3 Cadrage théorique
3.4 Les rôles et les différentes postures de tutorat des PF dans le développement professionnel des
3.4 Les rôles et les différentes postures de tutorat des PF dans le développement professionnel des stagiaires
Pour devenir praticien formateur, les PF doivent intégrer une nouvelle fonction. Ainsi ils sont amenés à porter plusieurs casquettes professionnelles dans leurs interactions avec leurs stagiaires. Dès lors, un bref détour vers les notions de « rôle, statut et fonction » semble utile.
De manière générale, la notion de rôle présente une certaine ambiguïté. D’un point de vue étymologique, ce terme provient du latin rotulus, pour lequel le Littré15 propose plusieurs entrées. Le Littré détermine ce terme par les définitions suivantes :
« Anciennement formé d’une ou plusieurs feuilles de parchemin (…) collées bout à bout, sur lesquelles on écrivait les actes, les titres. (…) -‐ Ce que doit réciter un acteur dans une pièce de théâtre ; ainsi dit parce qu'il est écrit sur un rôle, sur un papier. (…) -‐ Se dit, à l'Opéra, du papier contenant la partie d'un acteur». L’utilisation de mots employés dans le milieu théâtral peut ainsi être associé au masque que les protagonistes doivent porter pour jouer leur rôle.
Pour connaître le rôle qu’un sujet doit jouer en situation professionnelle, il s’agit de se référer au statut et à la fonction définie comme « l’action propre à chaque emploi »16. Ainsi, la fonction est relative au prescrit, défini dans le cahier des charges ou le référentiel de compétences. L’analyse de la définition de ces prescriptions rend visible la fonction devant
15 http://www.littre.org
16 ibid
être assumée. La notion de statut – en latin statutum ; de statuere, statuer17 -‐ précise une position hiérarchique posée et reconnue de manière contractuelle par l’organisation ou une communauté. Il s’agit de la « position objective occupée en fonction du niveau social (ou de formation en l’occurrence) ; le statut englobe un ensemble de caractéristiques objectives qui déterminent la place d’un individu sur une échelle sociale » (Fischer, 1997, p. 112). C’est donc l’employeur qui reconnaît son employé comme compétent pour le poste, et c’est ce même employeur qui autorise son collaborateur à obtenir un nouveau statut. Cet engagement est d’ailleurs contractualisé. L’enseignant souhaitant assumer le rôle de PF ajoute donc une nouvelle fonction à son curriculum vitae.
Les notions de rôle, fonction et statut sont indissociables, souvent implicites et confondues. De plus, le rôle « est négocié à travers des interactions sociales et revêt en plus d’une fonction de reproduction sociale, une fonction de création du social ; il donne lieu à des attentes sociales de la part des autres individus » (Baugnet, 1998, p. 48). Ces éléments relevant des interactions sociales sont également présents dans le milieu professionnel et ne sont pas aisés à démêler. Cela exige certaines prises de conscience de la part des PF sur le rôle et les postures professionnelles qu’ils revêtent. Ainsi, le rôle navigue entre des éléments contraires : contrainte et liberté, prescrit et prises d’initiative, savoirs issus de la pratique et de l’institution de formation. Ces éléments placent les PF dans des postures générant en eux leur lot de tensions. Par exemple, lors de l’accompagnement d’un stagiaire, le PF va devoir guider sur différents aspects, comme les processus de formation en lien avec le développement professionnel et le plan interpersonnel. En plus, des tensions pouvant être générées par ces trois notions interdépendantes, cette étude souhaite rendre visible dans quelle mesure les PF questionnent leur(s) rôle(s) pour favoriser le développement professionnel et les prises de conscience chez leurs stagiaires.
