• Aucun résultat trouvé

A propos de l'arrêt Behrami et Saramati: un jeu d'ombre et de lumière dans les relations entre l'ONU et les organisations régionales

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "A propos de l'arrêt Behrami et Saramati: un jeu d'ombre et de lumière dans les relations entre l'ONU et les organisations régionales"

Copied!
32
0
0

Texte intégral

(1)

Book Chapter

Reference

A propos de l'arrêt Behrami et Saramati: un jeu d'ombre et de lumière dans les relations entre l'ONU et les organisations régionales

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence, PERGANTIS, Vasileios

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence, PERGANTIS, Vasileios. A propos de l'arrêt Behrami et Saramati: un jeu d'ombre et de lumière dans les relations entre l'ONU et les organisations régionales. In: Marcelo G. Kohen, Robert Kolb, Djacoba Liva Tehindrazanarivelo. Perspectives of International Law in the 21st Century / Perspectives du droit international au 21ème siècle: Liber Amicorum Christian Dominicé in Honour of its 80th Birthday . Leiden : Brill, 2011. p. 193-223

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:35057

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

À PROPOS DE L'ARRÊT BEHRAMI ET SARAMATI:

UN JEU D'OMBRE ET DE LUMIÈRE DANS LES RELATIONS ENTRE L'ONU ET LES ORGANISATIONS

RÉGIONALES

Laurence Boisson de Chazournes et Vassilis Pergantis

Les nombreuses facettes des relations de l'ONU avec les organisations régionales dans le domaine de la paix et la sécurité internationales ne cessent de soulever des passions et des controverses. Qu'il s'agisse des modes de coopération, des conditions entourant le recours à des mesures collectives ou encore de questions de répartition de responsa- bilité internationale, chacun de ces problèmes laisse poindre des inter- rogations, sinon des divergences. Ainsi qu'il l'a fait en de nombreux domaines du droit international, Christian Dominicé, a mis en éclai- rage avec beaucoup d'acuité ces problèmes en indiquant des voies à explorer1

L'arrêt Behrami et Saramati, rendu le 31 mai 2007 par la Cour euro- péenne des droits de l'homme (CEDH)2, nous permettra d'appréhen- der certains aspects relatifs à la répartition de la responsabilité entre organisations internationales3, tout en appréhendant les liens étroits que la Cour a forgés avec le cadre institutionnel de la Charte des Nations Unies.

1 Christian Dominicé, 'Co-ordination between Universal and Regional Organizations', in Henry G. Schermers & Niels Blokker (éds.), Proliferation of Inter- national Organizations: Legal Issues, (The Hague: Kluwer Law International, 2001), pp. 65-84.

2 Behrami c. France; Saramati c. France, Allemagne et Norvège, CEDH, No. de requêtes 71412/01, 78166/01, décision sur la recevabilité du 2 mai 2007 (ci-après Behrami et Saramati).

3 Cette question, dans son contexte interétatique, a également bénéficié de l'analyse approfondie du Professeur Christian Dominicé. Voir Christian Dominicé, 'Attribution of Conduct to Multiple States and the Implication of a State in the Act of Another State', in James Crawford, Alain Pellet, Simon Olleson (éds.), The Law of International Responsibility, (Oxford: Oxford University Press, 2010), pp. 281--289.

(3)

194 LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES & VASSILIS PERGANTIS

A. L'AFFAIRE BEHilAMI BT SA RAMA TI DEVANT LA CouR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME: UN SCÉNARIO DE RELATIONS CROISÉES

(1) Éléments d'un script judiciaire

A

l'origine de l'affaire Behrami et Saramati,'1 J'on trouve deux requêtes de résidents au Kosovo, introduites contre la France pour la première, et contre la France, l'Allemagne et la Norvège pour la seconde. Elles mettaient en cause une série d'actes commis dans le cadre de l' admi- nistration territoriale du Kosovo établie par la Résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité adoptée en application du Chapitre VII de la Charte. Ce régime international se composait d'une présence interna- tionale civile, la Mission d'administration intérimaire des Nations Unies (MINUK), et d'une présence internationale de sécurité, la Force internationale de sécurité au Kosovo (KFOR)5

En l'affaire Behrami, une explosion de mines avait provoqué la mort de l'un des deux enfants d'Agim Behrami et des blessures sérieuses à l'autre. M. Behrami invoquait la violation de l'Article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme du fait de la négligence et de l'inac- tion des troupes françaises faisant partie des brigades de la KFOR, cette dernière étant, selon lui, la force responsable du déminage sur le terri- toire du Kosovo. Dans 1' affaire Saramati, les actes en cause avaient trait à la détention de M. Saramati par la KFOR. M. Saramati dénonçait une détention extrajudiciaire et sans accès à un tribunal, attribuable aux forces françaises, norvégiennes et allemandes faisant partie de la KFOR. Ces actes constituaient, selon M. Saramati, une violation des

4 Sur cette affaire, voir Aurel Sari, 'The Jurisdiction and International Responsibility in Peace Support Operations: The Behrami and Saramati Cases', 8 Hu man Rights Law Review, 2008, 151-170; Pierre Bodeau-Livinec, Gionata P. Buzzini & Santiago Villalpando, 'Behrami & Behrami v. France; Saramati v. France, Gennany & Norway'.

102 A/IL. 2008, 323-331; Philippe Lagrange, 'Responsabilité des Etats pour actes accomplis en application du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies'. 110 RGDIP, 2008, 85-109; Philippe Weckel, 'Agim Behrami et Bekir Behrami c. France, Ruzhdi Saramati c. France, Allemagne et Norvège', 112 RGDJP, 2008, 949-953; Pierre Klein, 'Responsabilité pour les faits commis dans le cadre d'opérations de paix et étendue du pouvoir de contrôle de la Cour européenne des droits de l'homme: quelques considé- rations critiques sur l'arrêt Behrami et Saramati', 53 AFDI, 2007, 43-64; Gérard Cohen-Jonathan et Jean-François Flauss, 'La Cour européenne des droits de l'homme et le droit international (2007)', 53 AFDJ, 2007, 790-796.

s S/RES/1244 (1999), 10 juin 1999, para. 5: 'Le Conseil de sécurité ... agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ... décide du déploiement au Kosovo, sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies, de présences internationales civile et de sécurité'.

(4)

À PROPOS DE L'ARRÊT BEHRAMI ET SARAMATI 195 Articles 5 (droit à la liberté et à la sûreté), 13 (droit à un recours effec- tif) et 6§ 1 (droit à un procès équitable) de la Convention européenne.

