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Enjeux traductologiques de la traduction queer-féministe appliquée aux bandes dessinées américaines des années 1980 : Analyse du comic « Alpha Flight » et de la construction de l’identité homosexuelle de Northstar/Véga

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Academic year: 2022

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Enjeux traductologiques de la traduction queer-féministe appliquée aux bandes dessinées américaines des années 1980 : Analyse du comic « Alpha Flight » et de la construction de l'identité homosexuelle

de Northstar/Véga

ADAM, Gaia

Abstract

Ce mémoire traite du rôle des traducteurices dans la création d'identités queer, notamment via l'exploration de la traduction francophone du comic américain « Alpha Flight » et de l'identité homosexuelle du super-héros Northstar (Véga en français). L'objectif de ce travail est d'évaluer les différentes stratégies de traduction queer-féministe permettant de créer une meilleure représentation des personnages LGBTQIA+. Après le premier chapitre portant sur la traduction féministe, le deuxième chapitre clarifie les notions d'identité queer et de représentation inclusive puis, dans le troisième chapitre, une analyse détaillée de la traduction d'Alpha Flight permet d'observer la construction de l'identité homosexuelle du super-héros Northstar. Une analyse comparative entre le texte source et la traduction publiée fait ressortir la nécessité d'une approche queer-féministe pour produire des textes inclusifs.

ADAM, Gaia. Enjeux traductologiques de la traduction queer-féministe appliquée aux bandes dessinées américaines des années 1980 : Analyse du comic « Alpha Flight » et de la construction de l'identité homosexuelle de Northstar/Véga. Master : Univ.

Genève, 2021

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:155489

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ADAM Gaia

Enjeux traductologiques de la traduction queer-féministe appliquée aux bandes dessinées américaines des années 1980 :

Analyse du comic « Alpha Flight » et de la construction de l’identité homosexuelle de Northstar/Véga.

Directrice : Nathalie Sinagra Decorvet Jurée : Mathilde Fontanet

Mémoire présenté à la Faculté de traduction et d’interprétation pour l’obtention de la Maîtrise universitaire en Traduction et Communication spécialisée multilingue FR-EN-IT

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Déclaration de non-plagiat

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Table des matières

Déclaration de non-plagiat ... 2

Table des matières ... 3

Avant propos ... Erreur ! Signet non défini. Quelques définitions ... 7

Introduction ... 10

1 CADRE THEORIQUE ... 12

Chapitre 1 : La traduction féministe ... 12

1.1 Définitions ... 12

1.2 Etat de la question ... 13

1.2.1 Emergence du mouvement ... 13

1.2.2 Gender studies vs. études de genre ... 14

1.2.3 Fidélité ... 16

1.2.4 Autorité ... 17

1.2.5 La traduction comme outil militant ... 18

1.2.5.1 Intersectionnalité et transnationalisme ... 18

1.3 Stratégies de traduction féministe ... 21

1.3.1 Compensation ... 23

1.3.2 Para-traduction ... 24

1.3.3 Détournement ... 25

1.3.4 Autres stratégies ... 26

1.3.4.1 Canonisation ... 27

1.3.4.2 Commentaire... 28

1.3.4.3 Résistance ... 29

1.3.4.4 Usage de textes parallèles ... 29

1.3.4.5 Collaboration ... 30

1.3.5 Limites de la traduction féministe ... 31

Chapitre 2 : La traduction de personnages queer ... 33

(5)

4

2.1 Notions ... 33

2.1.1 Queer-coding ... 33

2.1.2 Queerbaiting ... 33

2.1.2.1 Romantic coding ... 34

2.1.3 Queer-catching ... 34

2.1.4 Autres pratiques ... 35

2.2 Clichés et stéréotypes ... 36

2.2.1 Les méchant’es queer ... 36

2.3 Stratégies et enjeux de la traduction queer ... 37

2.3.1 Théorie de la traduction queer ... 37

2.3.2 Enjeux et déconstruction ... 39

2.3.3 Stratégies de traduction ... 40

Chapitre 3 : La traduction de bandes dessinées ... 42

3.1 La bande dessinée ... 42

3.2 Format et adaptations culturelles ... 42

3.3 Multimodalité : la relation entre image et texte... 44

3.4 Ellipse et storytelling ... 46

3.5 Les comics américains ... 47

3.5.1. L’Histoire ... 47

3.5.1.1 L’âge d’or ... 47

3.5.1.2 L’âge d’argent ... 48

3.5.1.3 L’âge de bronze ... 48

3.5.1.4 L’âge moderne ... 49

3.5.2 Réécritures et droits d’auteurs ... 49

3.5.2.1 Multivers ... 50

3.5.3 Le Comics Code Authority ... 50

2 ANALYSE... 52

Chapitre 1 : Présentation du texte... 52

1.1 Auteurices ... 52

1.2 Résumé et historique de publication ... 53

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5

1.3 Création du récit et des personnages ... 54

1.4 Personnages ... 55

Chapitre 2 : Analyse ... 56

2.1 Présentation de la méthode d’analyse ... 56

2.2 Analyse du texte et propositions de traduction ... 57

2.3 Bilan ... 71

3 Synthèse et conclusion ... 73

Pour aller plus loin ... 74

Références ... 76

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6

Avant-propos

Lorsque j’ai commencé à rédiger ce travail, j’ai décidé d’utiliser le langage épicène et l’écriture inclusive. J’ai beaucoup lu et réfléchi sur les questions d’écriture inclusive et il existe diverses manières de faire. L’usage du point médiant est l’un des plus communs. Cet usage est assez efficace sur téléphone mobile. Malheureusement, sur le clavier d’ordinateur, le point médian n’existe pas ou est plus compliqué à trouver et à utiliser. C’est pourquoi l’apostrophe est dorénavant utilisée dans certains cercles. Cette forme d’écriture inclusive est intéressante, car elle permet une grande lisibilité – l’apostrophe étant un caractère qui est déjà utilisé couramment –, une facilité d’utilisation, mais aussi une plus grande accessibilité car les liseuses d’écrans ne peuvent pas lire correctement le point médian, tandis que l’apostrophe rend le texte fluide. Un texte inclusif se doit d’être intersectionnel et donc accessible, c’est pourquoi j’ai fait le choix d’utiliser l’apostrophe. Pour ce faire, j’ai d’abord pris connaissance des usages que l’UniGe préconise en matière de langage épicène et d’écriture inclusive.

J’ai choisi d’adopter certains principes présentés par le guide de rédaction inclusive et épicène de l’UniGe, comme l’introduction systématique du féminin des noms de métiers, titres et fonctions (UniGe 2020, point 1), l’utilisation des mots englobants épicènes (point 2) et l’utilisation de l’infinitif (point 3). Cependant, j’ai décidé de ne pas suivre le point 4 du guide qui conseille l’usage des doublets, car cela alourdit le texte. J’utiliserai toutefois la forme contractée (professeur-e) en remplaçant le tiret – ou la barre oblique – par l’apostrophe. Enfin, je vais tout de même utiliser la règle de proximité qui est préconisée par le guide de l’UniGe au point 4.2, ainsi que les néo pronoms inclusifs et non-binaires tels que « iel(s) ». J’explique ce système plus en détails ci-dessous.

