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Oncologie : Article pp.135-140 du Vol.8 n°3 (2014)

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ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

Aide à la reprise du travail après cancer : huit années d ’ expérience d ’ une consultation pilote

Department of

Return to Work after a Cancer

: Eight Years of a Pilot Experience

G. De Blasi · E. Bouteyre · J. Bretteville · L. Rollin

Reçu le 20 mai 2014 ; accepté le 20 juin 2014

© Springer-Verlag France 2014

RésuméLa consultation pluridisciplinaire d’aide à la reprise du travail après un cancer est une expérience pilote créée en 2006 au CHU de Rouen. Un médecin du travail, une assistante sociale et une psychologue accompagnent les patients dans leur souhait de reprendre une activité profes- sionnelle. L’objectif de cet article est de retracer l’évolution des pratiques de cette équipe à l’épreuve de la réalité clinique et institutionnelle. Des constats et des pistes de réflexion sont dégagés par rapport à l’accompagnement de 264 patients reçus depuis huit ans.

Mots clésCancer · Reprise du travail · Équipe pluridisciplinaire · Expérience pilote · Pratiques professionnelles

AbstractThe department of“return to work after a cancer” is a pilot experience created in 2006 at the University Hos- pital of Rouen. An occupational physician, a social worker and a psychologist help patients in their desire to return to work. This article aims to track the evolution of the team’s practices to the test of clinical and institutional realities. Fin- dings and food for thought emerge in relation to the support provided to 264 patients received since 8 years.

Keywords Cancer · Return to work · Multidisciplinary team · Pilot experience · Professional practices

Introduction

L’augmentation de la survie des patients atteints de cancer conduit actuellement à accompagner de plus en plus de patients vers un retour à la vie « normale ». Parmi les 365 000 personnes touchées chaque année par cette mala- die en France, près de 100 000 travaillent au moment de l’annonce du diagnostic. La reprise du travail après cancer est un facteur impliqué dans la qualité de vie des patients, c’est pourquoi la réinsertion professionnelle des personnes atteintes de cancer est un objectif visé par chacun des trois Plans cancer. Le Premier (2003–2007) préconisait de « favo- riser l’insertion professionnelle, le maintien et le retour à l’emploi pour les patients atteints du cancer ou d’une autre pathologie invalidante ». L’évaluation de ce premier Plan a mis en évidence des freins concernant la reprise d’une acti- vité professionnelle après cancer. Un manque d’informations sur les acteurs, les dispositifs ou les mesures possibles d’accompagnement vers la reprise du travail était souligné.

Le deuxième Plan cancer (2009–2013) a pris en considéra- tion ces constats afin de « lever les obstacles à la réinser- tion professionnelle des personnes atteintes de cancer » [1].

Dans l’actuel Plan cancer (2014–2019), « une priorité est accordée au maintien et au retour dans l’emploi ».

Une approche individualisée, qui intègre la singularité et

G. De Blasi (*)

Psychologue clinicienne et doctorante en psychologie, CHU de Rouen, CCPPE, Pavillon Aubette,

rue Germont, F-76031 Rouen cedex, France e-mail : geraldine.de-blasi@chu-rouen.fr

Aix-Marseille université, Laboratoire de Psychopathologie Clinique Langage et Subjectivité, EA 3278,

29, avenue Robert-Schuman,

F-13621 Aix-en-Provence cedex 01, France E. Bouteyre (*)

Professeur des universités, Aix-Marseille université, Laboratoire de Psychopathologie Clinique

Langage et Subjectivité,

EA 3278, 29, avenue Rober-Schuman, F-13621 Aix-en-Provence cedex 01, France e-mail : evelyne.bouteyre@orange.fr J. Bretteville (*)

Assistante sociale, CHU de Rouen, CCPPE, pavillon Aubette, rue Germont, F-76031 Rouen cedex, France

e-mail : julia.bretteville@chu-rouen.fr L. Rollin (*)

Praticien hospitalier, médecin du travail, CHU de Rouen, CCPPE, pavillon Aubette, rue Germont, F-76031 Rouen cedex, France e-mail : laetitia.rollin@chu-rouen.fr