Les deux requérants soutenaient que les activités en question (déten- tion et déminage) relevaient du mandat de la KFO R et que «la nature et la structure de celle-ci différaient suffisamment de celles de la MINUK pour engager la responsabilité individuelle des États défendeurs »6

Dans sa décision, la Cour a fait valoir que la responsabilité pour le déminage, sujet de controverse entre les États défendeurs d'un côté, et l'ONU et les requérants de l'autre, relevait de la MINUK, quand bien même la KFOR aurait apporté une assistance pour le déminage7 La juridiction considéra en autre que l'adoption des ordonnances de mise en détention relevait du mandat de sécurité de la KFOR8

Afin de se prononcer sur la question de l'attribution des actes li ti- gieux, la Cour a procédé en deux étapes. Dans un premier temps, elle a examiné le fondement juridique de la KFOR et de la MINUK. Selon la Cour, le Chapitre VII constituait la base juridique de création des deux présences internationales. Pour ce qui est de la KFOR, la Résolution 1244 (1999) avait autorisé «les États membres et les organisations internationales compétentes à établir la présence internationale de sécurité au Kosovo »9Selon l'annexe 2 de la Résolution 1244, la pré- sence de sécurité devait bénéficier «d'une participation substantielle de [l'OTAN]» et être déployée sous «commandement et contrôle uni- fiés». De ce fait, la Cour a conclu que« [l]e Conseil de sécurité a[ ... ] délégué aux organisations et aux États membres disposés à intervenir à cet égard [ ... ]le pouvoir d'établir une présence internationale de sécu- rité, et d'en assurer le commandement opérationnel »10Pour ce qui est

6 Behrami et Saramati, op.cit., para. 123.

7 Ibid., paras. 125-127, où la Cour observe que 'le mandat pour la supervision du déminage a été de facto et de jure repris par l'UNMACC, un organe créé par la MINUK, au plus tard en octobre 1999 et donc avant la date de l'explosion dans l'affaire Behrami et ... que la KFOR est restée impliquée dans les activités de déminage en qualité de prestateur de services, son personnel agissant donc au nom de la MINUK ... il s'agis- sait donc d'une assistance transitoire qui s'inscrivait dans l'obligation générale de sou- tien à la MINUK incombant à la KFOR (paragraphes 6 et 9 f) de la Résolution 1244 du Conseil de sécurité) ; or, pareille assistance de terrain n'est pas de nature à modifier le mandat de la MINUK ... En conséquence, la Cour estime que ... la supervision du déminage relevait du mandat de la MINUK'.

8 Ibid., paras. 124 et 127.

9 S/RES/1244 (1999), para. 7. L'établissement de la présence internationale de sécurité devrait se faire 'conformément au point 4 de l'annexe 2 [de la résolution] et devrait être dotée de tous les moyens nécessaires pour s'acquitter des responsabilités que lui confère le paragraphe 9 [de la résolution)'.

10 Behrami et Saramati, op.cit., para. 129.

(5)

196 LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES & VASSILIS PBRGANTIS

de la MINUK, la Cour a observé qu'il s'agissait d'un «organe subsi- diaire [ ... ] établi par le Secrétaire général [de l'ONU] »11, auquel le Conseil de sécurité avait «délégué ses pouvoirs d'administration civile»12

Après avoir déterminé le statut juridique de deux présences, la Cour s'est penchée sur la question de savoir si les actions et inactions liti- gieuses étaient attribuables à l'ONU ou à la KFOR (pour la détention) et la MINUK (pour le déminage). Deux observations doivent être faites concernant cette approche. Tout d'abord, la Cour ne fait pas de distinc- tion entre les questions de juridiction et celles d'attribution des actes en question. En procédant de cette manière, elle confirme que les ques- tions de juridiction et d'attribution sont étroitement liées. Ensuite, et là la Cour suit un raisonnemenent assez paradoxal, au lieu d'examiner la possible attribution des actes aux États défendeurs qui avaient fourni des contingents à la MINUK et à la KFOR, ce qui pouvait être attendu d'elle vu le fait que sa juridiction a trait aux actes attribués aux États parties à la Convention européenne des droits de l'homme, elle s'est demandée si les actes étaient attribuables à la KFOR, la MINUK ou à l'ONU.

Cette manière de procéder a également mis en éclairage la manière dont la Cour appréhende les relations entre 1' ONU et les organisations régionales participant à la mise en œuvre des mesures du Chapitre VII de la Charte. En l'espèce, il s'agissait de l'administration internatio- nale au Kosovo.

(2) À propos d'un script qui mêle le droit institutionnel et le droit de la responsabilité internationale: le raisonnement de la Cour européenne des droits de l'homme

Avant de procéder à l'analyse du raisonnement de la Cour, une clarifi- cation s'impose. Dans le cadre de la présente analyse, l'attention ne se portera pas sur le ratio decidendi de la Cour concernant l'attribution des actes de la MINUK à l'ONU13, même si la facilité avec laquelle la

11 Ibid., para. 129. La résolution 1244 (1999}, autorisait 'le Secrétaire général, agis- sant avec le concours des organisations internationales compétentes, à établir une pré- sence internationale civile au Kosovo' (para. 10}, et le priait 'de nommer, en consulta- tion avec le Conseil de sécurité, un représentant spécial chargé de diriger la mise en place de la présence international civile' (para. 6 de la résolution).

12 Ibid., para. 129, se référant au paragraphe para. 11 de la résolution 1244 (1999) quj décrivait dans ses grandes lignes les principales responsabilités de la présence interna- tionale civile.

13 Ibid., para. 142 de l'affaire. Pour la Cour '[Q)u'elle soit un organe subsidiaire du Secrétaire général ou du Conseil de sécurité, qu'elle ait ou non une personnalité

(6)

À PROPOS DE L'ARRÊT BEHRAMI ET SARAMATI 197 Cour a attribué les actions et les omissions liées aux opérations de déminage à la MINUK, malgré la coopération étroite de cette dernière avec la KFOR, soulève certaines interrogations14La Cour conclut sur cet aspect de l'affaire que «l'inaction litigieuse est, en principe, attri- buable à l'ONU »15 et cela, sans vraiment se pencher sur la structure originale et complexe de la présence civile internationale. Cette der- nière se basait sur quatre piliers, dont trois étaient à l'époque des faits à l'origine de l'affaire, dirigés par d'autres organisations internationales, à savoir le HCR, l'OSCE et l'UE16La Cour va seulement observer, de manière relativement laconique, que «chaque pilier se trouvait placé sous l'autorité d'un RSSG adjoint, qui répondait de ses actes devant le RSSG, lequel, à son tour, rendait des comptes au Conseil de sécurité »17

Pour la juridiction européenne, les actes de la MINUK étaient de ce fait attribuables à l'ONU.

On se concentrera, en revanche, sur la question de l'attribution de la détention illicite de M. Saramati. La Cour a examiné la question de savoir si les actions et inactions litigieuses liées à la détention illégale de M. Saramati étaient attribuables à la KFOR18 ou à l'ONU. Pour arriver

juridique distincte de l'ONU, que la délégation de pouvoirs par le Conseil de sécurité au Secrétaire général et/ou à la MINUK respecte ou non aussi le rôle conféré au Conseil de sécurité par l'Article 24 de la Charte, la MINUK est un organe subsidiaire de l'ONU qui répond directement, pleinement et institutionnellement de ses actes devant le Conseil de sécurité' (ibid.).

