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Les archives des tribunaux pour enfants, du traitement archivistique à la valorisation

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Academic year: 2022

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Les archives des tribunaux pour enfants, du traitement archivistique à la valorisation

Lucie Martinez

2019-2020

Master 1 Archives

Sous la direction de Mme Bénédicte Grailles

Membres du jury Bénédicte Grailles | Maîtresse de conférences en archivistique Patrice Marcilloux | Professeur des universités en archivistique

Soutenu le :

11 juin 2020

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Les archives des tribunaux pour enfants, du traitement archivistique à la valorisation

Lucie Martinez

2019-2020

Master 1 Archives

Sous la direction de Mme Bénédicte Grailles

Membres du jury Bénédicte Grailles | Maîtresse de conférences en archivistique Patrice Marcilloux | Professeur des universités en archivistique

Soutenu le :

11 juin 2020

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Je remercie tout d’abord Mesdames Marie-Paule Schmitt, des archives départementales de Maine-et-Loire, et Céline Gauthier-Grangereau, des archives départementales de Côte-d’Or pour leurs éclairages avisés sur mon sujet. Je remercie également les services d’archives départementales qui ont pris le temps de répondre au questionnaire malgré la situation de fermeture de ces services.

Mes remerciement les plus sincères vont aussi à Madame Adélaïde Laloux, Messieurs David Niget, Guillaume Périssol et Jean-Jacques Yvorel pour les réponses particulièrement détaillées qu’ils ont apportées à mes interrogations, toujours dans la plus grande bienveillance.

J’adresse toute ma gratitude à ma directrice de mémoire, Madame Bénédicte Grailles, qui dans ces circonstances si particulières, par ses conseils et son expérience, m’a permis de poursuivre mon travail dans les meilleures conditions possibles et de le mener à bout.

Je remercie mes proches pour leurs relectures, leurs conseils et leur soutien infaillible au quotidien dans la poursuite de ce travail de longue haleine, sans qui mettre le point final à ce travail n’aurait pas été possible.

R E M E R C IE M E N T S

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Sommaire

INTRODUCTION GÉNÉRALE...8

ÉTAT DES CONNAISSANCES – LE TRIBUNAL POUR ENFANTS ET SES ARCHIVES : HISTOIRE DE LA CONSTRUCTION DIFFICILE D’UNE JURIDICTION ENCORE RÉCENTE AUX ARCHIVES TOUJOURS MÉCONNUES...11

1 Le tribunal pour enfants : histoire de sa création et prise en compte de ses archives...12

2 Faiblesse de la quantité de travaux sur les archives des tribunaux pour enfants en elles- mêmes...25

3 Comparaison avec les archives d’autres secteurs de la justice des mineurs...34

BIBLIOGRAPHIE...52

1 L’accès aux archives...52

2 Le tribunal pour enfants...52

3 La justice des mineurs...53

4 Les archives des mineurs...53

5 Les archives du tribunal pour enfants d’Angers...54

6 Les childhood studies...54

7 La Protection judiciaire de la jeunesse et ses archives...55

8 Les colonies pénitentiaires et leurs archives...55

ÉTAT DES SOURCES...57

1 Sources légales et réglementaires...57

2 Sources en ligne...57

3 Enquêtes...57

4 Autres sources...59

ÉTUDE DE CAS – ÉTUDE DES PRATIQUES AUTOUR DES ARCHIVES DU TRIBUNAL POUR ENFANTS : DU TRIBUNAL À L’UTILISATION, EN PASSANT PAR LES ARCHIVES DÉPARTEMENTALES, ENTRE SENSIBILITÉ ET BESOIN DE RECONNAISSANCE...60

1 Les archives du tribunal pour enfants avant leur entrée aux archives départementales : des relations particulières ?...61

2 Le traitement des archives après la collecte : des fonds prioritaires ou oubliés ?...68

3 La diffusion : une réponse à des besoins de réutilisation ?...73

CONCLUSION GÉNÉRALE...87

ANNEXES...93

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Introduction générale

L’enfant fait partie de ces minorités peu entendues voire peu écoutées. Il a du mal à se faire une place sur la scène publique du fait de l’inexistence de groupe constitué lui permettant de s’exprimer par sa propre voix. La sphère juridique n’échappe pas à la règle et le monde judiciaire en est la preuve puisque peu de juridictions lui sont consacrées. Les enfants sont souvent vus au travers du regard des adultes et dans le rôle qu’ils jouent dans les problématiques de ces derniers. Rarement leur est donnée une place en tant qu’individu.

Historiquement, cette situation n’est pas nouvelle : l’enfant a longtemps été considéré comme un adulte miniature1. Si la justice lui reconnaît des droits dès le Moyen Âge dans la sphère pénale, on ne lui accorde une définition sociale qu’en 1973 et elle se limite à la prime enfance. En 1976, Marie-José Chombart de Lauwe2 reconnaît des dimensions beaucoup plus complexes à l’enfance : l’enfant désigne à la fois un individu, un être en développement, le membre d’une famille, le membre d’une classe d’âge. Sa définition juridique reste toutefois réduite à un seuil d’âge, aussi bien dans le Code civil que dans la Convention relative aux droits de l'enfant, pourtant texte fondamental dans la reconnaissance de leurs droits.

Ce manque de reconnaissance en tant qu’individu a limité drastiquement les traces laissées dans l’Histoire exprimées par des enfants directement. Néanmoins, la création des tribunaux pour enfants au début du XXe siècle a permis l’apparition d’un statut de justiciable pour les enfants, mais qui reste d’abord limité au monde judiciaire.

Nous nous sommes étonnées du peu d’exploitation de ces archives et interrogées sur la place qu’elles pourraient occuper en tant que documents historiques révélant le regard de l’enfant sur son époque.

Cette interrogation a porté sur plusieurs points regroupés en plusieurs catégories.

La première porte sur la nature des documents. Afin de comprendre au mieux le traitement et l’utilisation qui en sont faits, il faut commencer par connaître les typologies documentaires rencontrées au sein des fonds du tribunal pour enfants.

La deuxième englobe toutes les procédures de traitement des archives de cette juridiction.

‒ qui sont les personnes chargées de s’occuper de ces archives ?

‒ quels sont les choix faits en terme de conservation ? Que choisit-on de garder ? De détruire ?

‒ existe-t-il des conditions de conservation spécifiques ?

Ces problématiques s’attachent aussi bien à la conservation par les tribunaux que par les services d’archives départementales. Nous étendons la réflexion aux archives vivantes en cherchant à identifier les accès ouverts pour des dossiers en cours de procédure toujours conservés au sein des juridictions.

1 Patricia Benec’h-Le Roux, Au tribunal pour enfants. L’avocat, le juge, le procureur et l’éducateur, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 20. Tous les éléments du paragraphe sont tirés de cette même référence.

2 Résistante et sociologue française.

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Ce qui nous mène à la troisième catégorie de questionnements qui se penche sur l’utilisation de ces archives.

‒ quelles exploitations existent déjà pour ces archives ?

‒ pour quels types de recherche ?

‒ quelles nouvelles utilisations peut-on imaginer ?

‒ quelles visions sur l’enfant, les tribunaux et l’enfant dans les tribunaux nous apportent-t-elles ? Et quelles autres visions nous permettraient-elles d’avoir ?

La quatrième s’intéresse à l’après tribunal. Suite à leur passage dans les tribunaux, les enfants de justice poursuivent leur parcours dans la sphère judiciaire.

‒ qu’en est-il de ce parcours ?

‒ qu’en est-il de leur parcours à la sortie du monde de la justice ?

‒ quelle est la place du mineur une fois devenu adulte ?

‒ quels sont ses droits sur ces archives ?