DOI 10.1007/s11839-014-0472-4

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l’évolutivité de chaque situation, est préconisée pour « par- faire l’offre de solutions adaptées à chaque situation person- nelle des personnes atteintes de cancer ». La réinsertion professionnelle, les répercussions du cancer sur la vie pro- fessionnelle et la façon dont elles ont été abordées à travers les Plans cancer ont évolué au fil du temps. Il est évident qu’il en est de même pour les modalités d’accompagnement des patients. L’objectif de cet article est de retracer l’expé- rience et l’évolution des pratiques de l’équipe pluridiscipli- naire de la consultation pilote d’aide à la reprise du travail après un cancer, créée en 2006 au CHU de Rouen. Des cons- tats et des pistes de réflexion seront dégagés par rapport à l’accompagnement des personnes atteintes de cancer vers la réinsertion professionnelle.

Origine et présentation de la consultation

Dans le cadre du Projet Régional de Santé Publique (PRSP) de Haute-Normandie, déclinaison régionale du premier Plan cancer national, l’idée qu’une consultation pluridisciplinaire puisse venir répondre aux besoins exprimés par les person- nes atteintes de cancer qui souhaitent reprendre le travail a rapidement émergé. Cette consultation rassemble les compé- tences d’un médecin du travail (du Centre de consultation de pathologie professionnelle et environnementale, [CCPPE]), d’une assistante sociale et d’une psychologue. Elle est dis- pensée gratuitement une journée par semaine au CCPPE.

Elle est accessible à toute personne atteinte ou ayant été atteinte d’un cancer qui souhaite reprendre une activité pro- fessionnelle, indépendamment du centre de soin où elle a été prise en charge. Cette expérience, initiée en Haute- Normandie, s’explique en partie par l’incidence particulière- ment élevée de cette maladie dans cette région. En 2005, un taux de 626 cas pour 100 000 hommes était estimé (troisième rang des régions les plus affectées par les cancers masculins) et de 374 cas pour 100 000 femmes (deuxième rang des régions les plus affectées par les cancers féminins) [2].

Depuis 2006, 264 consultants ont été reçus. Les informa- tions sociodémographiques et médicales de 163 dossiers médicaux exploitables de 2006 à 2011 sont disponibles (Tableau 1). Sur 122 patients (parmi les 163) dont on connaît le devenir, 67 % ont repris une activité professionnelle. Nous discuterons ultérieurement de la question de cet indicateur de résultat.

Mise en place d

une consultation médicosociale et psychologique

À l’origine du projet, la consultation pluridisciplinaire d’aide à la reprise du travail avait pour objectif d’accompagner les personnes atteintes de cancer dans leur souhait de reprendre

une activité professionnelle. Pour y parvenir, les trois profes- sionnels de la consultation ont adopté un fonctionnement permettant d’articuler leurs interventions respectives dans le respect de la déontologie de chacune de leur profession.

La consultation médicosociale précède la consultation psy- chologique. La forte complémentarité et une synergie entre les interventions du médecin du travail et de l’assistante sociale justifient qu’ils rencontrent le patient en binôme.

Ils réalisent une double évaluation. Les conseils délivrés par le médecin du travail dépendent des mesures d’accom- pagnement social possibles, et à l’inverse, les mesures socia- les possibles dépendent des capacités de travail du salarié.

Le cadre offert est particulièrement contenant. Il permet d’accueillir une charge émotionnelle souvent importante et favorise l’émergence de pistes pouvant aboutir à des solu- tions ou des orientations adaptées à chaque situation. Au moment de la mise en place de la consultation, chaque patient était rencontré une seule fois par le médecin du tra- vail et l’assistante sociale. Il s’agissait de permettre au Tableau 1 Caractéristiques sociodémographiques et médicales de 163 consultants reçus de 2006 à 2011.

