5 Analyse des protocoles d’entretiens et interprétations
5.2 Analyse des protocoles et pistes d’interprétation du point de vue des postures de tutorat et des
5.2.3 Interprétations des analyses du point de vue des postures de tutorat articulées aux
Dans cette partie, des tendances et interprétations seront proposées à partir des constats issus des analyses des extraits.
Postures de tutorat et types d’habiletés : tendances issues des extraits 1 à 8
Lors des deux premières boucles, PF1 et PF2 endossent plutôt une posture traditionnelle d’accompagnement, alors que PF3 se situe dans une posture clinique. En lien avec ce constat, nous faisons l’hypothèse d’une corrélation entre la focalisation saillante de la part de PF1 et PF2 sur les opérations de pensées issues de la première catégorie (OCrda) et le fait que ces habiletés, identifiées comme plus accessibles ou plus simples par Anderson
& Krathwohl (2001), installent les praticiennes formatrices dans une posture traditionnelle d’accompagnement. Cette classe d’habiletés traduit selon leurs auteurs un niveau relativement superficiel de l’appropriation des concepts en jeu.
Autrement dit, la mobilisation de ces opérations ne démontre aucune modification en profondeur des savoirs mobilisés ou des éléments relevés dans les discussions (Bautier &
Goigoux, 2004). Il semble intéressant de relever que ST1 (60%) et ST2 (48%) ont également mobilisé de manière importante cette première catégorie dans leurs échanges. Ainsi, durant ces premiers entretiens, l’hypothèse de la présence d’un effet miroir peut être relevée entre praticiennes formatrices et stagiaires, c’est-‐à-‐dire que les stagiaires mobilisent les mêmes habilités que leur PF de manière à correspondre aux attentes contenues dans le discours des tutrices.
Pour illustrer le propos, voici un extrait issu de l’extrait no 1, où PF1 tente de guider ST1 en lui faisant deviner des éléments. La stagiaire ne voit pas au moment de l’échange où PF1 veut en venir. Dans les interactions, on assiste alors à un dialogue sous forme de questions-‐devinettes situant les réponses de ST1 à un niveau de restitution ou de description :
(Tour de Parole 15) PF1 : …si on compare ces deux moments (TP 16) ST1 : Ben le collectif…
(TP 17) PF1 : Comment tu qualifierais ce moment en cercle ? (TP 18) ST1 : Oui, heu…
(TP 19) PF1 : Quelles étaient les qualités du moment théâtral ? (TP 20) ST1 : Oui, je vois alors… (silence)
(TP 21) PF1 : … tu vois ? en regard du moment seuls à leur table où ils bûchent, ils sont là, un petit peu
« plantés » on va dire…
(TP 22) ST1 : Ben sur le collectif…
(TP 23) PF1 : … sur la feuille.
Un autre exemple issu de l’extrait no 4 entre PF2 et ST2, où l’on voit PF2 réfléchir à la place de ST2. Cela montre le même phénomène. Le stagiaire adhère aux suggestions de la PF, sans que l’on puisse percevoir le niveau d’intégration des conseils proposés par PF2 :
(TP 31) PF2 : Ou alors peut-‐être prendre 3 élèves, et pendant que les autres jouent, tu aurais pu…
(TP 32) ST2 : Ah ouai… j’ai pas pensé, ouai…
(TP 33) PF2 : … ben je sais pas, hein ? c’est une solution peut-‐être pour une autre fois (TP 34) ST2 : Mhhun (approbation)
(TP 35) PF2 : Pour que toi tu puisses garder un œil sur ce qui se passe, tout en installant le matériel gentiment. Je sais pas, il y a plein d’autres possibilités j’imagine, c’est ce qui me vient à ce moment-‐là.
(silence) (…)
(TP 36) ST2 : Mhhun (approbation) (…)
Du côté des échanges entre PF3 et ST3, on constate que leurs interactions se situent majoritairement dans la mobilisation d’opérations cognitives et métacognitives découlant
« des processus d’intériorisation des médiations offertes par la formation » (Clerc, 2014, p.
