3 Cadrage théorique
3.5 Le développement du stagiaire et les indices d’un stage réussi
différentes ressources (par exemple : référentiel de l’étudiant et du PF, concepts théoriques HEP, expérience) ;
…stimulent et entretiennent la réflexion de l’étudiant-‐stagiaire (par exemple : processus cognitif, métacognitif vers prise de conscience).
Les auteurs précisent que les tuteurs adoptant une posture d’enquête voient les biais de compassion diminuer lorsqu’ils évaluent leurs stagiaires de manière certificative. Ainsi, ils évaluent en fonction des objectifs de formation et des critères qu’ils auront observés ou pas.
Le fait d’assumer le rôle de PF ou de tuteur ne va pas de soi. Il se révèle souvent générateur de tensions. La mise en lumière des enjeux inhérents à la question du rôle du PF passe également par la formation des tuteurs. Ainsi, dans cette perspective, elle devrait questionner les postures que le PF pourrait prioriser pour favoriser le développement professionnel, les prises de conscience et l’autonomie du stagiaire. De plus, le PF pourrait anticiper des temps d’échanges coordonnés et guidés, assumant ainsi un rôle de médiateur au sens de Vygotski18 et au sens de la supervision clinique présentée dans les travaux de Chaliès & al (2009).
3.5 Le développement du stagiaire et les indices d’un stage réussi
Dans le prolongement du travail de synthèse effectué par Chaliès & al (2009), il s’agit d’identifier dans quelle mesure les PF prennent en compte leurs rôles et les différentes postures qu’ils revêtent pour déterminer s’ils participent également au développement d’une alternance intégrative. Pour donner suite à ces travaux, il est intéressant de citer l’étude de Boudreau (2005) portant sur l’identification des indices aboutissant à un stage réussi. Il s’appuie notamment sur les recherches de Feinam-‐Nemser et Buchmann (1987) pour étayer son propos. Pour commencer, il reprend leur constat précisant que le fait de vivre un stage n’assure pas automatiquement l’apprentissage de l’enseignement. Dans leurs travaux, ces auteures pointent l’absence de guidage de la part des PF sur les apprentissages des élèves, mettant en exergue une lacune concernant ce point essentiel de l’enseignement.
A cela, Boudreau ajoute que les critères de réussite d’un stage dépendent du rôle assumé ou non par les PF, notamment dans les types d’interventions proposées aux étudiants (Boudreau, 2005).
Boudreau (2005) révèle aussi que le premier indice présent dans un stage réussi est généré par un guidage proactif de la part du PF. C’est-‐à-‐dire que le tuteur doit dédier du temps « à faire avec » le stagiaire, pour lui enseigner notamment des techniques de gestion de la planification, tout en établissant avec lui une relation de confiance. Ces techniques
« dénaturalisées » par le PF devront être décortiquées et explicitées à l’étudiant, afin que le formé puisse reprendre à son compte à un moment donné de son parcours les éléments présentés dans les interventions du PF. Comme évoqué dans le point 2.2, cet accompagnement de l’inter-‐ vers l’intrapsychique devrait être pris en compte par le PF dans le guidage du stagiaire, notamment dans le choix des médiations19 mises en œuvre. Ainsi, en amont de l’accompagnement, le formateur proactif réfléchit aux outils à mobiliser pour guider le stagiaire, et à la nature des rétroactions à mettre en œuvre lors des entretiens
18 Vygotski, L.S. (1934/1985), Pensée et langage. Paris : La Dispute.
19 « Médiations » au sens de Vygotski
entre étudiant et PF (Feinam-‐Nemser et Buchmann, 1987, citées par Boudreau, 2005). Il s’agit pour lui de tenir compte du moment de formation du stagiaire et de mesurer le niveau de développement de l’étudiant quant à ses conceptions sous-‐jacentes du métier d’enseignant. Cela implique un suivi différencié et adapté selon que l’on accompagne un étudiant en début ou en fin de formation ; à ce propos et selon le contexte, le PF pourrait revêtir plusieurs rôles empruntés aux deux types de posture présentés plus haut : modèle, coach, ami critique, conseiller, régulateur, évaluateur, expert, etc. L’auteur convoque entre autres les travaux de Blair (1984), de Feinman-‐Nesmer et Buchmann (1987) pour identifier ce qui caractérise l’accompagnement d’un stagiaire et les éléments sur lesquels les interventions du PF devraient être ciblées. Il insiste notamment sur les différents niveaux de prises de conscience quant à l’explicitation des dimensions du métier. Dans cette perspective, les différentes habiletés20 mobilisées en fonction des savoirs21 évoqués dans les interactions participent à ce travail d’identification des nombreuses dimensions du métier.
Pour qu’un stage puisse être considéré comme réussi, Boudreau (2005) préconise trois pistes, le PF devrait focaliser l’attention du stagiaire sur des éléments spécifiques (2.4.1), guider l’attention du stagiaire sur les apprentissages des élèves (2.4.2) et, pour terminer, le tuteur devrait guider l’étudiant à expliciter certains éléments, notamment ses choix en fonction des situations (2.4.3.). Les pistes privilégiées par cet auteur sont explicitées de manière détaillée ci-‐dessous.