14 Pour une critique de cet aspect de l'affaire, voir Luigi Condorelli, 'Conclusions générales', in SFDI, La soumission des organisations internationales aux normes inter- nationales relatives aux droits de l'homme, (Paris: Pedone, 2009), pp. 127-142 (criti- quant l'absence d'une double imputation); Philippe Lagrange, op. cit., 91-92 (criti- quant la conclusion de la Cour selon laquelle la responsabilité pour le déminage appartenait à la MINUK); Linos-Alexandre Sicilianos, T(ir)responsabilité des forces multinationales?', in Laurence Boisson de Chazournes, Marcelo G. Kohen (éds.), International Law and the Quest for its Implementation/Le droit international et la quête de sa mise en œuvre- Liber Amicorum Vera Gowlland-Debbas (La Haye: Martinus Nijhoff, 2010), pp. 95-125, pp. 106-107.

15 Behrami et Saramati, op.cit., para. 143, italiques ajoutés par nous.

16 Voir le Rapport du Secrétaire général sur la Mission d'administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo, UN Doc. S/1999/779, 12 juillet 1999, paras. 43-46;

Michael Karnitschnig, "The United Nations and the European Union in Kosovo - The Challenges ofJoint Nation-Building', in Jan Wouters, Frank Hoffmeister & Tom Ruys (éds.), 'Jhe United Nations and the European Union: An Ever Stronger Partnership, (La Haye: T.M.C. Asser Press, 2006), pp. 323-351, p. 327-328.

17 Behrami et Saramati, op.cit., para. 142.

18 La question du caractère juridique spécifique de la KFOR n'a pas été abordée. La base juridique de la KFOR est double, puisquelle se base sur l'Accord militaro-technique entre la KFOR [i.e. autorités militaires de l'OTAN, selon la CEDH, ibid., para. 40] et les autorités yougoslaves dans lequel!' ex-Yougoslavie a donné son accord pour le déploie- ment et l'opération de la KFOR en l'autorisant à prendre toute mesure nécessaire pour sa protection, et sur la Résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité adoptée à la suite

(7)

198 LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES & VASSILIS PERGANTIS

à la conclusion selon laquelle les actes en question étaient attribuables à l'ONU, la Cour fait appel dans son raisonnement à deux concepts distincts, celui de la délégation et celui de l'autorité et du contrôle ultimes sur l'opération, ce dernier servant comme test d'attribution.

La Cour va tout d'abord reconstruire le cadre juridique du Chapitre VII auquel fait référence la résolution établissant la KFOR. Ce faisant, la Cour insiste à de nombreuses reprises19, sur le fait que le Conseil de sécurité a utilisé 1' instrument de la délégation pour l'établissement et le fonctionnement de la présence internationale de sécurité. Pourtant, la résolution ne fait pas mention de la notion de délégation, mais a recours à celle d'autorisation. D'un point de vue terminologique, la Cour observe que ce dernier terme et celui de la délégation «sont utilisés indifféremment »20Toutefois, la Cour tempère ensuite son point de vue en notant que « [1]' utilisation du terme «délégation» dans la présente décision se réfère à la situation dans laquelle le Conseil de sécurité confère à une autre entité le pouvoir d'exercer ses fonctions, par oppo- sition à la situation dans laquelle il «autorise» une autre entité à s'acquitter de fonctions qu'il n'est pas en mesure de remplir lui-même »21

La Cour parle, en premier lieu, d'une délégation aux organisations et aux États membres disposés à intervenir, à la fois du «pouvoir d'établir une présence internationale de sécurité, et [du pouvoir] d'en assurer le commandement opérationnel». Par conséquent, « [l]es contingents composant cette force opéraient[ ... ] sur la base d'un commandement délégué par l'ONU et non directement exercé par cette organisation »22

Pour la Cour, le fondement de cette délégation pouvait être soit une combinaison des articles 42 et 48 de la Charte des Nations Unies23, soit

de l'accord. La question de savoir si la KFOR constitue un organe de l'OTAN, s'il s'agit plutôt d'une entité avec une existence juridique séparée ou d'un instrument des seuls Etats contributeurs n'est pas résolue; voir sur ce point, Aurel Sari, op.cit., p. 162.

19 Behrami et Saramati, ibid., paras. 129-130, 132-136, 141, 142 (pour la MINUK) et 151.

20 Ibid., para. 43. On peut supposer que la qualification 'indifféremment' se réfère à la pratique générale du Conseil de sécurité dans Je cadre du Chapitre VII de la Charte.

21 Ibid. En établissant cette distinction, la Cour semble considérer que Je terme

<<délégation>> est plus opportun en l'espèce.

22 Ibid., para. 129.

23 L'Article 42 prévoit que le Conseil de sécurité 'peut entreprendre ... toute action qu'il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité inter- nationales'. L'Article 48 para. 2 prévoit que les décisions du Conseil' sont exécutées par les Membres des Nations Unies directement et grâce à leur action dans les organismes internationaux appropriés dont ils font partie'.

(8)

À PROPOS DE L'ARRÊT BEHRAMI ET SARAMATI 199 l'Article 412\ soit les pouvoirs implicites du Conseil de sécurité dans le domaine de la paix et la sécurité internationales. Dans tous les cas, cette pratique de délégation de l'établissement de la KFOR et du comman- dement de celle-ci est couverte par le Chapitre VII de la Charte25

Tout en restant assez succincte sur les différents aspects du modèle de la délégation, la Cour élargit ensuite sa conception du champ des pouvoirs délégués en se référant à une «délégation des pouvoirs de sécurité du Conseil de sécurité »26Dans ce cadre, la Cour admet que le Conseil de sécurité avait délégué «les pouvoirs de sécurité que lui confère la Résolution 1244 du Conseil de sécurité »27L'élargissement du champ des pouvoirs délégués ne se base pas sur l'idée que le Conseil détenait a priori ces pouvoirs, mais sur l'idée que ces pouvoirs étendus avaient été conférés au Conseil au moyen de la résolution. Nous revien- drons plus loin sur cet élément du raisonnement de la Cour. La Cour suggère également que le Conseil de sécurité «a délégué à l'OTAN (après consultation des États non membres de l'OTAN) le pouvoir d'établir la présence internationale, la KFOR, ainsi que le commande- ment opérationnel de celle-ci»28

La Cour mêle ces références au modèle de la délégation avec des renvois au test de l'autorité et du contrôle ultimes de l'opération en question. Plus précisément, afin de répondre à la question de savoir si les actes litigieux étaient attribuables à l'ONU, la Cour estime que

«la question clé à trancher est celle de savoir si le Conseil de sécurité avait conservé l'autorité et le contrôle ultimes et si seul le commande- ment opérationnel était délégué »29Cette référence à l'autorité et au

24 L'Article 41 stipule que '[!Je Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n'impliquant pas l'emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions, et peut inviter les Membres des Nations Unies à appliquer ces mesures'.