L’apostrophe sert à séparer la formule masculine du féminin qui sera le seul à prendre le pluriel lorsque cela est adapté :

Petit’e – petit’es Heureux’se – heureux’ses

Dans le cas d’un masculin pluriel différent du féminin pluriel, c’est toujours la formule féminine qui gardera le marqueur de pluriel, ce qui donne :

Voyageur’ses

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7

Lorsque la langue le permet, je remplacerai l’utilisation des apostrophes par les néologismes de plus en plus utilisés tels que :

Auteurice Traducteurices

J’emploierai également les néologismes suivants :

Néologismes Equivalences

Iel(s) Il(s) / Elle(s)

Ellui Elle / Lui

Celleux Celle / Ceux

Toustes Tous / Toutes

Lea Le / la

Quelques définitions

Bien que les personnes queer existent depuis toujours, leur acceptation au sein de la société est encore loin d’être achevée. Pour cette raison, certains termes spécifiques ne sont pas encore popularisés et connus de toustes car ils s’utilisent le plus souvent dans les milieux militants. J’ai donc dressé un lexique des termes à comprendre et connaître pour faciliter la lecture de ce travail. Les définitions suivantes sont proposées dans l’ordre de complexité afin que chaque concept auquel un terme se réfère ait été établi au préalable. Cette logique permet la meilleure compréhension de l’ensemble du lexique.

Queer

Ce terme est d’origine péjoratif. Il signifie « étrange » et englobe toutes les catégories de personnes sortant des normes cis- et hétérocentrées. Il a cependant été réapproprié par certain’es membres de la communauté. Je l’utilise ici comme synonyme de l’acronyme LGBTQIA+.

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8

LGBTQIA+

L’acronyme le plus connu est « LGBT+ » ou « LGBTQ », mais la lutte évolue et ce nouvel acronyme revendique le fait de représenter plus largement les diverses orientations et identités. Il signifie

« Lesbiennes, Gays, Bisexuel’les, Transgenres, Queer, Intersexes, Asexuel’les/Aromantiques1». Il existe une multitude d’autres identités et elles sont généralement représentées par le symbole « + » ou contenues dans une des catégories citées dans l’acronyme.

Cisgenre

Une personne cisgenre est une personne qui se reconnaît dans le genre qui lui a été assigné à la naissance.

Transgenre

Une personne transgenre est une personne qui ne se reconnaît pas dans le genre qui lui a été attribué à la naissance.

Transidentité

La transidentité est le fait de se reconnaître dans la catégorie « transgenre ». Le terme « transidentité » fait référence au vécu des personnes transgenres.

Non-binaire/Non-binarité

La non-binarité fait partie de la transidentité, puisqu’elle regroupe des personnes qui ne se reconnaissent pas (ou en partie seulement, habituellement) dans le genre qui leur a été assigné à la naissance. Ce sont des personnes qui ne se reconnaissent pas non plus dans la dichotomie homme- femme. Cela découle souvent d’une réflexion sociologique sur le fait que le genre est une construction sociale et que le genre serait donc plutôt un spectre ou un continuum.

Il n’existe pas beaucoup de façons d’écrire inclusives et non-binaires. Ici, je vais simplement utiliser la forme masculine et féminine côte à côte comme décrit plus haut, car c’est une solution qui

1 Je ne détaillerai pas chacun de ces termes car je ne les traite pas dans ce travail.

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9

fonctionne sans devoir changer la langue – ce qui n’est pas le but de mon travail aujourd’hui. Je tiens à préciser qu’en tant que personne ne se reconnaissant pas dans la binarité de genre, je fais ce choix conscient, mais qu’il existe d’autres alternatives.

Amab

De l’anglais « Assigned male at birth », signifie « assigné’e homme à la naissance ». Les hommes cisgenres sont amab. Un homme transgenre est généralement afab.

Afab

De l’anglais « Assigned female at birth », signifie « assigné’e femme à la naissance ».

Passing

Le passing est le fait de s’accorder avec les traits (physiques, comportementaux et même vestimentaires) attribués à un des genres binaires. Exemple : Les robes font partie du passing féminin, ainsi que les longs cheveux, la douceur, le calme, la couleur rose, le maquillage, etc. Les personnes se conformant à ces normes, vont « passer pour » des femmes et être généralement considérées en tant que telles dans la société.

Coming-out

Le coming-out est le fait d’annoncer son identité de genre ou orientation à un certain cercle, qui peut être public, familial ou autre.

Orientation

J’emploie le terme « orientation » plutôt que l’expression « orientation sexuelle », car une orientation n’est pas nécessairement liée au sexe.

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Introduction

Lorsque j’ai réfléchi à ce travail et au sujet que je souhaitais aborder, j’ai lu de nombreux échanges sur les réseaux sociaux concernant les réécritures et réadaptations de personnages queer dans les bandes dessinées américaines. J’ai donc fait l’hypothèse suivante : Par le passé, pas (ou peu) de personnages LGBTQIA+ étaient présents dans la littérature, et aujourd’hui, les mouvements militants se réapproprient les récits et en modifient les personnages pour créer plus d’inclusivité. Cette hypothèse s’est vérifiée en partie seulement. En effet, l’évolution de la représentation LGBTQIA+

est bien présente. On peut notamment observer comment la transidentité a été montrée à l’écran et comment cette vision a changé depuis les débuts du cinéma2. Dans le cas particulier des comics, qui est le point central de ce travail, on note que certains récits étaient – ou en tout cas essayaient d’être – inclusifs dès les débuts de la bande dessinée américaine. Malheureusement, il y a eu des contraintes de contenu dans cette industrie, dues à sa popularisation grandissante dans les années 1940. Ces limitations interdisaient notamment la représentation de violence, de drogue, mais également d’orientations telles que l’homosexualité ou la bisexualité. Aujourd’hui, nous redécouvrons les personnages aux identités diverses qui ont été créés dès les années 1980 et qui ont augmenté considérablement dès les années 1990, mais qui ont fait face à la censure du Comics Code Authority (cf. 3.5.3).

Aujourd’hui encore, il existe un décalage considérable entre l’industrie des comics, au sein de laquelle des personnages queer sont mis en scène, et l’industrie cinématographique qui – notamment si on prend le label Marvel comme exemple – refuse de représenter un baiser entre deux personnes de même genre. La censure qui régnait dès le milieu des années 1950 à cause du Comics Code Authority est désormais exercée ailleurs. Marvel fait en sorte de ne jamais montrer les personnages LGBTQIA+ à l’écran, ou de ne pas dévoiler leur identité de manière explicite. Parfois, cela passe même par la suppression de certains personnages existant dans l’univers des comics.

Partant de mon hypothèse, je souhaitais donc me pencher sur les réécritures queer et féministes dans le monde de la bande dessinée américaine, et plus spécifiquement sur les enjeux des traductions queer-féministes des comics américains des années 1980. Ce travail se centre plus particulièrement sur le traitement de l’identité homosexuelle du super-héros Northstar3 dans sa traduction française.

Mon objectif est de comprendre le rôle que joue la traduction dans l’identité d’un personnage queer.

2 Voir le documentaire « Disclosure: Trans Lives on Screen » (2020) ou, en français, « Identités trans : au-delà de l’image ».

3 « Véga » en français.

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La traduction, puisqu’elle consiste en une adaptation subjective basée sur la compréhension de lea traducteurice du texte source, rendra-t-elle cette identité plus explicite, ou la masquera-t-elle ? Ces questions touchent aux pratiques traductives dans le domaine militant, mais aussi à la culture du public cible. Dans l’histoire du féminisme et des questions de genre, les Etats-Unis ont toujours été plus avancés que la France, et par extension, que la francophonie. Cela a-t-il un impact sur l’acceptation de certains personnages et de certains termes dans la culture francophone et sur leur utilisation et leur formulation lors de leur traduction de l’anglais vers le français ?

