4 Considérations méthodologiques
4.8.2 Catégorisation des interactions relatives aux opérations cognitives et/ou métacognitives,
Dans cette partie, il s’agit de différencier les groupes d’habiletés pouvant rendre visible la présence ou l’absence d’intériorisation, de significations et de prises de conscience relatives aux contenus à apprendre. « Les opérations cognitives qui révèlent le plus haut degré d’appropriation des contenus proposés par la formation sont celles qui, non seulement font apparaître des tensions dans la construction de significations par l’étudiant, mais qui montrent également un certain degré de conscience de ces tensions » (Clerc, 2014, p. 111). Ainsi, le croisement entre les types d’habiletés et les savoirs mobilisés durant les entretiens entre PF et stagiaires pourront donner des indices sur les effets (ou l’absence d’effet) d’une interaction à l’autre. Pour étayer ces affirmations, les différentes catégories d’opérations de pensée sont présentées de manière détaillée. Elles sont accompagnées d’extraits d’interactions tirés des protocoles et des codes utilisés pour l’analyse des données.
LES OPERATIONS COGNITIVES DE L’ORDRE DE LA RESTITUTION, LA DESCRIPTION, L’ADHESION ET/OU DE L’APPLICATION (OCrest/OCdes/OCadh/OCap)
Les opérations cognitives identifiées comme « plus accessibles ou plus simples » par Anderson & Krathwohl (2001) sont « restituer, affirmer, ou décrire ». Elles relèvent d’un niveau relativement superficiel quant à une appropriation des concepts en jeu. Autrement dit, elles ne découlent pas nécessairement « des processus d’intériorisation des médiations offertes par la formation » (Clerc, 2014, p. 111). Bautier & Goigoux (2004) creusent ce point en ajoutant que ces actions cognitives ne résultent pas non plus de la secondarisation dans les sens où ces habiletés ne permettent pas d’inférer de l’appropriation, de la profondeur, de la secondarisation, puisque ces opérations ne permettent pas de démontrer la modification en profondeur des savoirs mobilisés ou des éléments relevés dans les discussions. En lien avec ce premier constat, deux autres habiletés relativement proches de celles qui viennent d’être évoquées. Ainsi, lorsque des stagiaires adhèrent aux suggestions des PF, ils démontrent une habileté « d’approbation ou d’adhésion ». De fait, « approuver ou adhérer » ne signifie pas non plus qu’il existe des transformations cognitives en profondeur chez les stagiaires, notamment quand, dans les interactions, le PF expose des éléments, auxquels le stagiaire répond par « oui » de manière répétée. Le verbe
« appliquer » s’ajoute également à cette première catégorie d’habiletés. Dans cette étude,
« l’application » est associée à la mise en œuvre ou l’exécution d’une activité de l’ordre d’une procédure à suivre, ou encore de répétitions de gestes par imitation. Ainsi cette dernière habileté ne nécessite pas non plus une intégration significative des enjeux de
formation puisqu’elle mobilise le mimétisme.
Pour illustrer le propos, un exemple d’opérations a été sélectionné dans les extraits analysés. Voici un échange entre PF2 et ST2. Cet exemple démontre le fait que le stagiaire répète mot à mot ce que vient de lui suggérer PF2. PF2 relance le stagiaire (TP57) : « en plus ils étaient loin de la cible », ce à quoi ST2 répond (TP58) : « (répète) … en plus ils étaient loin de la cible, ouai... ». Cet exemple a été codé comme un élément de discussion correspondant à l’opération cognitive de restitution COrest pour ST2, alors que chez PF2, elle a été classée dans une opération d’analyse, puisqu’au moment de cette relance, elle traite de la situation en fonction des faits observés lors de la prestation de l’étudiant. Il est à noter que dans cet exemple PF2 analyse à la place de ST2.
LES OPERATIONS COGNITIVES DE L’ORDRE DE LA COMPREHENSION ET DE LA REFORMULATION (OCcomp/OCref)
Dans la continuité des habiletés cognitives proposées par Anderson & Krathwohl (2001), un autre échelon de pensée est présenté, celui de la « compréhension ». Selon les auteurs, « comprendre » se décline à plusieurs niveaux. Ainsi, « reformuler, exemplifier, classer, résumer, inférer, comparer et expliquer » constituent des niveaux de compréhension spécifiques permettant d’identifier les niveaux de maîtrise acquis du point de vue de cette opération. Dans le cadre proposé par ces auteurs, « comprendre » favorise l’articulation entre différents contenus et informations reçus durant le parcours de formation.