111). Notamment du côté des opérations de compréhension ou de reformulation (OCcr) ainsi que du côté des habiletés cognitives et métacognitives complexes, telles qu’analyser, évaluer, planifier, anticiper ou réguler (OCaéMa). Pour illustrer le propos, voici un exemple issu de l’extrait no 6 où PF3 guide la stagiaire sur ses prises de conscience en lien avec sa prestation. Il est intéressant de relever les types de questions proposées par PF3 qui relancent la réflexion de l’étudiante, notamment sur les apprentissages des élèves (TP13) :
(TP 1) PF3 : (…) Ce que je te propose, c’est que tu fasses une auto-‐évaluation, en me disant les points positifs pour toi et les points négatifs. Heu… et après ben moi je te dirai aussi « ben voilà ce que j’ai constaté, si ça fonctionne ou pas », et puis s’il faut, on prendra une situation ou un moment de ce matin pour approfondir un des thèmes.
(TP 2) ST3 : Oui, alors. Heu… impression générale, j’ai mis que j’avais quand même pu donné mon cours et arriver à la fin de ce que j’avais prévu. Mais difficilement, parce que j’ai dû beaucoup reprendre les élèves.
Et ça a mis en place un mauvais climat d’apprentissage pour l’ensemble de la classe, et puis (…) au niveau de l’objectif, j’avais mis comme objectif d’être capable de comprendre le mot « ailleurs » en pouvant l’exemplifier. Donc en donnant un autre lieu que où on était, donc l’école. (…) Et puis heu… (silence)… ça recommence je n’arrive pas relire ce que j’ai écris… (rires) (…)
(TP 5) PF3 : Oui, donc ça c’était dans la première partie… C’est juste ?
(TP 6) ST3 : En fait, à la fin, c’était le dernier ou l’avant-‐dernier, et du coup il a pas réussi à donner un autre lieu, qui n’avait pas déjà été dit. Donc j’ai pas insisté. Au niveau de la différenciation, j’en ai pas fait énormément. J’ai fait beaucoup en collectif (…)
(TP 13) PF3 : et qu’est-‐ce qu’ils ont appris alors ….
(TP 14) ST3 : Ben, ils ont appris que dans un même moment, il peut se passer plusieurs choses en même temps, à différents endroits, (silence) alors voilà. (…)
Dans cet extrait et comme proposé par Anderson & Krathwoh (2001), ST3 met en œuvre des habiletés de la catégorie « comprendre » au moment où elle explique dans le tour de parole 6, que le dernier élève interrogé ne pouvait rien amener de plus, puisque toutes les idées avaient déjà été évoquées par les autres. Cela indique aussi qu’elle favorise l’articulation entre différents contenus reçus durant son parcours de formation, puisque directement après ce constat, elle enchaîne sur des aspects de différenciation et de type d’enseignement collectif (TP6). De plus, le discours de ST3 se compose de plus de 50%
d’habiletés classées dans la catégorie mêlant certaines opérations complexes (OCaéMa).
Nous avons vu dans le cadrage théorique (Romainville, 2007) que le mélange entre certaines habiletés cognitives et métacognitives permettait de rendre visible, chez les acteurs, la présence de prises de conscience, relatives à leurs apprentissages. Pour illustrer le propos, voici un nouvel échange d’interactions issu de l’extrait no 8 (LS2), lorsque PF3 fixe avec la stagiaire les objectifs de formation, suite aux observations et constats discutés durant l’entretien. On remarque que ST3 est capable de mettre en exergue les éléments qu’elle devrait améliorer. Dans ses interactions, PF3 dirige la discussion et « fait avec » la stagiaire en la guidant, elle partage la réflexion avec ST3 par des questions de relance :
(TP 52) PF3 : Qu’est-‐ce que tu proposes comme objectif pour la prochaine leçon qu’on va observer ? Puisque là on sent qu’il y a un souci de gestion de classe.
(TP 53) ST3 : Ben… vue d’ensemble et moins cadrer, enfin selon les moments. (…) (TP 56) PF3 : Je pense que si tu en prends déjà un, c’est bien.