Dans le but de répondre à ces interrogations, je commencerai par étudier la littérature et les théories relatives à la traduction queer, féministe, activiste, décoloniale et inclusive. Dans un second temps, j’observerai la tradition de la traduction des bandes dessinées afin d’adopter une stratégie traductive adaptée à ce support. Enfin, dans un troisième et dernier temps, je me pencherai sur un cas concret de héros homosexuel : Northstar (ou Véga), super-héros dans la série Alpha Flight publiée entre 1983 et 1994 aux éditions Marvel. Je présenterai une analyse de l’écriture du personnage depuis ses premières apparitions, ainsi que sa traduction récente en français, en me basant sur la théorie présentée en première partie.

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1 CADRE THEORIQUE

Chapitre 1 : La traduction féministe

Avant d’examiner l’histoire de la traduction féministe et les diverses stratégies qu’elle met en œuvre, je présenterai quelques définitions importantes de ce type de traduction, écrites par les spécialistes du sujet.

1.1 Définitions

Selon Rebecca Ruth Gould et Kayvan Tahmasebian (2020), la traduction activiste ne doit pas être jugée à travers le prisme de la fidélité au texte original. Iels4 jugent que ce procédé permet précisément d’intervenir à différents niveaux sur le texte (Gould & Tahmasebian 2020, 4). Paul F. Bandia (2020) expose ceci :

Translation and activism (…) highlight the agency of the translator or interpreter (or language provider) as the initiator, or proactive catalyst, with the expressed desire to sway or determine the outcome of a situation arising between parties circumscribed by conditions determined by power differentials. (Gould & Tahmasebian 2020, 515)5

Il déclare que cet acte implique nécessairement une plus grande visibilité des modifications faites par les traducteurices sur le texte. En 1997, Françoise Massardier-Kenney expliquait que les stratégies utilisées lors de la traduction féministe sont des stratégies déjà existantes qui ont été adaptées à un contexte particulier et utilisées à des fins féministes (Massardier-Kenney 1997, 55). Manuela Palacios (2014) met en avant le fait que la pratique de la traduction féministe sert à promouvoir les femmes au sein de la société et à créer des espaces de réflexion sur leur rôle. Selon elle, cela ne peut se faire qu’en utilisant la féminisation des textes. Elle cite Martinez Garcia affirmant que :

Women's contributions go unnoticed when we use conventions which either turn to the masculine grammatical gender to refer to a collective who comprises both men and women or employ vocabulary with no gender mark (Martínez García 2014, 89 IN Palacios 2014)6.

4 Le néo pronom « iel » (« iels » au pluriel) est un pronom qui inclut les femmes, les hommes et les personnes non-binaires ou ne se reconnaissant dans aucune de ces catégories.

5 Traduction : « La traduction et l’activisme mettent en évidence l’influence des traducteurices et interprètes. Cette influence agit comme catalyseur proactif de situations entre des personnes de classes sociales différentes. Le but recherché est de contrôler ou déterminer le résultat de tels contextes de déséquilibre de pouvoir. »

6 Traduction : « La contribution des femmes [aussi bien dans les textes que dans la société] est invisible lorsque l’on fait usage de conventions non-genrées ou lorsque l’on emploie le masculin pour se référer à un groupe composé aussi bien d’hommes que de femmes. »

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Quant à Susanne de Lotbinière-Harwood (1991), elle révélait que le but principal d’une traduction féministe était de rendre plus visibles les femmes au sein du texte et donc de la société (Lotbinière- Harwood 1991, 101).

Le point de vue de Françoise Massardier-Kenney me paraît pertinent dans le cadre de mon travail.

Il exprime des notions complexes, qui vont dans le sens d’une pratique de la traduction féministe plus inclusive. Massardier-Kenney explique que, selon elle, il est intéressant de se demander s’il est possible de « rendre visible le sujet féminin » (Lotbinière-Harwood 1991, 101 IN Massardier-Kenney 1997) dans des textes qui ne sont pas considérés comme féministes dans le monde occidental de notre époque, parce qu’ils ont, par exemple, été écrits avant le développement du mouvement féministe.

Elle parle des dangers de l’essentialisation de la figure féminine liés, notamment, à la féminisation des textes. Pour échapper à cela, elle propose une alternative qui n’est pas nécessairement de mettre le féminin en avant mais d’être conscient’e des biais hétéronormatifs et misogynes en vue d’en minimiser les impacts grâce à une traduction féministe (Massardier-Kenney 1997, 57). Dans ce but, elle décrit différentes stratégies à mettre en place pour créer une traduction féministe (cf. 1.3.4).

1.2 Etat de la question

Avant de me pencher sur les stratégies mises en place dans la pratique de la traduction féministe, je vais dresser un bref panorama de la discipline.

1.2.1 Emergence du mouvement

C’est à la fin des années 1970, au Québec, que la traduction féministe fait son apparition dans les cercles d’autrices et de traductrices activistes. Elle se construit sur la base de textes ayant pour objectif la déconstruction des discours hégémoniques centrés sur l’homme. Dans les années 1980, ces textes et traductions expérimentales se multiplient. Diverses autrices qualifient leurs travaux de féministes.

Parmi ceux-ci, se trouvent les textes radicaux de Nicole Brossard, traduits par Barbara Godard, Marlene Wildeman, Fiona Strachan et Susanne de Lotbinière-Harwood, ainsi que diverses traductions de Luise Von Flotow. Ces femmes ont développé des techniques visant à déconstruire le langage conventionnel. Leurs textes expérimentaux montrent un vocabulaire fragmenté, faisant fi des structures grammaticales et syntaxiques et découpant des mots afin d’en examiner le sens caché. Ce sont ces femmes qui ont lancé un mouvement de réflexion sur la langue et sur la place des autrices.

Par la suite, la discipline grandit et de plus en plus d’autrices clament, dans leur préface, avoir écrit

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(ou traduit) de manière féministe. Les revendications s’élargissent et valorisent le désir d’une meilleure représentation des minorités de manière générale.

Depuis 1980, la tradition de la traduction féministe s’est développée, notamment avec des questionnements sur le genre, ainsi que sur l’intersectionnalité du féminisme. J’expose ces questionnements dans les points suivants. En 2021, des ouvrages sont encore publiés sur le sujet de la traduction féministe et invitent à une remise en question des pratiques traductives de manière plus large. Bien que cette discipline existe depuis plus de 40 ans, le domaine de la traduction évolue lentement et a du chemin à parcourir afin de déconstruire ses usages sexistes.

1.2.2 Gender studies vs. études de genre

Les usages en termes de traduction du genre ne sont pas les mêmes au sein de la francophonie qu’aux Etats-Unis. Cela est dû au fait que la théorisation de ces questions et le développement du féminisme sont culturels. Différentes autrices, notamment Olga Castro et Emek Ergun, parlent des

« féminismes » et non pas d’un féminisme singulier. En effet, le féminisme n’est pas global, malgré des questionnements sur la place des femmes qui peuvent paraître universels. La lutte anti-patriarcale s’ancre dans un contexte historique, politique et culturel, ce qui constitue des revendications et des formes de féminismes différents.