Dans la littérature scientifique, les travaux de Chaliès, Cartaut, Escalié et Durand (2009) recensent entre 1990 et 2009 différentes publications traitant du tutorat ou de la question des praticiens formateurs, selon les termes utilisés dans les contextes vaudois et valaisan. Ainsi, dans leur travail de synthèse, les auteurs présentent des résultats en termes d’effets de formation dans le contexte d’accompagnement d’étudiants par des tuteurs. Ils circonscrivent le « tutorat » dans un « ensemble d’activités réalisées conjointement par les formateurs de terrain et/ou de l’université (institution) et (…) des étudiants en formation, ayant explicitement trait à la formation de ces derniers » (Chaliès & al, 2009, p. 86). Selon l’équipe de chercheurs et pour des raisons de simplification du vocabulaire, cette notion de tutorat recouvre l’activité dénommée en langue anglaise par mentoring, conference, conversation, supervision, tutoring et en français : conseil pédagogique, tutorat, supervision ou accompagnement de la pratique. Du point de vue de la posture du PF, cette recherche adhère à cette définition, puisque le PF doit assumer un rôle de tuteur dans sa classe, au sens définit par Chaliès & al (2009), vis-‐à-‐vis des processus de formation des étudiants. Ainsi, dans cette étude, et comme évoqué dans la revue de littérature de Chaliès & al (2009) pour faciliter la rédaction, nous emploierons le terme PF au même titre que celui de tuteur ou de mentor.
L’intérêt des éléments apportés par ces auteurs se justifie par la présentation des différents modèles dans lesquels les PF sont maintenus en tension, entre une « supervision traditionnelle » et une « supervision clinique ». L’équipe de chercheurs montre notamment dans quelle mesure les PF jouent différents rôles, tels que celui « d’ami critique » renforçant l’aide et le soutien, pouvant aboutir à une relation de « partenaire collègue », ou dans un
17 ibid
autre registre, celui « d’expert » garant de l’atteinte des objectifs de formation du stagiaire.
Ces quelques exemples de postures distinctes assumées par les PF, font émerger des conceptions en termes de processus de formation. Chaliès & al (2009) précisent que ces changements de perspective ne vont pas de soi et que ces différentes supervisions sont aussi accompagnées de leur lot de tensions, ce d’autant lorsque les PF n’ont pas conscience des rôles qu’ils jouent dans leur travail d’accompagnement des stagiaires. Dans ce contexte, les auteurs étayent ces différentes supervisions sur la base de plusieurs études.
3.4.1 La « supervision traditionnelle » ou la communauté de compassion
Les auteurs présentent en premier lieu la posture « traditionnelle » dans laquelle une grande partie des PF entrent de manière spontanée -‐ au sens de librement et sans contrainte.
Des dizaines d’études sont mobilisées dans leur revue de littérature pour étayer le propos.
L’équipe de chercheurs commence par mettre en exergue les différents rôles revêtus par les tuteurs (PF) dans cette catégorie de supervision.
Tout d’abord, ils citent Bedin & Jorro (2007) qui constatent que les tuteurs privilégient « l’aide » à l’évaluation – au sens de validation certifiée -‐ des futurs formés, et mettent ainsi en lumière la posture d’ami critique plaçant le PF dans un rôle de conseiller (Kwan & Lopez-‐Real, 2005). Cette fonction installe les interlocuteurs dans une relation d’égalité -‐ equal partners -‐ ce qui n’est pas sans soulever des questions du point de vue de l’évaluation de la pratique. Il semble que cette tendance réponde au désir d’éviter d’être trop directifs, car la plupart de ces tuteurs focalisent leurs efforts d’accompagnement sur des suggestions indirectes (Strong & Baron, 2004 ; Violet, 2005, cités par Chaliès & al, 2009).
A cela les auteurs ajoutent le fait que les PF se rendent disponibles afin d’aider les
« formés » à faire face au « drame émotionnel de la classe » en focalisant leur attention sur le soutien émotionnel des étudiants (Intrator, 2006 ; Ria & Chaliès, 2003). Certains tuteurs pensent que ce rôle d’assistance émotionnelle peut fonctionner comme un soutien à l’insertion professionnelle, pour que l’étudiant persévère dans le métier (Achinstein, 2006 ; Blaya & Baudrit, 2006 ; Pérez & Roux, 2007 ; Wood, 2005, cités par Chaliès & al, 2009).
Chaliès, Cartaut, Escalié et Durand (2009) associent donc à cette posture « traditionnelle » le rôle d’évaluateur conseil ou d’ami critique, privilégiant une relation égalitaire, un rapport d’aide et de soutien émotionnel. Ce modèle est qualifié de prescriptif puisqu’il reprend une approche transmissive des processus de formation. Ainsi, dans cette perspective, il s’agit de répondre à une demande urgente et ponctuelle, de laquelle émergerait une double culpabilité ressentie de la part du PF. D’abord vis-‐à-‐vis du stagiaire lorsque par exemple, il ne s’en sort pas en situation d’enseignement, puis vis-‐à-‐vis des élèves qui ne voient pas où le stagiaire veut en venir (Parker-‐Katz & Bay, 2008 ; Bullough
& Draper, 2004 ; Hastings, 2004 ; Youg et al, 2005, cités par Chaliès & al, 2009).