25 Behrami et Saramati, op.cit., §130.

26 Ibid., paras. 132 et 134. Entre-temps, dans le para. 133 de sa décision, la Cour se réfère à la seule délégation du commandement opérationnel.

27 Ibid., para. 134, italiques ajoutés par nous.

28 Ibid., para. 135, italiques ajoutés par nous. On se demande s'il s'agit là d'un glis- sement argumentatif de la CEDH qui jusqu'à ce point parlait de délégation aux organi- sations et Etats membres disposés à intervenir, d'autant plus que la Cour avait très clairement placé cette pratique dans le cadre du Chapitre VII, sans aucune référence au Chapitre VIII qui constitue le cadre juridique par excellence pour une autorisation/

délégation directe à une organisation internationale (régionale). Il se peut que ce glis- sement soit un reflet de la migration graduelle du régionalisme vers le Chapitre VII de la Charte. Sur cette idée, voir l'analyse de Laurence Boisson de Chazournes, Les rela- tions entre organisations universelles et organisations régionales, RCADI, 347 RCADI, 2010,pp.83-406,pp.296-319.

29 Ibid., para. 133.

(9)

200 LAURENCE BOISSON DB CHAZOURNES & VASSILIS PERGANTIS

contrôle ultimes est pionnière en matière d'attribution. Elle n'avait pas encore été évoquée ni par la Cour30, ni par d'autres cours et tribunaux internationaux31

La question est donc de savoir quels sont les éléments particuliers de ce test d'attribution. Sur ce point, la Cour va compléter le processus de «mariage» entre la notion de délégation et le test d'autorité et de contrôle ultimes32 en invoquant une série d'éléments factuels tant comme conditions de validité de la délégation que comme conditions du test de l'autorité et du contrôle ultimes. Il s'agit ici d'une stratégie originale et intéressante. La Cour examine si les conditions de validité de la délégation sont réunies, c'est-à-dire si la délégation est définie de telle manière que le Conseil de sécurité garde l'autorité et le contrôle

JO Voir toutefois son application subséquente à l'affaire Behrami et Saramati notam- ment dans les affaires Gajic c. Allemagne, CEDH, No. de requête 31446/02, décision du 28 août 2007; Dusan Berié et al. c. Bosnie et Herzégovine, CEDH, No. de requêtes 36357/04 et al., décision du 16 octobre 2007; Kasumaj c. Grèce, CEDH, No. de requête 6974/05, décision du 5 juillet 2007.

31 On rappellera que la Chambre d'appel du TPIY dans son arr~t 1àdic avait appli- qué le critère du contrôle global; voir Procureur c. Dusko Tadic, TPIY, affaire N• IT-94- 1-A, Chambre d'appel, 15 juillet 1999, para. 120. La Chambre d'appel définit de la manière suivante le critère du contrôle global (overall control): 'Il convient de distin- guer entre les cas des individus agissant au nom d'un Etat sans instructions spécifiques de celui des individus constituant un groupe organisé et structuré hiérarchiquement, comme une unité miJitaire ou, en temps de guerre ou de troubles internes, des bandes d'éléments irréguliers ou de rebelles armés. Un groupe organisé diffère manifestement d'u11 individu du fait qu'il est doté d'une structure, d'une chaine de commandement, d'un ensemble de règles ainsi que de symboles extérieurs d'autorité. En principe, les membres du groupe n'agissent pas de manière indépendante mais se conforment aux règles en vigueur dans le groupe et sont soumis à l'autorité du chef. li suffit donc, pour imputer à l'Etat les actes d'un groupe, que ce dernier soit, dans son ensemble, sous le contrôle global de l'Etat'.

32 L'idée de J'existence d'un lien automatique entre une délégation valide et l'attri- bution des actes du délégué au déléguant, à savoir le Conseil de sécurité, au moyen d'un test d'autorité et contrôle global (ou ultime), est élaborée en détail par Dan Sarooshi, The United Nations and the Developments of Collective Security: The Delegation by the UN Security Cou neil of its Chapter VII Powers, (Oxford: Oxford University Press, 1999), p. 163: 'the question of who exercises operational command and control over the force is immaterial to the question of responsibility. The more important enquiry is who exercises overa/l authority and control over the forces', et p.

165: 'acts of forces authorized by the Co un cil are attributable to the UN sin ce the forces are acting under UN authority'. La position de Vera Gowlland, 'The Limits of Unilateral Enforcement of Community Objectives in the Framework of UN Peace Maintenance', 11 EJJL, 2000,361-383, p. 369, est plus ambiguë: 'the insertion of uni- lateral action within the Charter means that the Council continues to bear a major responsibility for it, although that does not exclude an eventual form of joint accoun- tability'. La majorité de la doctrine ne partage pas ces points de uue.

(10)

À PROPOS DE L'ARRÊT BEHRAMI ET SARAMATI 201 ultimes sur l' opération33Les actes de l'entité qui a reçu la délégation devraient alors être imputables «en principe» à l'ONU34Le raisonne- ment de la Cour s'appuie sur une série d'équivalences, qui sont les sui- vantes: pouvoirs légalement délégués équivaut à autorité et contrôle ultimes par l'ONU et cela équivaut à attribution des actes« en principe» à l'ONU.

Pour la Cour, les conditions en l'espèce étaient remplies. Dans la résolution 1244 (1999), le Conseil de sécurité avait fixé «le mandat [de la KFOR] avec la précision voulue, puisqu'y sont énoncés les objectifs à atteindre, les rôles et responsabilités assignés, ainsi que les moyens à employer »35Le Conseil de sécurité a également imposé aux dirigeants de la présence militaire une obligation de «rendre des comptes au Conseil de sécurité de manière à permettre à celui-ci d'exercer ses autorité et contrôle généraux »36, et au Secrétaire général une obligation de présenter le rapport de la KFOR37Malgré l'absence de commande- ment opérationnel et effectif par l'ONU, lequel n'étant pas de toute façon «une exigence des missions de sécurité collective fondées sur le Chapitre VII »38, et le fait que la KFOR n'était pas un organe subsidiaire de l'ONU39, la Cour a conclut que «la KFOR exerce des pouvoirs que le Conseil de sécurité lui a légalement délégués en vertu du Chapitre VII, de sorte que 1' action litigieuse est, en principe, «attribuable>> à 1' 0 NU40, et cela même si «le commandement effectif des questions opération- nelles pertinentes» relevait de l' OTAN41

33 Behrami et Saramati, op.cit., paras. 133-134. La Cour a aussi conclu que la déléga- tion a eu lieu conformément au Chapitre VII de la Charte, qu'elle était explicite et qu'il s'agissait de la délégation d'un pouvoir qui pouvait être délégué (ibid., para. 134).

