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La situation des archives des tribunaux pour enfants en France : une évolution suivant les normes juridiques

Les archives des tribunaux pour enfants ont connu des changements non seulement du point de vue des typologies mais aussi de leur régime, en fonction de l’évolution des normes juridiques.

1.2.1. Panorama des typologies en fonction des législations

Dans cette partie, nous essaierons de présenter les typologies de documents qui sont susceptibles de composer les fonds des tribunaux pour enfants, en nous appuyant sur les dispositifs mis en place par les différentes législations et réglementations.

50 Droits dont dispose une personne lors d’un procès et qui doivent être respectés pour assurer la validité du procès ; le respect des droits de la défense est un principe fondamental protégé par le Conseil constitutionnel.

51 Principe à valeur constitutionnelle dégagé par le Conseil constitutionnel

52 Dominique Youf, Une justice toujours spécialisée pour les mineurs ?, op cit, p. 103.

53 Ibid.

54 https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/le-conseil-constitutionnel-et-la-justice-penale-des-mineurs

S’agissant des typologies documentaires que l’on est susceptible de retrouver dans toutes les archives malgré les modifications du régime juridique du tribunal pour enfants, Guillaume Périssol nous indique qu’« il est possible de distinguer, en suivant le classement du premier cabinet du tribunal55, quatre ensembles :

- les papiers de « forme » et de « procédure », qui correspondent à des communications administratives et aux requête du procureur ;

- l’ « enquête », c’est-à-dire les procès-verbaux et les rapports de police qui établissent les faits ; - la décision et les notes d’audience, plus ou moins complètes selon les juges […] ;

- les « renseignements sur le mineur, qui ont préparé la décision »56.

La période étudiée correspond aux années 1945-1947, mais au vu de ce qu’imposent les normes juridiques on peut supposer que ces typologies se retrouvent pour les périodes postérieures. Toutefois il n’est pas certain que tous ces documents soient présents dans les archives dès la mise en place de la loi de 1912, puisque, nous l’avons vu, ces effets ont été retardés dans la pratique pour différentes raisons.

Cependant suivant l’exemple du tribunal pour enfants de la Seine qui « s’est toujours montré à la pointe des réformes »57 depuis sa création par la loi de 1912, un certain nombre de tribunaux ont développé leur justice pour mineurs dès les prémices de son existence officielle. Pour cette raison il est probable que l’on retrouve parmi les fonds de ces tribunaux la plupart de ces ensembles de documents dès leur création.

S’agissant des autres textes qui peuvent nous éclairer sur les documents disponibles dans les fonds du tribunal pour enfants (en dehors des textes fondateurs que sont la loi de 1912 et l’ordonnance de 1945), il y a évidemment l’ordonnance de 1958. Puisqu’elle donne de nouvelles compétences au juge des enfants, des documents se rattachant à ces nouvelles compétences sont susceptibles d’apparaître dans les fonds. C’est aussi la date à laquelle les doubles dossiers (assistance et délinquance) deviennent plus fréquents. Pour cette période, on devrait donc voir se développer ce type de dossiers au sein des archives.

S’agissant de la forme des dossiers regroupant des informations sur les jeunes, on peut également citer la loi du 10 août 2011 qui crée le dossier unique de personnalité. Il est censé regrouper « le maximum d'informations, les plus actualisées possibles, sur la personnalité et l'environnement social et familial du mineur recueillies dans l’ensemble des procédures pénales et d’assistance éducative qui le concernent.

L’objectif est de prendre les mesures et sanctions les plus adaptées »58. Ce dossier a pour objectif « la mise en commun des renseignements obtenus à l’occasion de procédures pénales et de procédures d’assistance éducative »59.

55 Du tribunal pour enfants de la Seine qui est constitué en 6 cabinets.

56 Guillaume Périssol, « Les écrits des professionnels dans les dossiers du tribunal pour enfants de la Seine », dans Service interministériel des archives de France (sous la direction de), La protection de l'enfance. Écrits protégés, écrits ignorés, les dossiers individuels de mineurs et de jeunes majeurs sous main de justice. Paris, La Documentation Française, 2010, p. 103

57 Guillaume Périssol, Les écrits des professionnels…, op cit, p.103.

58 http://www.justice.gouv.fr/justice-des-mineurs-10042/aide-a-la-decision-des-magistrats-22464.html 59 Ibid.