Afin de chercher une réponse à tous ces questionnements, nous nous sommes déjà penchées sur les ouvrages consacrés au tribunal pour enfant et ceux traitant de la justice des mineurs dans l’optique d’une vision globale. Ces lectures ont également permis de nous familiariser avec la typologie des documents et de faciliter la compréhension de leur contenu. Nous avons parcouru quelques références sur les archives judiciaires en général, sans s’attarder sur les particularités des différentes juridictions. Ces lectures ont aussi été l’occasion de nous renseigner sur la disponibilité des sources et leur lieu de conservation. Nous avons ensuite tout naturellement consulté les quelques articles existants sur le traitement des archives des mineurs. Notre volonté première étant de nous concentrer sur la juridiction d’Angers, les quelques références à propos de la situation angevine sont donc venues compléter notre bibliographie. Nous avons finalement opté pour une vision globale en nous intéressant à tous les acteurs prenant en charge ou utilisant ces archives, sur l’ensemble du territoire français (métropolitain et outre-mer).

Nous avons pu entrer en contact avec les archives départementales par le biais d’un questionnaire et de deux entretiens (Maine-et-Loire et Côte-d’Or), services chargés du classement, de la conservation et de la valorisation des archives. Nous avons également réalisé des entretiens avec plusieurs chercheurs ayant eu recours à ces archives pour leurs travaux sur différentes périodes, afin de recueillir leurs témoignages.

Au vu de la crise sanitaire durant laquelle nos recherches se sont déroulées, les échanges avec les tribunaux n’ont pu avoir lieu. Il a également été impossible de réaliser une consultation des archives du tribunal pour enfants d’Angers, malgré une demande de dérogation ayant obtenu une réponse favorable.

Pour atténuer l’effet sur ce travail que ces deux impossibilités ont créés, une étude de la visibilité des archives des tribunaux pour enfants sur les sites internet des archives départementales a été réalisée.

À l’exception de quelques auteurs ayant travaillé sur les tribunaux pour enfants, comme David Niget dont ce fut le sujet de thèse et ceux dont les travaux s’appuient sur les fonds de cette juridiction, nous n’avons trouver trace d’aucune étude centrée sur ce sujet. Ponctuellement, nous avons rencontré quelques

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références au sein d’études plus générales sur les archives de la protection de l’enfance, mais celles-ci restaient souvent assez sommaires. Il est possible d’en trouver de très intéressantes dans l’ouvrage collectif du Service interministériel des archives de France, La protection de l'enfance. Écrits protégés, écrits ignorés, les dossiers individuels de mineurs et de jeunes majeurs sous main de justice. Notre étude se place dans la lignée de ces travaux en s’intéressant particulièrement aux archives du tribunal pour enfants.

Notre état des connaissances s’attarde sur l’histoire de la justice des mineurs, de ses prémices jusqu’à nos jours, en passant par toutes les réformes et remises qui l’ont émaillée. Ces éléments sont essentiels à la compréhension des archives de ces institutions. Les travaux de recherche sur ces dernières font également l’objet de développements dans cette première partie. Nous évoquons enfin le traitement des autres archives de la justice des mineurs.

Dans la deuxième partie de notre étude, nous nous penchons sur les pratiques entourant les archives des tribunaux pour enfants en en étudiant toutes les dimensions, cherchant à comprendre la manière dont elles sont traitées. Nous partons de leur création au tribunal pour arriver jusqu’à leur réutilisation, dans le cadre de recherches ou de valorisations. L’idée principale est de comprendre le mode opératoire de chaque acteur intervenant sur ces archives.

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État des connaissances – Le tribunal pour enfants et ses archives : histoire de la construction difficile d’une juridiction encore récente aux archives toujours méconnues.

Dans cette partie, nous traiterons de la genèse des tribunaux pour enfants. Leur histoire débute en 1912, elle s’inscrit dans la continuité de celle de la justice des mineurs qui prend sa source dans un passé bien plus lointain. Nous chercherons à cerner le contexte de création des tribunaux pour enfants, en commençant par un retour sur les éléments d’organisation de la justice antérieure à leur apparition.

Connaître cette histoire nous permettra de mieux comprendre l’environnement entourant la naissance de ces archives et par là même ce qu’elles contiennent.

Afin de souligner le caractère particulier des archives de ces tribunaux, nous en présenterons le régime juridique et le comparerons à d’autres institutions accueillant des mineurs.

Pour parvenir à ce résultat, nous avons essentiellement utilisé les ouvrages et articles concernant les tribunaux pour enfants, ses archives et la justice des mineurs. Nous avons aussi eu recours aux références bibliographiques traitant des archives de la Protection judiciaire de la jeunesse et des colonies pénitentiaires. Ne leur trouvant pas d’utilité dans nos développements, nous avons exclu les quelques références sur les archives judiciaires.

Cet état des connaissances s’articule en trois points. Bien que le premier soit dédié à l’histoire du tribunal pour enfants et à ses archives, nous commençons par aborder brièvement les éléments de l’organisation de la justice antérieure à leur apparition. Nous nous concentrons ensuite sur les débats qui ont mené à sa création et à l’étude des normes juridiques ayant participé à son développement et à ses évolutions. Nous traitons également des archives de cette juridiction et de leur régime juridique.

Dans le deuxième point, nous abordons le sujet des travaux ayant eu recours aux archives des tribunaux pour enfants et de ceux se concentrant sur leur traitement, en soulignant le faible nombre de ceux-ci.

Enfin, le troisième point s’attache à présenter les archives de deux secteurs de la justice des mineurs : la Protection judiciaire de la jeunesse et les colonies pénitentiaires.

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1 Le tribunal pour enfants : histoire de sa création et prise en compte de ses archives

Né au début du XXe siècle, le tribunal pour enfants est une juridiction encore très récente, en comparaison de certaines dont les formes les plus anciennes peuvent remonter à la Révolution française voire à l’Ancien Régime. La prise en compte de ses archives est encore plus tardive puisqu’il faut attendre près d’un siècle après sa création pour qu’on leur reconnaisse enfin un statut particulier.

1.1. Le tribunal pour enfants : la difficile mise en place d’une juridiction spécialisée pour les mineurs

La justice spécialisée pour les mineurs a pris de longues années pour se mettre en place et a été sujette à de nombreux débats pour arriver à sa forme actuelle. Nous allons présenter ici les principales normes juridiques qui ont jalonné son existence et participé à son développement.

1.1.1. La loi du 22 juillet 1912 : une première tentative d’une justice propre aux mineurs

a) La situation des mineurs en justice avant 1912

L’idée d’une juridiction spécialisée pour les mineurs est une considération très récente. Pourtant, dès le Moyen-Âge, il y a une « spécificité dans le traitement pénal des enfants »3. Elle s’exprime soit par l’irresponsabilité pénale du mineur qui est l’impossibilité pour lui d’être reconnu coupable en deçà d’un certain âge soit par l’excuse de minorité qui est la possibilité d’être acquitté en raison de son jeune âge.

La condition de discernement posée par le code criminel de 1791 et reprise par le Code pénal de 1810 pour les jeunes de moins de 16 ans (articles 66 et 67) dit : en cas d’absence de discernement, le mineur est acquitté .

Un élément est à noter : alors que la majorité civile est obtenue à 21 ans en 1791 et 18044, la majorité pénale, elle, est fixée à 16 ans. Malgré une différenciation vis-à-vis du régime pénal appliqué aux adultes, les enfants, même acquittés, peuvent être conduits en maison de correction qui, dans les faits, s’apparentent à des prisons, ces mesures d’enfermement étant prises par le magistrat « par souci d’éducation »5.