(TP 57) ST3 : Ben la vue d’ensemble, c’est important, donc heu… on va essayer ça. Après le cadrage ça me fait peur (…)
(TP 58) PF3 : D’un autre côté, qu’est-‐ce qui pourrait se passer au niveau du cadrage, si à chaque fois tu renvoies à sa place un élève ? Si à chaque fois y a qqch tu les fais s’asseoir ?
(TP 59) ST3 : Ben qu’ils participent plus et que ça les démotive.
(TP 60) PF3 : Oui, au niveau de l’estime de soi, au bout d’un moment, l’élève se dise : « je fais plus d’effort ça sert à rien, j’y arrive pas ». (…) Donc, tu passes plutôt sur la vision d’ensemble…
(TP 61) ST3 : Oui et pour le début de la semaine prochaine, je pars sur l’autre objectif.
A l’aune des analyses des deux premières boucles, les constats suivants sont faits : Ø il existe une corrélation entre les types d’habiletés mobilisées par les PF et les
postures qu’elles adoptent. En effet, plus elles utilisent les habiletés de pensée issues du registre de la réflexion « OCaéMa », plus des indices de l’adoption d’une posture clinique sont présents.
Dans le point suivant, nous verrons comment les participantes ont changé de posture durant le deuxième entretien.
Postures de tutorat et types d’habiletés : tendances issues des extraits 9 à 16
Suite à l’analyse des protocoles issus de la troisième boucle LS, PF1 et PF2 ont basculé dans une posture clinique de tutorat et PF3 a accentué la tendance déjà présente dans son premier entretien. Comme déjà évoqué au sujet des deux premières boucles :
Ø une corrélation apparait entre les types d’habiletés mobilisées par les PF et les postures de tutorat qu’elles adoptent. En effet, plus elles mettent en œuvre des habiletés de pensée issue du registre de la réflexion « OCaéMa », plus des indices de l’adoption d’une posture clinique sont présents.
Voici un exemple d’interactions issues de l’extrait no 9 entre PF1 et ST4, où l’on observe que la praticienne formatrice pousse la stagiaire à réaliser une auto-‐évaluation de sa prestation. De plus, élément nouveau, la stagiaire a réalisé cette auto-‐évaluation par écrit, indiquant qu’elle a elle aussi anticipé et préparé ce moment d’entretien :
(TP1) PF1 : On va essayer de comprendre ensemble. (silence) Est-‐ce que tu aurais envie pour tester la différence une auto-‐réflexion, une auto-‐critique à froid ou à chaud, est-‐ce que tu aurais envie juste que l’on parle de ce qui s’est passé ce matin, globalement, comme ça.
(TP4) ST4 : Ecoute, moi, de manière générale, je l’ai bien vécu, en tout cas, plus que lundi passé…ha ha ha (silence)
(TP5) PF1 : Oui. Ben ça sera intéressant de comparer.
(TP6) ST4 : Ecoute, aujourd’hui, j’ai trouvé chouette, le tout petit moment de rappel, de remémoration au début j’ai trouvé intéressant parce que j’ai essayé d’interroger pas ceux qui levaient la main et je me suis rendu compte que certains qui levaient pas la main savaient et d’autres pas du tout et c’est là que je me suis rendue compte qu’effectivement….que c’était difficile pour eux de se remémorer les pronoms interrogatifs et puis qu’une fois qu’on faisait des petits exemples ça allait mieux. Du coup j’ai vu que le fait de les avoir notés au tableau ça les avait bien aidés et que certains en avaient utilisés, pas tous, mais certains en avaient repris
(TP7) PF1 : Là tu parles des pronoms interrogatifs ?
(TP7) ST1 : Oui. Les onomatopées, y en a qui les ont quand même utilisés, après j’ai pas regardé tous les écrits. … (silence, lecture de notes) Ce que j’ai trouvé de positif c’est que j’ai réussi à passer vers tous les groupes pour voir où ils en étaient, réguler et tout, après j’ai quand même trouvé difficile dans certains binômes… ben la collaboration se passait pas du tout bien et c’était pas les mêmes régulations que je faisais avec eux, ce qui est logique, mais ils demandaient plus d’attention, donc j’allais plus souvent vers eux, par exemple Tigane et Ismail.