Genre

Féminin 82 %

Masculin 18 %

Âge au moment du diagnostic

Moyenne dâge 42 ans

Écart-type 11 ans

Âge minimum 21 ans

Âge maximum 61 ans

Statut par rapport à lemploi au moment du diagnostic En situation demploi 81 %

Sans emploi 19 %

Statut par rapport à lemploi au moment de la consultation

En arrêt de travail 63 %

En activité professionnelle 14 %

Sans emploi 23 %

Situation de santé au moment de la consultation

En rémission 73 %

En cours de traitement 2 % Diagnostic5 ans sans rechute 15 %

Cancer évolutif 10 %

Localisations des cancers

Sein 63 %

Hématopoïétique 10 %

Otorhinolaryngologique (ORL) 6 %

Digestif 5 %

Poumon 4 %

Système nerveux central (SNC) 4 %

Peau 3 %

Autres 3 %

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patient de formuler un projet concernant sa reprise du travail, de le conseiller et de le guider dans les étapes nécessaires à la réalisation de son projet. Suite à cette première rencontre, une seconde, systématique, avait lieu avec la psychologue.

Des informations sur le rôle du psychologue et sur la possi- bilité d’être suivi et accompagné dans le cadre de la consul- tation en constituaient la teneur. Cet entretien clinique, dans un temps distinct, offrait un espace de verbalisation libre et respectueux de la confidentialité. Les domaines de la vie personnelle et de la vie professionnelle étant intriqués, la maladie étant une expérience intime, il apparaissait néces- saire que le cadre posé permette l’expression de problémati- ques qui ne soient pas uniquement liées à la reprise du travail, mais à « l’après-cancer » de façon plus générale.

À l’issue de cet entretien, la psychologue et le patient sta- tuaient sur la mise en place d’un suivi régulier, après avoir défini des objectifs de travail et déterminé une fréquence pour les entretiens. Lorsque le patient déclinait l’offre d’accompagnement, la psychologue l’informait qu’il était possible d’en bénéficier plus tard s’il en ressentait le besoin.

Fonctionnement à l

épreuve de la clinique

Ce fonctionnement, expérimenté en 2006 et 2007, a montré plusieurs limites. Les constats suivants sont à noter :

certains patients ont bénéficié d’un suivi psychologique dès l’annonce du diagnostic ou la phase de traitement.

Dans ce cas, la participation à un suivi psychologique lié à notre dispositif n’est pas proposée ;

pour dautres patients, l’entretien psychologique ne s’in- scrivait pas dans leur demande ;

le temps nécessaire à la réalisation de la consultation médicosociale et de l’entretien psychologique (de 90 à 120 minutes) est inadapté car trop long. L’évocation de la maladie, des souhaits ou des difficultés liés à un projet de reprise du travail suscite beaucoup d’émotion. De nom- breuses informations sont communiquées par chacun des trois intervenants, or les patients sont fatigables et présen- tent fréquemment des difficultés de concentration et/ou de mémoire.

À la suite de ces constats, l’articulation entre les consul- tations médicosociale et psychologique a été modifiée à par- tir de 2008. À l’issue de la consultation médicosociale, chaque patient est informé de la possibilité de rencontrer la psychologue de l’équipe. Selon l’état de santé psycholo- gique du patient, les questions soulevées lors de la consulta- tion, le médecin du travail et l’assistante sociale l’invitent à rencontrer la psychologue. Libre au patient de suivre cette recommandation. Le temps écoulé entre la consultation médicosociale et la prise de contact avec la psychologue permet au patient d’intégrer les informations et les conseils

donnés. Il est placé, à cet égard, en position d’acteur face à une prise en charge psychologique et aux étapes et démar- ches constitutives d’une potentielle reprise du travail. Lors de cette première consultation, un calendrier prévisionnel de mise en œuvre du projet de reprise du travail est établi et validé avec le patient. Ce calendrier reprend l’ensemble des conseils donnés par le médecin du travail et l’assistante sociale avec des indications sur les démarches à effectuer, les acteurs ou les organismes à solliciter et la période adé- quate pour réaliser chacune de ces étapes. Il s’agit d’un guide que le patient s’approprie à sa convenance.

D’autres aménagements ont été nécessaires. Au décours des suivis psychologiques instaurés avec les patients deman- deurs, la nécessité d’un suivi médicosocial s’est fait sentir par rapport à l’avancement ou à des difficultés de mise en œuvre de leur projet de reprise du travail. Là encore, ces constats ont permis une réflexion et une redéfinition des mis- sions et des limites de l’intervention de l’équipe pluridisci- plinaire. Celle-ci n’a pas pour vocation de se substituer aux acteurs ou aux dispositifs de retour ou de maintien dans l’emploi. Elle s’intègre à ce réseau, pour aider le patient à identifier les personnes ou les dispositifs ressources au regard de sa demande ou des difficultés qu’il rencontre.