La conception de la justice des jeunes commence à changer à partir de la toute fin du XIXe siècle : s’installe alors l’idée selon laquelle la rééducation des jeunes doit passer avant leur punition. Tout au long de ce siècle, des lois amènent à reconsidérer la délinquance et la criminalité juvéniles. On peut citer, pour exemples, la loi de 1850 relative à l’éducation correctionnelle des mineurs, celle de 1889 relative à

« l’enfance maltraitée ou moralement abandonnée » et celle de 1898 sur « la répression des violences, voies de fait, actes de cruauté et attentats contre les enfants ». Ces lois sont l’expression d’une nouvelle 3 David Niget, La naissance du tribunal pour enfants. Une comparaison France-Québec (1912-1945),

Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009, p. 19.

4 Date de promulgation du premier Code civil.

5 David Niget, La naissance du tribunal pour enfants..., op cit, p. 19.

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vision de l’enfance délinquante. L’enfant n’est plus vu comme agissant de façon délibérément hostile à la société ; la délinquance n’est plus vue comme étant de la faute de l’enfant. « Dans la foulée de l’École positiviste, on a plutôt tendance à l’associer à des facteurs extérieurs au délinquant, sur lesquels celui-ci n’a pas de contrôle »6. Se pose alors une question : peut-on punir de manière légitime le mineur délinquant pour une infraction résultant de facteurs dont il n’a pas la maîtrise ? La réponse est non. L’idée est alors que le délinquant doit être protégé contre ces facteurs, pour mieux protéger la société. Enfance délinquante et enfance en danger se rapprochent alors et « on estime qu’une approche de protection de l’enfance doit être privilégiée pour les deux groupes »7

En 1906, la majorité pénale passe de 16 ans à 18 ans, faisant alors entrer une nouvelle catégorie de jeunes dans le giron de la justice des mineurs. « Ce sont ces jeunes qui posent problème dans l’ensemble des pays. Les colonies pénitentiaires se trouvent mises en difficulté par les mineurs de 16 à 18 ans qui apparaissent comme les plus récalcitrants à accepter les conditions de placement »8. C’est donc un nouvel enjeu qui vient s’ajouter aux nombreux qui s’attachent déjà à la justice des mineurs, comme nous l’explique bien David Niget :

« La stratégie des protecteurs de l’enfance est duale : élever la majorité permet, en effet, de protéger une plus large population juvénile ; mais en revanche, l’inclusion confère à la délinquance (et à sa perception) un caractère de gravité qui rend plus difficile la mise en œuvre de pratiques judiciaires « protectionnelles » »9.

En outre, avant même qu’une législation ne soit adoptée en vue de la création d’une juridiction spécialisée pour les mineurs, certains tribunaux commencent déjà à modifier leurs pratiques judiciaires.

« Le Tribunal de la Seine commence le premier, dès les années 1880, à se montrer réticent envers l’enfermement des mineurs »10. On remarque aussi une spécialisation de certains juges d’instruction dans les dossiers des mineurs avec la volonté de mieux comprendre leurs spécificités. « Des pratiques similaires sont réalisées dans d’autres grandes villes, préfigurant certaines des dispositions de la loi de 1912 »11.

Ainsi, au début du XXe siècle, existe déjà de fait un statut juridique spécifique pour les mineurs : on leur reconnaît un traitement différent de celui appliqué aux adultes et on met en place un régime de 6 Jean Trépanier, « Les démarches législatives menant à la création des tribunaux pour mineurs en Belgique, en France, aux Pays-Bas et au Québec au début du XXe siècle », Revue d’histoire de l’enfance irrégulière, 2003, ,°5, p. 114

7 Ibid.

8 Régis Pierret, « Apaches et consorts à l’origine des tribunaux pour enfants », Vie sociale, 2013/4 N°

4, p. 94.

9 David Niget, La naissance du tribunal pour enfants…, op cit, p. 22.

10 Jean-Claude Farcy, Commentaire de la loi du 22 juillet 1912, [en ligne], disponible sur https://criminocorpus.org/fr/outils/sources-judiciaires-contemporaines/presentation-des-

thematiques/documents-commentes/09-la-loi-du-22-juillet-1912/ (consulté le 23 janvier 2020) 11 Ibid.

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protection à leur égard. C’est à partir de tous ces éléments que le cheminement législatif ayant conduit à l’adoption de la loi sur le tribunal pour enfants s’est construit.

b) La création de la loi : de l’inspiration nord-américaine à une « spécialisation inaboutie » (David Niget)

La loi du 22 juillet 1912 est celle qui porte création de tribunaux spécialisés pour les enfants : le tribunal pour enfants et adolescents. Cependant, avant que cette loi ne soit adoptée et que cette juridiction puisse effectivement voir le jour, de nombreux débats ont été nécessaires.

Dans la plupart des études il est mis en avant le rôle essentiel d’inspiration joué par le modèle américain dans l’élaboration de la loi de 1912. Ce fait assumé est rappelé dans l’exposé des motifs de cette dernière.

Aux États-Unis, la justice spécialisée pour les mineurs se met en place avec la création de la juvenile court de Chicago en 1899. Il s’agit d’une des réactions aux changements démographiques et sociaux que connaît la ville : « Dans cette ville en ébullition, passée en 50 ans d’environ 30 000 à près de 1 700 000 habitants (au deuxième rang national après New York), comptant plus d’un tiers d’immigrés, l’exploitation capitaliste produit fortunes rapides et misère, tensions et violences »12. La mise en place d’une cour de justice est un moyen de répondre pacifiquement à tous ces changements. Le reste du pays suit ce mouvement, « le succès va croissant, au niveau national et international. En 1925, tous les États américains, sauf deux, le Maine et le Wyoming, ont adopté des lois relatives à la justice des mineurs, et des juvenile courts fonctionnent dans toutes les villes d'au moins 100 000 habitants »13.

Le modèle mis en place aux États-Unis est un modèle de protection de l’enfance et du délinquant.

Dominique Youf nous en expose les différentes caractéristiques14 :

‒ la reconnaissance de l’enfant coupable comme un enfant victime ;

‒ la disparition des débats contradictoires au profit d’une justice paternaliste privilégiant l’intérêt de l’enfant ;

‒ le passage d’une justice collégiale à un juge unique ;

‒ une spécialisation des magistrats ;

‒ la substitution des mesures de rééducations aux peines ;

‒ une adaptation du temps de prise en charge des mineurs ;

‒ la priorisation de l’enquête de personnalité sur l’enquête de fait ;

‒ la mise en place de la liberté surveillée.

12 Guillaume Périssol, Juvenile courts américaines et tribunaux pour enfants français : les variations d’un modèle à travers la comparaison Paris/Boston (début XXe siècle-années 1950) », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », n°17, 2015, p. 80.

13 Guillaume Périssol, Juvenile courts et tribunaux pour enfants français…, op cit, p. 81.

14 Dominique Youf, Une justice toujours spécialisée pour les mineurs ?, Paris, La Documentation française, 2015, p. 18.

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On cherche avant tout à protéger l’enfant, de lui-même, de son entourage qui serait à l’origine de sa délinquance mais également des adultes dans les lieux de détention.

C’est ce modèle qui se diffuse internationalement et inspirer la majorité des législations en faveur d’une justice spécialisée pour les mineurs.

