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Academic year: 2021

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Quelle posture professionnelle pour l’enseignant

d’Éthique et culture religieuse?

Mémoire

Marjorie Paradis

Maîtrise en didactique

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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RÉSUMÉ

L’enseignant d’Éthique et culture religieuse, depuis la mise en place du programme en 2008 dans les écoles du Québec, est appelé à relever d’importants défis inhérents à son rôle professionnel. Si un devoir de neutralité lui incombe officiellement, la posture lui permettant d’aborder les questions relatives à la différence culturelle n’est pourtant pas clairement définie.

C’est à la lumière d’orientations ministérielle telles que les finalités du programme d’ÉCR et via la définition de concepts clés comme la laïcité, le relativisme et l’universalisme que l’auteure s’emploie à préciser la posture de l’enseignant d’ÉCR. Cette dernière propose, au terme de sa démarche, la conception de « neutralité mesurée » qui, basée sur des considérations pratiques, vise à soutenir les enseignants dans leur pratique. Cette perspective, s’arrimant aux visées de l’État québécois, se place en amont d’une gestion pluraliste de la diversité et de la mise en application des valeurs communes.

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TABLE DES MATIÈRES

Résumé ... iii

Table des matières ... v

Introduction ... 1

1. Indications ministérielles et précisions théoriques ... 9

1.1 Le programme d’ÉCR : complice d’une laïcité proprement québécoise ... 9

A. La laïcité : de concept générique à enjeu identitaire ... 9

B. Éthique et culture religieuse : la genèse théorique d’un programme ... 13

C. Les visées du programme ... 18

1.2 La différence ... 20

A. « Quelle » différence? ... 20

B. La résonnance de la différence selon les milieux ... 25

C. La conception de l’Autre ... 27

1.3 Le rôle professionnel de l’enseignant... 33

A. La dimension culturelle du programme d’ÉCR ... 35

B. Le dialogue comme vecteur de vivre-ensemble ... 39

C. Le devoir de neutralité : un silence obligé? ... 41

1.4 Les fondements théoriques antinomiques de finalités complémentaires ... 45

A. La reconnaissance de l’autre : un relativisme déguisé? ... 48

B. L’essence universaliste de la poursuite du bien commun ... 55

2. L’édification d’une posture séante à l’enseignement de la différence dans le cadre du cours d’ÉCR ... 61

2.1 L’élaboration d’un socle de valeurs partagées ... 62

A. Comment choisir? ... 64

B. La citoyenneté comme assise normative ... 66

2.2 La réflexivité ... 69

A. La raison critique ... 71

B. L’authenticité ... 72

C. Le défi de l’école ... 73

2.3 Les finalités du programme d’ÉCR ... 74

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B. L’éducation civique ... 77

2.4 La laïcité ... 80

A. Une laïcité d’intelligence ... 81

B. La charge de l’école au regard d’une laïcité pluraliste ... 81

2.5 Une neutralité mesurée ... 82

A. L’État n’est pas neutre ... 83

B. « S’abstenir n’est pas guérir » ... 85

C. « On est tous quelque part » ... 86

CONCLUSION ... 89

RÉFÉRENCES ... 95

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INTRODUCTION

« Agir en tant que professionnelle ou professionnel héritier, critique et interprète d'objets de savoirs ou de culture dans l'exercice de ses fonctions »1. Ainsi peut-on lire la première des douze compétences professionnelles que doit développer un enseignant au fil de sa carrière. Notons d’abord que le premier des qualificatifs, « héritier », concerne l’héritage relatif à la culture et aux objets de savoir que possède un enseignant et qui constituent les fondements de son identité. L’enseignant devient donc courroie de transmission de cet héritage qui marque par ailleurs inévitablement l’exercice de ses fonctions. Dans un deuxième temps, le libellé de cette compétence professionnelle indique qu’un enseignant doit développer un sens critique et être en mesure d’en faire un certain usage dans l’exercice de sa profession. Notons au passage l’imprécision qui voile le sens de cette compétence. Finalement, il est dit que l’enseignant doit agir à titre d’interprète de ces objets de savoir et de culture, c’est-à-dire qu’il lui revient de se les approprier et d’en dégager le caractère fondamental ainsi que la fonction pédagogique.

Ces trois épithètes – héritier, critique et interprète – se collent naturellement à l’éducation, bien qu’ils trouvent néanmoins une résonnance singulière dans le contexte du cours d’Éthique et culture religieuse (ÉCR). Légitimes, certes, ils revêtent toutefois l’aspect insidieux de ce qui octroie une autonomie appréciable, mais qui en revanche ouvre la porte à de possibles faux pas. En effet, l’enseignant d’ÉCR a entre les mains un programme qui propose un ensemble de thématiques prescrites, mais très peu d’indications, cependant, sur la façon de les aborder. Laissé à lui-même, l’enseignant est ainsi appelé à assumer son triple rôle d’héritier, de critique et d’interprète sans toutefois savoir exactement ce que les acteurs satellitaires (parents, ministère, société, direction, etc.) attendent de lui en matière de savoir et de culture. Cela met la table à un examen critique de la position de l’enseignant d’ÉCR que nous nous proposons d’enclencher par l’évocation de trois situations rencontrées dans le cadre secondaire. Plus que de banales anecdotes, elles présentent des

1 Québec, Ministère de l’Éducation. La formation à l’enseignement : les orientations et les compétences

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problématiques qui cristallisent certaines des impasses ou imprécisions qui seront mises en lumière dans les prochaines pages de ce mémoire.

Dans un premier temps, jetons un regard sur ce que nous appellerons les « nouveaux mouvements religieux » au Québec, qui figurent dans la liste des éléments de contenu regroupés sous la thématique « Les religions au fil du temps ». Notons d’abord le flou qui masque cet objet de savoir, notamment parce qu’à titre d’exemple susceptible d’orienter l’enseignant, on ne peut que lire « l’origine, les caractéristiques, etc. ». Il serait en effet exagéré de penser que ces indications puissent spécifier en quelque façon que ce soit l’angle d’approche des nouveaux groupements religieux au Québec.

D’emblée, le choix du terme employé par l’enseignant pour aborder ce phénomène sera largement révélateur de sa posture, autrement dit de sa propre perspective. Ainsi, de l’emploi du mot « secte » transpire une connotation nettement péjorative, alors que l’utilisation d’expressions telles que « nouveau mouvement religieux » pourrait, selon certains, trahir un certain laxisme à l’égard du phénomène. Le contraste que nous désirons établir en opposant ces deux vocables, davantage qu’un vain caprice lexical, permet de saisir l’amplitude des potentialités sémantiques. Or, nous désirons démontrer que le simple choix d’un mot, forcément au détriment d’autres, se veut grandement tributaire d’une posture idéologique préalable de l’enseignant et est porteur d’un univers symbolique parfois puissant. Plus encore, un champ lexical est un outil dans la transmission d’un message et s’avère parfois lourd d’intentions. À ce sujet, en outre, le programme d’enseignement pourvoit peu de détails concernant l’objectif pédagogique relatif aux nouveaux groupements religieux au Québec, ce qui octroie une liberté quasi totale à l’enseignant, d’une part abandonné à lui-même et qui devient garant, d’autre part, de l’accomplissement de ses propres intentions.