Par ailleurs, une loi du 4 janvier 1993 rend la présence de l’avocat obligatoire tout au long du procès pénal pour mineur. Nous n’avons pas eu l’occasion d’évoquer la présence de l’avocat auprès du mineur dans les procédures. Celle-ci n’est que très récente puisqu’elle ne date que de la toute fin du XXe siècle, du moins dans les textes. Dans les faits les avocats étaient déjà présents avec des prérogatives très limitées. Ce que nous apprend cette loi, pour ce qui concerne les documents présents dans les fonds, c’est qu’à partir de cette date, les échanges entre avocats et juges ou mineurs, deviennent probablement plus fréquents dans les archives.

En outre, avec l’approche pluridisciplinaire, viennent s’ajouter les rapports des experts, des médecins, des psychologues et des éducateurs qui entourent l’enfant. « Les spécialistes, de l’assistance sociale au psychiatre, sont les partenaires obligés de la justice qu’ils alimentent de synthèses, notes, etc., tirées de leurs propres dossiers »60. Au delà des documents de procédure pure on s’attend donc à trouver dans ces fonds des informations sur un large éventail d’aspects de la vie des jeunes, leur quotidien, leur manière de vivre.

Dans cet esprit, les fonds peuvent aussi contenir des documents plus personnels ne dépendant en rien de textes juridiques. Sortant de l’aspect purement administratif des dossiers, on découvre là de véritables récits de vie : « Une lettre manuscrite, une carte postale, une photo personnalisée, un dessin »61 . Tous ces documents laissent transparaître la parole des jeunes, ils permettent d’apercevoir au travers de l’important volume des fonds et de la complexité des procédures, l’histoire individuelle et collective de ces enfants dont les parcours ont croisé ces tribunaux.

1.2.2. Une difficile prise en compte de la spécificité des archives des mineurs

Nous nous appuierons ici essentiellement sur la contribution de Marie Ranquet à l’ouvrage collectif de Yves Denéchère et David Niget, Droits des enfants au XXe siècle, intitulée « Archiver l’enfance : la prise en compte spécifique du mineur en droit des archives (1979–2008) ».

Comme nous l’avons développé précédemment, la nécessité pour les mineurs d’une procédure judiciaire particulière, du fait de la sensibilité qui les caractérise, a été posée. On s’attendrait à voir se refléter cette nécessité et cette sensibilité sur les documents qui les concernent. Pour autant, entre 1979 et 2008, les lois sur les archives ignorent la spécificité des mineurs et des procédures judiciaires qui leur sont appliquées. Pour les documents concernant les mineurs dans les archives (vie privée, dossiers judiciaires, minutes et répertoires), aucun délai particulier avant leur communication n’est prévu. Le délai applicable

60 Guillaume Périssol, Les écrits des professionnels…, op cit, p.103.

61 Adélaïde Laloux, « "Ces papiers ne sont pas des papiers, mais des vies d’hommes". Les archives françaises en tant que lieux de parole de l’enfant », dans Denéchère (Yves) sous la direction de, De la parole de l’enfant au bénéfice de ses droits, Liège, Presses Universitaires de Liège, 2019, p. 67.

aux « documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions »62 (pour le cas qui nous concerne) est utilisé, à savoir 100 ans .

La spécificité de l’âge n’est pas non plus prise en compte dans les textes législatifs ou dans la réflexion archivistique. On ne la voit apparaître que dans certaines circulaires publiées sur cette période. On en dénombre 23 entre 1967 et 2003 qui peuvent être répartie en quatre grandes thématiques : archives de l’enseignement, archives de l’action sociale, archives judiciaires et archives de la santé63. Un changement commence à se faire sentir à partir du début des années 2000 : le critère de la minorité est pris en compte pour la sélection des archives, mais également pour la communication des archives qui concernent les mineurs. Ce critère « devient déterminant de la durée de conservation courante et de la sélection définitive des archives »64.