La loi de 1912 est également, en partie, « l’aboutissement du premier congrès international des tribunaux pour enfants qui s’est réuni à Paris du 29 juin au 1er juillet 1911 »15. Ce congrès se situe dans la continuité du mouvement philanthropique engagé dès la fin du siècle précédent qui a connu les premiers congrès pénitentiaires (années 1840). C’est ce mouvement qui, en raison de ses préoccupations concernant l’enfermement des mineurs, a « agi pour les séparer des prisonniers adultes. »16. Toutefois, les préoccupations viennent à changer puisque ces congrès « appellent bientôt à un déplacement du regard vers les pratiques judiciaires plus que pénitentiaires »17. Au début du XXe siècle, d’autres rassemblements ont lieu partout dans le monde autour de la question de la protection de l’enfance. En France, « on fait remonter le début de ce mouvement à une conférence faite par Édouard Julhiet à Paris, au Musée social, en février 1906, dans laquelle Julhiet prône l’introduction en France de tribunaux pour mineurs inspirés du modèle américain. Prononcée devant de nombreux acteurs du champ de la protection de l’enfance, cette conférence a un retentissement considérable. Outre sa publication dans des revues, on en trouve des résumés dans la presse spécialisée et même dans les journaux nationaux »18. Les bases du modèle d’une justice pour les mineurs sont posées et le mouvement est en marche.

Pourtant, la loi n’est encore pas adoptée. Les débats parlementaires traînent, alors que « deux propositions de loi partielles (les propositions Deschanel et Drelon) ont déjà été votées par la Chambre des représentants, en 1910 »19. C’est là qu’intervient le congrès de 1911. Il connaît un grand succès puisque « tout le monde de la philanthropie y est mobilisé et les orateurs viennent du monde entier »20.

« Cette manifestation de force et la légitimité qu’assure l’internationalisation du débat semblent contribuer à la reprise du débat au Parlement »21.

La loi est finalement adoptée le 22 juillet 1912. La tendance initiale s’appuyait fortement sur le modèle américain, mais cette inspiration tend à se dissiper à mesure que les débats s’éternisent. « En fin de parcours, l’on ne saurait plus prétendre que les tribunaux pour enfants et adolescents pour lesquels opte la loi française sont conçus en fonction de l’application aux enfants délinquants d’un modèle de protection 15 Régis Pierret, Apaches et consorts…, op cit, p. 79.

16 Jean-Claude Farcy, Commentaire de la loi du 22 juillet 1912, [en ligne], op cit.

17 David Niget, La naissance du tribunal pour enfants…, op cit, p. 20.

18 Jean Trépanier, « Les démarches législatives menant à la création des tribunaux pour mineurs en Belgique, en France, aux Pays-Bas et au Québec au début du XXe siècle », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », n°5, 2003, p. 122.

19 Jean Trépanier, Les démarches législatives menant…, op cit, p.123.

20 Ibid.

21 Ibid.

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de l’enfance »22. On refuse l’idée du juge pour enfants : « le législateur, dans une ultime crispation, refuse de suivre dans leur logique innovatrice les mouvements de protection de la jeunesse, qui soutiennent alors un programme expérimenté en Amérique du Nord : l’instauration dans les tribunaux français d’un juge unique, paternel, indulgent à l’égard du jeune délinquant, et soutenu dans son action par des délégués à la liberté surveillée »23.

c) Les dispositions de la loi : état des lieux et effets

La loi de 1912 se décompose en trois parties. La première, des articles 1 à 14, concerne les moins de 13 ans. La deuxième, des articles 15 à 19, concerne les 13 à 18 ans et la troisième, des articles 20 à 28, concerne la liberté surveillée. Ainsi, elle distingue les mineurs en fonction de leur âge, opérant la césure à 13 ans (qui correspond cette époque à « l’âge de fin de scolarité obligatoire »24). Pour les plus jeunes, est exclue la possibilité qu’ils fassent l’objet de sanctions pénales et leurs jugements se déroulent devant la chambre du conseil du tribunal civil. Cette loi, si elle instaure un tribunal unique pour enfants et adolescents opère néanmoins une séparation entre eux dans la manière de les considérer25.

Pour les plus jeunes (les moins de 13 ans), les sanctions pénales ne sont pas envisagées. Le tribunal peut seulement prendre des mesures éducatives. Ils échappent également à la procédure pénale puisqu’ils sont jugés devant la chambre du conseil du tribunal civil.

Le critère du discernement pour l’évaluation de la responsabilité des 13-18 ans est conservé. Par ailleurs, la loi institue pour cette catégorie de jeunes « l’ouverture automatique d’une instruction pour les mineurs, bannissant de ce fait les procédures de flagrant délit ou de comparution directe »26. Il s’agit là de pouvoir recueillir « les informations à caractère social sur la famille et l’environnement du jeune »27. La généralisation de cet examen de personnalité est une véritable innovation.

Outre la création du tribunal pour enfants et adolescents, la loi instaure une autre grande mesure : la liberté surveillée. « Présentée par les réformateurs comme l’innovation majeure de la loi, la liberté surveillée, traduction du terme anglo-saxon de « probation », est une mise à l’épreuve »28. David Niget la définit ainsi, suivant les dispositions de la loi (articles 20 et 21) :

22 Jean Trépanier, Les démarches législatives menant…, op cit, p.124.

23 David Niget, La naissance du tribunal pour enfants…, op cit, p. 46.

24 David Niget, La naissance du tribunal pour enfants…, op cit, p. 58.

25 Régis Pierre, « Apaches et consorts à l’origine des tribunaux pour enfants », op cit, p. 96.

26 Kevin Chevalier, Jeunesse en justice à Angers (1945-1951). Délinquance juvénile et justice des mineurs au sortir de la Seconde Guerre mondiale à travers les archives du tribunal pour enfants d’Angers. Mémoire de recherche, Angers, l’Université d’Angers, 2015, p. 69.

27 David Niget, La naissance du tribunal pour enfants…, op cit, p. 59.

28 David Niget, La naissance du tribunal pour enfants…, op cit, p. 59-60.

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« Mesure temporaire accompagnant l’instruction éventuellement prorogée par une décision de

« sursis à statuer » prononcée par le tribunal, ou mesure « définitive » rendue par le tribunal pour enfants et adolescents, mais toujours révocable, elle peut accompagner un placement dans une institution charitable et surtout une remise à la famille »29.

En réalité, il s’agit plus d’une inscription dans la loi d’une pratique existante30 puisque des initiatives isolées avaient déjà vu le jour de manière officieuse dans certains tribunaux entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe.

Toutefois, cette loi n’est pas aussi aboutie qu’elle pourrait le paraître au premier regard. Premièrement, si elle crée le tribunal pour enfants et adolescents, le plus souvent c’est le tribunal de première instance qui se réunit en audience spéciale pour juger les affaires. Les tribunaux pour enfants ne sont pas une cour autonome31. Tous les tribunaux font face à un manque de personnel qui n’aide pas à la spécialisation des juridictions. Pour ne prendre qu’un seul exemple, à Angers, il n’y a qu’une seule chambre correctionnelle, 8 magistrats en 1914 dont un seul juge d’instruction32. Ce n’est pas sa seule limite puisque, deuxièmement, comme présenté auparavant, la loi n’instaure pas le juge pour enfants, juge unique qui irait à l’encontre « du principe de collégialité d’une part, et de séparation de l’instruction et du jugement d’autre part »33. Si dans ses dispositions « la réforme de 1912 reste très largement inaboutie »34, la pratique non plus ne suit pas. Outre les difficultés matérielles comme le manque de personnel, les mentalités ne semblent pas non plus propices à opérer un changement dans les pratiques judiciaires.

Encore une fois le cas angevin en est un bel exemple : « rien ne permet de discerner, à Angers, une véritable intention de modifier les pratiques à l’égard des jeunes, d’amender l’ancien système »35.

Malgré ses nombreuses lacunes, la loi du 22 juillet 1912 a eu le mérite de mettre en place une spécialisation pour la justice des mineurs qui perdure encore de nos jours. David Niget nous résume bien cela : la loi de 1912 a été effacée par l’ordonnance de 1945, mais elle est vue, dès son origine « comme une rupture dans l’histoire de la prise en charge des mineurs », l’« acte de naissance d’une justice spécialisée, véritablement compréhensive pour les jeunes délinquants, un texte qui marque un changement d’attitude à l’égard de la jeunesse dangereuse »36.