Les consultations médicosociales visent à faire le point sur la situation, à identifier la (ou les) difficulté(s) pour orienter le patient vers le bon interlocuteur et à trouver une solution à ces problèmes, qu’ils soient vécus ou anticipés. Il s’agit d’échanges entre les deux professionnels et le patient. Par exemple, le médecin du travail de la consultation ne va pas donner d’avis d’aptitude ou proposer des restrictions par rap- port au poste de travail. Cela relève du rôle du médecin du travail du patient. Avec l’accord du patient, des courriers sont adressés à ces interlocuteurs afin de faire le lien entre les acteurs du soin et ceux de la santé au travail (médecin traitant, cancérologue, médecin du travail, médecin-conseil).

Fonctionnement à l

épreuve de la réalité institutionnelle

Les changements de personnel en milieu hospitalier sont fré- quents. L’équipe a été remaniée à plusieurs reprises. Ces changements ont été parfois déstabilisants pour les patients comme pour l’équipe. Ils ont questionné la notion de conti- nuité dans la prise en charge et ont favorisé l’émergence de nouvelles pratiques. Il est apparu clairement que les consul- tants avaient besoin de s’exprimer, d’être écoutés, conseillés, préparés et accompagnés dans leurs réflexions sur la reprise du travail, au-delà d’une information sur leurs droits, les démarches à effectuer, les acteurs du maintien ou du retour à l’emploi et leurs rôles respectifs. À partir de l’année 2009, de nouvelles modalités d’accompagnement ont été propo- sées pour y répondre. La consultation médicosociale a

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développé un axe de prévention, pour dispenser des conseils

« pratiques » forgés à partir de questions récurrentes des patients et des constats issus de notre expérience d’accom- pagnement (relations et communication avec l’employeur et les collègues, par exemple). En 2010, en complément de l’accompagnement psychologique individuel des patients, un dispositif collectif, de groupes de parole, est mis en place pour répondre, d’une autre façon, à la souffrance ou aux difficultés des patients [3]. De 2010 à 2014, 42 consultants, répartis en cinq groupes, y ont participé. Ce dispositif offre un espace de parole et d’échange pour atténuer le sentiment d’isolement des patients. Il s’appuie principalement sur les ressources psychiques (partage d’expériences, de vécus pour dépasser des difficultés ou des souffrances) mais aussi sur les ressources sociales du groupe (expérience du temps partiel thérapeutique, bénéfices de la reconnaissance en qualité de travailleur handicapé, par exemple) [4].

La prise en charge proposée actuellement par la consulta- tion offre une grande liberté au patient qui peut maintenir le lien avec un ou plusieurs des intervenants. Il peut les rencon- trer ponctuellement pour réaliser un bilan sur sa situation ou être suivi régulièrement. Cette souplesse répond davantage aux besoins ou aux attentes singulières des personnes qui sollicitent le dispositif d’aide à la reprise du travail après cancer. Une fois par mois, les trois intervenants de l’équipe pluridisciplinaire se réunissent pour faire le point sur les situations de chaque patient suivi par la consultation (syn- thèse et transmission d’informations, réévaluation du calen- drier prévisionnel, orientation vers un autre membre de l’équipe, par exemple) et abordent d’éventuelles difficultés de prise en charge (partage de questionnements sur une situation, de résultats de recherches pour répondre à une demande spécifique, réflexion pluridisciplinaire sur ce qui peut faire obstacle à la mise en place du projet du patient).