De fait, la plupart des tuteurs mobilisent de manière non consciente un style d’accompagnement « plus modélisant, prescriptif et contrôlant » qu’ils ne le pensent (Beck
& Kosnik, 2000 ; Orland-‐Barak & Klein, 2005). Ce dernier point vient alimenter la posture décrite plus haut de « relation d’aide » typique d’une supervision traditionnelle. Ce type d’interactions « peu propice à la construction de l’identité enseignante des étudiants aboutit généralement à des échanges stériles, marqués par une incompréhension réciproque (Clark, 2006 ; Yayli, 2008) » (Chaliès & al, 2009, p. 89). Ainsi, de ce style d’accompagnement peuvent émerger des malentendus de part et d’autres, cristallisant des conceptions d’enseignement-‐apprentissage défavorables au développement professionnel des stagiaires.
Les PF n’ont d’ailleurs pas conscience de la nécessité de stimuler et d’entretenir la réflexion chez les étudiants-‐stagiaires (Crasborn & al, 2008, cités par Chaliès & al, 2009).
Ces auteurs précisent que ces approches prescriptives et transmissives, dans lesquelles les PF se cantonnent, s’expliquent en partie par un manque de formation. A ce propos, la plupart des tuteurs redoutent de s’engager dans une logique de formation longue (Kyriacou & al, 2007, cités par Chaliès & al, 2009), principalement pour des questions de charges de travail. Ils préconisent alors plutôt des solutions rapides proposant des pistes souvent basées sur des interprétations hâtives de la situation, ayant pour effet notamment de placer le tuteur au centre des interactions lors des échanges avec le futur formé (Davis, 2006 ; Shoham, Penso & Shiloha, 2003, cités par Chaliès & al, 2009). Pour terminer, l’équipe de chercheurs précise que la valorisation de cette posture traditionnelle diminue le rapport d’objectivité poursuivi lors de la certification de l’étudiant. Ainsi, ils citent Darling-‐Hammond (2001), en précisant que dans les interactions, notamment celles en lien avec la certification du stagiaire, les tuteurs font preuve de complaisance et d’indulgence à l’égard du futur formé, ce qui les cantonne dans ce que Darling-‐Hammond nomme la « communauté de compassion -‐ community of compassion.
Ainsi, la supervision traditionnelle renforce une certaine ambiguïté des rôles. Elle place les acteurs dans une relation affective, générant de potentiels conflits de loyauté, augmentant le risque de confondre dans l’évaluation certificative le jugement de la personne avec l’évaluation des objectifs de formation. Il est fréquent dans cette perspective de voir apparaître des biais d’indulgence et de complaisance dans la certification finale des stagiaires. Par manque de formation, les PF se situent souvent dans un registre consolidant des aspects de soutien et d’aide, apportant une réponse immédiate à une situation particulière, qui renforce souvent, à leur insu, une approche prescriptive de la formation. Du point de vue vygotskien, cette posture représente plutôt un frein au développement de l’autorégulation du stagiaire, puisqu’elle semble renforcer sa dépendance au PF.
3.4.2 La « supervision clinique » ou la communauté d’enquête
Dans la continuité des travaux de Chaliès, Cartaut, Escalié et Durand (2009), ces auteurs présentent la seconde posture repérée dans la littérature scientifique, celle de la supervision « clinique». Cette conception attribue des rôles à chacun des acteurs. A commencer par le fait que le PF assume une position asymétrique vis-‐à-‐vis du stagiaire. Ainsi, le tuteur endosse une forme de supervision clinique lorsqu’il explicite et guide sur les enjeux du stage en lien avec les objectifs visés de formation à un temps T. L’évaluation certificative se réalise donc en fonction d’objectifs de formation atteints ou pas.