L’histoire du féminisme français est très nationaliste. Les militantes françaises des années 1990 rejettent tout ce qui vient d’ailleurs, et surtout des Etats-Unis. Elles n’acceptent aucun apport externe, estimant que leur féminisme est spécifique au contexte culturel et politique français. Les textes féministes américains ne sont donc pas traduits en France. Il en résulte que les théories du militantisme LGBTQIA+ qui s’inscrivent dans la lutte féministe américaine sont occultées par les activistes françaises. Cornelia Möser résume très bien la situation dans sa contribution à l’ouvrage Feminist Translation Studies: Local and Transnational Perspectives, édité par Olga Castro et Emek Ergun en 2017. Elle explique que les féministes françaises ne voulaient pas traduire ou introduire le concept de « gender » dans leurs milieux militants. Cela a empêché le développement des théories du genre et des questions queer. Le féminisme français s’est plus longtemps concentré sur une vision universalisante de « La Femme »7. Le terme « gender » ne paraissait pas cohérent aux yeux des françaises, car elles considéraient qu’il s’agissait d’un concept qui s’appliquait à ce qu’elles

7 Expression employée dans les milieux militants pour se référer à l’absurdité des concepts essentialistes qui sous- entendent qu’il existe un modèle qui serait « la femme parfaite », représentative du vécu de toutes les femmes et à laquelle chaque femme devrait correspondre.

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appelaient « la guerre des sexes » américaine, mais pas au climat français de « séduction » entre homme et femme (Möser 2017, 84). Il y a donc une idée très « hétéro » (et cis) normative qui empêche le débat sur les questions de genre en France. Le terme « genre » comme traduction de « gender » n’est utilisé largement qu’à partir de la fin des années 2000, bien que le paradigme poststructuraliste ne soit pas encore thématisé au sein des cercles féministes.

Du fait de ce retard, le terme « genre » n’a pas réellement la même signification que « gender ».

En français, les questions de genre se rapportent à la dichotomie homme-femme, tandis qu’en anglais elles correspondent au mouvement LGBTQIA+. La France s’attache à un discours binaire qui ne s’ouvre pas à la question queer. Möser explique :

While Delphy’s and Butler’s anti-naturalist take on gender are identical, the theoretical backgrounds of their work differ significantly. (…) When Delphy states that gender precedes sex, she means in a quite Englesian fashion that a social and political economy produces men and women, similar to the way that capitalism produces workers and owners of the means of production. Consequently, her utopia would be a society without gender, whereas Butler’s theory of the performativity of gender, built on the works of linguists John Austin and John Searle, suggests a multiplicity of genders beyond the duality of man and woman–troubling the gender binary to undermine the phallogocentric order. (Möser 2017, 86-87)8

Grâce à cette citation, Möser cristallise l’essence de la différence entre le paradigme américain et le paradigme français. Les figures de Delphy et Butler ont été particulièrement influentes dans leurs sphères féministes respectives. Leurs théories mettent ainsi en lumière la divergence de leurs croyances, et l’objectif final de leurs luttes. La théorie américaine de Butler se base sur la performance de genre et suggère l’existence du genre comme un spectre bien plus vaste que la simple binarité homme-femme. La théorie essentialiste de Delphy considère que le genre se construit avant le sexe, donc avant l’existence. Ce genre est, selon elle, soit féminin, soit masculin, et l’objectif de sa lutte tend à l’effacement de ces identités. On voit donc que d’un côté, le combat féministe pousse à l’exploration d’identités en dehors de la dichotomie homme-femme et à l’acceptation des expressions de genre quelles qu’elles soient, et que de l’autre, le but est de supprimer toute différence.

8 Traduction : « Bien que le point de vue antinaturaliste de Delphy et Butler concernant le genre soit identique, les bases théoriques de leurs travaux diffèrent de manière significative. (…) Quand Delphy déclare que le genre précède le sexe, elle exprime le fait qu’une économie politique et sociale produit des hommes et des femmes, de la même façon que le capitalisme produit des employé’es et des employeur’ses. En conséquence, une société parfaite serait pour elle une société sans genre. Quant à la théorie de Butler sur la performance du genre, elle se base sur les travaux des linguistes John Austin et John Searle. Cette théorie suggère qu’il existe une multitude de genres en dehors de la dichotomie homme-femme. »

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1.2.3 Fidélité

La notion de fidélité est au cœur des stratégies de traduction, et notamment de la traduction féministe. Comme cité précédemment (cf. 1.1), les spécialistes s’accordent à dire que la pratique de la traduction féministe réside dans une traduction plus libre que littérale. Selon les autrices et traductrices féministes que j’ai présentées au point 1.2.1, la relation entre le texte original et sa (ou ses) traduction(s) reprend des codes sexistes. Elles illustrent notamment ce propos en creusant l’origine de l’expression « belles infidèles ». Cette expression est une métaphore de la pratique traductive. Les féministes indiquent qu’elle se calque sur un modèle misogyne qui laisse penser qu’une femme belle est forcément infidèle. En traduction, l’expression « belles infidèles » fait référence aux traductions libres, qui sont donc moins fidèles au texte original dans le sens littéral et qui sont plus créatives, donc « belles » (Chamberlain 1988, 455). Produire une « belle infidèle », c’est ne pas être fidèle au concept de traduction tel qu’on le présente à l’origine : une copie parfaite du texte source. Dans la tradition, les interventions des traducteurices sur le texte ont toujours dû être

« invisibles ». Cette habitude est d’ailleurs toujours bien en place. Il suffit de regarder les livres traduits et de devoir en chercher lea traducteurice pour se rendre compte qu’iel est très rarement en première de couverture ou même en page de titre. La paternité du texte ne lui revient pas (je creuserai d’ailleurs cet aspect plus en détails au point 1.2.4). La traduction est souvent considérée comme une sorte de copie de l’original et plus elle lui ressemble plus elle sera jugée réussie (en termes de fidélité).

Les féministes ayant théorisé cela ont compris l’importance de changer le rôle et la place des traducteurices et de leurs textes. Ce processus ne peut alors se faire qu’en rendant visible la présence des traducteurices dans les textes cibles. C’est pourquoi, la traduction féministe ne se veut pas fidèle, au contraire. Selon Von Flotow :

The modest, self-effacing translator, who produces a smooth, readable target language version of the original has become a thing of the past. As Godard has put it, the feminist translator seeks to flaunt her signature in italics, in footnotes, and in prefaces, deliberately womanhandling the text and actively participating in the creation of meaning (Godard 1988, 50 IN Von Flotow 1991, 76)9

Elle explique comment le rôle des traducteurices change grâce à une pratique différente de la traduction. Cette pratique n’est plus transparente et discrète, mais, comme l’explique Godard, elle se veut visible et personnelle. Selon elle, chaque traducteurice peut offrir son point de vue unique sur le

9 Traduction : « Lea traducteurice modeste, discret’e, produisant un texte cible lisse, et facile à lire, est une chose du passé.

Comme Godard l’a expliqué, la traductrice féministe cherche à afficher sa signature grâce à l’usage de l’italique, des préfaces et des notes de bas de page. Ce faisant, elle femme-œuvre* volontairement le texte et participe activement à la création de sens. »

*Note sur la traduction du terme « womanhandling » par « femme-œuvre » : J’ai voulu créer le pendant explicitement féminin des termes « man-œuvrer » ou « mal(e)-mener ».

