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L’édification d’une posture séante à l’enseignement de la différence dans le cadre

B. L’essence universaliste de la poursuite du bien commun

2. L’édification d’une posture séante à l’enseignement de la différence dans le cadre

L

ENSEIGNEMENT DE LA DIFFÉRENCE DANS LE

CADRE DU COURS D

’ÉCR

La mise en parallèle d’indications ministérielles et de données théoriques concernant les questions de la laïcité, de la différence, du rôle professionnel de l’enseignant et des finalités du programme d’ÉCR mène à l’élaboration d’une réponse assez claire à la problématique soulevée d’entrée de jeu. Rappelons qu’il était question de circonscrire une posture professionnelle favorable à l’enseignement de la différence dans le cours d’ÉCR, à quoi nous répondons que la clé réside dans une posture de neutralité « mesurée ». En effet, il nous est apparu manifeste que bien que le devoir de neutralité qui incombe à l’enseignant doive guider toutes ses interventions pédagogiques, il n’est toutefois pas attendu de lui qu’il soit démuni d’une autorité morale directive. Comment alors pondérer cette neutralité afin d’honorer un impératif d’impartialité sans toutefois envoyer le message que tout est acceptable? Comment l’enseignant d’ÉCR peut-il octroyer à ses élèves l’aptitude à gérer de façon raisonnable une multitude de référents symboliques sans lui-même démontrer qu’il est en mesure de réaliser le même exercice? Ces interrogations démontrent l’importance d’établir la mesure de la neutralité et lèvent le voile sur le besoin de définir davantage ce devoir qui incombe à l’enseignant.

Or, pondérer l’application d’une neutralité doit être l’aboutissement d’un processus jalonné par une succession d’impératifs, que nous nous proposons d’énumérer. D’abord, nous postulons que l’édification d’un corpus de valeurs partagées constitue la phase initiale de tout le mécanisme de mesure de la neutralité. Elle est la base de la réflexivité, disposition cognitive qui est le second jalon du cheminement vers celle-ci. Nous entendons la réflexivité comme le processus de filtrage de toute réflexion ancré dans une prise de distance critique face à sa pensée. Or, cette dernière est nécessaire à la mise en œuvre d’une éducation pluraliste qui est fondée sur un exact équilibre entre la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun et qui nous apparaît comme un dispositif fondamental de l’établissement d’une société laïque souhaité pour le Québec. Cette laïcité est le pari

d’architecture sociale dont l’enseignant doit aussi être porteur. À cet effet, il est souhaité que ce dernier prenne conscience qu’à l’instar de l’État, il n’est pas foncièrement neutre. Là réside selon nous le véritable sens d’une neutralité mesurée : porter le projet social et promouvoir les valeurs communes tout en laissant émerger les différences.

2.1 L’ÉLABORATION D’UN SOCLE DE VALEURS PARTAGÉES

Établir les fondements d’une société démocratique constitue un exercice préalable, d’une part, à la clarification d’un commun projet basé sur le vivre-ensemble et, d’autre part, au développement de l’autonomie morale des élèves. La solidification d’un socle moral serait donc garante de la réalisation d’idéaux humains et du projet d’architecture sociale souhaité pour le Québec moderne. En effet, une laïcité d’ouverture qui établit la recevabilité d’une multitude de visions du monde, la liberté des individus à se positionner face à celles-ci et l’égalité des citoyens d’une même société doit d’abord énoncer les principes qui permettraient d’encadrer les comportements humains. Cela revient en quelque sorte à fixer les règles du jeu pour que chacun puisse y participer en respectant les mêmes contraintes et en jouissant des mêmes possibilités. Sans règlements, aucun jeu équitable n’est possible.

Au chapitre des valeurs fondamentales, nous nous sommes inspirés de la pensée universaliste qui supposait l’existence de principes transcendants et partagés par tous les êtres humains. Nous réinvestissons cette perspective du « dénominateur commun » afin de l’appliquer à l’échelle de la société québécoise, avec cependant la nuance pluraliste qui commande non pas de trouver l’élément qui relie chaque humain, mais plutôt de trancher sur les principes dont les Québécois gagneraient à se doter afin d’établir les bases de l’égalité entre les citoyens. L’idéal d’égalité, point d’ancrage de la démocratie, est une idée en effet inopérante s’il n’existe pas d’accord préalable sur sa signification. L’égalité ne veut rien dire si le principe appliqué est inconnu ou contingent. Tout pour tous ou rien pour tous : les deux éventualités définissent une condition égalitaire qui ont par contre une résultante diamétralement opposée. C’est le problème que pose d’ailleurs la mesure