Plus précisément, il a été su qu’un enseignant dépeignait le phénomène des nouveaux groupements religieux comme n’étant rien de plus qu’un fait social et que, tout à la fois, son collègue s’accordait la liberté d’aborder le même phénomène sous l’angle des dangers qui lui sont inhérents. Une posture vaut-elle mieux que l’autre? Est-il acceptable

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qu’un même élément de contenu soit porteur de messages et d’intentions aussi éloignés? Que souhaite l’État à ce propos? Nous sommes à tout le moins d’avis que cette dichotomie dans les positionnements symboliques des enseignants est nuisible à l’apprentissage des élèves, au bien-être professionnel des enseignants et à la santé du cours d’ÉCR lui-même.

Certes, le choix du ton et d’un corpus de termes est à notre sens une préoccupation justifiée et fondamentale en enseignement. Or, lorsqu’une situation d’intimidation, voire de violence, prend racine dans l’incompréhension et la fermeture d’esprit des élèves, élaborer une réflexion à l’égard du cours d’ÉCR dépasse la légitimité : l’exercice devient pressant. En effet, il est du devoir de l’institution scolaire de tout mettre en œuvre afin d’enrayer le phénomène d’intimidation au sein des écoles, dont les médias font d’ailleurs abondamment état, et le cours d’ÉCR est susceptible de pallier les formes d’incompréhension et de jugement qui prennent corps chez les jeunes.

Un nouvel élève – musulman – est accueilli dans une école, précédé par les stéréotypes et commentaires désobligeants à son égard. Il encaisse les « coups » verbaux tous plus tonitruants les uns que les autres, bien que loin d’être originaux : « maudit terroriste », « […] il va nous tuer! », « […] on sait bien, toi dans ton pays! ». Plus encore, il subit l’affirmation convaincue des autres élèves du lien évident entre sa religion et sa violence intrinsèque. L’autocontrôle dont fait preuve l’élève durant la première partie de la journée a néanmoins ses limites : la bagarre éclate en classe à la suite du commentaire qui était « de trop ». Provocation, d’abord, réactions verbales, puis éruption des coups… Les coups retentissants et gorgés de haine de celui qui en a assez de l’incompréhension des autres. En même temps, les coups tout aussi violents du deuxième élève qui se défend avec hardiesse en se félicitant de sa courageuse affirmation identitaire. Il va de soi que la violence, quelle qu’en soit la cause, ne connaît aucune justification possible, même pas celle de la victime d’intimidation qui ressent le besoin de réagir. Or, l’intimidation verbale née de l’incompréhension de l’Autre, de l’étranger démonisé, apparait clairement comme la cause de cet évènement regrettable et ayant malheureusement résonnance dans plus d’un milieu. Cristallisant les préjugés et les craintes des élèves, la situation évoquée apparaît plus grave encore aux vues de la fermeture subséquente de ces derniers à toute justification ou

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explication qui aurait éventuellement permis d’abattre certains stéréotypes. Un évènement comme celui-ci réaffirme, d’une part, la nécessité de proposer aux élèves du secondaire un cours à propos du phénomène religieux et de la diversité culturelle. D’autre part, en revanche, une telle situation pose un problème notoire, celui des difficultés inexorablement engendrées par l’enseignement de la différence religieuse sur fond préalable – quoique pas forcément généralisé – d’incompréhension.

Une situation vécue était rapportée pendant un atelier portant sur le dialogue dans le cadre des Journées provinciales de formation continue en 2012. Il y était question du discrédit jeté par un enseignant pendant un cours d’ÉCR sur l’animateur d’une émission à l’horaire d’une radio dite « poubelle ». L’objectif : identifier des entraves au dialogue. Le moyen utilisé : écouter en classe les propos de l’animateur et en faire l’analyse de façon à en faire ressortir les procédés qui gênent le dialogue (l’appel au préjugé, la caricature, la généralisation abusive, etc.). De cette façon, l’exercice a permis de présenter le discours de l’animateur et les procédés réflexifs qui le sous-tendaient comme un contre-exemple dans la pratique du dialogue puisque de nombreuses entraves y ont effectivement été décelées. À la suite de cet exercice réalisé sur les heures de cours, un élève a même ultérieurement appelé l’animateur pour critiquer, en onde, les lacunes intellectuelles identifiées en classe. Cet affront, s’il est nécessaire de le préciser, n’a pas manqué de mettre le feu aux poudres de l’animosité déjà existante de l’animateur envers le cours d’ÉCR. Somme toute, le moyen utilisé par l’enseignant était-il fondé? Était-il acceptable qu’il personnalise ainsi un élément de contenu, ou outrepassait-il son rôle? Par ailleurs, s’il sait qu’une opinion est infondée ou proprement haineuse, l’enseignant est-il toujours tenu à l’impartialité?

Objectifs de recherche

Réclamant d’être abordées non pas simplement en tant qu’anecdotes, ces mises en situation se veulent à la fois points de départ et vecteurs de légitimation de la réflexion qui sera approfondie dans le cadre de ce mémoire. En effet, celles-ci donnent relief aux trois compétences que doit développer l'enseignant et que nous avons évoquées d’entrée de jeu. Premièrement, le bagage – l’héritage – socioculturel de l’enseignant et de ses élèves est au centre des questionnements soulevés puisque le positionnement du maître à l’égard de

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sujets tels que les nouveaux groupements religieux ou les religions méconnues sera largement tributaire du milieu duquel il est issu. Dans un second ordre d’idée, ces mises en situation soulèvent la question de l’esprit critique qui pose celle selon nous plus compliquée de la mesure dans laquelle l’enseignant est appelé à l’appliquer. Finalement, elles font appel à la démarche interprétative dans laquelle doit s’engager l’enseignant à propos des divers faits sociaux et religieux de façon à demeurer à la fois conforme aux orientations ministérielles et attentes extérieures, puis autonome dans l’application de son jugement professionnel.

Au demeurant, les attentes à l’égard de l’enseignant d’ÉCR (les compétences qu’il doit développer) et la réalité de la classe prompte à générer des situations comme celles qui ont été dépeintes, se recoupent dans la question de la posture professionnelle. Les cas mentionnés permettent en effet d’entrevoir l’embarras d’un enseignant d’ÉCR face à certaines questions potentiellement inconfortables ou susceptibles de générer des incongruités dans la pratique enseignante. Puisque l’enseignant doit d’emblée incarner les modèles d’héritier, de critique et d’interprète, il devient tout à fait possible, voire inévitable, que ce dernier se sente démuni quant à la posture – la « bonne » posture, s’il en est une – à adopter devant différents objets de savoir. Loin de nous, toutefois, l’ambition de poursuivre des fins de dénonciation, ou encore de revendications. En effet, la présente réflexion n’est nullement une tentative de rallier quiconque à la cause enseignante, de dépeindre de manière alarmante l’état de la profession ni de dénoncer des pratiques pédagogiques qui rencontreraient plus ou moins maladroitement les exigences du programme d’ÉCR. Le réel dessein de l’exercice réflexif qui s’élaborera au cours des pages à venir s’inscrit davantage dans une approche déontologique et philosophique de l’éducation et relève principalement de la volonté de conforter les enseignants d’ÉCR dans leur quête de sens professionnelle.

Cette préoccupation s’ouvre au demeurant sur la problématique suivante : quelle posture professionnelle préconiser pour l’enseignement de la différence dans le cadre du cours d’ÉCR? De fait, cette question constituera l’épicentre de nos recherches et le présent mémoire vise à élaborer à son égard une réponse constructive et originale. Nous souhaitons qu’en réponse à cette problématique soient présentées, dans une ultime mesure, des pistes

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de solutions qui pourront, nous le souhaitons ardemment, enrichir la démarche professionnelle des enseignants d’ÉCR et ainsi faciliter l’enseignement des faits religieux et éthiques dans ce qu’il possède de complexe et de singulièrement fécond tout à la fois.

