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La résonnance de la différence selon les milieux

Par ailleurs, il va de soi que parler de la différence ne trouve pas le même écho dans tous les contextes. En effet, il n’est possible de faire allusion à ce qui est différent qu’en rapport à un ensemble d’éléments qui, ensemble, constituent le commun ou, pour employer les termes de Guy Bourgeault et Linda Pietrantonio, un « univers symbolique dominé par le majoritaire50 ». Ainsi aborderons-nous le différent comme étant ce qui ne correspond pas au majoritaire, ce qui peut de prime abord paraître marginal. Or, de manière à pouvoir user de termes tels que « majorité » ou « homogénéité », une description du contexte type qui nous intéresse particulièrement apparaît incontournable pour une pleine compréhension des considérations à venir. En effet, poser le problème de l’enseignement de la différence culturelle à Montréal, par exemple, aurait une tout autre résultante que de réaliser l’exercice aux vues du reste du Québec. À ce propos, le Québec apparaît à Ouellet scindé en deux sur le plan de la culture : d’une part, la métropole montréalaise marquée par une diversité ethnoculturelle confirmée, d’autre part, les régions desquelles elle est pratiquement absente. L’homogénéité culturelle étant dans le premier cas inexistante, l’altérité religieuse le

50 Bourgeault et Pietrantonio dans France Gagnon, Marie McAndrew et Michel Pagé. Pluralisme, citoyenneté

devient pour ainsi dire tout autant, ou du moins elle en vient à constituer la norme. En revanche, au sein d’un milieu qui demeure peu – quoique de plus en plus – marqué par l’immigration et le phénomène de diversification culturelle, la présence de l’Autre apparaît nettement plus confondante et marginale. C’est donc dire que la différence est une réalité constituée dans le cadre de rapports sociaux spécifiques51 et qu’elle est aussi immatérielle que contingente.

Or, spécifions qu’aucune société n’étant réellement imperméable aux mouvements migratoires, la région de Québec est bien loin d’échapper au phénomène de prolifération culturelle caractéristique de la grande majorité des métropoles occidentales, ou à ce que Michel Maffesoli qualifie d’« irrépressible poussée du pluriel dans nos sociétés52 ». Non seulement l’auteur s’exprime-t-il en ces termes pour souligner que l’hétérogénéisation des sociétés apparaît en soi comme une source de tensions inéluctables contribuant à un dynamisme culturel, mais également – et surtout – pour démontrer qu’elle agira en tant que matrice des valeurs sociales à venir et comme source certaine d’enjeux capitaux prochains53. Il nous paraît à cet égard essentiel de garder en tête, tout au long de nos recherches, que le contexte social qui accueille nos réflexions, à savoir le Québec excluant la région de Montréal, est en évolution constante du point de vue de la diversité ethnique et que, de ce fait, notre référent n’est pas résolument immuable. En fait, c’est peut-être même aux vues de mutations annoncées et pressenties qu’aborder un sujet tel que l’enseignement de la différence sera à même de prendre corps et de devenir d’autant plus significatif.

Notons par ailleurs que le milieu homogène auquel nous renvoyons plus exactement est celui d’une société marquée dans une très large mesure par la tradition judéo-chrétienne. En effet, s’il est utile de le rappeler, le Québec est précédé d’un passé colonial grandement marqué par la présence catholique, et plus tard protestante, ayant contribué à l’édification de sa société. Longtemps arrimé aux desseins de l’Église, le Québec est donc demeuré imprégné de l’esprit clérical pendant les décennies suivantes avant de s’en émanciper, si

51 Bourgeault et Pietrantonio dans France Gagnon, Marie McAndrew et Michel Pagé, op. cit.

52 Michel Maffesoli. Le temps des tribus : le déclin de l'individualisme dans les sociétés de masse, Paris : La

Table ronde, 2000, p. 187

l’emploi du terme nous est accordé. Forte de maintes mutations sociales ayant entre autres choses transfiguré le système d’éducation au Québec, la sphère publique en est venue à se désunir complètement du domaine spirituel. L’essentiel, en ce qui a trait à ce très court survol du passé clérical du Québec, est de saisir que l’empreinte judéo-chrétienne constitue beaucoup plus que des souvenirs et des traditions vaguement honorées. Elle est au cœur de ce que certains à l’instar de Mathieu Bock-Côté et Joëlle Quérin appellent l’identité nationale, de ce que d’autres encore évoquent en parlant d’un héritage collectif, d’un patrimoine sacré.

Au sein d’un contexte ancré dans d’aussi solides bases judéo-chrétiennes, côtoyer l’étranger, celui qui est issu d’un milieu dissemblable, qui est possiblement précédé d’un passé dissonant et qui transporte avec lui des mœurs distinctes, peut intriguer, déranger, voire choquer l’élève qui, de fait, a toujours été entouré d’une conformité somme toute confortable. Ainsi placer les élèves devant le fait de la nouveauté religieuse par le biais de l’enseignement, dans ce contexte, devient-il un exercice complexe. Loin de nous évidemment la volonté de prétendre qu’évoluer dans un milieu marqué de facto par la pluriethnicité est facilitant pour l’enseignement de la différence. Au contraire, la réalité scolaire montréalaise est d’emblée indissociable des obstacles et contraintes inhérentes à la confrontation nécessaire des cultures comme l’exaspération ou l’accumulation de frustrations liées à une cohabitation obligée. En revanche, ne pas connaître l’expérience de la diversité culturelle et religieuse au quotidien rend au demeurant improbable – du moins inhabituelle – l’ouverture spontanée de brèches entre les cultures.