Certains aspects de ce niveau d’habileté démontrent un haut degré de maitrise, notamment lorsque le sujet est capable d’abstraire les points principaux d’un cours ou d’un texte pour les généraliser de manière plus globale, en utilisant par exemple la métaphore ou l’analogie. Selon les niveaux de généralisation, des indices de secondarisation sont également présents (Clerc, 2014), en particulier lorsque le sujet est capable de synthétiser les éléments incontournables d’un cours ou encore de transférer des éléments abordés durant la formation à d’autres contextes.
Dans les analyses, il a fallu également distinguer « reformuler » de « restituer », deux habiletés ne mobilisant pas les mêmes fonctions psychiques (Vygotski, 1934/1985). Pour ce faire, Clerc (2015) distingue la reformulation de la restitution par « le fait que l’énonciateur utilise d’autres mots, d’autres formules que celles qui lui ont été proposées comme référence » (p 111). Autrement dit, le fait que le stagiaire soit capable de répéter avec d’autres termes des éléments de discussion, telle la reformulation d’une consigne ou d’un savoir de référence, démontrent un premier niveau d’appropriation ou de compréhension du savoir en question. Ainsi, dans les analyses, l’habileté de reformulation se distingue de la
« simple » restitution.
En lien avec la catégorie « comprendre », voici un extrait sélectionné suite à une relance de PF3 (LS2), au moment où ST3 argumente afin d’expliquer sa compréhension d’un bout de leçon dans la classe de 1 et 2H, ST3 (TP4) : « J’ai fait attention de prendre les premières pour qu’ils aient un peu plus de choix, et du coup les derniers (les deuxièmes de 2H) n’avaient plus trop de choix… ». Cet exemple a été codé comme un élément de discussion correspondant à l’opération cognitive de compréhension de la part de ST3 OCcomp. Un autre extrait toujours issu du même protocole présente des échanges de clarification de la part de PF3 où des habiletés de cette catégorie sont mobilisées, notamment lorsque PF3 fait référence à un élastique comme métaphore, pour évoquer la gestion de classe :
- ST3 (TP36) : « … j’ai un peu de peine à voir cette histoire d’élastique… »
- PF3 (TP37) : « Donc il y a des moments, où je vais serrer l’élastique le ramener tout petit, et d’autres moments, je vais pouvoir lâcher et rouvrir pour lâcher un peu du lest, pour qu’ils puissent vivre parce que ça se passe bien, et après je vais refermer ou revenir très « cadrante » parce que de nouveau ils en ont besoin…OCref »
- ST3 (TP38) : « Je comprends, mais j’arrive pas m’évaluer là-‐dessus… j’ai l’impression que j’ai fait des efforts, mais pas tout le temps OCcomp »
LES OPERATIONS COGNITIVES DE L’ORDRE DE LA TRANSFORMATION (OCtrans)
En lien avec le point précédent, dans certains cas de « reformulation », cette dernière peut être infidèle, inexacte ou approximative. Clerc (2014) propose d’utiliser l’opération cognitive de « transformation » au sens « d’inclure les savoirs proposés dans leur interprétation des événements et de leur donner un sens socialement acceptable, normé et semblant obéir aux conventions » (Buysse & Vanhulle, 2009). Cette opération peut être révélatrice d’une forme d’appropriation partielle des savoirs de référence, passés par le filtre des conceptions de l’énonciateur ou d’une appropriation en cours. Ainsi, « le souci de rendre opérationnels les savoirs théoriques l’emportant sur leur compréhension » (Clerc, 2014, p.112). Il n’est pas rare de voir les stagiaires « transformer » un concept théorique ou un élément de la pratique, au sens d’une traduction littérale, au premier degré en effectuant des raccourcis de signification et d’usage selon les contextes. Apparaît alors un effet
« applicationniste » d’un concept théorique dans l’expérimentation enseignante, à l’instar d’une recette de cuisine que l’on transformerait sans s’interroger sur les goûts ou les sens à développer, initialement défendus par son concepteur.