34 Ibid., para. 141.

35 Ibid., para.134. La Cour va ajouter que '[l]e libellé vague de certaines disposi- tions ... ne pouvait pas être totalement évité eu égard au caractère constitutif d'un tel instrument, dont le rôle est de fixer des objectifs et des buts généraux, non de décrire ou d'intervenir dans le détail de la mise en œuvre et des choix opérationnels'.

36 Ibid., para. 134. La Cour a également souligné le fait que le Conseil de sécurité gardait le pouvoir de mettre fin au mandat de la KFOR. Pourtant, il s'agit d'un pouvoir inhérent en cas d'autorisation qui est d'ailleurs assez restreint car il est soumis au veto des membres permanents du Conseil de sécurité; v. en l'espèce, § 19 de la CS Rés. 1244 (1999). Voir Patrick Daillier, 'Les opérations multinationales consécutives à des conflits armés en vue du rétablissement de la paix', 314 RCADI, 2005, 233-432, spécialement 340, qui soutient que la décision de mettre fin à une opération <<relève de la compé- tence de l'organe qui a décidé la mise en place de l'opération (principe du parallélisme des compétences)».

37 V. para. 20 de la Résolution 1244 (1999).

38 Behrami et Saramati, op.cit., para. 136.

39 Ibid., para.142.

40 Ibid., para.141.

41 Ibid., para.140.

(11)

202 LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES & VASSILI$ PERGANTIS

On peut compléter la série d'équivalences précédemment évoquée de la manière suivante: pouvoirs légalement délégués qui sont équiva- lents à autorité et contrôle ultimes par l'ONU et commandement opéra- tionnel effectif par l'OTAN, lesquels impliquent attribution des actes

«en principe» à l'ONU.

Ce raisonnement de la Cour mérite une série d'observations, notam- ment au regard de ses conséquences sur les relations entre l'ONU et les organisations régionales dans le domaine de la paix et la sécurité internationales.

B. UNE MISE EN SCÈNE DE FACTURE CLASSIQUE AU TRAVERS DU CONCEPT DE DÉLÉGATION ET DU TEST DU CONTRÔLE

EFFECTIF EN MATIÈRE D'ATTRIBUTION

Pour apprécier le raisonnement de la Cour en l'affaire Behrami et Saramati, il est nécessaire de prendre en considération la perspective des relations entre l'ONU et les organisations régionales dans le domaine de la paix et la sécurité internationales (1). On s'intéressera ensuite au test du contrôle effectif qui constitue un point de référence incontournable en matière d'attribution de responsabilité entre orga- nisations internationales (2).

(1) Les relations entre l'ONU et les organisations internationales dans le domaine de la paix et la sécurité internationale: un cadre juridique man- quant de précision

Le Chapitre VII de la Charte de l'ONU ne prévoit pas de manière expli- cite la pratique de la délégation des pouvoirs coercitifs du Conseil de sécurité à des États ou à des organisations internationales. Dans sa conception initiale reflétée dans les articles 41 et suivants de la Charte, ce chapitre ne prévoyait qu'un modèle centralisé d'utilisation des mesures coercitives42En outre, la seule référence aux organisations internationales se trouve en l'Article 48 paragraphe 2 qui ne porte que

"12 Voir Philippe Lagrange, 'Sécurité collective et exercice par le Conseil de sécurité

du système d'autorisation de la coercition', in SFDI, Les métamorphoses de la sécurité collective. Droit, pratique et enjeux stratégiques, (Paris: Pedone, 2005), pp. 55-94, spécialement 56-57; Giorgio Gaja, 'Use of Force Made or Authorized by the United Nations', in Christian Tomuschat (éd.), The United Nations at Age Fifty. A Legal Perspective, (La Haye: Kluwer International, 1995), pp. 39-58, p. 40.

(12)

À PROPOS DE L'ARRÊT BEHRAMI ET SARAMATI 203 sur la mise en œuvre indirecte des mesures coercitives prises par le Conseil de sécurité par l'entremise des organisations internationales auxquelles les États membres de l'ONU sont parties43

Le Chapitre VIII de la Charte, et plus particulièrement son Article 53, consacrait, quant à lui, l'idée de décentralisation des pouvoirs coer- citifs du Conseil de sécurité44En prévoyant la possibilité de mise en œuvre des mesures coercitives armées au niveau régional sur la base d'une autorisation du Conseil de sécurité, l'Article 5345 a joué un rôle de précurseur en ce qui concerne la pratique récente de décentralisa- tion du recours à la force armée46Dans ce dernier cas, toutefois, c'est à la notion d'autorisation que la Charte fait référence. Le concept de la délégation n'est nulle part mentionné.

Pourtant l'équation entre autorisation - seul terme utilisé tant dans la Charte que dans la Résolution 124447 - et la délégation, con- stitue un glissement sémantique qui n'est pas réservé à la Cour européenne des droits de l'homme. Il s'agit d'une pratique assez répan- due au sein de la doctrine. En effet, certains auteurs se réfèrent, soit

43 Voir Brun-Otto Bryde & August Reinisch, 'Article 48', in Bruno Simma et al.

(éds.), The Charter of the United Nations: A Commentary, 2!mc éd., (Oxford: Oxford University Press, 2002), vol. I, pp. 775-780.

44 Philippe Lagrange, 'Sécurité collective ... ', op.cit., pp. 65-66; Niels Blokker, 'Is the Authorization Authorized? Powers and Practice of the UN Security Council to Authorize the Use of Force by "Coalitions of the Able and Willing" ', 11 EJIL, 2000, 541-568, spécialement 542; Nigel White & Ozlem Ülgen, 'The Security Council and the Decentralised Military Option: Constitutionality and Function', 44 NILR, 1997, 378-413, spécialement 381.

45 L'Article 53 prévoit deux types d'engagement des accords et organismes régio- naux en matière d'action coercitive: soit leur utilisation pour l'application des mesures coercitives décidées par le Conseil (Article 53§1, premier alinéa), soit une autorisation qui leur est donnée à avoir recours à une action coercitive (Article 53§1, deuxième alinéa). Pourtant, la distinction entre les deux types d'engagement (utilisation et auto- risation), non unanimement partagée dans la doctrine (v. Christine Gray, International Law and the Use of Force, 2èmc éd., (Oxford: Oxford University Press, 2004); Ademola Abass, Regional Organisations and the Development of Collective Security: Beyond Chapter VII of the UN Charter, (Oxford: Hart Publishing, 2004); Niels Blokker, ibid., p. 551) s'avère plutôt théorique, le Conseil de sécurité n'utilisant que la formule d'autorisation dans le cadre de l'Article 53.

46 Voir Robert Kolb, 'Article 53', in Jean-Pierre Cot, Alain Pellet, Mathias Forteau, (éds.), La Charte des Nations Unies: commentaire article par article, 3èmc éd., tome II, (Paris: Economica, 2005), pp. 1403-I437, p. 1405.