29 David Niget, La naissance du tribunal pour enfants…, op cit, p. 60.

30 Patricia Benec’h-Le Roux, Au tribunal pour enfants. L’avocat, le juge, le procureur et l’éducateur, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 24.

31 David Niget, La naissance du tribunal pour enfants…, op cit, p. 58.

32 David Niget, La naissance du tribunal pour enfants…, op cit, p. 63.

33 David Niget, La naissance du tribunal pour enfants…, op cit, p. 58.

34 David Niget, La naissance du tribunal pour enfants…, op cit, p. 46.

35 David Niget, La naissance du tribunal pour enfants…, op cit, p. 65.

36 David Niget, La naissance du tribunal pour enfants…, op cit, p. 47.

(18)

1.1.2. L’ordonnance du 2 février 1945 : la consécration de la justice spécialisée pour les mineurs

La période de l’entre-deux guerres et la Seconde Guerre mondiale ne sont pas des moments de vide dans l’existence du tribunal pour enfants. En effet, une loi est promulguée le 27 juillet 1942. Elle n’a jamais été appliquée, mais certaines de ses dispositions ont été reprises après la guerre37. Parmi les quelques mesures mises en place, on peut citer :

‒ le principe selon lequel les coupables ne peuvent faire l’objet de mesure de protection ou de redressement ;

‒ la prononciation de peines pour les plus de 13 ans en cas de crime et les plus de 16 ans en cas de délit ;

‒ l’examen de personnalité.

Cette loi est abrogée en 1944.

Vient ensuite l’ordonnance du 2 février 1945 qui est considérée comme le grand texte organisateur du tribunal pour enfants, encore appliqué aujourd'hui. « L’ordonnance de 1945 est unanimement reconnue comme fondatrice d’une nouvelle justice des mineurs. Pour de nombreux analystes et professionnels de la rééducation, elle marque un point de départ, une ère nouvelle »38 : voici la présentation qu’en fait David Niget.

La grande nouveauté de ce texte est la création de la fonction de juge des enfants. On voit enfin apparaître un juge spécialisé pour les jeunes, fonction que l’on avait pourtant refusée en 1912. Ce juge est assisté d’un ou plusieurs juges d’instruction pour la préparation des affaires et est chargé de leur jugement, seul ou avec le tribunal pour enfants. L’ordonnance fixe aussi la composition du tribunal : le juge des enfants le préside et est assisté de deux assesseurs.

L’article 2 de l’ordonnance dispose que, selon les circonstances, le tribunal pour enfants peut prononcer des mesures de protection, d’assistance, de surveillance, d’éducation ou de réforme. Il peut également prononcer une peine pénale pour les plus de 13 ans et a la possibilité d’écarter l’excuse de minorité pour les plus de 16 ans. L’irresponsabilité des mineurs peut ainsi faire l’objet de dérogations à condition qu’elles restent exceptionnelles et motivées. Par ailleurs, elle « réserve les sentences pénales aux cas les plus exceptionnels » c’est-à-dire que « les peines les plus sévères sont réservées aux mineurs de plus de 16 ans ayant commis les crimes les plus graves et donc les plus rares »39. Une distinction est donc toujours opérée en fonction de l’âge. S’agissant des mesures pouvant être prises par le tribunal à l’égard des jeunes, elles sont présentées aux articles 15 et 16 de l’ordonnance. Les moins de 13 ans peuvent être remis à leurs parents, confiés à une œuvre habilitée ou à l’assistance publique, placés dans un 37 Dominique Youf, Une justice toujours spécialisée pour les mineurs ?, op cit, p. 23.

38 David Niget, La naissance du tribunal pour enfants…, op cit, p. 46.

39 Kevin Chevalier, Jeunesse en justice à Angers…, op cit, p. 76.

(19)

établissement ou une institution d’éducation, de formation professionnelles ou de soin, dans un institut médico-pédagogique de l’État ou une administration publique. Pour les plus de 13 ans, les mesures sont sensiblement les mêmes. Il faut simplement rajouter le placement dans des institutions publiques d’éducation professionnelle, surveillée ou correctionnelle. Une formation particulière est prévue pour le jugement des mineurs âgés de plus de 16 ans ayant commis un crime : il s’agit de la réunion du tribunal pour enfants en cours d’assises, assistée d’un jury.

1.1.3. Les législations et réglementations suivantes : l’adaptation de la justice des mineurs au contexte social

Avec l’ordonnance du 23 décembre 1958, le texte le plus important depuis 1945, on atteint enfin un

« droit des mineurs unifié »40. La justice des mineurs comporte désormais trois pans distinctifs : le pénal qui offre une protection judiciaire aux mineurs délinquants, le civil qui protège judiciairement les mineurs en danger au travers de l’assistance éducative et le social qui prend en charge la tutelle aux prestations sociales. Elle fait du juge des enfants, créé par l’ordonnance de 1945, la figure centrale de la justice des mineurs. En même temps, de nouvelles compétences lui sont accordées : il peut prendre des mesures d’assistance éducative quand il existe un risque pour la santé, la sécurité ou l’éducation du mineur41. Ses pouvoirs sont renforcés, puisque dès qu’il est saisi par le parquet, il instruit, juge l’affaire et peut modifier les mesures. Il faut également noter qu’à la suite de cette ordonnance, il est fréquent de voir l’ouverture d’un double dossier : un pour l’assistance éducative, l’autre pour la délinquance, ce qui est bien la preuve que les deux sont liés.

Les années 1990 sont une période de remise en cause du consensus général sur la spécialisation et de l’idéologie de modèle protecteur et éducatif42. On conteste « l’intérêt d’une justice curative et protectrice à l’égard des mineurs délinquants car considérée comme une justice laxiste et favorisant un sentiment d’impunité »43. Dans une circulaire de 1991, on met en place l’atténuation de responsabilité qui remplace l’irresponsabilité pénale. Se met en place un processus de responsabilisation des mineurs auxquels on demande de réparer les dommages subis du fait de leur infraction. En 1996, la loi du 1er juillet, dite loi Toubon, modifie l’ordonnance de 1945. Il s’agit du premier texte qui « applique clairement la doctrine sanctionnatrice-dissuasive sans rejeter la visée éducative de la justice des mineurs »44. A la fin des années 1990, on réaffirme la responsabilité du mineur commettant une infraction. Il n’est plus vu comme une victime de facteurs extérieurs sur lesquels il n’a aucune maîtrise, mais comme un acteur à part entière responsable de ses actes.

40 Patricia Benec’h-Le Roux, Au tribunal pour enfants…, op cit, p. 24.

41 Dominique Youf, Une justice toujours spécialisée pour les mineurs ?, op cit, p. 39.

42 Dominique Youf, Une justice toujours spécialisée pour les mineurs ?, op cit, p. 59.

43 Jessica Filipi, « Dominique Youf, Une justice toujours spécialisée pour les mineurs ? », Sociétés et jeunesses en difficulté, N°17, automne 2016, [en ligne]

44 Dominique Youf, Une justice toujours spécialisée pour les mineurs ?, op cit, p. 75.

(20)

Le phénomène de dé-spécialisation se poursuit dans les années 2000 puisque avec la loi du 9 septembre 2002, dite loi Perben, on voit totalement disparaître le principe d’irresponsabilité. Elle est suivie de la loi du 9 mars 2004. Ces deux lois entraînent un durcissement des réponses pénales à la délinquance juvénile45. Elles instaurent des réponses basées sur la privation de liberté et l’enfermement des mineurs, ainsi que la possibilité de juger les mineurs dans des délais rapprochés. Par la suite, comme nous l’explique Dominique Youf46, la loi du 5 mars 2007 étend la composition pénale47 aux mineurs, pose l’impossibilité d’admonestation pour un délit de même nature dans une période de moins d’un an après la commission du délit. Elle opère un « rapprochement avec la justice des majeurs »48 en reprenant le jugement à délai rapproché et en limitant l’excuse atténuante de minorité.