Méthodologie employée

Ainsi proposons-nous de circonscrire une posture favorable à l’enseignement de la différence sous forme de clés d’action. Pour atteindre cet objectif, les moyens utilisés seront de quatre ordres. Il nous faudra réaliser une étude du contexte social et identitaire québécois via le thème de la laïcité, préciser le concept de différence, rendre compte des orientations ministérielles qui prétendent déjà baliser la posture professionnelle de l’enseignant d’ÉCR, puis circonscrire les cadres théoriques susceptibles d’être éclairants pour la mise en œuvre d’une pédagogie en accord avec les exigences du programme.

Dans un premier temps, il nous incombe donc d’aborder le processus d’implantation du programme d’ÉCR en décrivant le contexte plus large qui l’a vu naître. Le thème de la laïcité apparaît à ce titre central puisqu’il est un vecteur identitaire fort et qu’il établit les bases symboliques et normatives du choix québécois vis-à-vis la diversité. L’activation du concept de laïcité au Québec sera donc abordée en tant que terrain d’implantation du programme dont le mécanisme sera expliqué et mis en relation causale avec le phénomène de sécularisation du Québec. Nous nous emploierons ensuite à définir la différence en tant que concept-clé sur lequel nous entendons principalement baser notre effort d’analyse. Pour ce faire, il conviendra de préciser l’acception du concept qui sied à nos objectifs de recherche, représenter son activation selon les milieux sociaux, mesurer l’apport de la conception de l’Autre à sa compréhension, puis jauger la pertinence de la tolérance comme schème d’administration de la différence. Dans un troisième ordre d’idées, un exercice de synthèse des orientations ministérielles à propos de la posture professionnelle de l’enseignant d’ÉCR sera nécessaire puisqu’il permettra d’identifier un ensemble de données déjà connues. En effet, il aurait été présomptueux de parler d’un flou déontologique sans avoir au préalable rendu compte des paramètres déjà établis par les penseurs du programme. Une analyse exhaustive des indications contenues dans les documents ministériels sera réalisée à cet effet. Finalement, reconnaître l’existence de différents cadres

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théoriques ouvrira la voie à une meilleure compréhension des assises conceptuelles et des objectifs du programme. Ainsi dresserons-nous les contours des approches universaliste et relativiste afin de rendre compte des dispositions philosophiques à partir desquelles il est possible d’accueillir une variété de valeurs, de pratiques et de croyances. Cet exercice basé sur la compréhension des prémisses qui activent ces approches permettra par ailleurs d’identifier les potentiels pièges philosophiques qui leur sont inhérents. Cet effort de définition deviendra à cet effet inévitable afin de rendre compte des perspectives envisageables pour l’enseignement de la différence, aussi tenterons-nous dans un souci de concision de les raccorder à la pratique enseignante et d’établir entre eux des liens dynamiques et significatifs.

Essentiellement, nous nous proposons donc de réaliser une exhaustive et sélective recension d’écrits à partir des champs de la philosophie, de l’histoire socioreligieuse du Québec, de l’éducation, de la sociologie, de l’éthique professionnelle et des sciences des religions. Cet exercice permettra entre autres de mettre en lumière l’abondance de la littérature qui converge vers le programme d’ÉCR (en effet, bilans du cours, indications sur sa mise en place, examens de ses fondements et essais pédagogiques foisonnent). La principale difficulté inhérente à cette profusion est celle de la cohérence du discours : il sera en effet capital de garder le cap sur les objectifs de recherche émis et de faire un usage efficace des informations recueillies de façon à alimenter de manière constructive l’aspect particulier de la posture enseignante en ce qui a trait à l’ÉCR. De fait, un triple effort de concision, de cohérence et de clairvoyance devra conduire la composition de ce répertoire littéraire afin que celle-ci tende vers l’élaboration de clés d’action efficientes.

Notons par ailleurs que cet exercice de confrontation conceptuelle ne se veut pas spécialement une critique du programme d’ÉCR, mais plutôt une tentative de débroussailler des zones sensibles du rôle de l’enseignant. Nous souhaitons plus précisément que les résultats de nos recherches permettent d’ériger des balises à son éthique professionnelle. Nonobstant la teneur théorique de nos considérations inévitablement générée par la nature littéraire d’une méthodologie propre à la recension d’écrits, nous poursuivrons donc globalement un objectif de concrétisation, en ce sens que nous verrons à ancrer solidement

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le fruit de nos recherches dans la réalité pratique de l’enseignement. C’est donc avec en tête une idée claire de la différence, à la lumière des orientations ministérielles concernant la posture professionnelle et dans le confort procuré par l’édification d’un cadre conceptuel convenant à l’enseignement de la différence que nous serons à même, finalement, d’élaborer des clés d’action qui, nous l’espérons, contribueront à clarifier le rôle de l’enseignant d’ÉCR.

Il convient en définitive de noter que l’enseignant sera au cœur de nos préoccupations bien que l’apprentissage des élèves et l’atteinte de l’objectif du vivre-ensemble souhaité par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) seront, dans une ultime mesure, forcément abordés. Il demeure toutefois que globalement, c’est la posture éthique de l’enseignant qui constituera l’épicentre de nos efforts réflexifs afin qu’une réponse éclairante soit apportée à la problématique de départ.

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1. I

NDICATIONS MINISTÉRIELLES ET PRÉCISIONS

THÉORIQUES

1.1 LE PROGRAMME D’ÉCR : COMPLICE D’UNE LAÏCITÉ

PROPREMENT QUÉBÉCOISE

Il convient à cette étape de jeter un regard sur le programme en lui-même ainsi que sur le contexte qui l’a vu naître. Il sera de cette façon plus aisé d’en comprendre les raisons d’être et les finalités, puis d’entrevoir les enjeux qui lui sont rattachés au vu des résultats engendrés depuis son implantation en 2008. D’entrée de jeu, nous aborderons la question de la laïcité pour ensuite expliquer les migrations idéologique et identitaire qui ont mené à la création d’un programme portant sur l’éthique et l’aspect culturel du fait religieux, tout en établissant au passage les principaux jalons de la progression du Québec à travers sa quête éducative.

A. La laïcité : de concept générique à enjeu identitaire

Employons-nous donc dans un premier temps à dresser les contours d’un concept-clé à la mode, certes, puis parfois même galvaudé au gré d’usages multiples utilitaires et systématiques : la laïcité. Positive, ouverte, fermée ou restrictive sont autant de qualificatifs qui contribuent à l’étayer, à la complexifier ou à la préciser. Pourtant, selon Solange Lefebvre, « […] le besoin même de l’usage d’un qualificatif cherchant à positiver le concept révèle sa nature problématique2 ». Or, cet enchevêtrement d’acceptions extensibles de la laïcité n’est pas sans définir également les tâtonnements des Québécois dans leur propre appropriation du concept. Ainsi le Québec se retrouve-t-il avec, dans les mains, un mot sacoche qui laisse un arrière-goût, si l’emploi de l’expression nous est accordé, de « patate chaude ».