47 Il est à noter que la CIJ dans son avis consultatif sur l'indépendance de Kosovo ne parle que d'autorisation concernant!' effet juridique de la résolution 1244; v. Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d'indépendance relative au Kosovo, avis consultatif de la Cour international de Justice du 22 juillet 2010, paras. 58 et surtout ll5 (ci-après avis sur le Kosovo).

(13)

204 LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES & VASSILIS PERGANTIS

explicitement48, soit implicitement19, aux concepts d'autorisation et de délégation, de manière indifférente. D'autres, en revanche, soulignent la différence entre les deux termes. Pour les tenants de cette dernière approche, le terme «délégation de pouvoir» doit être réservé pour des cas où le Conseil de sécurité « conveys the exercise of [a] power to sorne other entity » telle une organisation régionale, ce transfert de pouvoir incluant «a power of discretionary decision-making)). L'autorisation serait, par contre, plus limitée que la délégation « both in terms of the specification of the objectives to be achieved and the qualitative nature of the powers transferred to achieve the designated objective »50

Ces deux termes ne sont pas identiques. Même si le modèle suivi par le Conseil de sécurité dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité (Chapitres VII et VIII) est celui de l'autorisation 51, cette notion n'implique pas toujours une délégation de pouvoirs en faveur de l'entité autorisée. Dans le cadre d'une autorisation de recourir à la force armée, le Conseil de sécurité délègue effectivement ses pouvoirs aux États et organisations régionales visés par la résolution52Dans d'autres circonstances, le Conseil de sécurité peut autoriser ou imposer des mesures qui vont au-delà de ses pouvoirs53

' 8 Voir Erica de Wet, 'The Relationship Between the Security Council and Regional Organizations Du ring Enforcement Action under Chapter VII of the United Nations Charter', 71 NJIL, 2002, 1-37, spécialement 2-6; Philippe Lagrange, op.cit., p. 61.

'9 Voir Albane Geslin, 'Le pouvoir d'habilitation du Conseil de Sécurité: la déléga- tion des pouvoirs du Conseil aux organisations internationales', 21 Arès, 2005,31-41, 36; Djamchid Momtaz, 'La délégation par le Conseil de sécurité de l'exécution de ses actions coercitives aux organisations régionales', 43 AFDI, 1997, 105-115, 106 et 114;

Olivier Corten, Le droit contre la guerre. L'interdiction du recours à la force en droit international contemporain, (Paris: Pedone, 2008), p. 488; Niels Blokker, op.cit., p. 551;

Vera Gowlland, op.cit., p. 368.

50 Voir Dan Sarooshi, op.cit., p. 2-13, où il conclut que<< [I)n the case of an authori- zation by the Security Council to use force, the Council is not, in legal terms, simply making an authorization, but upon doser examination is in fact delegating .. .its Chapter VII powers». On peut noter ici que la distinction faite par Sarooshi n'est pas tout à fait identique à celle faite par la CEDH. Dans la logique de Sarooshi, v. également R (AI-Jedda) v Secretary of State for Defence [2007) UKHL 58, §23 (Lord Bingham).

Mais voir la critique de Bardo Fassbender, 'Quis judicabit? The Security Council, its Powers and its Legal Control', 11 EJIL, 2000,219-232,228.

SI Voir par exemple, CS Rés. 678 (1990), 29 novembre 1990, §2.

sz Niels Blokker, op.cit., p. 545; Philippe Lagrange, op.cit., p. 59.

s3 L'établissement, par exemple, d'une administration internationale dans un terri- toire impliquant 1' exercice des pouvoirs législatifs et judiciaires par l'entité créée semble être hors du champ des pouvoirs confiés au Conseil de sécurité dans le cadre du Chapitre VII. Il s'agit donc ici d'une autorisation qui n'implique pas une délégation des pouvoirs. Voir A.J.J de Hoogh, 'Attribution or Delegation of (Legislative) Power by the Security Council? The Case of the United Nations Transitional Administration

(14)

À PROPOS DE L'ARRÊT BEHRAMI ET SARAMATI 205 Les répercussions sémantiques d'une telle distinction sont palpables dans l'affaire Behrami et Saramati. En recourant au concept de déléga- tion et non à celui d'autorisation, la Cour ne fournit pas un compte- rendu précis de la situation juridique créée par la résolution 1244 du Conseil de sécurité. Il est improbable que le Conseil de sécurité ait délégué ses propres pouvoirs au travers de son autorisation d'une pré- sence internationale de sécurité54Il se peut que les pouvoirs de la KFOR ne soient pas issus de la résolution 1244 (1999) et qu'ils n'aient pas été délégués à la KFOR par le Conseil. D'un côté, le commande- ment opérationnel de la KFOR a été transféré directement à l'agence compétente par les États contribuant au moyen de contingents à la force sur la base de « transfer of authority messages (TOA) » (pour ce qui est des États membres de l'OTAN) et non pas par l'intermédiaire du Conseil de sécurité de l'ONU55D'un autre côté, les pouvoirs éten- dus de la KFOR semblent tirer leur source de l'accord militaro-tech- nique conclu entre la KFOR et les autorités yougoslaves, qui a précédé la résolution 1244 (1999)56Ces éléments peuvent conduire à considé- rer que le pouvoir de détention a été délégué à la KFOR par les autorités yougoslaves57

in East Timor (UNTAET)', 7 International Peacekeeping, 2001, 1-41, 37; Bernhard Knoll, 'United Nations Imperium: Horizontal and Vertical Transfer of Effective Control and the Concept of Residual Sovereignty in "Internationalized Terri tories"', 7 ARIEL, 2002, 3-51.

51 Philippe Lagrange, op.cit., p. 95; contra Aurel Sari, op.cit., p. 162 (concernant le pouvoir de détention).

55 Voir Aurel Sari, ibid., p. 164; Ulf HaufS!er, 'Regional Human Rights vs.

International Peace Missions: Lessons Learned from Kosovo', 20 Humanitiires Volkerrecht, 2007, 238-244, 241.

56 Accord militaro-technique entre la KFOR et les autorités yougoslaves, 9 juin 1999, disponible en anglais sur http:/ /www.nato.int/kosovo/ docu/a990609a.htm. Voir article I para. 2: <<The State Governmental authorities of the Federal Republic of Yugoslavia and the Republic of Serbia understand and agree that the international security force ("KFOR'') will deploy ... with the authority to take ali necessary action to establish and maintain a secure environment for ali citizens of Kosovo and otherwise carry out its mission>>.

57 Enrico Milano, 'Security Council Action in the Balkans: Reviewing the Legality of Kosovo's Territorial Status', 14 EJIL, 2003, 999-1022, 1006; Marc Guillaume, 'Le cadre juridique de l'action de la KFOR au Kosovo', in Christian Tomuschat (éd.), Kosovo and the International Community. A Legal Assessment, (La Haye: Kluwer Law International, 2001), pp. 243-285, p. 247; Marko Milanovié & Tadjana Papié, 'As Bad as It Gets: The European Court of Human Rights' Behrami and Saramati Decision and General International Law', 58 ICLQ, 2009, 267-296, p. 278; Keir Star mer, 'Responsibility for Troops Abroad: UN-Mandated Forces and Issues ofHuman Rights Accountability', in Phil Shiner & Andrew Williams (éds.), The Iraq War and International Law, (Oxford: Hart, 2008), pp. 265-283, p. 271.

