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La dimension culturelle du programme d’ÉCR

Le premier rôle qui incombe à l’enseignant est amarré à la dimension culturelle du programme d’ÉCR puisqu’il est en effet appelé à agir à titre d’héritier d’objets de culture78. Plus précisément, l’enseignant joue auprès de ses élèves « le rôle de passeur culturel, c’est- à-dire de celui qui jette des ponts entre le passé, le présent et le futur, notamment en ce qui a trait à la culture québécoise79 ». Mentionnons qu’ici, culture n’est pas entendue au sens strict d’objets issus de la littérature, du cinéma, des arts de la scène, etc. La culture, à travers le prisme de l’éducation, possède le sens plus large de culture humaine, que ce soit relativement aux préoccupations proprement éthiques ou aux manifestations du religieux. Pour reprendre les mots de Paul Inchauspé, « ce monde auquel il faut les préparer est un monde culturel80 ». Cette culture at large, c’est également celle qui relève des modes de vie et de l’environnement immédiats, puis de la prise en compte de la diversité possible de ces derniers. De fait, l’éducation vise donc l’élargissement de la culture. Ainsi l’enseignant doit-il professer dans le sens de la prolifération culturelle que ce soit dans l’espace qu’offre le volet éthique du programme qu’en regard de la culture religieuse. Il est voulu que l’élève dépasse ses préoccupations initiales, l’a priori connu, en développant des outils lui permettant de s’engager dans une appréhension plus globale des manifestations humaines. Aussi Mireille Estivalèzes indique-t-elle pour sa part, dans son texte Former à la culture

religieuse : de quelques défis et difficultés, que l’enseignant est « tenu […] d’aider les

élèves à développer de nouveaux rapports à eux-mêmes, à autrui et au monde81 ». La stratégie envisagée est d’implanter les apprentissages dans la réalité immédiate de l’élève de manière à ce que celui-ci s’approprie des objets de culture qui le concernent, pour qu’il soit, dans une ultime mesure, enclin à laisser « élargir ses horizons82 ».

78 Estivalèzes dans Jacques Cherblanc et Dany Rondeau (dir.). La formation à l’éthique et à la culture

religieuse : un modèle d’implantation de programme, Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2010, p.

166

79 Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Éthique et culture religieuse : programme du premier cycle

et du deuxième cycle du secondaire, Québec : Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2008, p. 12

80 Paul Inchauspé. Pour l’école : lettres à des enseignants sur les réformes des programmes, Montréal : Liber,

2007, p. 40

81 Mireille Estivalèzes dans Jacques Cherblanc et Dany Rondeau (dir.) op. cit., p.166

82 Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. La mise en place d’un programme d’éthique et de culture

Cette finalité que l’on qualifiera d’ouverture dynamique au monde correspond au rapport que l’élève sera en mesure d’établir, du moins est-ce espéré, entre les valeurs et la culture qui lui sont propres, qui forment d’emblée son patrimoine, et celles qui ne sont pas siennes, mais qui le concernent néanmoins grâce au lien invisible de l’humanité. L’éducation, dans cette perspective, vise à mener les élèves à enrichir leur culture première en visant du coup l’émergence d’une seconde. Aussi Fernand Dumont perçoit-il plus précisément ce lien comme celui qui existe entre culture comme milieu et culture comme horizon, au regard desquelles une médiation doit s’effectuer par l’édification d’un rapport dynamique83. Denis Simard définit ainsi ce rapport culturel : il s’agit de la « prise de distance à l’égard de la culture première puis [de l’] élaboration d’une culture seconde84 ». Il souligne, dans la perspective d’une approche culturelle de l’enseignement, que la culture doit être envisagée comme un « processus dynamique à travers lequel l’individu entre en relation avec lui-même et les autres85 » et non pas simplement comme un ensemble d’objets constitués. De fait, c’est la prise de conscience de l’existence de ces deux sphères culturelles qui annonce l’établissement d’un rapport réflexif via lequel la culture devient, plus qu’un ensemble d’objets, le moteur de l’ouverture dynamique dont parlait Estivalèzes.

