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Chapitre 2 : La traduction de personnages queer

2.1 Notions

La représentation de personnages LGBTQIA+ dans la culture populaire tourne principalement autour de trois notions essentielles : le queer-coding, le queerbaiting et le queer-catching. Avant de me pencher plus précisément sur la traduction des identités queer, je présente ci-dessous la façon dont elles se formulent.

2.1.1 Queer-coding

Le queer-coding est une pratique utilisée pour dépeindre un personnage aux traits queer. Elle consiste à en créer un stéréotype. C’est une représentation très cliché, irréaliste et qui tend à la moquerie. Typiquement, dans le queer-coding, les hommes se comportent « comme des femmes », c’est-à-dire en correspondant aux normes sociales attribuées à la féminité et, inversement, les femmes agissent de façon dite « masculine ». Cette pratique a notamment été beaucoup employée à partir des années 1950-60 lors de la création de « méchant’es » dans les récits (cf. 2.2.1).

Bien que certaines personnes de la vie réelle se conforment aux clichés, ce n’est pas une représentation qui correspond à une réalité universelle. Ce récit binaire n’apporte pas de nuances et assigne les identités à des cases bien définies et délimitées.

2.1.2 Queerbaiting

Le queerbaiting consiste à faire croire à l’audience qu’un personnage est queer, mais à ne jamais le confirmer ou le montrer à l’écran. C’est une pratique à laquelle l’industrie du cinéma a régulièrement recours. Généralement, ce sont des indices discrets qu’un personnage pourrait ne pas être hétérosexuel, notamment dans sa manière d’agir ou par les personnes qu’il fréquente. Un exemple serait deux femmes qui se parlent de manière très proche, en se regardant longuement ; la scène serait codée romantiquement (cf. 2.1.2.1), mais n’aboutirait jamais sur quelque chose d’explicite comme un baiser ou un personnage qui fait son coming-out.

Le public LGBTQIA+, qui est ouvert à ces identités, décèle rapidement ces romances et imagine qu’il se passera la même chose que dans les duos hétérosexuels : iels se mettent ensemble à la fin. Au contraire, l’audience non-queer pourra toujours expliquer que les personnes LGBTQIA+ sur-interprètent la situation et qu’il n’y a aucun type de romance entre les personnages. Une phrase qui

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revient souvent dans l’argumentaire de ces personnes est : « elles sont juste amies ».35 La production du film ne va pas les contredire ni expliciter les choses. Ainsi, cette pratique rend les identités invisibles tout en satisfaisant, a priori, toutes les audiences. C’est une manière facile de plaire aux personnes LGBTQIA+ en leur faisant croire qu’elles seront représentées dans un film ou une série, et, à la fois, de contenter le public LGBTQIA-phobe qui ne veut pas de représentation explicite à l’écran.

2.1.2.1 Romantic coding

Le romantic coding est une pratique qui consiste à faire comprendre aux spectateurices que les personnages à l’écran ont un intérêt romantique l’un pour l’autre. Cela passe par des jeux de lumières, un certain type de musique, un cadrage, des regards et toute une mise en scène typique des scènes romantiques. Le romantic coding transcende le genre ou l’orientation puisque c’est un outil cinématographique qui confirme l’attirance romantique entre deux personnages. Les mêmes codes sont ainsi utilisés dans les romances hétérosexuelles. C’est un prisme à travers lequel il est intéressant d’observer les scènes typiques de queerbaiting.

J’ai surtout mis en avant les supports cinématographiques dans cette section, mais le romantic coding existe aussi à l’écrit. J’utilise notamment ces notions pour analyser l’écriture du personnage de Jean-Paul Beaubier (Northstar/Véga). Je détaillerai ce point dans la partie dédiée au texte et à son analyse approfondie (cf. Analyse).

2.1.3 Queer-catching

La pratique du queer-catching est moins souvent discutée que les deux précédentes et donc moins connue. Elle consiste à ne pas montrer quoi que ce soit de queer à l’écran, mais à annoncer officiellement que tel ou tel personnage est queer. La série Teen Wolf a, par exemple, suggéré une future relation homosexuelle entre deux personnages dans un shot publicitaire pour la saison suivante, sans qu’aucun des deux personnages ne soit en réalité queer dans le récit. Certain’es réalisateurices déclarent également dans des interviews que tel ou tel personnage de leur œuvre est queer. Le problème avec cette pratique est que, d’une part, tout comme le queerbaiting, cela fait une publicité auprès de l’audience LGBTQIA+ sans pour autant lui offrir une quelconque représentation à l’écran ; d’autre part, les réalisateurices peuvent se targuer d’avoir créé de la représentation queer et de remplir

35 Phrase typique, presque mémétique, de la part des personnes LGBTQIA-phobes pour exprimer que la romance entre deux personnages n’existe pas et qu’elle est inventée par un public qui a envie de voir une représentation à l’écran. C’est une forme de gaslighting et d’invisibilisation des identités minoritaires.

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leur quota de diversité sans faire l’effort de créer de réels personnages complexes avec leurs vécus spécifiques.

2.1.4 Autres pratiques

J’ai présenté trois stratégies mises en place par les producteurices de contenu. La première, le queer-coding, s’appuie sur des stéréotypes, tandis que le queerbaiting et le queer-catching tendent à cacher ces identités ou à faire semblant de les valoriser, ce qui se traduit dans tous les cas par l’invisibilité des identités queer. D’autres situations empêchant la bonne représentation des personnages queer incluent la volonté des acteurices ainsi que le type de récits choisis. Je détaille brièvement ces éléments ci-dessous.

Dans certains cas, il se peut que des personnages queer soient créés, mais que les acteurices casté’es pour le rôle refusent de jouer des scènes, notamment des scènes de romance avec une personne du même genre. Une question essentielle se pose alors au niveau du casting ; les acteurices devraient être choisi’es pour jouer leur propre rôle, c’est d’ailleurs également un sujet traité dans le film documentaire Disclosure (2020) que j’ai mentionné plus tôt. Il n’y a que comme cela qu’il est possible d’avoir une représentation sensible et réaliste, puisqu’elle est vraie. Une personne ne connaissant pas ce que c’est que d’être queer ne peut qu’en imaginer un stéréotype et essayer de le reproduire. De plus, les personnes LGBTQIA+ font face à une discrimination à l’emploi et sont souvent précaires. Il serait donc positif de leur donner une réelle place dans l’industrie, pour les rôles qui sont les leurs. Cela aurait inévitablement une influence positive sur leur représentation. Le travail brillant de Céline Sciamma et de ses actrices sur le film Portrait de la jeune fille en feu (2019) offre une représentation plus sensible, nuancée et queer36.

Lorsque des personnages LGBTQIA+ sont réellement représentés, il existe un biais sur le genre de récits qui leur sont attribués. Souvent, ces personnages meurent assez rapidement, ou leur vie est un drame. Il existe très peu de représentations de personnages queer réalistes, qui ont leurs problèmes, mais aussi toute une part de vie joyeuse ou simplement « normale ». Il y a une sorte de fétichisation de leur souffrance par des réalisateurices qui n’ont pas un vécu queer.

Lors de mon analyse du personnage de Jean-Paul Beaubier, j’observerai la présence ou non de ces différentes pratiques.

36 J’utilise ici ce terme au sens expliqué dans la partie 2.3.1 ; c’est-à-dire que la notion de queer s’oppose aux schémas patriarcaux hétéronormatifs classiques.

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