2 Lefebvre dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). Le programme d’éthique et culture

religieuse : de l’exigeante conciliation entre le soi, l’autre et le nous, Québec : Presses de l’Université Laval,

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Au Québec, en effet, un processus de métamorphose institutionnelle s’accomplit en synchronisme avec une réflexion de fond portant sur le modèle à adopter pour l’aménagement, à l’échelle sociale, d’un espace commun qui permettrait l’émergence d’une culture publique se nourrissant d’un corpus de valeurs partagées3. Le modèle qui s’impose au vu de cet idéal est la laïcité, prometteuse sur les plans social et identitaire et représentative des mutations paradigmatiques éducatives en cours. D’une perspective éthique, la laïcité peut être entendue au sens d’une « position universelle qui enchâsse la reconnaissance et la cohabitation des différences4 ». Elle signifie également que les pouvoirs religieux et politique ne sont pas liés dans un rapport d’influence. En conséquence, l’État ne pourrait ni prescrire une religion, ni appliquer des principes au nom d’une religion, ni tenir une position antireligieuse.

Il convient de préciser que les paramètres du cadre normatif octroyé par la laïcité devant déterminer son degré de rigidité sont autant de variables qui établissent une multiplicité de façons de s’approprier le concept. Comme l’indique Denis Jeffrey à ce sujet, la laïcité est une réalité plurielle, « à l’image des modernités5 ». Il n’est donc pas suffisant, pour une société, de s’affirmer laïque, encore faut-il qu’elle détermine le mode d’application de ce concept polysémique. La laïcité peut en effet être entendue au sens strict ou de façon plus permissive, selon ce que l’on entend par la prémisse de séparation entre l’État et la religion. L’acception stricte du concept signifie globalement que la religion doit être totalement évacuée de toutes les sphères de l’État, relayant du coup la religion à la sphère privée exclusivement. C’est ce dont parle ironiquement Lefebvre en parlant d’une « solution magique » qui repose sur un « refoulement du religieux dans les marges de la vie privée6 » qui a pour résultante une atténuation superficielle des effets néfastes de la religion. L’acception permissive de la laïcité élimine pour sa part la primauté d’une religion sur les autres et est empreinte de neutralité et d’ouverture, ce qui déploie un espace croyant « ouvert » exempt de jugement. Le concept d’égalité, intrinsèque à la laïcité, est entendu

3 Estivalèzes dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). Le programme d’éthique et culture

religieuse : de l’exigeante conciliation entre le soi, l’autre et le nous, Québec : Presses de l’Université Laval,

2012, p. 1

4 Jeffrey dans Robert Mager (dir.). Religion et modernité au Québec. Québec : Presses de l’université Laval,

p. 254 à 262

5 Ibid.

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différemment selon les deux acceptions. En vertu de la première, l’égalité est effective sur la base de la fermeture à toute forme de démonstration ou de présence religieuse dans l’espace public. Selon la seconde, l’égalité ouvre un espace à l’affirmation et à la manifestation des convictions. La compréhension de cette même valeur fondamentale et fondatrice des sociétés modernes démocratiques peut donc elle-même être décomposable au point de donner lieu à des applications tout à fait variées.

Le cas québécois est à ce sujet parlant. À l’issue de la Révolution tranquille, la société avait tacitement fait le choix d’une laïcité permissive prenant acte de la diversité et laissant place aux manifestations religieuses multiples. Pour Jeffrey, celle-ci se porte à la « défense du pluralisme religieux dans l’espace public contre la domination de l’une ou l’autre des confessions religieuses7 ». Elle contraint par conséquent l’État à la neutralité sur les affaires religieuses. Cette option n’avait toutefois pas été institutionnellement officialisée, ce qui signifie que la laïcité n’est à ce jour définie dans aucun document d’État, charte, texte de loi, etc., pas plus évidemment que les conditions de son application. Le projet qui a d’abord été proposé sous le libellé de « Charte des valeurs québécoises » par le Parti québécois en septembre 2013 avait précisément pour objectif d’ajouter une dimension législative à ce principe. Le projet de loi déposé le 7 novembre et ayant pour titre Charte

affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'État ainsi que d'égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d'accommodements cristallise la

compréhension qu’a le Parti québécois du principe de laïcité. Une définition correspondant à l’acception stricte du concept, notamment en vertu de l’intention d’interdire le port de signes religieux visibles à tous les employés de l’État. Sur la base de la neutralité de l’État, le Parti québécois souhaite donc niveler les comportements à l’aune d’une prohibition dite égalitaire, en d’autres mots énoncer les principes d’une bienséance religio-comportementale. Il est aisé de constater l’écart entre cette vision de la laïcité basée sur la neutralité des agents de l’État et celle qui infère que l’État, puisque neutre, ne doit pas s’ingérer dans la chose religieuse. D’une égalité basée sur le libre-exercice de ses croyances, le Québec glisserait donc vers une négation égalitaire de la religion.

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Au Québec s’inscrivent des défenseurs d’une laïcité « ouverte égalitaire formelle » dans la mouvance de Micheline Milot alors que Yvan Lamonde se fait porte-étendard d’une frange prônant une laïcité plus restrictive8. Or, c’est dans le rapport Proulx que le modèle laïc québécois s’était finalement dessiné dans une perspective d’ouverture. La proposition de ce cadre normatif apparaissait alors comme le terreau pour la mise en œuvre de l’enseignement culturel du fait religieux souhaité par le Groupe de travail sur la place de la religion à l’école9. Cette laïcité ouverte, bien que témoin d’un processus de sécularisation enclenché depuis 1960, n’était pas caractérisée par l’éviction de la religion : elle était celle de sa multiplication et, parallèlement, de l’individualisation de la quête de sens10. Parce qu’elle était basée non pas sur le « refus du religieux ou de la conviction », mais sur l’« accueil de la différence dans un monde de respect et de droit11 », elle pouvait tout aussi bien être qualifiée de laïcité positive, de collaboration, de neutralité ou de dialogue.

Or, notons que la récente résolution prise par le Parti québécois de redéfinir les valeurs partagées au Québec vise précisément à raffiner les contours de ce type de laïcité. En effet, d’abord présenté sous l’éloquent nom de Charte de la laïcité, ce projet a ensuite été soumis à la population dans une forme plus globalisante, à savoir en tant que Charte des

valeurs québécoises. Ce document visant à « clarifier le contrat social12 » se divise en deux volets, le premier portant sur une gestion plus stricte des accommodements religieux, et le second sur la neutralité de l’État. Définie par l’équipe Marois comme étant un mode d’organisation de l’État basé sur la séparation des religions et de l’État, la neutralité sur le plan religieux et l’égalité entre les citoyens, la laïcité serait désormais inscrite dans la Charte québécoise des droits et libertés13. La définition émise n’a certes rien de réellement original, si ce n’est que l’un de ses moteurs d’application serait l’interdiction du port de signes religieux visibles pour tous les travailleurs de la fonction publique. C’est en effet

8 Lefebvre dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). op. cit., p. 85 9 Ibid.

10 Estivalèzes dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). op. cit., p. 2

11 Georges Leroux. Éthique, culture religieuse, dialogue : arguments pour un programme, Saint-Laurent,

Québec : Fides, 2007, p. 14

12 Gouvernement du Québec. Nos valeurs, [En ligne] http://www.nosvaleurs.gouv.qc.ca/fr#neutralite (page

consultée le 12 septembre 2013)

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cette dernière restriction qui laisse entrevoir le souhait du gouvernement de s’approprier une acception plus restrictive du principe de laïcité.