proposée par le gouvernement Marois concernant le port de signes religieux ostentatoires : sur la base de l’égalité entre tous, on souhaite retirer le droit d’afficher une allégeance religieuse dans la sphère publique. Convenons que le contraire, c’est-à-dire d’accorder à tous ce droit, s’inscrirait tout autant dans le giron de l’égalité ou de la neutralité envers les individus. La problématique que révèle cette situation est celle de la pondération des droits puisqu’en effet, accorder une plus grande importance à l’égalité entre les sexes minerait l’égalité entre les individus et l’égalité des chances professionnelles. L’examen de cette situation doit être empreint de circonspection et tenir compte de différentes données comme la complexité de la fonction du voile chez la femme musulmane, ce qui permettrait par exemple de nuancer la réflexion quant à la pertinence d’accoler le qualificatif inégalitaire à la pratique.

Par ailleurs, conformément à la forme ouverte qui caractérisait depuis la Révolution tranquille la laïcité québécoise, l’égalité fonde l’acceptabilité d’une multiplicité de visions du monde et de la démonstration d’une variété de convictions religieuses. Ce leitmotiv suggère toutefois l’importance de l’édification d’un corpus de valeurs reconnues et partagées par l’ensemble des citoyens, et ce de façon à établir les limites de la liberté. Comme l’indique Reboul, il est en effet essentiel que cette dernière ne génère pas une acceptation absolue de tout comportement humain. La neutralité de l’État ne doit pas, à ce titre, se traduire par un laxisme vis-à-vis les comportements de ses citoyens. L’école, microcosme de l’État, doit de la même façon éviter de fermer les yeux sur l’expression de convictions qui déborderaient du cadre de l’acceptabilité des choses. Bien que l’éducation soit un véhicule de l’accomplissement du vivre-ensemble tel que réfléchi dans un cadre laïc pluraliste, force est de constater que la teneur de ce cadre normatif commun est inconnu ou, du moins, non-proclamé. On peut certes avoir une idée assez précise des principes que l’on voudrait voir apparaître sur une liste de valeurs communes. Personne ne pourrait à ce titre nier l’importance d’idéaux tels que la liberté ou la dignité humaine. Toutefois, aucune mesure (hormis les chartes) ne permet de conforter qui que ce soit dans l’énonciation de choix normatifs opérants. L’enseignant d’ÉCR, qui se voit pour sa part attribué la responsabilité d’examiner avec ses élèves une multitude de points de vue éthiques et d’expressions religieuses, doit cheminer à tâtons dans un univers symbolique complexe.

Comme l’indiquent Stéphanie Gravel et Solange Lefebvre à cet effet, le MELS « […] ne fournit pas de liste officielle de valeurs, de principes et d’idéaux de la société démocratique québécoise162 ». Ils sont, pour l’heure, la pièce manquante du puzzle. Le puzzle de l’éducation pluraliste. Comment l’enseignant peut-il prétendre orienter ses élèves vers le vivre-ensemble et l’accomplissement d’une société démocratique si les bases de ces projets ne sont pas même édictées? Les valeurs sont la matière première de la réalisation d’un tel dessein : on peut les nommer, les expliquer et y recourir pour justifier tel ou tel positionnement. Il est donc fondamental que ces valeurs que l’on souhaite communes au Québec soient édictées afin qu’elles puissent remplir leur fonction directive et référentielle. C’est pourquoi nous postulons que l’énonciation des valeurs fondatrices de notre démocratie de droit et du lien social constituerait l’une des clés de la posture enseignante et par corollaire de l’enseignement de la différence dans le cadre du cours d’ÉCR. Elles ne sont rien de moins que la substance de l’objectivité qui incombe aux enseignants et de la mesure de leur neutralité. Elles devraient en ce sens acquérir, nous le croyons, une prépondérance leur permettant d’être consacrées comme objets de savoir en soi et d’être ainsi affranchies de leur nature relative. Le projet de Charte des valeurs soumis par le Parti québécois en septembre dernier aurait pu à certains égards remplir cette fonction d’institutionnalisation axiologique, bien que sa viabilité juridique pose selon nous problème tout autant que la légitimité de son contenu, à savoir ces valeurs choisies qui « définissent la société québécoise et en constituent le contrat d’adhésion163 ».