopter un modèle prescriptif en lien avec l’approche transmissive des savoirs ; posture à articuler avec une certaine culpabilité vis-‐à-‐vis du stagiaire et des élèves : lorsque, par exemple, le stagiaire stressé par une situation, demande une solution prête à l’emploi au PF ou que le PF réfléchit et fait à la place de l’étudiant (PFPE) ; PF3 (LS2) :
« après une mise en commun, c’est pas forcément non plus tout le temps de mettre une stratégie en avant, ça peut être un simple feedback sur comment la leçon s’est passée » ; -‐ entrer dans une relation d’aide et de soutien émotionnel : lorsque, par exemple, la PF utilise des termes issus des émotions ou du ressenti, pouvant induire des jugements de valeurs sur des points de vue personnels, plutôt que professionnels (PFRES) ; PF3 (LS3 ) :
« j’ai dit que j’allais venir t’embêter un peu » ou PF2 (LS2) : « ça aurait été sympa de revenir sur les suppositions ».
• Supervision « clinique » ou communauté d’enquête (SC)
Comme déjà présenté dans le chapitre 2, cette conception clarifie les rôles, notamment par une posture clinique asymétrique assumée par le PF, qui explicite et guide sur les enjeux du stage reposant sur l’atteinte d’objectifs de formation à un temps T.
L’évaluation certificative se réalise à partir de référentiels externes, notamment en fonction
d’objectifs de formation atteints ou non en fin du semestre de formation. Ci-‐dessous, la liste détaillée des indices relevant de la posture clinique :
-‐ demander de la clarification sur les raisons des choix du stagiaire : lorsque par exemple, la PF questionne l’activité du stagiaire durant le moment choisi ou demande de la clarification notamment sur les raisons des types d’interactions choisies avec les élèves (QAST+CL) ; PF1 (LS1) : « Est-‐ce que tu cherches à ce qu’ils produisent de l’imaginaire, donc des phrases qui vont créer l’album pour créer le spectacle, ou est-‐ce que tu as envie qu’ils se mettent dans la structure type de la phrase liée à l’album de départ ? » ;
-‐ focaliser les interventions des stagiaires sur les apprentissages des élèves : lorsque par exemple, la PF questionne l’activité du stagiaire sur les apprentissages des élèves, notamment en le questionnant sur la manière d’approfondir la pensée des élèves, sur la manière de mettre en lumière leur compréhension ou leur confusion (PFQAél) ; PF3 (LS2) : « et qu’est-‐ce qu’ils ont appris alors ? » ;
-‐ réfléchir avec le stagiaire, analyser la pratique professionnelle avec le stagiaire à l’aide de différentes ressources, notamment avec le référentiel de l’étudiant, du PF, des concepts théoriques de l’institution, etc. : lorsque, par exemple, la PF modélise et réfléchit avec l’étudiant (PFMRavec) ; PF3 (LS2) : « Et le fait d’avoir le champ de vision, c’est se dire tout-‐à-‐coup : « voilà, je regarde tout le monde et l’espace » et je me dis :
« Ah ça se passe bien, je peux continuer avec le groupe avec lequel je travaille » ;
-‐ stimuler et entretenir la réflexion de l’étudiant-‐stagiaire (processus cognitif, métacognitif vers prise de conscience) : lorsque, par exemple, la PF décrit des éléments du moment choisi en faisant référence à ses notes réalisées durant les observations, notamment en revenant sur les difficultés rencontrées à distinguer ce que les élèves savent de ce qu’ils doivent savoir (PFDRefObs) ; PF2 (LS3) : « Les moment d’oral étaient un peu long et monotones, qui ramenaient chaque fois les mêmes éléments du texte : « il a un pantalon jaune et un pull bleu » OU PF3 (LS3) : « C’est aussi ce que j’ai relevé…Zoé est à genou sur la chaise, Llivya est debout pour dessiner, Lilou, Maeva et Sofia elles étaient à moitié sur la chaise et du coup en fait l’épaule ne va pas être placée correctement pour réaliser le mouvement »
-‐ inciter les stagiaires à réfléchir sur les régulations à proposer aux élèves : lorsque, par exemple, la PF apporte des éléments de réflexion, guide, relance la réflexion du stagiaire, le focalisant sur la façon de récolter de l’information quant à l’état des connaissances des élèves en vue de réguler l’enseignement (PFGR) ; PF3 (LS3) : « Est-‐ce qu’on a besoin d’une posture spécifique quand on est debout au tableau en train de faire de l’écriture ? »
-‐ renvoyer les stagiaires aux connaissances académiques vues en institution : lorsque, par exemple, la PF renvoie le ou la stagiaire aux éléments théoriques abordés à la HEP sur la manière d’organiser des régulations (PFRHep) ; aucun exemple explicite à ce sujet dans les extraits analysés.