Voici un exemple d’opérations de pensées issues des extraits pour illustrer le propos.
PF2 (LS2) tente de mettre le stagiaire (ST2) en situation d’auto-‐évaluation, sans vraiment obtenir les informations attendues, à savoir la cohérence de la leçon. Dans cet exemple, la présence d’un malentendu peut être inférée :
-‐ PF2 (TP1) : « J’avais envie qu’on revienne sur la leçon de gym. Alors qu’est-‐ce que toi, tu peux me dire ? »
-‐ ST2 (TP2) : « Heu… je trouve que ça s’est un peu mieux déroulé, que par le passé, (…). Je suis surtout content sur des choses comme le matériel, le rangement du matériel à la fin qui a été mieux organisé (…) » OCtrans
-‐ PF2 (TP5) : « c’est ce que tu retiens par rapport à la dernière fois ? »
-‐ ST2 (TP6) : « Oui, c’est ce sur quoi je suis content par rapport à la dernière fois, et c’est ce qui posait problème et il se trouve qu’aujourd’hui ça a été un peu mieux »OCtrans
LES OPERATIONS COGNITIVES ET/OU METACOGNITIVES DE L’ORDRE DE L’ANALYSE, DE L’EVALUATION, DE L’AUTO-‐EVALUATION, DE L’ANTICIPATION, DE LA REGULATION ET DES PRISES DE CONSCIENCE (OCan/OCév/OCcr/OMant/OMrégu/OMpc)
Comme déjà évoqué, lorsque les participants à une formation mobilisent des savoirs, il s’agit aussi d’identifier comment ils sont pris en compte du point de vue des prises de conscience. Dès lors, se mélangent habiletés cognitives et métacognitives, notamment lorsque l’on traite les habiletés d’analyse et d’évaluation. Selon Anderson & Krathwohl (2001), l’opération « analyser » OCan se décline en termes de sélection, de distinction, d’organisation, de structure, d’attribution ou encore de décomposition. Les auteurs creusent leurs travaux en précisant que lorsque cette opération de pensée est mobilisée, le sujet est amené à décomposer un objet en caractéristiques qui le constituent. Pour Brossard (2004),
« lorsque qu’un domaine de savoir est maîtrisé, celui qui a pour tâche de fournir une explication peut entreprendre son explication à partir de plusieurs points de départ conceptuels : un concept est un point à l’intérieur d’un système qui autorise plusieurs parcours possibles » (p. 136). Ainsi, le sujet devrait également déterminer comment ces parties constitutives sont reliées entre elles, et dans quelle mesure elles sont connectées à une structure ou une finalité supérieure. Il s’agit de pouvoir définir une argumentation, ou donner du sens et de la cohérence à un discours en tenant compte des caractéristiques définies et organisées en amont.
L’opération de pensée « évaluer », OCév également liée aux habiletés métacognitives,
« réguler » OMrégu et « contrôler » se décline en termes de contrôle, de vérification, de coordination, de critiques, de jugements et de prises de conscience par rapport à une référence (Anderson & Krathwohl, 2001). Ainsi, évaluer est le fait de porter un jugement sur la base de critères ou de normes extérieures à soi, en fonction d’un référentiel externe. Dans cette perspective, « Evaluer » est le fait de repérer de la cohérence ou de l’incohérence entre un résultat et des critères externes ou des standards. Ce travail de contrôle de cohérence peut également être mobilisé lors d’une « auto-‐évaluation » OCév effectuée par l’étudiant à propos d’une leçon dispensée. En contexte de stage, cette auto-‐évaluation se construit autour de l’analyse de la cohérence des processus d’enseignement-‐apprentissage mis en œuvre, à partir de critères préétablis pour faciliter le travail de régulation de phénomènes n’ayant pas répondu aux objectifs de formation du stagiaire. De cette opération d’auto-‐évaluation, des habiletés métacognitives peuvent jaillir telles que l’anticipation, « anticiper » OMant ou la planification, « planifier ». Pour terminer, Anderson
& Krathwohl (2001) proposent encore une catégorie d’habiletés plus « complexe », celle de la création. Dans le cadre de cette recherche, « créer » OCcr serait le fait de générer des hypothèses ou des pistes d’action en vue par exemple, de réguler la pratique enseignante, notamment en fonction de l’évaluation de la planification initiale.