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texte et ainsi participer à la création de savoir. La notion de fidélité est ainsi écartée par les premières théoriciennes de la discipline. Les traductions sous le prisme féministe doivent alors devenir

« conscientes » (Massardier-Kenney 1997, 57), « non-conventionnelles » (Palacios 2014, 89) et « re- belles » (Lotbinière-Harwood 1991, 21). Je creuserai ces différentes notions au point 1.3.

1.2.4 Autorité

Puisque la notion de fidélité n’est plus le point central de la traduction dans les pratiques féministes, l’autorité attribuée aux textes source est elle aussi remise en question. Comme je l’ai mentionné, les traducteurices ont eu tendance à s’effacer et à ne pas laisser leur empreinte personnelle dans les textes cible. D’ailleurs, en termes légaux, les traductions ne sont pas automatiquement protégées ; en effet, elles doivent être jugées suffisamment « originales » pour que lea traducteurice perçoivent des droits d’auteur’es. Il apparaît ainsi évident que l’autorité revient le plus souvent aux auteurices des textes source.

Les traductrices féministes déconstruisent ces notions et revendiquent leur position en tant qu’autrices et productrices de textes. La notion d’autorité étant intimement liée à celle de fidélité ou d’« équivalence », il faudrait un changement de paradigme pour que la « paternité » du texte cible soit attribuée systématiquement à son auteurice (cellui qui en a réalisé la traduction). Certaines traductrices féministes du courant poststructuraliste remettent en cause le concept même d’autorité.

Elles considèrent que c’est un concept patriarcal et colonial et questionnent son fonctionnement.

Une stratégie par laquelle les traductions féministes pourraient acquérir plus d’autorité est la stratégie de collaboration expliquée par Françoise Massardier-Kenney que j’aborderai plus en détails au point 1.3.4.5. Elle consiste à avoir plusieurs auteurices traduisant ensemble un même texte. La version finale est donc appuyée non pas par l’interprétation subjective d’une seule personne, mais par la mise en commun – ou la somme – des interprétations individuelles des traducteurices ayant travaillé sur le texte.

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1.2.5 La traduction comme outil militant

La traduction féministe est issue de la tradition activiste du féminisme. J’expose ici comment cette pratique s’inscrit en tant qu’outil militant.

Selon l’Encyclopédie Universalis, le verbe « militer » signifie « combattre, lutter pour une cause » ou « participer activement à la vie d’un parti, d’une association ». Le Dictionnaire Ortolang du CNRTL définit la personne militante en ces mots : « [personne] qui cherche par l’action à faire triompher ses idées, ses opinions ». Dans ces définitions, la notion d’action est toujours présente.

Toute action faite dans le but de faire évoluer le monde en protégeant une cause peut donc être considérée militante. La traduction féministe est une façon d’agir pour faire évoluer la langue et les usages. Les féministes de ce mouvement veulent ouvrir le dialogue sur des notions comme la fidélité, l’autorité, mais aussi la place des femmes et des minorités dans la société, ainsi que la place des traducteurices au sein des textes. Elles le font par diverses stratégies : soit directement en apportant des modifications au texte, sur la base de leurs interprétations, ou dans le but de le « corriger » (Von Flotow 1991) ; soit en analysant et en commentant le texte grâce à des préfaces ou à des notes de bas de page. Je détaillerai ces stratégies au point 1.3.

Grâce aux traductrices féministes, les traductions deviennent donc des armes de pouvoir et des outils de création de savoir. Dans le cadre de ce mémoire, j’explore la traduction féministe appliquée à un type spécifique de littérature, la bande dessinée. Il n’existe pas de théorie de la traduction féministe concernant la bande dessinée, c’est pourquoi je vais me pencher séparément sur ces deux traditions afin de les faire se rencontrer lors de mon exercice pratique d’analyse de texte. Les comics américains, dont est issu le texte original sur lequel se centre mon analyse, ont une longue tradition de censure (cf. 3.5.3). C’est dans ce contexte que je souhaite me pencher sur les stratégies qui pourraient faire évoluer ces textes censurés, notamment dans l’expression de personnages issus des minorités. La traduction féministe permet de se réapproprier les textes et de les rendre plus inclusifs et c’est ce que je souhaite explorer avec l’analyse de texte et les propositions d’adaptation de la traduction.

1.2.5.1 Intersectionnalité et transnationalisme

Comme expliqué dans l’ouvrage Feminist Translation Studies: Local and Transnational Perspectives édité par Olga Castro et Emek Ergun en 2017, les traductions féministes ont parfois eu tendance à se centrer sur une idée de vécu universel, commun à toutes les femmes. Ce discours pose

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plusieurs problèmes : d’une part, il est très essentialisant10, d’autre part, il considère que le combat féministe est juste « une histoire de femmes », ce qui est excluant et irréaliste. En plus de cela, il néglige le fait qu’il existe des relations de pouvoir entre femmes. D’autres oppressions entrent notamment en ligne de compte : le racisme, le classisme11, le validisme12, la transphobie13, etc. Il est nécessaire de les prendre en considération si l’on veut lutter pour toustes les femmes*14, mais aussi pour les minorités de manière plus générale. Dans l’histoire du féminisme, l’idée de ce féminisme universel a mené à des combats très blancs-bourgeois, notamment en France (cf. 1.2.2).

L’intersectionnalité est la prise en compte des différentes oppressions que subissent certains groupes.

C’est une approche qui se veut la plus incluante possible.

De plus en plus, une approche transnationale se développe dans les mouvements féministes américains. Ce qui signifie qu’on ne considère plus des unités nationales, globales, universelles.

Pourquoi ne pas utiliser le terme « international » alors ? Comme l’explique très bien Damien Tissot (2017, 31-32), les stratégies internationales auraient tendance à retomber dans des biais de relations de pouvoir impérialistes et néocoloniales. Ce transnationalisme se base donc sur l’idée de polyphonie (Reimóndez 2017, 42-55) qui donne la parole à des personnes de tous les horizons pour parler de leurs oppressions et de leur féminisme. Diverses branches du féminisme existent et se sont développées sur la base de vécus différents. C’est pourquoi il est nécessaire de ne pas avoir un point de vue qui se veut universel et efface ces vécus, mais plutôt des solidarités entre les féminismes (Reimóndez 2017). María Reimóndez explique brillamment cette idée de polyphonie, et elle cite Bakhtin pour l’exprimer :

The essence of polyphony lies precisely in the fact that the voices remain independent and, as such, are combined in a unity of a higher order than in homophony. If one is to talk about individual will, then it is precisely in polyphony that a combination of several individual wills takes place, that the boundaries of the individual will can be in principle exceeded. (Bakhtin 1984, 21 IN Reimóndez 2017, 44)15

10 Essentialisme : En philosophie, théorie selon laquelle l’essence précède l’existence (Encyclopédie Universalis). Dans le contexte féministe, le concept d’essentialisme est critiqué car il suppose des prédispositions biologiques à l’existence féminine, ce que le mouvement réfute. « On ne naît pas femme, on le devient » disait Simone de Beauvoir qui avait très bien capturé l’idée que le genre se construit socialement.

11 Discrimination sur la base de la classe ou du rang social.

12 Discrimination basée sur les capacités – physiques ou mentales – d’une personne. Les normes sont généralement validistes car les choses sont pensées pour les personnes valides et non pas pour les personnes en situation de handicap.