Quoiqu’il en soit, c’est au croisement de la sécularisation de la société avec le choix d’une laïcisation ouverte de l’école publique caractéristique de l’ère pré-Marois que naissait le programme d’ÉCR en 2008, dont le fondement paradigmatique était le résultat d’une entière révision du schème éducatif antérieur. Du discours intérieur qui assurait autrefois la transmission d’un savoir religieux unique, on a migré vers un discours à propos de la chose religieuse. En effet, c’est face à une propre redéfinition sur le plan de l’identité, conséquence d’une poussée du pluriel entre autres, que le besoin d’adopter une approche scientifique permettant d’aborder la réalité de la diversité est apparu. C’est cet impératif que décrit Mireille Estivalèzes en affirmant que c’est dans « la tension entre le soi, l’autre et le nous que le programme ÉCR doit être compris […]14 ».

B. Éthique et culture religieuse : la genèse théorique d’un programme

Effectuons donc la genèse d’un programme issu de préoccupations portant sur l’aspect confessionnel des institutions scolaires et de considérations pour le droit fondamental du respect des libertés de conscience et de religion. Bien que pleinement conscients de l’apport significatif de la Révolution tranquille et du Rapport Proulx à l’évolution des structures scolaires québécoises, nous faisons sciemment le choix d’établir en 199315 le préambule du processus qui donnera lieu à l’implantation du cours d’ÉCR, alors que le Conseil supérieur de l’éducation présidé par Robert Bisaillon, désireux d’inscrire l’enseignement dans le contexte du déverrouillage confessionnel, proposait d’explorer « la piste d’un enseignement, à la fois moral et religieux, de type culturel à ceux qui le désirent16 ». La contribution subséquente de différents groupes de travail sera nécessaire pour que la démarche enclenchée aboutisse finalement à la création du programme d’ÉCR, mais il était alors déjà possible d’entrevoir les éléments qui constitueraient le socle et la substance même du cours tel qu’il est connu et actuellement

14 Estivalèzes dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.). op. cit., p. 6 15 Pour une représentation complète du processus, consulter l’Annexe.

16 Jean-Pierre Béland et Pierre Lebuis. Les défis de la formation à l’éthique et à la culture religieuse, Québec :

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dispensé. En effet, à la fois les dimensions morale et religieuse sont-elles présentes (elles subiront par la suite, il va de soi, des mutations sur le plan paradigmatique), en plus d’une perspective culturelle, réel élément de nouveauté évoquant les changements socioculturels marquant le Québec moderne. L’appellation « culture religieuse » démontre elle-même une détermination à s’éloigner d’un enseignement confessionnel de la religion pour se rapprocher davantage, à l’intérieur d’un « cadre conceptuel emprunté à l’anthropologie et à l’histoire des religions17 », d’un enseignement de type culturel des religions ou du fait religieux.

Trois ans après l’enclenchement de cette démarche réflexive marquée par l’exploration de besoins relatifs à un enseignement culturel du fait religieux, soit en 1996, la Commission des États généraux sur l’Éducation est mise sur pied. Toujours conduite par Robert Bisaillon, on y verra se radicaliser la suggestion émise par le Conseil supérieur. Dès lors, le déverrouillage du système confessionnel doit passer par la laïcisation complète des institutions scolaires, des établissements et des enseignants18. La déconfessionnalisation des

commissions scolaires est donc décrétée en 1997 et pavera la voie à celle subséquente de l’ensemble des structures éducatives gouvernementales et des écoles publiques. On met également en lumière l’importance d’élaborer des contenus d’apprentissage relatifs au phénomène religieux, puis d’accomplir une restructuration des curriculums.

C’est dans cette perspective de mutations curriculaires que s’enclenche une démarche institutionnelle sous la tutelle ministérielle de Pauline Marois munie d’une ferme résolution de « gérer les attentes religieuses dans la perspective d’une société pluraliste ouverte, dans le sens d’une démarche progressive et dans le respect de l’histoire et de la culture québécoises19 ». Alors que le choix de la confession étudiée demeure possible, on se questionne sérieusement sur la pertinence que revêtirait l’intégration dans les écoles d’un programme unique visant une formation au sujet du phénomène religieux. C’est par la suite en 1999 que ces considérations seront soumises au Groupe de travail sur la place de la

17 Nancy Bouchard. Éthique et culture religieuse à l’école, Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2006,

p. 9

18 Jean-Pierre Béland et Pierre Lebuis op. cit. 19 Ibid.

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religion à l’école, présidé par Jean-Pierre Proulx, duquel émergera en 2000 la conclusion suivante :

La religion peut avoir une place à l’école, comme contribution à l’éducation intégrale de l’enfant, dans la mesure où son aménagement respecte la norme de l’égalité fondamentale des citoyens et qu’elle favorise l’atteinte des buts qui sont nécessaires à la formation des citoyens et à la construction du lien social20.

Au demeurant, le groupe de travail se prononce en faveur de la laïcisation des institutions publiques et de la mise sur pied d’un enseignement culturel des religions. C’est finalement pour donner suite aux recommandations du Groupe de travail sur la place de la religion à l’école qu’un comité chargé d’examiner la question du phénomène religieux est formé. En vue de l’instauration d’un programme arrimé aux préoccupations soulevées par celui-ci, le comité élabore un corpus de principes directeurs permettant d’agir à titre de référents. Selon le principe dominant, le programme doit s’adresser « à tous les élèves, quelles que soient leurs options et celles de leurs parents sur le plan religieux21 », prémisse issue du respect de la liberté de conscience et de religion de chacun et de la reconnaissance de l’égalité de tous les élèves22. L’idéal d’égalité est donc omniprésent tout autant, il va de soi, que l’ambition d’évacuer toute forme de discrimination basée sur la culture ou la religion. La nature même de ce principe déloge de facto tout enseignement confessionnel visant à entretenir une idéologie particulière et à encourager quiconque à s’engager singulièrement dans une confession ou à adhérer à un courant de pensée plutôt qu’à un autre23. Des principes secondaires émanent du précepte principal énoncé et portent sur divers aspects ou dispositions à mettre en place pour une intégration positive de ce dernier. On parle d’abord d’emprunter et d’appliquer la perspective propre aux sciences humaines, de rendre compte de la diversité des courants de pensée (religieux ou séculiers), de souligner l’importance de la tradition chrétienne au sein du programme, de considérer le pluralisme dans la société québécoise et, enfin, d’accorder une attention au développement cognitif des élèves et à la diversité possible des intérêts. En concordance avec l’idée de base évoquée précédemment, ces principes directeurs de second plan véhiculent tout à la fois des indications concernant

20 Ministère de l’Éducation (Micheline Milot et Jean-Pierre Proulx). Les attentes sociales à l’égard de la

religion à l’école publique (Rapport de recherche), Gouvernement du Québec, 1999, p. 200

21 Comité sur l’éducation au phénomène religieux. L’enseignement culturel des religions : principes

directeurs et conditions d’implantation, Gouvernement du Québec, 1999, p. 8

22 Ibid. 23 Ibid.

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la finalité du futur programme, les contenus d’apprentissage souhaités et les moyens à privilégier.

Aussi le Groupe de travail s’approprie-t-il l’ensemble de ces recommandations émises par le Comité sur l’éducation au phénomène religieux et les intègre à sa démarche. Ces préoccupations le mènent au final à se prononcer en faveur de l’option qui s’avère selon lui la plus souhaitable au regard de la mise sur pied d’un nouveau programme d’enseignement, visant à offrir à tous les élèves un « enseignement de type culturel en lieu et place des enseignements confessionnels24 ». En effet, cette option apparaît aux yeux du Groupe de travail plus valable que les deux autres propositions envisagées, c’est-à-dire de préconiser un système d’option entre des enseignements de type confessionnel ou culturel, ou d’éliminer simplement l’enseignement religieux au profit d’un enseignement moral. Selon les membres du groupe, c’est celle qui au demeurant présente le plus d’avantages sur le plan social.

