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L’apport de la réflexivité à l’identité citoyenne nous mène à affirmer que favoriser le développement de l’autonomie morale chez l’élève est une stratégie promettant de paver la voie à un enseignement équilibré de la différence dans le cours d’ÉCR, autant que l’initier et l’exercer à l’authenticité. C’est entre autres en provoquant des situations de rencontre avec une pluralité de visions du monde193 que l’on peut espérer mener l’élève à considérer une multitude de possibilités philosophiques et religieuses et à apprendre à les recevoir avec assurance et sens critique. Devant ce défi de l’école, l’enseignant est appelé à agir comme un accompagnateur de l’élève en stimulant sa curiosité et en l’escortant, comme il a été dit dans la partie portant sur le rôle de l’enseignant, dans son appropriation

191 Charles Taylor op. cit., p.35 192 Ibid., p.32

de cette disposition cognitive qu’est la réflexivité. Aussi Bourgeault et Pietrantonio parlent- ils de cette intention relative au développement d’une indépendance morale194 via l’autoconstruction de l’élève devant la différence. Ce dernier est appelé à s’engager dans une relation dialogique de différenciation dont le moteur doit être la raison critique et la réflexivité. Or, amener l’élève dans le registre de la pensée réflexive apparaît comme l’une des visées du cours d’ÉCR, mais qu’en est-il de l’enseignant? Comment prétendre qu’il soit apte à accompagner l’élève dans son appropriation de cette disposition cognitive s’il se l’interdit (c’est-à-dire s’il n’exerce pas lui-même sa pensée critique lors du traitement d’objets de savoir en classe)? Une stricte neutralité de sa part serait à cet égard intenable, incohérente.

Il faut finalement mettre en lumière un écueil qui guette l’enseignant d’ÉCR, à savoir celui de la confusion possible entre réflexivité et quête de sens. Cette dernière n’est pas l’objectif du programme. En effet, l’entreprise pédagogique du cours d’ÉCR ne doit pas être orientée vers le souhait que l’élève découvre sa foi ou trouve une série d’opinions au fil de son parcours scolaire. Il est plutôt désiré qu’il développe un ensemble d’instruments intellectuels (articulés autour de la réflexivité) désignés pour composer son autonomie morale afin qu’il soit préparé, en vue de sa vie citoyenne, à organiser et régir une série de données éthiques, religieuses, culturelles, philosophiques, identitaires, etc. qui lui seront continuellement exposées. Il est impératif à ce titre, comme l’indique Estivalèzes en renvoyant à Paul Ricœur, de « préparer les enfants à être de bons discutants; il faut les initier à la problématique pluraliste des sociétés contemporaines195 ». Il s’agit en somme qu’ils déploient une disposition cognitive, et non des allégeances. Cette mise en garde constitue du même coup une réponse aux détracteurs du programme qui craignent que le cours d’ÉCR ne soit le terrain d’un prosélytisme religieux (ou antireligieux).

2.3 LES FINALITÉS DU PROGRAMME D’ÉCR

194 Bourgeault et Pietrantonio dans France Gagnon, Marie McAndrew et Michel Pagé (dir.) op. cit., p. 234 195 Estivalèzes dans Laurence Loeffel (dir.). École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui, Villeneuve

La troisième clé de l’enseignement de la différence dans le cours d’ÉCR est l’intégrale compréhension de l’interrelation fondamentale entre les deux finalités du programme, à savoir la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun. Elles ne sont pas des principes indépendants, mais des vases communicants. Il importe donc que la référence à ces finalités se fasse continuellement de front, et non pas en alternance selon la situation ou l’élément de contenu traité. Or, nous avançons qu’ils sont des libellés « parcourus des yeux » plutôt que réellement assimilés et mis en application. Ils constituent des données théoriques qui ne demeurent pour l’heure que partiellement comprises, comme le soulignait Maxwell qui, dans sa conférence intitulée La « reconnaissance de l’autre » et

la « poursuite du bien commun », présentait les finalités du programme comme « bien

connues mais peu comprises196 ». Nous postulons donc que les finalités du programme d’ÉCR sont susceptibles d’être vraiment pertinentes pour l’édification d’une posture professionnelle pour l’enseignement de la différence dans la seule mesure où la puissance du lien qui les unit serait consentie.

Dans les documents ministériels officiels, comme nous l’avons souligné plus tôt, il est dit que la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun doivent agir comme des balises, des référents pédagogiques. Toutefois, nous sommes d’avis que chacune de ces finalités, isolées, n’a pas de poids réel. Pour être véritablement utiles, elles doivent être comprises comme les substances d’un rapport dynamique. Ce que nous proposons ici, c’est donc d’expliciter le lien qui unit la poursuite du bien commun et la reconnaissance de l’autre pour présenter une conceptualisation claire de ce rapport à travers la pensée pluraliste. Plus tôt, nous avons postulé que chacune des deux finalités renvoyait à des cadres théoriques dichotomiques (respectivement le relativisme qui sous-tend la reconnaissance de la différence et l’universalisme qui commande la fidélité à des valeurs que nous souhaitons inviolables). Or, concéder le rapport intrinsèque entre ces deux visées permet d’orienter la prise en compte de la différence dans le cadre du cours d’ÉCR et revient à admettre leur apport à un projet commun plus grand.

196 Bruce Maxwell. « La « reconnaissance de l’autre » et la « poursuite du bien commun » » dans le cadre des