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Les obstacles créés par la procédure de dérogation

3.2. Un intérêt important dans le monde de la recherche

3.2.2. Les obstacles créés par la procédure de dérogation

Les archives des tribunaux pour enfants sont soumises à un délai de communicabilité de 100 ans qui oblige les personnes voulant les consulter à réaliser une demande de dérogation, pour la plus grande partie de ces fonds.

Les délais d’attente sont une des plus importantes difficultés posées par la procédure de dérogation. Ce n’est pas dans le cadre de projets de recherche sur le long terme, tels que des thèses, que le problème inquiète le plus. Au cours des entretiens réalisés avec eux, Guillaume Périssol et David Niget ont confirmé que l’obtention d’une dérogation dans le cadre d’une thèse ne posait pas de problème.

En revanche, pour des travaux de recherche sur des périodes plus de réduites, comme c’est le cas en master 1 durant lequel le mémoire n’occupe vraiment que 6 mois sur l’année, un délai de deux mois d’attente pour l’obtention d’une dérogation limite les possibilités. C’est ce qu’a souligné David Niget lors 241 Annexe 1, entretien avec David Niget, enseignant-chercheur en histoire à l’Université d’Angers, du

20 avril 2020, p.92

de notre entretien : son souhait de faire travailler ses étudiants sur des fonds du tribunal pour enfants (notamment celui d’Angers) n’a pu être exaucé en raison des délais de communicabilité et de l’obstacle représenté par la procédure de dérogation. La difficulté est bien évidemment liée à l’organisation des masters (et du master d’histoire pour l’exemple cité ici) selon laquelle les élèves définissent le plus souvent totalement leur sujet seulement en décembre.

À ces délais s’ajoute un travail fastidieux pour remplir un formulaire de demande de dérogation242. La sélection des documents ne peut pas toujours s’opérer en aval de cette demande, notamment en raison d’inventaires parfois imprécis. Nous l’avons vu, les instruments de recherche ne sont pas toujours disponibles en ligne. Cela signifie que pour certains services d’archives, il faut prendre contact avec les archivistes ou se déplacer pour avoir accès aux instruments de recherche.

De plus, un chercheur ne raisonne pas en terme de cotes. Il pense sa recherche du point de vue d’un thème ou d’une période. Or la procédure de dérogation ne permet pas de faire des demandes sur ces critères. Il faut indiquer les cotes que l’on souhaite consulter, leur analyse et les dates extrêmes des documents. À titre d’exemple, la demande de dérogation réalisée dans le cadre de ce mémoire auprès des archives départementales de Maine-et-Loire pour consulter les archives contemporaines du tribunal pour enfants comportait 20 pages.

Le projet d’Adélaïde Laloux lui a posé plusieurs problèmes pour l’obtention des documents par le biais de la procédure de dérogation. Elle a tout d’abord fait des demandes de dérogation auprès de trois services d’archives départementales. « Vu la sensibilité de ces archives et parfois les problèmes liés à l’organisation interne des services, [elle n’a] finalement obtenu l’autorisation de consulter que dans deux services d’archives »243. Elle a dû patienter entre 4 et 8 mois pour obtenir des réponses.

D’autre part, elle souhaitait également pouvoir consulter des dossiers non clôturés, toujours conservés au sein des juridictions « afin d’observer l’évolution des dossiers sur l’entièreté de leur cycle de vie »244. C’est pourquoi elle a fait des demandes auprès de trois tribunaux. Sa démarche n’a pas toujours été bien comprise par les juridictions et elle a dû faire face à des refus. Elle dit comprendre ces refus et nous explique que « les recherches sur des sujets historiques sont plus classiques et donc plus habituelles et mieux comprises »245. Malgré ses demandes auprès des tribunaux, elle n’a pu consulter que des dossiers clôturés et conservés aux archives départementales.

Pour toutes ces raisons, les archives départementales n’instruisent que peu de demandes de dérogation sur les archives des tribunaux pour enfants. Sur les 18 services de la part desquels nous avons obtenu des réponses au questionnaire, plus de la moitié n’ont instruit aucune demande de dérogation pour ces archives dans les 24 derniers mois246. Cette faiblesse des demandes nous est confirmée par Marie-Paule 242 Annexe 10, p.296

243 Annexe 4, p.95 244 Ibid.

245 Ibid.

246 Annexe 24, p.309

Schmitt : elle nous indique que durant les cinq dernières années, le service d’archives de Maine-et-Loire a traité seulement trois demandes de dérogation pour les archives des tribunaux pour enfants. Ces dernières se distinguent au sein de la grande famille des archives judiciaires puisque ce sont des archives très demandées, notamment en salle de lecture. Cette distinction reste toutefois compréhensible au vu des nombreux obstacles qui se placent sur le chemin de la consultation des archives des tribunaux pour enfants.

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Aujourd'hui, en France, trois catégories d’acteurs principaux interviennent sur les archives des tribunaux pour enfants : les tribunaux, les archives départementales et les lecteurs. De ce point de vue, elles ne présentent pas de particularité par rapport aux autres archives. Elles se distinguent par contre dans le traitement qui leur est appliqué et l’utilisation qui en est faite.

Les tribunaux pour enfants sont soumis comme tous les tribunaux à un ensemble de problématiques propres à ces institutions. Ils sont pénalisés par une insuffisance en personnel et en locaux se répercutant directement sur la gestion des archives. Ce manque de moyens humains et matériels peut être un véritable frein et créer des problèmes supplémentaires qui se répercutent sur les usages. Néanmoins, au regard des exemples étudiés, ils parviennent toutefois à réaliser correctement leur mission d’archivage, préalablement aux versements aux archives départementales.

Les archives départementales participent au traitement de ces archives déjà avant les versements. Elles aident les tribunaux dans l’organisation de leurs locaux, l’application des textes réglementaires, la préparation des versements. Elles réalisent par la suite le classement de ces archives pour leur conservation. Enfin, leurs archivistes jouent un rôle auprès des lecteurs en les conseillant et les guidant dans leurs recherches.

Les lecteurs, quant à eux, se répartissent en deux grandes catégories : les anciens justiciables (ou leurs proches) et les chercheurs. Leurs motifs de consultation ne sont pas les mêmes, tout comme leur droit d’accès et les démarches à réaliser pour consulter ces archives. Là où les anciens justiciables ont un droit d’accès à leur propre dossier qui leur est garanti, les chercheurs doivent passer par une procédure de dérogation. Cette procédure est véritablement une source de difficulté limitant l’accès à ces archives, mais reste malgré tout nécessaire pour garantir une protection des données et des personnes.