Son rapport achevé, le Groupe de travail transmet ses recommandations au ministre de l’Éducation pour que celles-ci soient débattues publiquement. On remarque alors un net consensus en faveur de la déconfessionnalisation du système scolaire global, mais on note qu’il en est autrement à propos des recommandations concernant la mise sur pied d’un programme d’enseignement culturel des religions. Le ministre de l’Éducation de l’époque, François Legault, opte alors pour une « démarche progressive qui respecte l’évolution des mentalités et des milieux25 ». Il convient de préciser que le ministre signale que concrètement, le primaire et le premier cycle du secondaire ne seront pas immédiatement touchés par les modifications curriculaires relatives à l’enseignement des religions, mais qu’un cours obligatoire d’enseignement culturel des religions remplacera le régime d’option au deuxième cycle du secondaire. Également, des modifications notoires seront apportées à la Loi sur l’instruction publique (loi 118) et subséquemment aux chartes québécoise et canadienne en ce qui a trait à l’égalité quant à la liberté de religion et de conscience.

24 Jean-Pierre Béland et Pierre Lebuis op. cit., p. 12

25 Ministère de l’Éducation. Dans les écoles publiques du Québec : une réponse à la diversité des attentes

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En 2005, le Conseil supérieur de l’éducation promulgue un avis selon lequel il serait souhaitable que le ministère de l’Éducation rende effectives les recommandations prononcées précédemment annonçant les modalités d’une réforme de l’enseignement confessionnel de la religion ainsi que les moyens prévus pour la mettre en œuvre. En réaction à cette exhortation, le Ministère de l’Éducation réagit rapidement en avisant la population de la création d’un nouveau programme d’ÉCR qui doit entrer en vigueur à compter de l’automne 2008 et qui repose sur quatre grands préceptes, soient la continuité des apprentissages, leur enracinement dans la réalité et la culture des jeunes du Québec, le respect de la liberté de conscience et de religion et la préoccupation du vivre-ensemble26. La stratégie envisagée est d’implanter les apprentissages dans la réalité immédiate de l’élève de manière à ce qu’il s’approprie des éléments du fait religieux qui le concernent, pour qu’il soit, dans une ultime mesure, enclin à laisser « élargir ses horizons27 ». On souhaite plus précisément qu’il soit attentif au patrimoine qui est le sien et aux valeurs qui marquent sa société, autant qu’aux apports de l’implantation de religions issues des courants d’immigration. À cet effet, des précisions sont apportées à l’intérieur du document d’information relatif à la mise en place du programme d’ÉCR à propos de la posture qu’un enseignant doit adopter afin que les préoccupations soulevées soient honorées. Globalement, celui-ci doit se montrer vigilant quant au respect des valeurs, des croyances et des convictions familiales que chaque élève transporte inévitablement en classe. Pour ce faire, dit-on, l’enseignant est appelé à imprégner sa pratique d’objectivité et d’impartialité professionnelle.

Au regard des principes énoncés, il va de soi en effet que l’enseignant d’ÉCR ne doit en aucune manière agir lui-même en tant que porteur et diffuseur de croyances ou de valeurs. Or, si le respect des convictions familiales et l’impartialité de l’enseignant semblent constituer le socle éthique du programme, comment réagir lorsque les idées familiales véhiculées par le biais des élèves en classe sont empreintes de violence, de discrimination ou de racisme? Comment accepter l’inacceptable? Dans quelle mesure des

26 Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. La mise en place d’un programme d’éthique et de culture

religieuse : une orientation d’avenir pour tous les jeunes du Québec, Gouvernement du Québec, 2005, p. 5

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convictions basées sur le rejet d’autrui doivent-elles être respectées? Ces questionnements font le pont entre la problématique qui a été formulée d’entrée de jeu à propos de l’enseignement de la différence religieuse et les fondements du programme.

C. Les visées du programme

Avant même de penser entrevoir les enjeux relatifs à la mise en place du programme d’ÉCR, il nous apparaît incontournable de jauger les potentialités qu’il renferme quant au cheminement de la société québécoise sur le plan identitaire autant que culturel. Passage obligé, une redéfinition des curriculums scolaires porteuse de visions et d’ambitions renouvelées était inévitable au regard des mutations sociales marquant le Québec tout comme l’ensemble des métropoles caractérisées par le phénomène d’hétérogénéisation culturelle. À ce sujet, Nancy Bouchard propose une esquisse de l’état actuel de la société québécoise en parlant des tensions et des défis que présente la coexistence désormais inéluctable des cultures dans une « société pluraliste traversée par les phénomènes de métissage culturel et de mondialisation28 ». Au vu de ce diagnostic, Bouchard soutient que la connaissance des références religieuses comme agents de structuration des identités devient essentielle, plus précisément parle-t-elle à cet égard d’une exigence éthique, voire d’une exigence citoyenne29. En d’autres mots, connaître les éléments constitutifs de notre héritage culturel est nécessaire, tout autant que l’est l’ouverture aux éléments qui forgent le patrimoine culturel à venir. Ainsi la religion dépasse-t-elle l’individualité pour devenir au demeurant un enjeu collectif, ce qui s’impose en tant que principe-clé en vue de la pleine compréhension des orientations du programme d’ÉCR. Bouchard aborde cet impératif en soulignant qu’il nous faut « établir un cadre de pensée favorisant l’intelligence des convictions et la volonté de coexistence au sein de la Cité30 », revendications qui prennent corps dans les dispositions activées par l’intégration du cours à la formation des jeunes Québécois.

Or, les documents officiels relatifs à la mise en place du programme ne manquent pas de préciser ces orientations ministérielles et de justifier la démarche entamée. Plus

28 Nancy Bouchard op. cit., p. 11 29 Ibid.

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précisément, la finalité initiale du programme d’ÉCR est l’atteinte du vivre-ensemble, et c’est vers elle que convergent les autres orientations. « Favoriser le vivre-ensemble », ainsi se définit donc l’ultime défi du programme, mené par des enseignants qui seront les porte-étendards de cette ambition qu’ils devront s’approprier pour qu’elle devienne une préoccupation professionnelle si importante qu’elle agira à titre de principe directeur dans leur pratique. À cet effet, le Comité sur les affaires religieuses précise que le rôle de l’enseignant doit en être un de passeur de culture religieuse (et non de religion au sens de confession)31 de manière à guider ses élèves dans un espace de découverte, de curiosité et d’intérêt pour la différence. Il doit les amener, en somme, à dépasser l’incompréhension et le jugement pour qu’ils deviennent, progressivement, en mesure de s’approprier la réalité sociale qui est la leur et d’évoluer positivement dans le cadre de la pluriethnicité.