Ce niveau de croisement entre cognitif et métacognitif permet de fournir des informations quant à la présence (ou l’absence) chez les acteurs « de mises à distance consciente des apprentissages » (Romainville, 2007, p. 109), interviennent ici les prises de conscience, « prendre conscience » OMpc. Dans la perspective vygotskienne, il s’agirait de guider les personnes en formation vers la mobilisation des différentes habiletés, afin de les aider à réfléchir sur les éléments mobilisés dans la pratique enseignante ou en situation de feedback. Par exemple, les ST devraient être accompagnés en vue de pouvoir considérer « le savoir et ses modes d’appropriation comme des objets possibles de réflexion consciente », devenant « indépendant des situations cognitives et du formateur qui les lui propose (Grangeat, 1997). Cette autonomie lui permettrait dès lors de piloter de manière plus efficace son activité intellectuelle » (Romainville, 2007, p. 110).
Voici un extrait issu du protocole entre PF3 et ST3 (LS2) mettant notamment en lumière des capacités d’analyse, d’auto-‐évaluation, avec présence d’anticipation et de prises de conscience :
-‐ PF3 (TP1) : « Alors comme pour les autres entretiens, ce que je te propose c’est que d’abord OMant tu me donnes ton ressenti en général. Après que tu fasses une auto-‐
évaluation, OCév en me disant les points positifs pour toi et les points négatifs. (…) après je te dirai aussi « ben voilà ce que j’ai constaté, si ça fonctionne ou pas », et puis s’il faut, on prendra une situation ou un moment de ce matin pour approfondir un des thèmes OCan »
-‐ ST3 (TP2) : « Oui, alors. Heu… impression générale, j’ai mis que j’avais quand même pu
donner mon cours et arriver à la fin de ce que j’avais prévu. Mais difficilement, parce que j’ai dû beaucoup reprendre les élèves. Et ça a mis en place un mauvais climat d’apprentissage OCan pour l’ensemble de la classe. Donc heu… j’ai réussi à donner le cours mais c’était vraiment difficile OCév. Et au niveau de l’objectif, j’avais mis comme objectif d’être capable de comprendre le mot « ailleurs » en pouvant l’exemplifier (…) ».
LES OPERATIONS COGNITIVES DE CONSTRUCTION D’UN POINT DE VUE EXOTOPIQUE, AVEC LA PRESENCE D’INDICES DE SECONDARISATION (OCExoSec)
Il s’agit encore d’ajouter les opérations construites d’un point de vue « exotopique » OCExo. Le principe d’exotopie est emprunté à Bakhtine (1987) par Bautier et Rochex (1998).
Il exprime l’effet, qui permet à l’auteur de se distancer de son vécu ou de ses perceptions internes en les traitant comme objet rendu extérieur, grâce, notamment, à l’écriture, ou dans notre contexte, grâce à la confrontation avec d’autres points de vue. Il s’agit aussi de se distancer du premier degré de certains aspects, pour accéder à un sens resté « invisible » au premier abord, que l’on nomme, en littérature le sens second. En d’autres termes, il s’agit de repérer des indices d’une posture de « secondarisation », en relevant dans les protocoles, comment les acteurs « secondarisent » OCSec (ou pas) certains éléments.
Pour terminer, cette dernière catégorie est illustrée par un échange entre PF1 et ST1 lors de la troisième boucle LS, où la praticienne demande à sa stagiaire de clarifier le propos : -‐ PF1 (LS3) : « Et tu serais allée où et comment sans Eliot ? (silence) Qu’est-‐ce que tu aurais fait différemment ? » OCExoSec
-‐ ST1 (LS3) : « Peut-‐être que j’aurais été plus directe dans mes questions aux enfants pour développer leur réflexion, pour ressortir les éléments et être beaucoup plus systématique et structurée… » OCExo
Dans ce dernier exemple, on voit la capacité de la stagiaire à se décentrer pour focaliser son attention sur les apprentissages, voir le développement des élèves, tout en remettant en question sa propre pratique, visiblement pas assez structurée dans l’exemple en question.
4.8.3 Catégorisation des interactions relatives à la centration de l’attention du novice