Depuis, on est revenu à une justice plus spécialisée. Jean-Pierre Rosenczveig nous présente sept grands principes qui guident aujourd'hui la justice pénale des mineurs auteurs d’infractions49 et qui relèvent tous d’une justice spécialisée.

Le premier principe est le privilège de juridiction : le tribunal pour enfants est une juridiction dédiée au moins de 18 ans, composée de magistrats spécialisés sur les questions de l’enfance délinquante. Il existe trois exceptions à ce principe :

‒ en matière criminelle, la course d’assises des mineurs est compétente pour juger les plus de 16 ans ;

‒ pour les contraventions des quatre premières classes, c’est le juge de police qui est compétent ;

‒ jusqu’en 2017 (date de suppression de ce tribunal), le tribunal correctionnel pour mineurs jugeait les mineurs récidivistes de plus de 16 ans, mais également les co-auteurs ou complices majeurs.

Le deuxième est la responsabilité pénale atténuée : pour que le mineur soit condamné, le discernement est nécessaire. Avant 8 ans, l’irresponsabilité pénale est totale, seules des mesures éducatives peuvent être prises au civil. Après cet âge, des mesures pénales sont possibles, mais seulement si elles sont éducatives. C’est à partir de 13 ans que s’ouvre le champ des peines. L’excuse de minorité quant à elle ne peut être levée qu’à partir de 16 ans, à condition d’être motivée.

Le principe « Éduquer plutôt que punir » en fait aussi partie : l’idée (déjà présente en 1912) est que la délinquance vient d’une défaillance éducative. La loi autorise le recours à des mesures répressives en cas de défaut d’efficacité des mesures éducatives et seulement à partir de 13 ans.

Un autre de ces principes est de rendre l’instruction de moins en moins obligatoire : avant, on veillait à ce que le mineur ne recommence pas, ce qui conduisait à le punir. Aujourd'hui, on veut juger vite pour lutter contre le sentiment d’impunité.

45 Patricia Benec’h-Le Roux, Au tribunal pour enfants…, op cit, p. 29.

46 Dominique Youf, Une justice toujours spécialisée pour les mineurs ?, op cit, p. 90.

47 Proposition d’extinction des poursuite par le procureur en échange du respect d’obligations précises.

48 Ibid.

49 Jean-Pierre Rosenczveig, La justice et les enfants. Paris, Dalloz, 2013, p 35-82.

(21)

Pour assurer les meilleurs effets à cette justice, un autre principe est la mobilisation des parents : ils ont des droits, à l’information, liés à l’autorité parentale, mais également des charges, par exemple la contribution aux frais de placement.

Vient ensuite une défense obligatoire : il s’agit là de respecter les droits de la défense50.

Enfin l’enfant doit être associé aux procédures judiciaires : il doit être présent et partie prenante à toutes les phases. Toutefois, sous certaines conditions, le juge peut le dispenser de cette présence.

La justice des enfants bénéficie par ailleurs d’une protection constitutionnelle mise en place par le Conseil constitutionnel à partir des années 2000. Par une décision du 29 août 2002, il dégage et définit la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République51 s’agissant de la justice des mineurs. Il valide ainsi les principes suivants :

‒ l’atténuation de la responsabilité pénale en fonction de l’âge ;

‒ la majorité pénale à 18 ans (en s’appuyant sur la loi de 1906) ;

‒ le principe de spécialisation de la justice des mineurs ;

‒ la priorité des mesures de relèvement éducatif sur les peines52.

Ces principes constitutionnels ont permis d’empêcher la totale dé-spécialisation de la justice des mineurs enclenchée à partir des années 90 et poursuivie dans les années 200053. Ce n’est pas pour autant que les dispositions des textes juridiques sur lesquels le Conseil constitutionnel s’appuie (la loi de 1906, la loi de 1912, l’ordonnance de 1945) ont valeur constitutionnelle et il reste libre d’opérer un contrôle de constitutionnalité de ces dispositions54.

1.2. La situation des archives des tribunaux pour enfants en France : une évolution suivant les normes juridiques

Les archives des tribunaux pour enfants ont connu des changements non seulement du point de vue des typologies mais aussi de leur régime, en fonction de l’évolution des normes juridiques.

1.2.1. Panorama des typologies en fonction des législations

Dans cette partie, nous essaierons de présenter les typologies de documents qui sont susceptibles de composer les fonds des tribunaux pour enfants, en nous appuyant sur les dispositifs mis en place par les différentes législations et réglementations.

50 Droits dont dispose une personne lors d’un procès et qui doivent être respectés pour assurer la validité du procès ; le respect des droits de la défense est un principe fondamental protégé par le Conseil constitutionnel.

51 Principe à valeur constitutionnelle dégagé par le Conseil constitutionnel

52 Dominique Youf, Une justice toujours spécialisée pour les mineurs ?, op cit, p. 103.

53 Ibid.

54 https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/le-conseil- constitutionnel-et-la-justice-penale-des-mineurs

(22)

S’agissant des typologies documentaires que l’on est susceptible de retrouver dans toutes les archives malgré les modifications du régime juridique du tribunal pour enfants, Guillaume Périssol nous indique qu’« il est possible de distinguer, en suivant le classement du premier cabinet du tribunal55, quatre ensembles :

- les papiers de « forme » et de « procédure », qui correspondent à des communications administratives et aux requête du procureur ;

- l’ « enquête », c’est-à-dire les procès-verbaux et les rapports de police qui établissent les faits ; - la décision et les notes d’audience, plus ou moins complètes selon les juges […] ;

- les « renseignements sur le mineur, qui ont préparé la décision »56.

La période étudiée correspond aux années 1945-1947, mais au vu de ce qu’imposent les normes juridiques on peut supposer que ces typologies se retrouvent pour les périodes postérieures. Toutefois il n’est pas certain que tous ces documents soient présents dans les archives dès la mise en place de la loi de 1912, puisque, nous l’avons vu, ces effets ont été retardés dans la pratique pour différentes raisons.

Cependant suivant l’exemple du tribunal pour enfants de la Seine qui « s’est toujours montré à la pointe des réformes »57 depuis sa création par la loi de 1912, un certain nombre de tribunaux ont développé leur justice pour mineurs dès les prémices de son existence officielle. Pour cette raison il est probable que l’on retrouve parmi les fonds de ces tribunaux la plupart de ces ensembles de documents dès leur création.

S’agissant des autres textes qui peuvent nous éclairer sur les documents disponibles dans les fonds du tribunal pour enfants (en dehors des textes fondateurs que sont la loi de 1912 et l’ordonnance de 1945), il y a évidemment l’ordonnance de 1958. Puisqu’elle donne de nouvelles compétences au juge des enfants, des documents se rattachant à ces nouvelles compétences sont susceptibles d’apparaître dans les fonds. C’est aussi la date à laquelle les doubles dossiers (assistance et délinquance) deviennent plus fréquents. Pour cette période, on devrait donc voir se développer ce type de dossiers au sein des archives.

S’agissant de la forme des dossiers regroupant des informations sur les jeunes, on peut également citer la loi du 10 août 2011 qui crée le dossier unique de personnalité. Il est censé regrouper « le maximum d'informations, les plus actualisées possibles, sur la personnalité et l'environnement social et familial du mineur recueillies dans l’ensemble des procédures pénales et d’assistance éducative qui le concernent.