Ainsi la réputation du cours est-elle à refaire : dangereux aux yeux de certains parents et ennuyeux à ceux des élèves, l’image du cours est blessée par le précédent programme d’enseignement moral et religieux qui assurait, à travers un discours de l’intérieur, l’évolution de l’enfant dans la foi. Il appert donc capital de refonder l’image du programme en insistant sur l’angle culturel sous lequel est abordé le fait religieux. Ce dernier a toutefois mauvaise presse auprès des parents catholiques qui auraient souhaité le maintien d’un enseignement à la foi et qui entretiennent une peur face à l’effet dit « kaléidoscope32 » du cours, puis auprès des mouvements laïcs, tenants d’une laïcité ferme, qui voudraient à l’opposé voir disparaître toute empreinte religieuse du cursus scolaire des élèves. Ces deux groupements aux visions diamétralement opposées se rallient paradoxalement au sein d’une coalition qu’Estivalèzes qualifie d’« hétéroclite33 » dont la revendication serait ironiquement à la fois moins et davantage de religion à l’école. L’observation primaire de ce phénomène semble mettre en lumière l’existence de deux modèles scolaires dans le champ des convictions, à savoir l’enseignement confessionnel ou le silence complet, desquels la délibération démocratique est évacuée34. Pourtant, pallier

31 Comité sur les affaires religieuses. Le programme d’éthique et culture religieuse : avis à la ministre de

l’Éducation, du Loisir et du Sport, Gouvernement du Québec, 2007, p. 12

32 Estivalèzes dans Mireille Estivalèzes et Solange Lefebvre (dir.) op. cit., p. 17 33 Ibid.

34 Guay et Jutras dans Fernand Ouellet (dir.) Quelle formation pour l’éducation à la religion? Québec : Les

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aux problèmes créés par l’enseignement confessionnel par le vide n’apparaît certainement pas comme la solution, comme l’indique Régis Debray : « […] la relégation du fait religieux hors des enceintes de la transmission rationnelle […] favorise la pathologie du terrain au lieu de l’assainir35». Il serait donc souhaitable que l’approche épistémologique du fait religieux soit portée à la perception de l’ensemble de la population de façon à ce l’on soit en mesure de saisir la différence entre croyance et savoir36, distinction fondamentale qui schématise le passage entre le révolu cours d’enseignement religieux et le présent programme d’ÉCR.

1.2 LA DIFFÉRENCE

La problématique formulée dans la partie précédente est articulée autour de la question de la différence, vocable qui renvoie largement à l’idée de reconnaissance de l’Autre telle que proposée par les auteurs du programme d’ÉCR et qui est la substance même des sociétés plurielles. Nous préciserons donc d’abord l’acception de la différence qui sied à notre problématique de recherche, nous en élaborerons ensuite une définition congruente, puis nous établirons l’apport du contexte social à la représentation de ce concept avant de démontrer que la compréhension de la différence est indissociable de la conception que nous avons de l’Autre. Nous aborderons en dernier lieu l’idée de tolérance comme étant une épine au pied de l’éducation à la différence.

A. « Quelle » différence?

Il importe d’abord de rendre compte de la nature composite du concept de différence. En effet, elle n’est pas exclusivement culturelle ou religieuse, bien que l’on réfère souvent a priori à cette acception, comme le signalait Miguel Simao Andrade dans le cadre de sa conférence La tolérance : sens, pertinence et limites d’une notion

35 Régis Debray. L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque : rapport au ministre de l’Éducation

nationale, Paris : Odile Jacob (Scéren), p. 26

36 Dominique Borne et Jean-Paul Willaime. Enseigner les faits religieux : quels enjeux? Paris : Armand

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problématique37. Elle s’incarne plutôt de façons variées et apparaît comme une notion aussi complexe que peut l’être celle de l’identité humaine. Aussi Dominique Leydet établit-elle à l’intérieur d’une démarche typologique trois catégories de groupes portant le sceau de la différence et généralement caractérisés par des revendications collectives : les groupes historiquement désavantagés (gais, femmes, handicapés, etc.), les groupes d’immigrants et les minorités nationales (communautés historiques)38. Ces spécificités, ou multiples « façons d’être humain », agissent certainement comme des particules identitaires fondatrices ou constitutives. Comme l’indique ironiquement Strauss à ce titre, si la différence est en chacun, l’ennemi est partout, donc la concurrence, générale39.

Si les particularités physiques, sociales, culturelles, identitaires ou idéologiques sont autant de types de différences qui méritent d’être examinées, il convient toutefois, dans le cadre de notre travail, d’éviter de les traiter de front pour plutôt circonscrire la question de façon à faciliter l’émergence de considérations éducatives pratiques. Ainsi, dans le but d’effectuer un exercice réflexif qui se limite au spectre des systèmes de valeurs, nous entendons traiter essentiellement de la diversité éthique et des spécificités religieuses, axes qui prennent corps au sein d’une perspective globale de différence culturelle. Nous nous attarderons donc plus précisément au constat de la différence culturelle dans les sociétés complexes hétérogènes marquées, comme l’indique Jacqueline Costa-Lascoux, par le

multiculturalisme40.

La désignation de cet aspect de la différence comme pierre angulaire de nos recherches est explicable par trois considérations. D’abord, la typologie élaborée par Leydet nous a menés à rejeter, en tant qu’objet d’étude, la catégorie des groupes historiquement désavantagés, puisque la reconnaissance des droits de ces groupes de personnes n’est plus négociable et fait consensus. Les deux autres catégories, les

37 Miguel Simao Andrade. « La tolérance : sens, pertinence et limites d’une notion problématique » dans le cadre des Journées provinciales de formation continue en éthique et culture religieuse, 2012

38 Leydet dans Daniel M. Weinstock (dir.). Le défi du pluralisme, Montréal : Département de philosophie

(UQAM), 1993, p. 116

39 Michel Meyer. Petite métaphysique de la différence : religion, art et société, Paris : Livre de Poche, 2000,

p. 120

40 Costa-Lacoux dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). Identité collective et altérité :

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immigrants et les minorités nationales, pour leur part indissociables d’univers symboliques multiples et complexes se superposant à un système de valeur déjà établi, émettent des revendications qui méritent en contrepartie d’être examinées avec une nuance prometteuse sur le plan pédagogique. Ensuite, parce que résolument d’actualité, la différence culturelle est la substance même d’une société plurielle et marque de nombreux débats récents (tels que celui relatif aux accommodements raisonnables) qui alimentent par ailleurs un vif phénomène de polarisation de l’opinion publique. Enfin, en raison des passions qu’elle engendre, la différence culturelle joue un rôle de premier plan dans la cristallisation des revendications identitaires des peuples qu’elle concerne. En effet, soupeser la différence culturelle nous mène naturellement sur la piste des normes et des valeurs assumées par les individus, de leurs mœurs et de leurs coutumes, puis de leur identité. Luc Vigneault soutient à cet égard que « […] l’univers des convictions constitue le fondement des valeurs qui orientent l’action41. » Ces fondements, qu’il qualifie de « convictionnels », rassemblent les préférences morales et politiques d’un individu et sont souvent tributaires de ses conceptions religieuses. C’est en somme au contact de ces éléments, réels moteurs axiologiques, que la différence culturelle devient un objet sensible tant à l’échelle sociale que dans l’environnement scolaire.

Or, la question de la différence possède, selon la compréhension que nous en avons, deux applications principales, à savoir la revendication de celle-ci (émise par le groupe ou l’individu qui la porte) et la réaction qu’elle provoque chez le groupe majoritaire qui la reçoit (à ce propos, nous aborderons plus loin la typologie établie par Lüsebrink). Cette double activation de la différence est entre autres susceptible de donner lieu à la plainte d’une société d’accueil craignant que son intégrité ne soit menacée ou à divers mouvements mis en place par des groupes culturels réclamant la reconnaissance de leurs droits. Dans les deux cas, la différence apparaît indissociable d’un mécanisme d’affirmation.