(15)

206 LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES & VASSILIS PERGANTIS

Ainsi, quand bien même le Conseil de sécurité aurait délégué le pou- voir d'établir une présence internationale de sécurité aux États et aux organisations compétentes, il s'agirait plutôt du pouvoir de créer une administration internationale au Kosovo et non pas de pouvoirs spéci- fiques en matière de détention, ceux-ci ne relevant pas des compétences du Conseil de sécurité58Cette dernière distinction semble être confir- mée dans la terminologie que la Cour utilise. Comme on vient de le voir, la Cour affirme généralement que le Conseil de sécurité «a délé- gué à 1' OTAN [ ... ] le pouvoir d'établir la présence internationale [ ... ] ainsi que le commandement opérationnel de celle-ci»59Cependant, quand la Cour utilise la notion plus large de délégation des pouvoirs de sécurité, desquels fait partie le pouvoir de détention, elle précise que ceux-ci ont été conférés au Conseil de sécurité par la résolution 124460•

Cette formule laisse toutefois perplexe. On peut se demander si une résolution du Conseil de sécurité peut conférer des pouvoirs addition- nels au Conseil. En réalité, il s'agit ici d'une référence indirecte à l'accord militaro-technique entre la KFOR et les autorités yougoslaves signé deux jours avant l'adoption de la résolution et annexé à celle-ci.

Cet accord n'ayant pas été conclu entre la République fédérale de la Yougoslavie (RFY) et le Conseil de sécurité, il est difficile de concevoir que le Conseil puisse soutenir que les pouvoirs en question lui ont été transférés par la RFY61

Quand bien même on admettrait que les notions d'autorisation et de délégation sont interdépendantes, et que la réponse à la question de savoir si l'ONU a effectivement délégué ses pouvoirs à la KFOR n'a pas d'importance, le recours par la Cour à la formule d'autorisation/

ss Voir Marko Milanovié, & Tadjana Papié, ibid., p. 278; Francesco Messineo, 'The House of Lords in Al-/edda and Public International Law: Attribution of Conduct to UN-authorized Forces and the Power of the Security Council to Displace Human Rights', 56 NJLR, 2009, 35-62, 42; Linos-Alexandre Sicilianos. 'L'autorisation par le Conseil de sécurité de recourir à la force: une tentative d'évaluation', 106 RGDIP, 2002,5-48, p. 6; Keil Starmer, op.cil., p. 279. Voir également J'affaire Al-jedda, op. cit., para. 23.

59 Beltrami et Sa rama ti, op.cit., para. 135.

60 Ibid., para. 134.

61 La Cour essaie de rationaliser ce problème juridique. Elle observe (ibid., para.

131) que «[C)ertes, l'AMT a été signé par «la KFOR» la veille de l'adoption de la Résolution 1244 du Conseil de sécurité instaurant cette force. Toutefois, I'AMT a été établi sur le fondement exprès d'une présence de sécurité créée «sous les auspices de l'ONU» et avec l'approbation de celle-ci, et la résolution avait déjà été introduite devant le Conseil de sécurité. La résolution, avec l' AMT en annexe, a été adoptée le lendemain, et aucune force internationale n'a été déployée avant cette adoption».

(16)

À PROPOS DE L'ARRÊT BEHRAMI ET SARAMATI 207 délégation ne paraît toutefois pas pertinent pour statuer sur les ques- tions d'attribution des actes à l'ONU ou à la KFOR, ni pour ce qui est de la question addiontionnelle, à savoir celle de la répartition de la res- ponsabilité entre les deux organisations (ONU et OTAN).

On peut se demander pourquoi la Cour a mis l'accent sur le concept de délégation. Il est vrai que le modèle d'autorisation/délégation a des répercussions juridiques significatives qui peuvent influencer la ques- tion-dé de l'ampleur du contrôle exercé par le Conseil de sécurité sur les opérations autorisées, élément crucial en matière d'attribution. Ce modèle consacre, en effet, le pouvoir exclusif du Conseil de sécurité quant au droit d'initiative en matière de recours à des mesures coerci- tives armées62En outre, le modèle d'autorisation/délégation est sujet à certaines limitations qui découlent du principe delegatur non potest delegare. Par exemple, le Conseil de sécurité bénéficie d'une compé- tence exclusive en matière de qualification d'une situation comme menace contre la paix, rupture de la paix ou agression au sens de l'Article 39, ainsi que d'un monopole concernant la décision de recou- rir à la force. Le Conseil de sécurité ne peut pas, par conséquent, délé- guer le pouvoir de qualification qu'il détient en vertu de l'Article 39 de la Charté3Cette limitation s'explique par le fait que le Conseil de sécurité présente certaines caractéristiques qui en font le forum le plus adéquat pour une telle qualification. La primauté du Conseil de sécu- rité sur ce point ne peut pas être érodée.

Une autre question est de savoir dans quelle mesure l'ONU garde le contrôle de l'action coercitive. Il faut aiusi s'interroger sur la forme que l'autorisation/délégation prend, et sur le fait de savoir si les orga- nismes régionaux sont limités par les décisions du Conseil de sécu- rité ou s'ils peuvent prendre des mesures allant au-delà de celles-ci64 Il est admis que l'autorisation par le biais d'une délégation des pou- voirs signifie que les organisations régionales autorisées deviennent (théoriquement) les agents d'exécution de la volonté collective du

62 Voir Nigel White, 'The EU as a Regional Security Actor within the International Legal Order', in Martin Trybus & Nigel White (éds.), European Security Law, (Oxford:

Oxford University Press, 2007), pp. 329-349, p. 346; Philippe Lagrange, op.cit., p. 61, qui observe que le Conseil de sécurité «conserve toujours le choix de la forme de son action>>.

63 Dan Sarooshi, op.cit., p. 32-35; Linos-Alexandre Sicilianos, op.cit., p. 9; Vera Gowlland, op.cit., p. 368.

61 Voir Djamchid Momtaz, op.cit., pp. 110 et 114-115; Robert Kolb, op.cit., pp. 1433-1436.

(17)

208 LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES & VASSILIS PERGANTIS

Conseil65. De même, une délégation ne peut pas être générale, le Conseil de sécurité étant censé conserver un certain degré de surveillance sur l'opération autorisée66

L'exercice de ce contrôle peut se réaliser si certaines conditions sont satisfaites. L'autorisation doit préciser les objectifs des mesures prises67 Leur précision jouera en faveur d'un encadrement d'une utilisation abusive de la délégation68En outre, la durée du mandat doit être spéci- fiéé9. On ne peut nier toutefois que les résolutions du Conseil de sécu- rité sont souvent intentionnellement ambiguës et vagues, ce qui peut conduire les bénéficiaires de la délégation/autorisation à redéfinir cer- tains contours du mandat. Le cas du Kosovo est significatif à cet égard.