Malgré des objectifs différents, des similitudes apparaissent avec les « consultations rémission » [5]. La question de la reprise du travail intervient le plus souvent après la fin des traitements. Trois quarts des personnes reçues par la consul- tation d’aide à la reprise du travail après cancer sont en rémission. La consultation offre un étayage à un moment où les patients ressentent un vide, une grande vulnérabilité liés à « la perte de l’effet cadre des traitements » [5]. La rémission, dont le retentissement psychologique est impor- tant, peut interférer avec le processus de reprise du travail [6]. Le dispositif peut permettre d’élaborer la séparation avec l’institution soignante, le monde du soin. Les patients sont libres de « lâcher » le dispositif, de mettre fin à leur prise en charge, comme ils ont vécu un « lâché » de l’institution soi- gnante, à la fin des traitements [5]. Deux hypothèses peuvent être émises : le patient s’appuie sur ses propres ressources pour concrétiser son projet ou alors il abandonne, la consul- tation n’ayant pas réussi à l’aider au regard des solutions envisageables pour résoudre ses difficultés.

Évolution liée à une diversité des demandes des consultants

Lorsque la consultation a débuté, nous nous attendions à recevoir des personnes en arrêt de travail souhaitant préparer leur reprise. Ces situations ne sont partagées que par deux tiers des consultants (Tableau 1). Le dernier tiers rassemble des personnes à la recherche d’un emploi, des personnes jeunes souhaitant être conseillées dans leur choix d’orienta- tion professionnelle, par exemple. D’autres situations, que nous allons développer, ont contribué à faire évoluer nos pratiques. Cette réalité clinique inattendue a non seulement modifié nos modalités de prise en charge, mais a également modulé les objectifs de la consultation.

Effets différés du cancer sur la vie professionnelle

Des personnes qui sollicitent l’aide de la consultation ren- contrent des difficultés après avoir repris leur activité pro- fessionnelle. Ces demandes renvoient à trois types de situations :

quinze pour cent des consultants ont eu un diagnostic de cancer il y a plus de cinq ans. Après avoir repris leur activité professionnelle d’une manière relativement satis- faisante, leur situation s’est dégradée en raison de chan- gements survenus dans l’organisation de travail (restruc- turation, évolution du poste, etc.) ou de l’évolution de leur état de santé (majoration de la fatigue, par exemple).

Ces expériences témoignent d’une vulnérabilité durable dans la vie professionnelle qui peut se révéler après la reprise ;

des patients, ayant poursuivi leur activité professionnelle ont rencontré des difficultés à la fin des traitements. En effet, le retentissement psychique de la fin des traitements est important et conduit souvent à un sentiment de vide, d’abandon et de grande vulnérabilité, parfois difficile à concilier avec l’activité professionnelle ;

plusieurs mois ou plusieurs années après leur prise en charge par la consultation d’aide à la reprise du travail, certains patients sont revenus vers l’équipe. Ils ont identi- fié le dispositif comme une ressource qu’ils peuvent mobiliser face à la survenue de difficultés ou pour s’orien- ter vers de nouveaux projets professionnels.

Ces situations illustrent le processus de reprise du travail mis en évidence dans la littérature [7,8]. Celui-ci comprend une période « initiale » de reprise, juste après la reprise et une période « post-reprise », lorsque le salarié a retrouvé sa pleine capacité de travail, au regard de ses capacités restantes après la maladie. La période « post-reprise » est celle où se révèle l’impact différé des effets du cancer sur la capacité de travail.

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Pendant la période « initiale », les conséquences physiques ou psychologiques de la maladie pénalisent le processus de retour à l’emploi. Dans la période « post-reprise », le manque de soutien de l’environnement de travail se révèle être un facteur de vulnérabilité [7]. Ces constats issus de la clinique rencontrée à la consultation ont renforcé notre activité de suivi de la reprise du travail.

La reprise du travail des patients ne peut être un objectif en soi de la consultation

Dix pour cent des consultants présentent un cancer évolutif ou bénéficient de traitements palliatifs. Ces situations inter- rogent la faisabilité de certains projets de reprise du travail au regard de l’état de santé du patient. Peu d’études portent sur le retour à l’emploi de patients en soins palliatifs [9]. Le fait d’aborder de manière réaliste un tel projet, même s’il n’est pas toujours réalisé, semble avoir des effets bénéfiques pour le patient, en termes de projection, d’objectifs fixés dans le temps qu’il reste à vivre. Dans l’imaginaire social, le mot

« cancer » est associé à un processus de destruction soma- tique conduisant à la mort, mais aussi à un processus de des- truction des rôles sociaux, familiaux et professionnels [10].