La même tendance est visible dans l’entretien de PF2 et ST5, où elle demande à la stagiaire d’expliciter son choix, dont voici un bref extrait :
(TP1) PF2 : Peux-‐tu expliquer ton choix de les faire lire individuellement les textes ?
(TP2) ST5 : le fait de les avoir fait lire individuellement, ça les a impliqué dans la recherche. Ça les a mis dans le bain, dans le contexte, ça leur a fait voir un petit peu. Puis ensuite, par groupe heu, je me rappelle
j’avais donné un texte par groupe, donc là ils étaient juste centré sur leur texte. Ça leur permettait vraiment de se centrer sur un seul texte. Et puis ensuite ils ont dû échanger leurs impressions, ils se sont mis d’accord. Ils devaient répondre à 3 questions, heu… la première c’est « de quels types de texte s’agit-‐il, de quoi parle-‐t-‐on et qu’est-‐ce qu’on dit sur cette personne ? ». Après, moi je suis venue sur l’analyse que les deux dernières elles étaient bonnes, la première on aurait dû la garder, pour qu’après à l’oral, on aurait pu la traiter oralement pendant la correction.
(TP3) PF2 : tu dis « le type de texte » ?
(TP4) ST5 : oui, mais, bon… j’ai pensé ça après, je me dis que j’aurais pu leur poser la question après, à chaque groupe, enfin à l’oral, passer vers chaque groupe…
Ces constats posent une nouvelle question, lors de la réalisation du second entretien, un objectif de formation avait été posé en collectif durant les séances 7 et 8. Ainsi, les trois PF ont relevé dans leur dernier entretien la question de l’objectif de formation pour la suite du stage, alors que seule PF3 l’avait mentionné dans les extraits issus de la deuxième boucle LS. Il est intéressant de relever que dans son deuxième entretien, PF3 a questionné de manière encore plus accentuée ST6 sur ses choix et sur les apprentissages des élèves.
D’ailleurs, dans les extraits analysés ST6 mobilise des habiletés de secondarisation et des éléments du point de vue exotopiques. PF3, par son accentuation de l’attention de l’étudiante sur les niveaux 4 et 5 de la catégorie de Durand (2002), focalise l’attention de ST6 sur les apprentissages et le développement des élèves, notamment dans les tours de paroles 8 et 12 (extrait no 15) :
(TP5) PF3 : et ça sert à quoi alors ? (rires)
(TP6) ST6 : ben, leur apprendre à bien tenir le crayon ou la craie dans la main, qui puisse habituer leur main, et développer leur motricité fine en vue de l’écriture, et…
(TP7) PF3 : … et acquérir…
(TP8) ST6 : et acquérir le SENS de l’écriture aussi, si on prend la verticale ou l’horizontale, sens, départ, plus petit au plus grand, la prise en main, ajuster la FORCE, etc. Et puis acquérir les schèmes de l’écriture.
Et leur dire que c’est important pour quand ils seront en 3H…
(TP11) PF3 : et pourquoi c’est important de le leur dire finalement…
(TP12) ST6 : Ben que c’est pas le tout de juste faire pour faire des spirales, que c’est important, que c’est un apprentissage que c’est pas juste « on dessine des spirales parce qu’on nous dit de dessiner une spirale ». Et c’est aussi le sens de l’apprentissage du pourquoi est-‐ce qu’on fait ça ?
(TP13) PF3 : oui, tout-‐à-‐fait. Et du coup, puisque tu as pu ramasser les traces, pour toi qui aurait atteint l’objectif et qui n’aurait pas atteint l’objectif ?
Ainsi, dans les échanges ci-‐dessus, la centration de l’attention de la stagiaire sur les apprentissages et le développement des élèves, correspondant aux niveaux de Durand (2002) montrant un haut niveau de maitrise, relève également de l’objectif de formation entraîné à ce moment-‐là. A ce sujet, ce constat rejoint ce que dit la littérature scientifique :
Ø il existe une corrélation entre le fait de fixer et d’annoncer un objectif de formation et le fait que la PF mette en œuvre une posture clinique d’accompagnement durant l’entretien post-‐leçon en mobilisant différentes caractéristiques de ce type d’accompagnement.