Cette perspective rejoint notamment celle évoquée par le développement d’une
« clinique » de l’enseignement, présentée dans le point 3.3. En effet, pour pouvoir endosser cette supervision clinique au sens de Leutenegger (2004) et de l’approche vygotskienne, il s’agit en amont d’avoir identifié les enjeux en fonction du semestre de formation de l’étudiant, en ayant, notamment « dénaturalisé » et didactisé la progression des apprentissages attendus chez le stagiaire, selon qu’il se trouve en début de parcours ou en dernière année de formation. En lien avec cette posture d’accompagnement, Chaliès, Cartaut, Escalié et Durand (2009) mettent en lumière différents éléments du guidage assumés par les tuteurs. Ainsi, les PF adoptent une supervision clinique lorsqu’ils…
…renvoient le stagiaire aux connaissances académiques vues en institution ;
…focalisent les interventions du stagiaire sur les apprentissages des élèves (par exemple : incitent le stagiaire à réfléchir sur les régulations à proposer aux élèves) ;
…font réfléchir le stagiaire sur ses interactions avec les élèves et leurs effets sur leurs apprentissages ;
…réfléchissent et analysent la pratique professionnelle avec le stagiaire à l’aide de différentes ressources (par exemple : référentiel de l’étudiant et du PF, concepts théoriques HEP, expérience) ;
…stimulent et entretiennent la réflexion de l’étudiant-‐stagiaire (par exemple : processus cognitif, métacognitif vers prise de conscience).
Les auteurs précisent que les tuteurs adoptant une posture d’enquête voient les biais de compassion diminuer lorsqu’ils évaluent leurs stagiaires de manière certificative. Ainsi, ils évaluent en fonction des objectifs de formation et des critères qu’ils auront observés ou pas.
Le fait d’assumer le rôle de PF ou de tuteur ne va pas de soi. Il se révèle souvent générateur de tensions. La mise en lumière des enjeux inhérents à la question du rôle du PF passe également par la formation des tuteurs. Ainsi, dans cette perspective, elle devrait questionner les postures que le PF pourrait prioriser pour favoriser le développement professionnel, les prises de conscience et l’autonomie du stagiaire. De plus, le PF pourrait anticiper des temps d’échanges coordonnés et guidés, assumant ainsi un rôle de médiateur au sens de Vygotski18 et au sens de la supervision clinique présentée dans les travaux de Chaliès & al (2009).
3.5 Le développement du stagiaire et les indices d’un stage réussi
Dans le prolongement du travail de synthèse effectué par Chaliès & al (2009), il s’agit d’identifier dans quelle mesure les PF prennent en compte leurs rôles et les différentes postures qu’ils revêtent pour déterminer s’ils participent également au développement d’une alternance intégrative. Pour donner suite à ces travaux, il est intéressant de citer l’étude de Boudreau (2005) portant sur l’identification des indices aboutissant à un stage réussi. Il s’appuie notamment sur les recherches de Feinam-‐Nemser et Buchmann (1987) pour étayer son propos. Pour commencer, il reprend leur constat précisant que le fait de vivre un stage n’assure pas automatiquement l’apprentissage de l’enseignement. Dans leurs travaux, ces auteures pointent l’absence de guidage de la part des PF sur les apprentissages des élèves, mettant en exergue une lacune concernant ce point essentiel de l’enseignement.
A cela, Boudreau ajoute que les critères de réussite d’un stage dépendent du rôle assumé ou non par les PF, notamment dans les types d’interventions proposées aux étudiants (Boudreau, 2005).
Boudreau (2005) révèle aussi que le premier indice présent dans un stage réussi est généré par un guidage proactif de la part du PF. C’est-‐à-‐dire que le tuteur doit dédier du temps « à faire avec » le stagiaire, pour lui enseigner notamment des techniques de gestion de la planification, tout en établissant avec lui une relation de confiance. Ces techniques
« dénaturalisées » par le PF devront être décortiquées et explicitées à l’étudiant, afin que le formé puisse reprendre à son compte à un moment donné de son parcours les éléments présentés dans les interventions du PF. Comme évoqué dans le point 2.2, cet accompagnement de l’inter-‐ vers l’intrapsychique devrait être pris en compte par le PF dans le guidage du stagiaire, notamment dans le choix des médiations19 mises en œuvre. Ainsi, en amont de l’accompagnement, le formateur proactif réfléchit aux outils à mobiliser pour guider le stagiaire, et à la nature des rétroactions à mettre en œuvre lors des entretiens
18 Vygotski, L.S. (1934/1985), Pensée et langage. Paris : La Dispute.
19 « Médiations » au sens de Vygotski