La représentation du malade est celle d’un individu qui vit en dehors de la société suite à différentes pertes, comme celles de son autonomie ou de son activité professionnelle. L’ac- compagnement pluridisciplinaire de la consultation pour les patients dont le cancer est évolutif montre que la reprise du travail ou avoir un projet de reprise pourrait être un facteur protecteur face à un risque de désorganisation psychique. La reprise du travail ou son projet répond aux besoins de pour- suivre une vie « normale », de se projeter dans l’avenir en gardant le contrôle de sa vie, d’éviter la désocialisation et permettre ainsi une survie psychique.

La consultation d’aide à la reprise du travail est aussi per- çue comme une ressource pour des personnes qui s’interro- gent ou qui expriment leur souhait de ne pas reprendre leur activité professionnelle. Ces deux derniers types d’accompa- gnement ont modifié le rapport à l’objectif/résultat initial de cette consultation qui était de favoriser au mieux la reprise du travail des personnes qui le souhaitent. Un des indicateurs de résultat par rapport à cet objectif est le taux de reprise des consultants. Parmi l’ensemble des consultants, certains n’étaient pas en capacité de reprendre une activité profes- sionnelle pour des raisons médicales, et d’autres ne le sou- haitaient pas. Le rôle de l’équipe est d’accompagner les consultants dans les projets auxquels ils aspirent réellement.

En l’absence d’activité professionnelle, pendant l’arrêt de travail, les patients investissent de nouvelles activités ou de nouveaux rôles sociaux qui remplissent les mêmes fonctions que le travail. Certains y trouvent un épanouissement, par- fois supérieur à celui trouvé antérieurement dans leur vie

professionnelle. Cela peut alors conduire à ne pas avoir de projet de reprise du travail. Le dispositif est alors perçu comme un espace où un nouveau projet de vie peut être exprimé, sans crainte de ne pas répondre aux attentes socia- les. Avec neutralité et bienveillance, les intervenants infor- ment les patients de leurs droits, d’éventuelles conséquences à anticiper, et les accompagnent dans leur réflexion afin de les aider à faire un choix aussi éclairé que possible, en accord avec eux-mêmes.

Conclusion

Cette consultation pluridisciplinaire d’aide à la reprise du travail est une expérience pilote qui a connu de nombreux remaniements et qui poursuit son évolution. En l’absence de références, il a fallu trouver une manière pertinente d’articu- ler les interventions des professionnels au sein de l’équipe et de s’intégrer au réseau existant de maintien ou de retour à l’emploi. La prise en charge pensée initialement a été mise à l’épreuve, au fil du temps, de la réalité clinique et institution- nelle, pour évoluer au regard des besoins des patients, de la singularité des situations rencontrées et de l’expérience acquise au cours de ces huit années. La réinsertion profes- sionnelle des personnes atteintes de cancer est une problé- matique complexe, recouvrant une réalité clinique hétéro- gène. Il ressort de l’accompagnement de l’équipe l’intérêt d’une prise en charge pluridisciplinaire et au cas par cas.

Le dispositif répond aux recommandations du Plan cancer 2014–2019. Le retour au travail est un processus qui révèle différents facteurs de vulnérabilité. Il est indispensable d’accompagner et de soutenir les patients tout au long de ce processus. La consultation d’aide à la reprise du travail est devenue une ressource pour les patients qui vivent ou anticipent des difficultés liées à la reprise du travail. Elle est identifiée comme un recours possible face à des situa- tions plus spécifiques, encore mal connues et peu étudiées, comme celles des personnes dont le cancer est évolutif ou qui ne souhaitent pas reprendre d’activité profession- nelle. Ces constats ouvrent de nouvelles perspectives en ter- mes de prévention ou de prise en charge. Il s’agit désormais de s’en saisir pour répondre au mieux aux attentes et besoins singuliers d’une population spécifique et hétéro- gène confrontée à la question du retour à l’emploi.

Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références

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www.e-cancer.fr/plancancer-2009-2013. Accessed 23 Nov 2012

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sante.fr/fileadmin/HAUTE-NORMANDIE/rubriques/Votre_Sante/

Votre_environnement/Tableau_de_bord_SE/axe3.1.pdf. Accessed 5 Jul 2013

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