Aussi convient-il de noter, pour être à même de comprendre le rapport de l’un à la culture de l’Autre, que la construction faite d’une culture et de ses représentants par le

41 Vigneault dans Fernand Ouellet (dir.) Quelle formation pour l’éducation à la religion? Québec : Les

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premier est déterminée par une superposition de transferts sur les plans discursif et symbolique42. Cela revient à dire que la représentation que l’un construit de la culture de l’Autre est unilatérale, c’est-à-dire qu’elle est élaborée à partir du point de vue émanant du soi qui est à la fois basé sur le vécu et des présomptions à propos des objets de culture qu’il évalue. Pour cette raison, la culture est paradoxalement souvent mobilisée comme un élément clé de la suppression de toute communication interculturelle43. Il convient à cet effet de noter que Michel Oriol propose, afin de délier cette situation cul-de-sac, de recourir aux valeurs, de réhabiliter l’éthique et d’approfondir la connaissance des faits d’ordre interculturel afin de protéger la spécificité de la culture, valeur selon lui fondamentale44. À cet égard, Fernand Ouellet mentionne le rôle central joué par les mouvements multiculturels au regard de la légitimation de la diversité, qu’il s’agisse de diversité ethnoculturelle ou religieuse, ou d’une diversité basée sur les objets de différenciation cités45.

Employons-nous maintenant à définir l’épicentre de notre problématique, à savoir la question de la différence culturelle. La littérature proposant des considérations philosophiques ou sociales à propos de ce sujet abonde, ce qui pose le piège de la profusion sémantique, voire de la généralité. L’exercice de définition de la différence nous oriente d’abord de manière spontanée sur des pistes lexicales comme la diversité, l’altérité, le particularisme et la spécificité. Pour André Brassard, la notion de diversité s’exprime par des réalités diverses qui sont en relation les unes avec les autres46. Cette perspective, bien qu’incomplète selon nous, présente néanmoins la conception utile selon laquelle il doit y avoir relation entre plus d’un individu pour qu’il y ait présence de différence. En effet, la différence ne peut être affirmée comme telle que si l’objet dont il est question se trouve dans un contexte de rapport ou de comparaison. On peut simplifier cette idée en affirmant qu’une réalité n’est pas une différence si elle est vécue dans un milieu qui la considère

42 Lüsebrink dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). Identité collective et altérité :

diversité des espaces / spécificité des pratiques, Paris / Montréal : L’Harmattan, 1999, p. 89

43 Oriol dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). Identité collective et altérité : diversité

des espaces / spécificité des pratiques, Paris / Montréal : L’Harmattan, 1999, p. 3

44 Ibid., p. 3-4

45 Fernand Ouellet. Les défis du pluralisme en éducation : essais sur la formation intellectuelle, Québec : Les

Presses de l’Université Laval / Paris : L’Harmattan, 2002, p. 85

46 Brassard dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). Identité collective et altérité :

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comme une norme. Ainsi peut-on déjà affirmer que la différence est une conception relative et changeante. Elle ne correspond pas à un caractère absolu ni à un a priori. Au contraire, elle est corrélative au milieu, ce qui nous pousse à dire qu’il existe autant de différences que de milieux, d’individus et de perceptions.

En outre, Costa-Lascoux présente la différence comme un synonyme d’altérité ou en tant qu’expression plus radicale d’un particularisme47. Cette définition évoque la relativité de cette notion, mais soulève aussi l’idée que cette dernière, pour être considérée comme telle, doit être exprimée de façon radicale. Cette perspective suggère toutefois que la différence jette les bases de l’identité d’un individu ou d’un groupe d’individus. Or, une particularité physique, une coutume, une façon de s’exprimer, etc. ne caractérisent pas l’intégralité d’un être, mais n’en définissent qu’une partie. Comme aime l’indiquer Amin Maalouf à ce propos, l’identité est une construction aux multiples facettes et les facteurs d’appartenance d’un individu qui la composent sont des réalités mouvantes qui s’additionnent. En ce sens Maalouf ne s’éloigne-t-il pas de la perspective hégélienne qui suggère que « penser la différence comme interne à l’identité, c’est en effet penser le mouvement même de la vie48 », cette dernière n’étant elle-même saisissable qu’à travers la multiplicité des choses de la nature, selon Héraclite.

Enfin, Oriol définit ainsi la différence : « façon originale d’être humain dont chaque groupe porte la capacité, modelée par son histoire séculaire49 ». Ces références au « groupe » et à l’« histoire séculaire » renvoient exclusivement à l’aspect culturel de la différence. Cette définition nous apparaît donc opérante, bien que comme susmentionné, nous assumions que la différence ne soit pas uniquement culturelle. La formule qu’emploie l’auteur, cette « façon originale d’être humain », est par ailleurs congruente puisqu’elle s’écarte d’une acception négative de la différence. Porteuse d’une représentation résolument positive, elle s’inscrit dans un esprit de recherches éducatives au regard de l’enseignement de la différence et nous apparaît nettement plus constructive. Elle met également en relief le paradoxe humain des différences individuelles faisant de chaque

47 Costa-Lascoux dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). op. cit., p. 55

48 Françoise Dastur. Philosophie et différence, Chatou : Les Éditions de la Transparence, 2004, p. 62 49 Oriol dans Marie-Antoinette Hily et Marie-Louise Lefebvre (dir.). op. cit., p. 3

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individu un être autonome et singulier bien qu’appartenant à une commune identité humaine.

À la lumière de ces considérations, nous nous permettons donc de proposer une définition de la différence, que nous souhaitons penser en tant que conception relative à la diversité des manières d’être humain. Cette représentation convient à l’esprit dans lequel nous souhaitons penser la différence d’entrée de jeu, l’examiner par la suite à travers le prisme de l’enseignement d’ÉCR et, finalement, être à même de circonscrire un mode sous lequel l’enseignant peut l’aborder en classe. Reconnaître d’emblée la relativité de la question de la différence et admettre qu’il existe effectivement une pluralité de façons de s’inscrire dans l’humanité sont des postures qui, nous le croyons, favorisent la recherche de solution plutôt que d’alimenter un discours infertile basé en premier lieu sur les dissimilitudes patentes.

B. La résonnance de la différence selon les milieux

Par ailleurs, il va de soi que parler de la différence ne trouve pas le même écho dans tous les contextes. En effet, il n’est possible de faire allusion à ce qui est différent qu’en rapport à un ensemble d’éléments qui, ensemble, constituent le commun ou, pour employer les termes de Guy Bourgeault et Linda Pietrantonio, un « univers symbolique dominé par le majoritaire50 ». Ainsi aborderons-nous le différent comme étant ce qui ne correspond pas au majoritaire, ce qui peut de prime abord paraître marginal. Or, de manière à pouvoir user de termes tels que « majorité » ou « homogénéité », une description du contexte type qui nous intéresse particulièrement apparaît incontournable pour une pleine compréhension des considérations à venir. En effet, poser le problème de l’enseignement de la différence culturelle à Montréal, par exemple, aurait une tout autre résultante que de réaliser l’exercice aux vues du reste du Québec. À ce propos, le Québec apparaît à Ouellet scindé en deux sur le plan de la culture : d’une part, la métropole montréalaise marquée par une diversité ethnoculturelle confirmée, d’autre part, les régions desquelles elle est pratiquement absente. L’homogénéité culturelle étant dans le premier cas inexistante, l’altérité religieuse le

50 Bourgeault et Pietrantonio dans France Gagnon, Marie McAndrew et Michel Pagé. Pluralisme, citoyenneté

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