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Chapitre 3 : La traduction de bandes dessinées

3.5 Les comics américains

Les premiers comics américains ont fait leur apparition dans les années 1940. Le comic américain, tradition sur laquelle je me centre dans ce travail, a connu plusieurs périodes : l’âge d’or, l’âge d’argent, l’âge de bronze et l’âge moderne. Ces périodes correspondent à différents codes dans les récits. Pour comprendre les types de héro’ïnes qui sont créé’es et la façon dont iels sont dépeint’es, il est fondamental de connaître ces différentes périodes. Je vais donc en présenter un panorama, puis expliquer la notion de multivers ainsi que la création du Comics Code Authority.

3.5.1.1 L’âge d’or

Le premier super-héros de la bande-dessinée américaine est Superman, qui est publié en 1938.

Avec la montée du nazisme en Allemagne et la crise boursière de 1929, Superman défend les valeurs des Etats-Unis qui sont le courage, la démocratie, le partage et la communauté. Superman connait un grand succès et les maisons d’éditions multiplient les super-héro’ïnes dans le même genre. Captain America voit le jour ; c’est un soldat (doté de pouvoirs surhumains) dans la guerre contre l’Allemagne nazie. C’est également dans cette période que la première équipe de super-héro’ïnes est formée. Avec elle, naît l’idée que les super-héro’ïnes vivent toustes dans le même univers de fiction (cf. 3.5.2.1).

Cette période se termine peu après la fin de la seconde guerre mondiale, car les super-héro’ïnes, qui combattaient jusque-là les ennemis du gouvernement américain, se retrouvent sans adversaires.

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3.5.1.2 L’âge d’argent

Dans les années 1950, une idée selon laquelle les comics pervertiraient la jeunesse se développe, notamment suite à un ouvrage du psychiatre Fredric Wertham qui expose cette thèse. L’industrie crée alors un organisme de contrôle des bandes dessinées afin d’en vérifier le contenu avant d’en accepter la publication. C’est à la suite de la création de cette charte que débute l’âge d’argent, avec des personnages qui conservent leurs anciennes valeurs telles que la bravoure, la bienveillance, le courage, et en incarnent de nouvelles telles que le respect des autorités. Les personnages créés à cette époque sont plus humains ; bien qu’ils restent dotés de superpouvoirs, ils ne sont plus omnipotents et doivent se conformer au respect des lois, ou des personnages humains qui les entourent. Afin de rendre ces héro’ïnes plus humain’es, il y a également un focus particulier sur la (pseudo)science.

C’est de cette manière que vont survenir les pouvoirs des protagonistes. Un très bon exemple de ces nouveaux’elles super-héro’ïnes est Spiderman, dont l’identité humaine est Peter Parker. C’est un adolescent avec des problèmes familiaux et des peines de cœur qui doit cacher son identité de super-héros. Il a donc des problématiques plus humaines et proches du lectorat. En outre, il acquiert ses pouvoirs après une morsure d’araignée, qui provoque une réaction chimique dans son corps et fait muter une partie de son ADN. Le fait que Peter Parker soit obligé de cacher son identité en tant que Spiderman est directement lié au respect des autorités. Les super-héro’ïnes doivent prouver leur bienveillance et font face à la méfiance des gens, et surtout de la police.

La xénophobie commence à être thématisée durant cet âge, notamment avec le groupe des X-Men qui est un groupe de mutant’es discriminé’es par la société dans laquelle iels vivent. Iels doivent alors créer des espaces spéciaux pour être en sécurité et s’entre-aider à développer et à gérer leurs pouvoirs.

Wolverine fait notamment partie de ce groupe et a des liens importants avec l’équipe originelle d’Alpha Flight que je présenterai dans le chapitre suivant (cf. 1.2).

3.5.1.3 L’âge de bronze

Dans cette période nommée l’âge de bronze, qui débute dans les années 1970, des problématiques sociétales sont abordées au sein des récits : le racisme, la pollution, la surpopulation, etc. De nombreux personnages noirs sont créés, comme celui de Luke Cage, qui est un des premiers super-héros noirs à avoir sa propre série et à en être le personnage principal. Les questions de drogue sont également traitées dans certains comics, notamment dans les numéros 85 et 86 de la série Green Lantern/Green Arrow.

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C’est lors de cette période qu’est lancée l’idée d’Alpha Flight avec son introduction en 1979 dans un épisode des X-Men. Cette équipe est d’ailleurs marquée par cette période et la série cherche à représenter des héro’ïnes hors des Etats-Unis, avec des problématiques différentes.

3.5.1.4 L’âge moderne

L’âge moderne voit naître un genre très différent de récits. Dès le milieu des années 1980, les histoires sont plus sombres et les personnages moins manichéens. Quelques-uns de ces récits font même face à un changement de format et sont publiés avec une couverture cartonnée, comme Batman:

The Dark Knight Returns par exemple. Le Batman de cette époque est d’ailleurs un bon exemple de l’âge moderne, car c’est un personnage torturé dont les intentions sont parfois douteuses. Il œuvre plus par vengeance que pour le bien des citoyen’nes de Gotham59, et cela marque un tournant dans la perception des super-héro’ïnes dans la tradition des comics. L’âge moderne est celui dans lequel nous nous trouvons actuellement. Les points de vue se multiplient, des anti-héro’ïnes sont mis’es en avant et les personnages se complexifient. Récemment, le film Joker (2019) est sorti et il marque cette époque qui centre certains de ses récits sur les « méchant’es », en les humanisant et en en faisant parfois même des héro’ïnes.