13 Discrimination sur la base de la transidentité.

14 Formule qui inclut les personnes qui ont un vécu lié à la condition féminine. Cela inclut notamment les personnes non- binaires qui ont un passing féminin, les personnes afab et les personnes qui s’identifient en partie seulement à cette identité mais qui subissent l’oppression patriarcale.

15 Traduction : « L'essence même de la polyphonie réside dans le fait que chaque voix demeure indépendante et, en tant que telle, se combine aux autres pour donner naissance à une unité d’ordre supérieur à l’homophonie. C’est précisément

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Cette citation met en évidence la nécessité de l’indépendance des diverses voix. C’est uniquement de cette manière que la vraie polyphonie peut avoir lieu. C’est pourquoi, afin de donner la parole aux minorités, il est d’abord nécessaire de prendre conscience des relations de pouvoir présentes entre les langues. L’anglais s’imposant comme langue hégémonique de la scène internationale, il est facile de tomber dans ces biais et de ne lire et n’écouter que celleux qui s’expriment et sont traduit’es en anglais. Aussi, la langue forge notre manière de penser et de voir le monde, ce qui implique que communiquer toujours dans la même langue empêche de percevoir et d’appréhender d’autres réalités.

Pour illustrer cette thèse, María Reimóndez (2017, 45) cite Francine Descarries (2003, 628): « the language of communication necessarily imposes restrictions and constraints on our ways of saying and seeing things »16. Ce qui met en exergue l’importance de ne pas communiquer uniquement dans les langues coloniales (français, anglais, allemand, etc.) mais d’écouter d’autres voix. Il faut également que ces voix soient traduites pour pouvoir être entendues et créer une véritable polyphonie.

Comme mentionné plus tôt, la traduction se base aussi sur des relations de domination. Le plus souvent, les textes seront publiés et traduits de la langue hégémonique qui assied sa légitimité (anglais) vers les autres langues. Ce qui ne permet pas de créer un point de vue transnational mais s’appuie uniquement sur les vécus de certaines personnes, qui ont accès à cette langue (Tissot 2017).

Selon Wolf :

Translation as a social practice which, among other things, foregrounded the role of the agents involved in the translation process. (…) Any translation is necessarily bound up within social contexts: on the one hand, the act of translating, in all its various stages, is undeniably carried out by individuals who belong to a social system; on the other, the translation phenomenon is inevitably implicated in social institutions, which greatly determine the selection, production, and distribution of translation. (Wolf 2012, 134 IN Gould & Tahmasebian 2020)17

Cette citation rappelle que les pratiques traductives sont ancrées dans un système et participent à la création et à la transmission de savoir dans une société donnée (Sánchez 2017, 59). Wolf explique que chaque étape du processus de traduction – du choix des textes à la production – est exercée par des personnes se trouvant dans un système. La traduction est une activité qui reprend des codes sexistes, racistes et patriarcaux car elle est réalisée par des personnes vivant dans une société avec ces biais. Ainsi, Wolf indique que la pratique même de la traduction est coloniale. C’est pourquoi, comme

grâce à la polyphonie qu’une composition de plusieurs volontés individuelles peut exister et que les limites de cette volonté individuelle peuvent généralement être dépassées. »

16 Traduction : « La langue dans laquelle nous communiquons impose nécessairement des contraintes et des restrictions sur notre manière de dire et de voir les choses. »

17 Traduction : « La traduction en tant que pratique sociale qui a, entre autres, souligné le rôle des personnes impliquées dans le processus de traduction. Toute traduction est liée à un contexte social : d’un côté, l’acte traductif est exercé, à chacune de ses étapes, par des sujets sociaux ; d’un autre côté, la pratique traductive est inévitablement inhérente à des institutions sociales, ce qui détermine grandement la sélection, la production, ainsi que la distribution des traductions. »

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le propose Reimondez, il faut remettre en question ce fonctionnement et laisser de la place à des discours alternatifs.

1.3 Stratégies de traduction féministe

Après avoir présenté la traduction féministe et ses enjeux, je vais maintenant détailler les différentes stratégies mises en place par les traductrices afin de créer des textes féministes. J’exposerai d’abord les trois stratégies proposées par Luise Von Flotow en 1991, pour ensuite explorer celles de Françoise Massardier-Kenney (1997).

J’ai établi plus tôt qu’une traduction s’inscrit toujours dans un système de domination, avec des relations et des jeux de pouvoir. Pour essayer d’en sortir, des traductrices féministes ont créé des stratégies de traduction. Dans cette partie, je vais d’abord définir le contexte et les bases à observer pour la traduction féministe d’un texte, puis, je détaillerai plus précisément les stratégies qu’il est possible de mettre en place.

Afin de sortir des schémas de domination et d’oppression, il est tout d’abord nécessaire d’adopter un point de vue réflexif (Ergun & Castro 2017, 94). Il s’agit de prendre conscience de ses propres privilèges et des relations de pouvoirs existantes, afin d’analyser le texte original d’un point de vue féministe. Cette méthode permet d’observer si des relations de pouvoir transparaissent au sein d’un texte. Emek Ergun et Olga Castro proposent une solution pour apprendre et enseigner la traduction féministe. Elles nomment cette méthodologie « pédagogie féministe » (Feminist Pedagogy) et l’expliquent ainsi :

Engaged teaching/learning-engaged with self in a continuing reflective process, engaged actively with the material being studied, engaged with others in a struggle to get beyond our sexism and racism and classism and homophobia and other destructive hatreds and to work together to enhance our knowledge; engaged with the community, with traditional organizations, and with movements of social change. (Shrewsbury 1987, 8 IN Ergun & Castro 2017)18

Ergun et Castro mettent en avant le terme « engagé’e » qui se réfère à l’attitude que doivent adopter les traductrices féministes, les personnes enseignant la traduction féministe, ainsi que celles qui souhaitent l’étudier. Cette posture engagée permet de travailler avec les autres, avec la communauté

18 Traduction : « Un enseignement et un apprentissage engagé avec soi dans un processus réflexif constant, engagé activement avec le matériel étudié, engagé avec les autres dans une lutte pour dépasser notre sexisme, racisme, classisme, homophobie et autres haines destructives, afin de travailler ensemble à accroitre notre connaissance ; engagé avec la communauté, avec les organisations traditionnelles ainsi qu’avec les mouvements de lutte sociale. »

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et d’adopter un point de vue réflexif. Elle offre également la possibilité de déconstruire notre propre sexisme, racisme, classisme et homophobie.

Lola Sánchez (2017, 57-59) propose une approche foucaldienne qui questionne autant ce qui est dit (ou traduit) que ce qui ne l’est pas et la façon dont le choix s’opère. Dans ce contexte, il est pertinent d’étudier les stratégies traductives d’adaptation à la culture cible. Lea traducteurice doit faire des choix, sur la base des théories d’assimilation ou d’étrangéisation. Ces choix doivent tenir compte du contexte social, historique, politique, culturel, institutionnel, discursif dans lequel le texte a été écrit et dans lequel le texte est traduit. Afin de faire ces choix, lea traducteurice doit se questionner sur la raison pour laquelle ce texte a été choisi parmi d’autres afin d’être traduit. La citation suivante décrit parfaitement cela :

Translation is not an innocent, transparent activity, but is highly charged with significance at every stage; it rarely, if ever, involves a relationship of equality between texts, authors or systems. (Bassnett & Trivedi 1999, 2 IN Sánchez 2017, 59)19

Comme le notent Bassnett et Trivedi, la pratique traductive n’est jamais innocente. Au contraire, elle reflète des biais sociétaux et révèle les inégalités au sein du système. En effet, il n’existe que très rarement, voire jamais, selon Bassnett et Trivedi, de relation d’équité entre les textes, les auteurices et les systèmes. Les traductrices féministes présentées ci-dessous tentent de modifier cet ordre des choses, ou du moins, de le questionner et d’en proposer des alternatives.