Les ambiguïtés de la résolution 1244 (1999) et l'impossibilité de pré- voir l'évolution du régime de l'administration internationale sont à la base des controverses portant sur les pouvoirs de la MINUK et de la KFOR. L'avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur le Kosovo révèle également nombre de problèmes liés à ces ambiguïtés70•

Le contrôle par le Conseil de sécurité s'étend également à la mise en œuvre de l'autorisation/ délégation. Les organisations régionales, auxquelles incombe cette mise en œuvre, n'ont pas «un pouvoir illi- mité d'auto-interprétation du mandat»71Le contrôle de l'opération, bien que général, doit être substantiel72Cette logique explicitement consacrée dans le Cadre du Chapitre VIII (Article 54)13, mais aussi

65 Du fait que le Conseil de sécurité auquel les Etats ont conféré la responsabilité principale du maintien de la paix et la sécurité internationales agit en leur nom (Article 24 para. 1 de la Charte). Voir Dan Sarooshi, op.cit., p. 27; Nigel White & Ozlem Ülgen, op.cit., p. 386.

66 Voir Erica de Wet, op.cit., p. 13.

67 Jules Lobe! & Michael Ratner, 'Bypassing the Security Cou neil: Ambiguous Authorizations to Use Force, Cease-Fires and the Iraqi Inspection Regime', 93 AJIL, 1999, pp. 124-154; Dan Sarooshi, op.cit., p. 38 et s.; Nigel White & Ozlem Ülgen, op.cit., pp. 401-404.

68 Pour un exemple d'une autorisation manquant de précision, v. CS Rés. 678 (1990), 29 novembre 1990, para. 2, où le Conseil de sécurité autorise les Etats membres à user de tous les moyens nécessaires «pour rétablir la paix et la sécurité dans la région>>.

69 Linos-Alexandre Sicilianos, op.cit., p. 13; Philippe Lagrange, op.cit., p. 76.

70 Sur ce dernier, voir Avis sur le Kosovo, op.cit., passim.

71 Linos-Alexandre Sicilianos, op.cit., p. 17; Dan Sarooshi, op.cit., p. 41.

72 Voir Ademola Abass, 'Extraterritorial Collective Security: The European Union and Operation ARTEMIS', in Martin Trybus & Nigel White (éds.), European Security Law, op.cit., pp. 134-156, p. 148; Niels Blokker, op.cit., p. 551.

73 L'Article 54 prévoit que << [l]e Conseil de sécurité doit, en tout temps, être tenu pleinement au courant de toute action entreprise ou envisagée, en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux, pour Je maintien de la paix et de la sécu- rité internationales». Cet article trouve un reflet dans les résolutions du CS. Voir à titre

(18)

À PROPOS DE L'ARRÊT BEHRAMI ET SARAMATI 209 implicitement applicable dans le cadre des autorisations en vertu du Chapitre VIF\ signifie que les États et les organisations régionales au bénéfice d'une autorisation sont obligés (et non pas libres) de soumettre des rapports au Conseil de sécurité. Bien qu'en théorie il y ait une obligation d'informer le Conseil de sécurité pour les activités projetées dans le cadre de l'opération autorisée en cours75, le pouvoir de contrôle du Conseil de sécurité à travers le système des rapports est bien souvent limité. Il s'agit normalement de rapports plutôt descriptifs qui ne permettent au Conseil de sécurité que d'exercer un contrôle politique d'ensemble a posteriori76En outre, l'applica- tion de cette exigence de contrôle varie largement d'une opération à l'autre.

En 1 'espèce, le Conseil de sécurité avait prié «le Secrétaire général de lui rendre compte à intervalles réguliers de l'application de la présente résolution, y compris en lui faisant tenir les rapports des responsables de la présence internationale civile et de la présence internationale de sécurité, dont les premiers devront lui être soumis dans les 30 jours qui suivront l'adoption de la présente résolution»77Il s'agit là d'une for- mule classique, mais assez vague, qui ne précise pas le contenu de ces rapports ni la périodicité de leur soumission.

Le fait que le Conseil de sécurité garde un contrôle sur l'action autorisée constitue une manifestation de la primauté du Conseil de sécurité vis-à-vis des organisations régionales dans le cadre tant du Chapitre VII que du Chapitre VIII. On ne saisit toutefois pas claire- ment ce qu'ajoutent les références au concept de délégation/autorisa- tion dans l'arrêt Behrami et Saramati. L'insistance que la Cour montre en ce qui concerne l'existence d'une délégation valide comme élément juridique suffisant pour attribuer les actes en cause à l'ONU, sans éla- borer plus précisément les liens entre les éléments clés de la délégation et ceux de la détermination de la question de l'attribution, soulève une série d'interrogations.

d'exemple, CS Rés. 665 (1990), 25 août 1990, para. 4; CS Rés. 1386 (2001), 20 décembre 2001, para. 9. Des délais sont aussi fixés pour la présentation de rapports. Voir par exemple, CS Rés. 1101 (1997), 29 mars 1997, para. 9 (au moins toutes les deux semaines).

74 Linos-Alexandre Sici!ianos, 'Entre multilatéralisme et unilatéralisme: L'autorisa- tion par le Conseil de sécurité de recourir à la force', 339 RCADI, 2008, 13-436, 156.

75 Erica de Wet, op.cit., pp. 19-20; Dan Sarooshi, op.cit., p. 155 et 162.

76 Philippe Lagrange, 'Sécurité collective ... ', op cit., p. 74.

77 Résolution 1244 (1999), para. 20.

Références

Documents relatifs

L'institution régionale tenta ainsi de contourner la sujétion à l'organisation universelle non pas par une référence à ses propres normes (régionales) mais en

II oppose les liens de syngeneia, selon lui legendaires, aux liens de parente, bien reels ceux-lä, entre metropoles et colonies ou entre colonies issues d'une meme metropole definis

Dans ce nouvel arrêt, le comportement susceptible de susciter une situation de confiance (changement de raison sociale de la société mère, constitution d'une filiale

En l'absence de loi fédérale sur Je commerce de produits thérapeu- tiques, la question de l'admissibilité de la vente par correspondance médicaments dépend des réglementations

Les relations entre l'oral et l'écrit dans l'acquisition du langage.. ZESIGER, Pascal Eric, BRUN, Marie,

a la jurisprudence du bunal fédéral et à la doctrine dominante, selon lesquelles la violation de l 1 obligation contractuelle doit en même temps cons tuer la

Les vestiges ne parlent pas d'eux-mêmes, ils ne sont que le reflet partiel d'une réalité humaine qui doit être maîtrisée dans le cadre large des

On peut admettre dans cette perspective l'existence d'importants processus d'acculturation des chasseurs se situant dans la zone de contact des deux courants de colonisation,