A cette posture clinique de tutorat, nous pouvons ajouter quatre nouveaux éléments issus de l’analyse des données :
-‐ rassurer le stagiaire : lorsque le stagiaire montre des signes de stress, de détresse, d’impossibilité de continuer, le PF rassure le stagiaire sans lui donner des solutions clés en main, mais en adoptant une communication visant à le rassurer, notamment sur le fait qu’il peut prendre sont temps pour les réponses à apporter, et qu’il est normal qu’il ne maîtrise pas tout à ce stade, etc. (PFGS) ; PF3 (LS3) : « Donc, c’est déjà bien que tu aies relevé que ce soit la posture qui manquait dans ton retour » ;
-‐ institutionnaliser à certains moments les éléments à retenir : posture à différencier de
4.9 Régulations apportées à la grille d’analyse des données
Chaque extrait a d’abord été analysé à l’aide de la grille présentée ci-‐dessus, pointant notamment trois catégories reliant directement PF et stagiaires : les opérations de pensée (cognitives, métacognitives, etc.), les types de savoirs mobilisés et la centration de l’attention lors des échanges. L’analyse s’est également portée sur l’identification des postures de tutorat adoptées par chacune des PF en fonction des interactions présentes dans les extraits42.
Dans un second temps nous avons comparé les extraits du point de vue de la présence ou de l’absence d’évolution dans les types d’interactions mises en œuvre par chacune des PF, contrastant les contenus des protocoles d’une boucle à l’autre. Ceci a permis de réguler et d’affiner la grille de catégories non seulement en fonction du cadrage théorique, mais également en lien avec les protocoles réalisés tout au long du processus. Par exemple, lors de l’analyse des transcriptions provenant de la boucle LS3, nous avons décidé de regrouper les savoirs issus de la pratique avec ceux issus de l’expérience, puisqu’il n’était pas aisé de distinguer, dans les interactions, la différence entre ces deux types de catégories.
Il a donc fallu plusieurs essais de codage des données pour aboutir à la grille d’analyse finale, présentée sous le point 4.8. Dans un souci méthodologique, il nous semblait important d’avoir contrôlé que notre grille favorisait une comparaison en termes de ressemblances et de différences dans les entretiens réalisés à différents moments entre PF et stagiaires. Ainsi, les catégories auront été régulées de manière répétée et il aura fallu attendre l’analyse des derniers extraits pour qu’elles soient considérées comme stabilisées.
Pour terminer sur ces considérations méthodologiques, il semble intéressant de revenir sur les travaux de Leutenegger (2004) et de Chevallard (1996) qui ont montré que le visionnage d’un enregistrement vidéo ou l’écoute d’interactions audio participaient déjà à la distanciation nécessaire pour initier l’entrée dans une posture clinique. La réalisation de la transcription de l’enregistrement « présente la particularité d’être proche du discours oral » notamment par « la précision des modalités particulières, telles que la notation du ton de la voix, des silences plus ou moins prolongés, des superpositions de prises de parole, de gestes, (…) toutes marques visant à représenter le flux du discours oral en évitant dans la mesure du possible des interprétations » (Leutenegger, 2004, p. 274). Ainsi la rédaction du protocole d’entretien « fournit au chercheur-‐observateur un interface entre faits observés et événements soumis à l’analyse » (Leutenegger, 2004, p. 277).
Du point de vue de la réalisation concrète des protocoles, la forme des transcriptions s’inspire donc des travaux de Leutenegger (2004), notamment par la numérotation des tours de parole qui permet de faire aisément référence à un point précis des interactions. Ainsi, dans cette étude, il y aura eu deux phases distinctes de transcriptions d’entretiens. La première, réalisée avec les PF durant les boucles LS de leur formation continue, et la seconde constituant les données nécessaires à cette recherche. Dans la deuxième phase, la chercheuse a transcrit les six entretiens dans leur intégralité, dont 16 extraits ont été sélectionnés relativement aux questions présentées dans le chapitre 2. Ces extraits totalisent près de 500 tours de parole.
42 Pour illustrer le propos, en annexe 5 est présenté un extrait de protocole codé