L’objectif est de prendre les mesures et sanctions les plus adaptées »58. Ce dossier a pour objectif « la mise en commun des renseignements obtenus à l’occasion de procédures pénales et de procédures d’assistance éducative »59.

55 Du tribunal pour enfants de la Seine qui est constitué en 6 cabinets.

56 Guillaume Périssol, « Les écrits des professionnels dans les dossiers du tribunal pour enfants de la Seine », dans Service interministériel des archives de France (sous la direction de), La protection de l'enfance. Écrits protégés, écrits ignorés, les dossiers individuels de mineurs et de jeunes majeurs sous main de justice. Paris, La Documentation Française, 2010, p. 103

57 Guillaume Périssol, Les écrits des professionnels…, op cit, p.103.

58 http://www.justice.gouv.fr/justice-des-mineurs-10042/aide-a-la-decision-des-magistrats-22464.html 59 Ibid.

(23)

Par ailleurs, une loi du 4 janvier 1993 rend la présence de l’avocat obligatoire tout au long du procès pénal pour mineur. Nous n’avons pas eu l’occasion d’évoquer la présence de l’avocat auprès du mineur dans les procédures. Celle-ci n’est que très récente puisqu’elle ne date que de la toute fin du XXe siècle, du moins dans les textes. Dans les faits les avocats étaient déjà présents avec des prérogatives très limitées. Ce que nous apprend cette loi, pour ce qui concerne les documents présents dans les fonds, c’est qu’à partir de cette date, les échanges entre avocats et juges ou mineurs, deviennent probablement plus fréquents dans les archives.

En outre, avec l’approche pluridisciplinaire, viennent s’ajouter les rapports des experts, des médecins, des psychologues et des éducateurs qui entourent l’enfant. « Les spécialistes, de l’assistance sociale au psychiatre, sont les partenaires obligés de la justice qu’ils alimentent de synthèses, notes, etc., tirées de leurs propres dossiers »60. Au delà des documents de procédure pure on s’attend donc à trouver dans ces fonds des informations sur un large éventail d’aspects de la vie des jeunes, leur quotidien, leur manière de vivre.

Dans cet esprit, les fonds peuvent aussi contenir des documents plus personnels ne dépendant en rien de textes juridiques. Sortant de l’aspect purement administratif des dossiers, on découvre là de véritables récits de vie : « Une lettre manuscrite, une carte postale, une photo personnalisée, un dessin »61 . Tous ces documents laissent transparaître la parole des jeunes, ils permettent d’apercevoir au travers de l’important volume des fonds et de la complexité des procédures, l’histoire individuelle et collective de ces enfants dont les parcours ont croisé ces tribunaux.

1.2.2. Une difficile prise en compte de la spécificité des archives des mineurs

Nous nous appuierons ici essentiellement sur la contribution de Marie Ranquet à l’ouvrage collectif de Yves Denéchère et David Niget, Droits des enfants au XXe siècle, intitulée « Archiver l’enfance : la prise en compte spécifique du mineur en droit des archives (1979–2008) ».

Comme nous l’avons développé précédemment, la nécessité pour les mineurs d’une procédure judiciaire particulière, du fait de la sensibilité qui les caractérise, a été posée. On s’attendrait à voir se refléter cette nécessité et cette sensibilité sur les documents qui les concernent. Pour autant, entre 1979 et 2008, les lois sur les archives ignorent la spécificité des mineurs et des procédures judiciaires qui leur sont appliquées. Pour les documents concernant les mineurs dans les archives (vie privée, dossiers judiciaires, minutes et répertoires), aucun délai particulier avant leur communication n’est prévu. Le délai applicable

60 Guillaume Périssol, Les écrits des professionnels…, op cit, p.103.

61 Adélaïde Laloux, « "Ces papiers ne sont pas des papiers, mais des vies d’hommes". Les archives françaises en tant que lieux de parole de l’enfant », dans Denéchère (Yves) sous la direction de, De la parole de l’enfant au bénéfice de ses droits, Liège, Presses Universitaires de Liège, 2019, p. 67.

(24)

aux « documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions »62 (pour le cas qui nous concerne) est utilisé, à savoir 100 ans .

La spécificité de l’âge n’est pas non plus prise en compte dans les textes législatifs ou dans la réflexion archivistique. On ne la voit apparaître que dans certaines circulaires publiées sur cette période. On en dénombre 23 entre 1967 et 2003 qui peuvent être répartie en quatre grandes thématiques : archives de l’enseignement, archives de l’action sociale, archives judiciaires et archives de la santé63. Un changement commence à se faire sentir à partir du début des années 2000 : le critère de la minorité est pris en compte pour la sélection des archives, mais également pour la communication des archives qui concernent les mineurs. Ce critère « devient déterminant de la durée de conservation courante et de la sélection définitive des archives »64.

1.2.3. Une protection accrue avec la loi de 2008

Il faut attendre la loi du 15 juillet 2008, précédée de nombreux débats sur les délais à adopter s’agissant de ces archives, pour voir appliquer un délai spécifique aux documents concernant les mineurs65. C’est le délai de 100 ans « à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier, ou un délai de vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l'intéressé si ce dernier délai est plus bref » que l’on retrouve à l’article L213-2 du Code du patrimoine. Toutefois, ce délai ne s’applique qu’à certains types de documents. Il s’agit, selon le code précédemment cité :

‒ des « documents dont la communication porte atteinte au secret en matière de statistiques lorsque sont en cause des données collectées au moyen de questionnaires ayant trait aux faits et comportements d'ordre privé »,

‒ des documents « relatifs aux enquêtes réalisées par les services de la police judiciaire »,

‒ des documents « relatifs aux affaires portées devant les juridictions, sous réserve des dispositions particulières relatives aux jugements, et à l'exécution des décisions de justice »,

‒ des « minutes et répertoires des officiers publics ou ministériels »

‒ et des « registres de naissance et de mariage de l'état civil, à compter de leur clôture ».

Sont concernés par cette disposition l’essentiel des documents produits par le tribunal pour enfants puisqu’ils s’inscrivent dans les catégories des documents relatifs aux enquêtes réalisées par les services de la police judiciaire et aux affaires portées devant les juridictions.

Il faut toutefois apporter une nuance, très bien présentée par Marie Ranquet, concernant l’application des nouveaux délais. La circulaire DAF/DPACI/RES/2009/026 du 16 décembre 2009 sur les nouvelles dispositions en matière de versement et de communication des archives notariales (minutes et 62 Article L213-2 du Code du patrimoine.

63 Marie Ranquet, « Archiver l’enfance : la prise en compte spécifique du mineur en droit des archives (1979 – 2008) », dans Denéchère (Yves), Niget (David) sous la direction de, Droits des enfants au XXe siècle, Rennes, Presses universitaire de Rennes, 2015, p. 161-162.

64 Marie Ranquet, Archiver l’enfance…, op cit, p. 162.

65 Nous nous appuyons à nouveau dans cette partie sur Marie Ranquet, Archiver l’enfance...

(25)

répertoires), propose des solutions pour les cas où plusieurs délais entreraient en concurrence. « Dans la mesure où les actes concernant des mineurs sont les actes dont le mineur est sujet principal, et non les actes où il est simplement cité (définition donnée en commun avec le Conseil supérieur du notariat), les actes concernés par le délai de 100 ans sont relativement peu nombreux. »66 Les préconisations de cette circulaire sont de faire une différence entre « les demandes de communication portant sur un acte précis » et celles « portant sur de grandes séries d’actes, pour lesquels cette vérification est impossible ».

Pour les premières, la communicabilité peut être vérifiée au regard du contenu, ce qui peut permettre de retirer les documents relatifs à un mineur. Pour les secondes, la vérification devient impossible et c’est alors le délai de 75 ans qui s’applique, « donc en ignorant la présence éventuelle de mineurs qui porterait ce délai à 100 ans, tout en faisant signer un engagement de réserve aux lecteurs si d’aventure ils tombaient sur un acte de moins de 100 ans concernant un mineur »67.