3.5.2 Réécritures et droits d’auteurs

Dans le monde des comics de super-héro’ïnes américains, il est tout à fait d’usage d’écrire et de réinventer les personnages. Cette pratique vient du fait que traditionnellement les récits et les héro’ïnes n’appartenaient pas à un’e auteurice mais aux maisons d’éditions. En raison du rythme de parution, il était plus simple d’avoir une collaboration de différent’es artistes plutôt qu’un duo auteurice-illustrateurice qui dure. A la fin des années 1970, suite à de nombreux procès, la tendance change et les personnages appartiennent désormais à leur créateurice original’e. Les artistes sont aujourd’hui crédité’es en couverture de chaque nouveau comic. Il arrive d’ailleurs que les traducteurices utilisent également cet espace pour se créditer.

L’univers des comics a tout de même conservé une grande tradition de réappropriation des personnages par différent’es artistes. Il est donc très fourni et complexe et fait souvent face à des réécritures, ou des nouvelles versions de certains de ses personnages60. Cela peut être dans le but

59 Gotham est une ville fictive dans laquelle vit Batman.

60 A l’occasion de ce mémoire, j’ai notamment eu l’occasion de lire le comic Alpha Flight et plusieurs de ses versions.

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d’enrichir un personnage et son histoire, mais aussi parfois simplement de l’adapter à des problématiques contemporaines. Dans les versions plus récentes que j’ai lues de la série Alpha Flight notamment, on peut observer des baisers et des mentions explicites de l’orientation de Jean-Paul Beaubier (Northstar/Véga), tandis que dans la version classique que j’ai analysée pour ce travail, les indices sur son identité queer sont bien plus discrets.

3.5.2.1 Multivers

Les super-héro’ïnes d’une même maison d’édition évoluent le plus souvent dans le même univers fictif. Cela permet de créer du lien entre les personnages et d’en introduire de nouveaux par le biais d’une série plus connue et appréciée du lectorat. C’est d’ailleurs le cas pour l’équipe d’Alpha Flight qui a d’abord été présentée au moyen de la série The Uncanny X-men. Dans les années 1970, de plus en plus de personnages visitent l’espace ou en sont originaires. L’univers s’élargit encore et les réinterprétations de certains personnages se multiplient. L’univers devient tellement complexe que les maisons d’éditions prennent la décision d’en faire un multivers basé sur la théorie des dimensions parallèles. De là, les créateurices obtiennent une liberté quasi-totale de réinvention des personnages classiques et s’amusent à créer des univers parallèles et des temporalités différentes. Ce multivers ne comprend pas uniquement les publications littéraires mais parfois également les jeux vidéo, films et séries. Chaque œuvre s’appuie sur cette base et on y trouvera souvent des clins d’œil ou des références à l’univers et à ses personnages. Il peut être compliqué de s’y retrouver en tant que nouveau’elle lecteurice. Le rôle des traducteurices est donc de saisir ces références et de les transmettre, mais également d’en fournir une explication si l’œuvre à laquelle il est fait référence n’est pas traduite dans la langue cible.

Dans la série que j’analyse lors de ce travail, le groupe Alpha Flight est créé en opposition aux Avengers. Ainsi, une sorte de concurrence s’installe entre les deux équipes de super-héro’ïnes et la série Alpha Flight inclut de nombreux traits humoristiques basés sur leurs différences.

3.5.3 Le Comics Code Authority

Dans les années 1950, par peur que les jeunes ne subissent une mauvaise influence du fait de leur lecture des bandes dessinées, une charte a été créée aux Etats-Unis : le Comics Code Authority (CCA).

Cette charte interdit la représentation et la « romantisation » de déviances (au sens sociologique du terme : le terme désigne tout ce qui n’appartient pas à la norme jugée acceptable). Les identités queer, tout comme la drogue et la violence, en font partie. Ainsi, il n’est pas permis de représenter des

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personnages queer, ou en tout cas « d’encourager » les jeunes à le « devenir ». C’est pourquoi des super-héros comme Captain America sont mis en avant à cette époque ; il représente tout ce qu’il faut faire, tout ce qui est acceptable aux yeux de la société : être grand, blond, blanc, fort, hétérosexuel, cisgenre, et au service de la nation, de l’armée. C’est un véritable outil de propagande.

Les personnages queer que l’on retrouve sont donc les méchant’es ainsi que les anti-héro’ïnes (Deadpool, par exemple) qui sont considéré’es des « déviant’es sexuel’les ». Le but de cette représentation est de montrer aux jeunes que le queer est un trait mauvais, négatif, voire dangereux.

John Byrne faisait toujours face à cette prohibition lors de la réalisation d’Alpha Flight. C’est pourquoi il n’a pas pu montrer explicitement l’homosexualité de Jean-Paul à l’époque. Je vais détailler la création et la formulation de ce personnage dans le chapitre suivant.

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2 ANALYSE

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