1.2.3. Une protection accrue avec la loi de 2008

Il faut attendre la loi du 15 juillet 2008, précédée de nombreux débats sur les délais à adopter s’agissant de ces archives, pour voir appliquer un délai spécifique aux documents concernant les mineurs65. C’est le délai de 100 ans « à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier, ou un délai de vingt-cinq ans à compter de la date du décès de l'intéressé si ce dernier délai est plus bref » que l’on retrouve à l’article L213-2 du Code du patrimoine. Toutefois, ce délai ne s’applique qu’à certains types de documents. Il s’agit, selon le code précédemment cité :

‒ des « documents dont la communication porte atteinte au secret en matière de statistiques lorsque sont en cause des données collectées au moyen de questionnaires ayant trait aux faits et comportements d'ordre privé »,

‒ des documents « relatifs aux enquêtes réalisées par les services de la police judiciaire »,

‒ des documents « relatifs aux affaires portées devant les juridictions, sous réserve des dispositions particulières relatives aux jugements, et à l'exécution des décisions de justice »,

‒ des « minutes et répertoires des officiers publics ou ministériels »

‒ et des « registres de naissance et de mariage de l'état civil, à compter de leur clôture ».

Sont concernés par cette disposition l’essentiel des documents produits par le tribunal pour enfants puisqu’ils s’inscrivent dans les catégories des documents relatifs aux enquêtes réalisées par les services de la police judiciaire et aux affaires portées devant les juridictions.

Il faut toutefois apporter une nuance, très bien présentée par Marie Ranquet, concernant l’application des nouveaux délais. La circulaire DAF/DPACI/RES/2009/026 du 16 décembre 2009 sur les nouvelles dispositions en matière de versement et de communication des archives notariales (minutes et 62 Article L213-2 du Code du patrimoine.

63 Marie Ranquet, « Archiver l’enfance : la prise en compte spécifique du mineur en droit des archives (1979 – 2008) », dans Denéchère (Yves), Niget (David) sous la direction de, Droits des enfants au XXe siècle, Rennes, Presses universitaire de Rennes, 2015, p. 161-162.

64 Marie Ranquet, Archiver l’enfance…, op cit, p. 162.

65 Nous nous appuyons à nouveau dans cette partie sur Marie Ranquet, Archiver l’enfance...

répertoires), propose des solutions pour les cas où plusieurs délais entreraient en concurrence. « Dans la mesure où les actes concernant des mineurs sont les actes dont le mineur est sujet principal, et non les actes où il est simplement cité (définition donnée en commun avec le Conseil supérieur du notariat), les actes concernés par le délai de 100 ans sont relativement peu nombreux. »66 Les préconisations de cette circulaire sont de faire une différence entre « les demandes de communication portant sur un acte précis » et celles « portant sur de grandes séries d’actes, pour lesquels cette vérification est impossible ».

Pour les premières, la communicabilité peut être vérifiée au regard du contenu, ce qui peut permettre de retirer les documents relatifs à un mineur. Pour les secondes, la vérification devient impossible et c’est alors le délai de 75 ans qui s’applique, « donc en ignorant la présence éventuelle de mineurs qui porterait ce délai à 100 ans, tout en faisant signer un engagement de réserve aux lecteurs si d’aventure ils tombaient sur un acte de moins de 100 ans concernant un mineur »67.

Le problème inverse peut également se poser puisque des documents concernant des majeurs peuvent se trouver au sein de fonds complets sur les mineurs. C’est notamment le cas pour le tribunal pour enfants.

Une nouvelle fois, les solutions pour les archivistes confrontés à une demande de communication ne sont pas des plus idéales : « ignorer le nouveau délai des mineurs et ne garder que le délai de 75 ans, sauf demande portant sur un dossier spécifique, auquel cas il est aisé de vérifier s’il s’applique ; faire la démarche inverse, et appliquer de facto le délai de 100 ans à tous les documents, de façon indifférenciée, quitte à ouvrir certains dossiers à la demande lorsque ceux-ci, après examen, ne concernent pas de mineur »68. C’est donc un montage juridique un peu « bancal » comme nous le rapporte Marie Ranquet.

Ainsi, si les informations judiciaires concernant les mineurs, et donc les archives des tribunaux pour enfants, se voient offrir un régime particulier qui participe de leur protection, celle-ci n’est toujours pas parfaite. La principale raison réside dans les contraintes matérielles qui s’imposent aux archivistes.

« Cette circulaire démontre l’immense difficulté pratique qui consiste à réserver un sort particulier à une catégorie de la population qui se retrouve dans toutes les typologies documentaires, mêlée aux autres, par essence »69.

2 Faiblesse de la quantité de travaux sur les archives des