Dans les années 1980, diverses autrices20 créent des textes et des traductions qu’elles décrivent comme féministes. Parmi ceux-ci, se trouvent notamment les textes radicaux de Nicole Brossard, traduits par Barbara Godard, Marlene Wildeman, Fiona Strachan et Susanne de Lotbinière-Harwood.

Ces femmes ont développé diverses techniques pour déconstruire le langage conventionnel. Ces textes expérimentaux étaient caractérisés par un vocabulaire fragmenté, faisaient fi des structures grammaticales et syntaxiques et découpaient des mots afin d’en examiner leur sens caché. Nicole Brossard par exemple, utilisait le mot « dé-lire » pour transmettre deux idées en parallèle : le fait d’en quelque sorte « défaire » la lecture de quelque chose et le sens traditionnel du terme « délire » (Von Flotow 1991, 73).

Luise Von Flotow décrit trois stratégies : la compensation (supplementing), la para-traduction (prefacing and footnoting) et le détournement (hijacking).

19 Traduction : « La traduction n’est pas une activité innocente et transparente ; chaque étape est hautement révélatrice.

Elle implique rarement, voire jamais, une relation d’équité entre les textes, les auteurices ou les systèmes. »

20 Luise Von Flotow (1991) explique qu’il n’existe qu’un seul traducteur (homme) féministe à l’époque, ou du moins qui se targue de l’être. C’est pourquoi j’utiliserai le féminin pour parler de ce groupe de traductrices féministes.

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1.3.1 Compensation

La compensation (supplementing) est une stratégie classique de traduction qui consiste en une altération volontaire du texte afin de l’adapter à la culture cible, par la compensation de certaines pertes dues à une traduction non-équivalente. Dans le cadre des traductions féministes, cette méthode est utilisée pour mettre en exergue, consciemment, des arguments féministes ou dans le but de visibiliser le féminin. Dans ce contexte, la compensation devient alors non plus une adaptation à la culture cible, mais une déformation consciente du texte dans le but de diffuser une idéologie. Cette stratégie est parfois également utilisée pour mettre en avant les absurdités du langage patriarcal utilisé dans l’original. Au contraire, elle peut aussi servir à traduire des textes déjà féministes en s’assurant de ne pas perdre le discours politique dans une traduction non-féministe faite par une personne qui n’est pas concernée par le sujet. Von Flotow cite un exemple d’une traduction de l’Euguélionne, de Louky Bersianik, par Howard Scott, qui est présenté comme le seul traducteur (homme) féministe (Von Flotow 1991, 71). La phrase suivante est tirée d’un texte de l’époque qui analyse la politique en vigueur en termes d’avortement : « le ou la coupable doit être punie. » Le participe passé étant au féminin, on suppose que c’est la femme qui subira une punition si elle a recours à l’avortement. En grammaire anglaise, il n’y a pas d’accord de genre ; il n’est donc pas possible de rendre cette phrase dans une traduction littérale. La solution créative d’Howard Scott est « The guilty one must be punished, whether she is a man or a woman. » Il a eu recours à la stratégie de compensation pour rattraper une perte. En écrivant « whether she is », il suggère, comme la version française, que la personne qui sera punie est nécessairement une femme. Le texte cible est ainsi compréhensible pour une personne anglophone, car il s’applique à sa langue. Un autre exemple est la traduction du titre

« Amantes », texte de Brossard, par Barbara Godard. Le terme anglais n’étant pas genré, Godard décide de le transformer en « Lovhers ». Une traduction ingénieuse qui met en avant le féminin dans ce titre.

Supplementing identifies the ways in which translators make visible in the target texts what they understand as the distinguishing linguistic and cultural features as well as the political agendas of the source texts. (Flotow 1991, 76-78 IN Pas and Zaborowska 2017, 142)21

Cette citation illustre les risques de la compensation. Toute traduction est une œuvre subjective. Il est alors possible qu’un’e traducteurice mette en avant ce qui selon ellui est pertinent et qu’il y ait tout de même des pertes sur d’autres points du texte qui ne lui sont pas apparus comme étant relevants.

Cela pose la question de la confiance dans la traduction, que je développe au point 1.3.5.

21 Traduction : « La compensation met en avant les façons dont les traducteurices rendent visibles dans le texte cible ce qu’iels considèrent être les caractéristiques linguistiques et culturelles du texte source, ainsi que ses aspects politiques. »

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1.3.2 Para-traduction

La para-traduction22 (prefacing and footnoting) est la traduction, mais aussi l’ajout, de préfaces et de notes de bas de page. Les préfaces permettent aux traductrices féministes d’argumenter leur procédé de traduction et de commenter leur travail. Les notes de bas de page peuvent servir à expliquer un choix de traduction, en faisant référence à l’original. Elles peuvent aussi détailler des connotations qu’il y avait dans le texte source. Ces techniques servent également à rendre visible la présence des traductrices dans le texte (Von Flotow 1991, 76-77). Cette stratégie existe dans la traduction classique (non-féministe) et consiste principalement à expliquer des termes intraduisibles (realia), des connotations ou des sous-textes et références culturelles qui pourraient ne pas être aussi évidentes pour les lecteurices cible que pour les lecteurices source.

Dans la version anglophone d’Amantes, Godard recontextualise le texte et en dresse une interprétation dans la préface. Elle commente ensuite sa propre traduction, en la mettant en lien avec cette interprétation du texte source. Dans la traduction féministe de La Lettre aérienne de Brossard, Marlene Wildeman ajoute de nombreuses notes de bas de page pour indiquer des références qui développent certains concepts présents dans le texte source. Cette traductrice constitue donc une sorte de bibliographie pour que les lecteurices intéressé’es puissent approfondir leurs connaissances grâces aux liens fournis en notes de bas de page. Par ailleurs, Wildeman détaille la manière dont elle s’y est prise pour traduire différents néologismes comme le terme « essentielle ». Luise Von Flotow dit, en parlant du travail de Wildeman, « dans l’approche de Wildeman, la traduction féministe devient un outil d’apprentissage étayé de recherches académiques. La question du public cible est ici particulièrement importante » (1991, 77)23. Bien que ce support éducatif créé par Wildeman soit très intéressant, il faut tenir compte du public cible. Marlene Wildeman s’adresse à des personnes peut- être déjà investies dans le sujet, mais n’intéresse probablement pas (ou peu) le grand public. Son œuvre est donc moins accessible, ce qui constitue le risque principal de cette stratégie et de la traduction féministe de manière générale.