Le problème inverse peut également se poser puisque des documents concernant des majeurs peuvent se trouver au sein de fonds complets sur les mineurs. C’est notamment le cas pour le tribunal pour enfants.

Une nouvelle fois, les solutions pour les archivistes confrontés à une demande de communication ne sont pas des plus idéales : « ignorer le nouveau délai des mineurs et ne garder que le délai de 75 ans, sauf demande portant sur un dossier spécifique, auquel cas il est aisé de vérifier s’il s’applique ; faire la démarche inverse, et appliquer de facto le délai de 100 ans à tous les documents, de façon indifférenciée, quitte à ouvrir certains dossiers à la demande lorsque ceux-ci, après examen, ne concernent pas de mineur »68. C’est donc un montage juridique un peu « bancal » comme nous le rapporte Marie Ranquet.

Ainsi, si les informations judiciaires concernant les mineurs, et donc les archives des tribunaux pour enfants, se voient offrir un régime particulier qui participe de leur protection, celle-ci n’est toujours pas parfaite. La principale raison réside dans les contraintes matérielles qui s’imposent aux archivistes.

« Cette circulaire démontre l’immense difficulté pratique qui consiste à réserver un sort particulier à une catégorie de la population qui se retrouve dans toutes les typologies documentaires, mêlée aux autres, par essence »69.

2 Faiblesse de la quantité de travaux sur les archives des tribunaux pour enfants en elles-mêmes

Le statut spécifique encadrant les archives des mineurs, plus particulièrement celles du tribunal pour enfants, s’est constitué lentement et difficilement. Ces archives sont pourtant bien exploitées par les chercheurs qui en ont connaissance et les utilisent. À ce jour, peu d’études ont été consacrées à leur traitement et pour celles qui existent, elles ne sont qu’un élément d’un ensemble plus large.

66 Marie Ranquet, Archiver l’enfance…, op cit, p. 167.

67 Ibid.

68 Ibid.

69 Ibid.

(26)

2.1. L’utilisation des archives du tribunal pour enfants dans le cadre de travaux de recherche

Les archives du tribunal pour enfants connaissent une certaine popularité en recherche, particulièrement sur la délinquance juvénile et l’enfance. Il y a un autre domaine dans lequel elles pourraient parfaitement trouver leur place : les Childhood studies.

2.1.1. Childhood studies

Vont être abordées ici des notions complexes auxquelles sont dédiés des travaux beaucoup plus complets. L’objet de notre travail n’étant pas de les étudier en détail, certaines idées pourront rester imprécises.

La définition de cette discipline est difficile en elle-même. Elle interroge non seulement sur la traduction de ces termes, mais aussi sur la définition d’autres concepts plus complexes, notamment l’enfance.

Expression souvent traduite par Études sur l’enfance, les Childhood studies se réfèrent à un champ de recherche interdisciplinaire croisant les sciences humaines comme la sociologie, la psychologie, l’histoire, l’économie, mais aussi la médecine ou encore le droit, ainsi que la littérature. Son objectif est d’étudier l’enfance en elle-même et l’enfant pour qui il est.

La notion d’enfance n’a pas été linéaire dans l’histoire. « Il faut bien avoir conscience que l’enfance est une construction culturelle et sociale. Bien sûr, l’enfance est une étape du développement de la vie humaine, commune à tous les individus et caractérisée par des modèles de développement biologiques et physiologiques. Cependant, les façons dont l’enfance, comme étape du développement, est interprétée, comprise, identifiée, institutionnalisée varient considérablement selon les cultures, les époques, les générations »70. C’est à Philippe Ariès que l’on doit l’idée de l’enfance comme construction sociale (L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, première édition, 1960).

Puisqu’elles s’attachent à l’étude d’une notion elle-même sans cesse en mouvance, les Childhood studies sont aussi difficiles à définir. Elles se sont d’abord construites aux États-Unis avant de se développer dans les pays anglo-saxons et scandinaves « de façon autonome par rapport à d’autres champs de recherche comme la famille, l’éducation ou la psychologie »71. Il est possible de « rapprocher l’émergence des childhood studies dans les années 1970 avec celle des genders studies, des études féministes ou encore des disability studies : les deux champs partagent un souci commun d’émancipation et de reconnaissance politique et un même souci de sortir de l’invisibilité et des stéréotypes »72.

70 Mathilde Lévêque, Les Childhood Studies en France : esquisses d’un domaine à construire, [en ligne], disponible sur https://magasindesenfants.hypotheses.org/5894 (consulté le 27 mars 2020)

71 Ibid.

72 Ibid.

(27)

En France « le champ des « Childhood studies », dont on peine à trouver une traduction satisfaisante […], oppose deux visions : une vision extensive du domaine (toute étude impliquant l’enfance ou des enfants relèveraient des « Childhood Studies », y compris dans le domaine de la santé ou de l’économie) et une vision plus resserrée, centrée sur la sociologie et l’« agency » spécifique des enfants et excluant, par exemple, la psychologie ou la linguistique, voire la littérature »73. L’agency « constitue le mot d’ordre initial »74 des Childhood studies. Encore une fois, la traduction de ce terme n’est pas des plus aisées. Une des traductions retenues est agentivité. « La notion d’agency s’oppose à la vision d’un être passif, incompétent, vulnérable, dépendant, incomplet […] Elle met en valeur un regard sur les enfants qui inverse les termes et leur attribue un rôle dans la vie sociale et politique »75 . Par ailleurs, « au-delà d’être actif, l’agency désigne la capacité d’avoir prise sur les autres, sur la vie sociale et culturelle en général »76. La notion d’agency « appelle également à faire de la recherche avec les enfants et non sur eux »77.

Ainsi, les archives du tribunal pour enfants pourraient naturellement prendre leur place dans ces études.

Entre droit et histoire, ces archives sont, comme nous l’avons vu, le lieu de la parole des enfants et particulièrement d’une enfance ne connaissant parfois pas d’autres lieux d’expression. Elles permettent de faire l’histoire d’une enfance bien particulière : l’enfance en justice, tout en offrant aussi les possibilités d’écrire une histoire plus large de la jeunesse.

2.1.2. Différents exemples de travaux

Les archives des tribunaux pour enfants sont utilisées dans différents domaines de recherches. Ces dernières s’attachent à traiter différents thèmes. Elles peuvent s’inscrire dans une optique d’histoire de la justice ou d’histoire sociale d’étude de la jeunesse ou de la délinquance. Toutefois, ces travaux nous permettent d’apercevoir des méthodes de traitement des archives de cette juridiction et ouvrent la voie à des études spécialement dédiées à celles-ci.

Nous avons fait le choix de présenter trois travaux qui nous semblaient refléter les différentes utilisations des archives des tribunaux pour enfants dans la recherche.

a) « La naissance du tribunal pour enfants. Une comparaison France-Québec (1912- 1945) » (David Niget)

Il s’agit de la thèse de David Niget. Elle est dédiée à l’étude de la naissance du tribunal pour enfants, tout en réalisant une comparaison France-Québec par le biais de celle des juridictions d’Angers et de Montréal.

73 Ibid.

74 Pascale Garnier, « L’"agency" des enfants. Projet scientifique et politique des "childhoods studies" », Éducation et sociétés, n°36, 2015, p. 159.

75 Pascale Garnier, « L’"agency" des enfants…, op cit, p. 161.

76 Pascale Garnier, « L’"agency" des enfants…, op cit, p. 163.

77 Pascale Garnier, « L’"agency" des enfants…, op cit, p. 162.

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