3.5.1 Le PF devrait… focaliser l’attention du stagiaire sur les enjeux, le rôle et la posture enseignante
En proposant un guidage portant sur les enjeux, le rôle et la posture enseignante, Boudreau (2005) reprend la question de la clarification du rôle de l’enseignant directement en lien avec les conceptions de l’enseignement et de l’apprentissage. Conceptions qui expliqueront les postures mobilisées par l’enseignant, l’influençant nécessairement dans son rôle de PF, de même que sa façon de mobiliser (ou pas) des outils théoriques pour concevoir et adapter son enseignement. Il relève également la nécessité pour le PF d’identifier avec le stagiaire les buts visés par la réalisation d’une planification de séquence sur un temps donné, en tenant compte, par exemple, de la progression des apprentissages des élèves. Ce point n’est pas sans rappeler la nécessité de « dénaturaliser» (Leutenegger, 2004) ses gestes professionnels par le PF. En effet, pour pouvoir expliciter les raisons de ses choix pédagogiques en situation d’enseignement, le PF devrait s’être distancé de sa propre pratique afin de favoriser un « décorticage » de comportements ou de gestes devenus avec le temps familiers, intégrés, et « évidents ». Cette étape incontournable est nécessaire au travail de « transposition didactique » des savoirs à construire dans le stage. Cela consiste aussi à présenter au stagiaire le sens et les enjeux d’actions ou d’éléments observés à tel moment plutôt qu’à d’autres. A ce propos, le point 3.8 présentera de manière plus détaillée les types de savoirs à mobiliser durant le stage.
3.5.2 Le PF devrait… guider l’attention du stagiaire sur les apprentissages des élèves Le deuxième indice d’un stage réussi proposé par Boudreau (2005) se situe autour des enjeux de rôle et de posture du PF. Selon l’auteur, le tuteur devrait guider l’attention du stagiaire sur les apprentissages des élèves en l’aidant à approfondir la pensée des apprenants et en mettant en lumière leur compréhension ou leur confusion. Boudreau
20 « Habiletés de pensée », voir le point 3.10
21 « Types de savoirs », voir le point 3.8
évoque ici l’importance pour le PF de guider le stagiaire sur la prise d’informations régulières, en vue de récolter des renseignements relatifs aux habiletés cognitives et métacognitives des élèves. L’idée est également de guider le stagiaire sur les dispositifs favorisant ces prises d’informations, en vue de réguler l’enseignement. En d’autres termes, il s’agirait de privilégier une « supervision clinique » d’accompagnement et, dans ce sens, Boudreau rejoint les constats exposés notamment par Chaliès & al (2009) à propos de la posture clinique de tutorat.
3.5.3 Le PF devrait… guider le stagiaire à expliciter les raisons de ses décisions et les difficultés à distinguer chez les élèves ce qu’ils savent ou ne savent pas
Pour terminer, le troisième point se situe autour du guidage du stagiaire à se questionner pour expliciter les raisons de ses actions et de ses décisions. Ainsi, il s’agirait de l’aider à mettre en lumière ses difficultés dans le repérage des acquis des élèves, par exemple, en termes d’habiletés métacognitives. Ce dernier point proposé par Boudreau (2005) peut également être articulé à la posture clinique présentée dans les travaux de Chaliès & al (2009).
Ces différents indices s’inscrivent dans la continuité des travaux de Feiman-‐Nemser et Buchmann (1987) qui préconisent que le stagiaire devrait être accompagné dans le repérage du sens et des liens qui existent entre les routines d’enseignement et les apprentissages des élèves. Feiman-‐Nemser et Buchmann insistent sur le fait de développer
« des habiletés à l’enseignement », ce que Boudreau (2005) reprend sous forme de niveaux d’habiletés à développer avec l’aide du PF, comme celles favorisant une posture d’analyse de ses actes pédagogiques. Ainsi, Boudreau suggère la focalisation de l’attention de l’étudiant sur différents types d’habiletés entre autres, cognitives, métacognitives, psycho-‐affectives, etc. L’idée étant de proposer notamment une analyse conjointe de différents éléments, tels que :
• la gestion de la planification d’une séquence en fonction du contenu et du niveau des élèves, avec l’aide du PF. En lien avec ces éléments, le PF guiderait l’étudiant sur les types d’habiletés cognitives et métacognitives à mobiliser dans le fait de « gérer » la planification : comprendre, analyser, anticiper, organiser, évaluer, réguler la planification de la séquence en fonction des élèves et des contenus ;
• l’utilisation de diverses stratégies d’enseignement, avec l’aide du PF. En lien avec ces éléments, le PF guiderait l’étudiant sur le fait de mobiliser des stratégies en fonction du public et des objectifs visés, en analysant et en évaluant le contexte ;
• la vérification de la compréhension des élèves, avec l’aide du PF. En lien avec ces éléments, le PF guiderait l’étudiant sur le fait de récolter des informations, des traces écrites et/ou orales, en vue d’analyser et de prendre conscience du niveau des apprentissages des élèves, puis de réguler en fonction l’enseignement ;
• l’identification des différentes fonctions (et rôles) d’un enseignant, avec l’aide du PF.