22 Cette traduction est une proposition personnelle.

23 Citation originale : « In Wildeman’s approach, a feminist translation becomes an educational tool supported with scholarly research. Here the question of the targetted readership is very important. »

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1.3.3 Détournement24

Le terme « hijacking », bien que critiqué par certaines théoriciennes de la discipline, est utilisé par Von Flotow pour décrire un procédé qui consiste à transformer le texte et à ne pas s’astreindre à une traduction « transparente ». Un exemple est de féminiser le texte ou d’utiliser l’écriture inclusive, comme le fait Lotbinière-Harwood. Ce terme, hijacking, vient justement d’une critique du travail de Susanne de Lotbinière-Harwood sur le texte Lettres d’une autre de Lise Gauvin. Un journaliste et traducteur québécois, David Homel, déplorait l’excessive intervention de la traductrice Lotbinière- Harwood. Il expliquait que sa présence « intrusive » détournait le travail de l’autrice (Homel 1990)25. Selon Luise Von Flotow (1991, 78-80), en plus du fait que Lotbinière-Harwood ait travaillé en étroite collaboration avec Lise Gauvin et était autorisée à ajouter son point de vue à l’œuvre, elle exerce simplement son droit d’écrire. Von Flotow reprend alors ce terme « hijack » pour décrire la stratégie de traduction féministe qui consiste à se réapproprier le texte. La traductrice devient alors autrice et le texte reflète ses opinions politiques (Von Flotow 1991, 79). Lotbinière-Harwood annonce l’objectif de son travail dans une préface :

Lise Gauvin is a feminist, and so am I. But I am not her. She wrote in the generic masculine. My translation practice is a political activity aimed at making language speak for women. So my signature on a translation means: this translation has used every possible translation strategy to make the feminine visible in language. Because making the feminine visible in language means making women seen and heard in the real world.

Which is what feminism is all about. (Lotbinière-Harwood 1990, 9 IN Von Flotow 1991, 79)26

Les interventions de Lotbinière-Harwood sur le texte Lettres d’une autre faisant partie de la stratégie de détournement sont multiples. Comme mentionné plus tôt, elle fait usage de l’écriture inclusive, en corrigeant le masculin « québécois » par le néologisme « québécois-e-s » en anglais.

Elle contourne le masculin générique grâce à des stratégies d’omission ou de reformulation : elle a par exemple traduit « la victoire de l’homme » par « our victory »27 qui supprime la mention du masculin. Elle place le féminin en première position dans des expressions du type « women and

24 Cette traduction est une proposition personnelle.

25 Citation originale : « the translator […] is so intrusive at times that she all but hijacks the author’s work. »

26 Traduction : « Lise Gauvin est féministe. Je le suis également. Mais je ne suis pas elle. Elle a écrit au masculin générique. Ma pratique traductive est une activité politique visant à faire parler le langage au féminin. Ainsi, ma signature sur une traduction témoigne que cette traduction a usé de chaque stratégie possible pour rendre le féminin visible dans la langue. Car rendre le féminin visible dans le langage signifie faire en sorte que les femmes soient vues et entendues dans la vraie vie. Ce qui est l’objectif-même du féminisme. »

27 Traduction : « notre victoire ».

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men »28. Enfin, elle pointe du doigt des usages absurdes du langage en utilisant des guillemets. Elle le fait notamment avec l’expression anglaise qui qualifie les femmes de « "reines" des fourneaux ».29

On peut donc observer avec ces quelques exemples que c’est bien un retravail du texte en profondeur. C’est une stratégie qui est plus risquée en termes de réception. Il se peut que le public, tout comme David Homel, n’apprécie guère ce « détournement » et ne souhaite pas lire la traduction alors que l’original aurait pu l’intéresser. Dans ce cas particulier, le texte source de Lise Gauvin est un texte féministe ; le public cible est donc adapté et probablement plus réceptif à ce genre de modifications. Cette situation – et je souligne encore une fois l’accord de l’autrice – se prêtait plutôt bien à ce type d’exercice. Néanmoins, il est nécessaire de prendre en compte le fait que cette stratégie n’est pas toujours réaliste dans l’industrie de l’édition actuelle.

1.3.4 Autres stratégies

Françoise Massardier-Kenney (1997) présente des stratégies supplémentaires qui sont centrées soit sur l’auteurice soit sur la traductrice. Elle précise qu’il existe d’autres façons de classifier les textes, mais que ces deux catégories sont particulièrement pertinentes dans le contexte de la traduction féministe, car elles mettent en exergue l’importance d’avoir des femmes autrices et traductrices. Dans les stratégies centrées sur l’auteurice, Massardier cite la canonisation (recovery), le commentaire (commentary) et la résistance (resistancy)30. Parmi celles qui se concentrent sur le point de vue des traductrices, elle cite à nouveau le commentaire, ainsi que l’usage de textes parallèles (use of parallel texts) et la collaboration (collaboration). Massardier précise que par « auteurice » elle entend

« producteurice de textes » (1997, 59) et que les stratégies centrées sur l’auteurice visent à rendre le texte accessible (ibid., 62). Elle situe également sa deuxième catégorie, centrée sur la traductrice, comme une alternative au discours classique centré sur les lecteurices. Elle souhaite observer non pas la réception du texte ou le public cible, mais la position des traductrices, leurs motivations et leurs intentions.

28 Traduction : « femmes et hommes ».

29 Citation originale : « “Masters” of the kitchen » (Von Flotow 1991, 79).

30 La traduction de ces trois stratégies est une proposition personnelle.

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1.3.4.1 Canonisation

La traduction féministe n’a pas uniquement pour but de mettre en avant le féminin dans un texte, mais aussi de promouvoir des textes féministes et/ou des textes écrits par des autrices oubliées. Cette pratique a notamment permis de faire redécouvrir des textes de George Sand ou de Germaine de Staël, qui sont entrés dans le canon et sont maintenant considérés comme des classiques en littérature, notamment française et francophone. Selon Massardier-Kenney :

The first author-centred strategy, recovery, consists of the widening and reshaping of canon. One possible way to define what feminist means in the context of translation is to take "women's experience as a starting point", as de Lotbiniere-Harwood has suggested (1991 :73), and to contribute through translation to a rethinking of the canon from which women's experience has been excluded. (Massardier-Kenney 1997, 59)31

Ces quelques phrases de Françoise Massardier-Kenney mettent en lumière un problème essentiel dans la visibilisation des femmes au sein de la société, le fait qu’elles soient exclues du canon. Les femmes ont toujours été productrices de textes. Simplement, leur travail a rarement, voire jamais, été retenu comme suffisamment important, intéressant et pertinent. La canonisation (recovery) est une stratégie qui permet de rechercher ces textes et de les intégrer au canon. Elle permet également de déconstruire le concept de canon et de réfléchir à ce qui y est généralement admis.

Cette stratégie n’est pas une stratégie de traduction à proprement parler. Elle ne consiste pas à faire des modifications ou des adaptations du texte, mais à choisir de traduire certains textes plutôt que d’autres. Elle agit donc au niveau de la distribution et de la promotion de textes féministes, de textes écrits par des femmes ou des minorités, et de textes avec un style non-conventionnel ou différent de la norme imposée par les auteurs hommes blancs cisgenres, hétérosexuels et valides.

Le risque de cette stratégie est de tomber dans des biais d’oppression entre femmes. Si un point de vue intersectionnel et transnational n’est pas adopté, il est probable d’assister à la naissance d’un nouveau canon incluant les femmes, mais uniquement les femmes blanches.

31 Traduction : « La première stratégie centrée sur l’auteurice, la canonisation, consiste à élargir et à repenser le canon.

Une manière de définir le sens du terme "féministe" dans le contexte traductif est de "prendre l’expérience des femmes comme point de départ", comme de Lotbinière-Harwood l’a suggéré (1991, 73) et de contribuer, grâce à la traduction, à cette modification du canon, duquel les femmes et leurs expériences ont toujours été exclues. »

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