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Le dialogue comme vecteur de vivre-ensemble

Si la prise en charge du cours d’ÉCR requiert, de la part des enseignants, l’édification d’un rapport dynamique à la culture humaine, elle prend aussi ancrage dans l’attitude du maître qui doit s’instituer en « accompagnateur » vis-à-vis ses élèves. Comme consignée dans le paragraphe relatif au rôle de l’enseignant d’ÉCR dans le programme de formation, la première responsabilité de ce dernier est « d’accompagner et de guider ses élèves dans leur réflexion éthique, dans leur compréhension du phénomène religieux et dans leur pratique du dialogue89 ». Les auteurs du programme s’emploient à préciser cette perspective d’accompagnement dans la section Rôle professionnel du programme de formation : « […] dans ce cours, l’enseignant est un guide pour les élèves. Il les aide à passer de la simple expression d’opinions à la clarification de points de vue et à leur analyse90 ». S’inscrivant franchement dans l’esprit du renouveau pédagogique global au Québec, cette idée d’enseignant-guide est capitale et marque un virage paradigmatique notoire quant au champ d’action du pédagogue, surtout vis-à-vis la question religieuse. En effet, l’enseignant n’est plus une courroie de transmission de connaissances brutes, mais un accompagnateur dans l’appropriation d’attitudes et de comportements. Aussi ne doit-il pas avoir le « monopole des réponses91 », du moins est-ce ce qu’avancent les auteurs du programme de formation. Leroux soutient de son côté que les élèves doivent percevoir que même leur enseignant ne peut « se reposer sur une vérité définitive92 ». Watters simplifie pour sa part cette idée en affirmant à l’intention des parents : « Bref, il [l’enseignant d’ÉCR] n’a pas à penser pour eux93. »

Si l’enseignant entretient des opinions à propos de questions relatives à l’éthique ou à la culture religieuse, corollaires inévitables de l’exercice d’un sens critique propre, il ne doit pas, en contrepartie, les exposer. Il lui est plutôt demandé d’accompagner les élèves dans leur appropriation des éléments de contenu ainsi que dans leur recherche de réponses quant aux questionnements soulevés en stimulant « le développement d’un sens critique qui

89 Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Éthique et culture religieuse : programme du premier cycle

et du deuxième cycle du secondaire, op cit. p. 12

90 Ibid. 91 Ibid.

92 Georges Leroux. « Le rôle de l’enseignant dans le programme ÉCR » dans Vivre le primaire (p. 48), 2008,

volume 21, numéro 4.

93 Denis Watters. Petit guide ECR-101 : [éthique et culture religieuse], Québec : Denis Watters consultants,

aide les élèves à comprendre que toutes les opinions n’ont pas la même valeur94. » Il les escorte en quelque sorte dans leur développement d’outils intellectuels tels la curiosité, l’esprit critique et l’ouverture. Or, qu’il nous soit permis de nous questionner, à l’instar de Jean-François Roussel de la faculté de théologie de l’université de Montréal, sur la cohérence de ce mécanisme pédagogique : que l’on demande à l’enseignant « d’amener l’élève à entrer dans un registre de réflexion tout en se l’interdisant lui-même95 » constitue une position en soi intenable. L’auteur soutient que « Ce que l’on demande aux élèves devrait être accompli par l’enseignant en premier lieu96 ». Nous y reviendrons dans la partie portant sur la neutralité de l’enseignant.

En plus d’agir à titre de guide pour ses élèves en les soutenant dans leurs apprentissages, l’enseignant est appelé à aménager un espace de dialogue en classe. En effet, il est souhaité qu’il « s’efforce de créer un climat propice à un authentique dialogue entre les membres de la communauté d’apprentissage qu’est la classe97. » De cette façon, les élèves seront à même de développer la compétence « dialogue », mortier liant les deux compétences du programme (Réfléchir sur des questions éthiques et Manifester une

compréhension du phénomène religieux) ainsi que pierre angulaire de l’atteinte du vivre-

ensemble98. L’objectif : ouvrir les élèves à la diversité des valeurs, des croyances et des cultures. Les outils : la curiosité, le questionnement et le discernement. L’enseignant doit donc laisser toute la place aux questions et accueillir les positionnements intellectuels de ses élèves. Pour Robert Jackson, la condition nécessaire à cette réalisation est ce qu’il appelle l’« ouverture épistémologique » renvoyant à la sensibilité et à l’ouverture positive à l’égard de la différence99. Estivalèzes parle pour sa part d’écoute mutuelle et de respect100.

94 Denis Watters. Petit guide ECR-101 : [éthique et culture religieuse], op. cit.

95 Roussel dans Solange Lefebvre (dir.). Religion et identités dans l’école québécoise : comment clarifier les

enjeux, Québec : Fides, 2000, p. 76-77

96 Ibid.

97 Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Éthique et culture religieuse : programme du premier cycle

et du deuxième cycle du secondaire, op. cit.

98 Réfléchir sur des questions éthiques et Manifester une compréhension du phénomène religieux ont été

établis comme les deux compétences maîtresses du programme d’ÉCR. Le dialogue n’est donc plus considéré comme une compétence à proprement parler, mais comme un outil pour le développement des volets « culture religieuse » et « éthique ».

99 Jackson dans Fernand Ouellet. Quelle formation pour l’éducation à la religion?, Québec : Les Presses de

l’Université Laval, 2005, p. 136

Ainsi le pédagogue est-il appelé à établir un espace dans lequel les élèves ne se sentiront ni jugés, ni malaisés d’articuler un point de vue critique. Or, l’enseignant étant un modèle pour ses élèves, il est à souhaiter que son attitude d’ouverture et d’écoute apparaisse manifeste dans la classe et que les élèves eux-mêmes se l’approprient afin de se positionner à leur tour dans le cadre de dialogues positifs et constructifs.

En somme, il s’avère capital pour l’enseignant d’ÉCR de promouvoir un certain nombre de valeurs afin de rendre possible un réel dialogue au sein de sa classe. C’est là que son rôle professionnel d’accompagnateur devient, à notre sens, le plus riche, mais aussi le plus complexe. Ainsi l’ouverture à la diversité, le respect des convictions, la reconnaissance de soi et des autres et la recherche du bien commun101 s’imposent-ils comme des valeurs fondamentales qui doivent faire autorité dans la classe pour, enfin, devenir norme à l’échelle sociale. Or, l’avènement du respect des convictions et de l’ouverture à la diversité signifie-t-il que tous les positionnements intellectuels se valent? Le fait que l’enseignant n’ait pas le monopole des réponses veut-il dire qu’il ne détient pas l’autorité requise pour accueillir défavorablement une position irrespectueuse qui porterait atteinte à la dignité humaine? Voilà des préoccupations qui nous orientent vers la question des devoirs de réserve et de neutralité de l’enseignant d’ÉCR.