En lien avec ces éléments, le PF guiderait l’étudiant sur le fait de comprendre, d’analyser et de prendre conscience des différentes fonctions et différents rôles à assumer par un enseignant, comme par exemple le fait de communiquer avec les parents et de collaborer avec les autres professionnels de l’établissement.
Pour terminer, ces apports théoriques s’articulent de manière complémentaire à la perspective vygotskienne, notamment par le fait de penser la relation entre PF et stagiaire du point de vue des médiations. Dans ce sens, il est important de relever les éléments que le
PF devrait anticiper avec son stagiaire, notamment la temporalité et le passage de l’interpsychique à l’intrapsychique. Ainsi, le PF devrait se pencher sur la temporalité nécessaire à la transposition didactique du stage, pour offrir des médiations adaptées aux situations d’enseignement-‐apprentissage, en vue de soutenir le processus de formation du stagiaire et les apprentissages des élèves.
3.6 Liens entre le praticien réflexif et les supervisions de tutorat
En lien avec les éléments convoqués notamment dans la posture clinique de tutorat (Chaliès & al, 2009), il paraît important d’exposer certains malentendus se cachant derrière une notion pas encore abordée, celle de « praticien réflexif » (Schön, 1994). Durant les vingt dernières années, il semble que les formations à l’enseignement aient privilégié la « pratique réflexive » plutôt que la supervision clinique exposée plus haut. Certains auteurs pointent d’ailleurs les apports d’une pratique qui vise la formation de « praticiens réflexifs » (Schön, 1994; Leshem, 2008 ; Vinatier, 2006 ; Ward & McCotter, 2004). Pour eux, il s’agit d’analyser des enregistrements vidéo de leçons dispensées en classe par l’étudiant ou d’utiliser d’autres supports telles que les mises en récit écrites du vécu sous forme de journal de bord ou portfolio (Vanhulle, 2005). Même si ces dispositifs proposant une analyse conjointe entre PF et stagiaire nourrissent et participent au développement de l’acquisition d’habiletés d’auto-‐évaluation issues du processus métacognitif, certaines recherches montrent que les tuteurs mobilisent souvent leur pratique réflexive « à la place » des futurs formés, plutôt qu’
« avec eux… » ou « à leur côté… » (Loughran & Berry, 2005 ; Parker-‐Katz & Bay, 2008, cités par Chaliès & al, 2009).
Ce constat rejoint ceux déjà présentés dans le chapitre portant notamment sur la posture traditionnelle et les rôles endossés par les tuteurs. Ainsi, lorsque les PF sont dans l’action et sont face aux demandes pressantes des stagiaires, ils basculent dans une posture prescriptive proposant au stagiaire des « recettes de cuisine » prêtes à être appliquées de manière ponctuelle (Parker-‐Katz, 2008 ; Orland-‐Barak, 2005, cités par Chaliès & al, 2009), ou pour le dire autrement, répondent dans l’urgence à des situations idiosyncratiques. Comme nous l’avons vu précédemment, différents travaux montrent que, dans ces moments-‐là, les tuteurs éprouvent de la culpabilité vis-‐à-‐vis du futur formé et des élèves, ce qui les pousse à privilégier en situation de « pratique réflexive », le fait « de faire et de réfléchir à la place » du stagiaire (Parker-‐Katz & Bay, 2008 ; Bullough & Draper, 2004 ; Hastings, 2004 ; Youg & al, 2005, cités par Chaliès & al, 2009).
Dans la continuité des recherches portant sur les pratiques réflexives, les travaux de Vanhulle (2009) et Schneuwly (2012) ont également révélé les limites de ces dispositifs. Ils démontrent, dans les approches visant la construction d’une posture de « praticien réflexif », l’absence de mobilisation d’objets disciplinaires enseignés de la part des enseignants ou des étudiants lorsqu’ils doivent rédiger des textes réflexifs. En effet, les situations proposées lors des analyses de pratique sont majoritairement celles qui privilégient des situations où le savoir joue un rôle secondaire, voire aucun rôle du tout. Schneuwly se permet d’ailleurs une critique du modèle de « praticien réflexif » préconisé par Schön (1994) en explicitant que c’est « parce que l’attention est avant tout portée sur la réflexion en soi, sur le fait qu’il y ait réflexion indépendamment de l’objet et des outils de réflexion » que l’objet brille par son absence (Schneuwly, 2012, p. 83-‐84).
« La métaphore du praticien réflexif (…) valorise celui qui la pratique, indépendamment de l’objet sur lequel elle porte. Elle permet paradoxalement de ne pas