Les perspectives d’ouverture aux objets de culture seconde et d’appropriation d’une culture-horizon, pour réinvestir les schèmes des auteurs cités précédemment, offrent un cadre théorique opérant à la question de l’enseignement de la différence. En effet, c’est lorsque confronté à des objets culturels qui ne s’inscrivent pas dans son environnement immédiat que l’élève fait connaissance avec la différence. Ici, l’emploi du terme « confronté » est important et délibéré puisque c’est effectivement généralement dans une disposition spontanée de surprise, de curiosité, voire de choc, que l’élève entre d’abord en relation avec l’altérité constituée de ces objets issus d’une culture qui ne lui est pas de prime abord familière et qui peut même être considérée comme une menace. C’est en s’engageant dans un dialogue à propos de ces derniers par le biais de questionnements, d’efforts de compréhension, de comparaisons et de divers autres processus intellectuels

83 F. Dumont. (1971) « Le rôle du maître : aujourd’hui et demain ». Action pédagogique, 17, pp. 49-61. 84 D. Simard, E. Falardeau, J. Émery.-B. et H. Côté. « En amont d’une approche culturelle de l’enseignement :

le rapport à la culture ». Dans Revue des sciences de l’éducation (pp. 287 - 304), 2007, volume 33, no 2.

qu’il sera à même de se les approprier et de les intégrer à ce qu’il pourra désormais qualifier de culture actualisée (culture seconde). Il convient en contrepartie de noter que s’approprier un objet de culture n’implique pas nécessairement d’y adhérer, encore moins de l’aimer. Il s’agit plutôt d’entrer en relation avec celui-ci en établissant un rapport réflexif avec lui.

Or, la Faculté de théologie de l’université de Montréal, dans son mémoire présenté à la Commission de l’éducation de l’Assemblée nationale, met en relief l’importance de maintenir, voire d’alimenter, les référents identitaires culturels des québécois pour l’atteinte d’une implication saine dans un dialogue interculturel probant et positif. Le collectif insiste, il va de soi, sur le patrimoine catholique agissant comme mortier social, et prône de ce fait sa protection et le maintien de son statut privilégié. À cet effet, conserver un horizon religieux propre apparaît pour les auteurs garant d’un positionnement positif dans le pluralisme symbolique caractérisé par une recomposition culturelle humanitaire globale. Il est donc essentiel que les jeunes soient dotés d’outil pour gérer leur patrimoine, mais également les patrimoines divers. Pour Louis Rousseau, l’école joue un rôle fondamental et « matriciel » dans cette refonte culturelle commune86. Cette analyse identitaire dépasse selon nous largement le cadre de ce mémoire, mais elle permet néanmoins de justifier la prépondérance du contenu relatif à la tradition judéo-chrétienne dans le programme d’ÉCR.

L’enseignant d’ÉCR, au demeurant, apparaît comme un gardien des objets de savoirs culturels relatifs au fait religieux et à la pensée humaine et est affecté du mandat de la transmettre aux élèves en la rendant accessible et intelligible. L’école s’institue donc en lieu de transmission culturelle, comme le souligne Inchauspé, ce qui pose le postulat d’enseignants passeurs culturels et éveilleurs d’esprits87. Manifester une compréhension du

religieux et Réfléchir sur des questions éthiques, par leur composante et les attentes de fin

de cycle qui leur sont reliées, constituent des compétences à développer qui promettent d’agir chez l’élève comme moyens d’établir cette relation au monde culturel pendant son

86 Louis Rousseau dans « Contribuer à la construction d’une culture publique commune qui tient compte de la

diversité » (table ronde) dans le cadre des Journées provinciales de formation continue en éthique et culture

religieuse, 2013

parcours scolaire et, dans une plus large mesure, tout au long de son existence citoyenne. Or, déployer un rapport significatif entre la culture première de l’élève et une culture seconde qu’il sera amené à s’approprier au fil de sa formation apparaît comme un vecteur du vivre-ensemble et va nettement dans le sens des orientations du ministère à propos du programme d’ÉCR.

Force est toutefois de constater que tous les enseignants ne portent pas le même regard sur les objets de culture humaine, aussi n’abordent-ils pas les éléments de contenu en employant le même ton. Un exemple révélateur est celui qui a été soulevé en introduction à propos de la façon de traiter les nouveaux mouvements religieux au Québec. Alors qu’un premier enseignant appuyait sa leçon sur le vocable « secte » et s’employait principalement à lever le voile sur les dangers inhérents à l’action de leaders mal intentionnés, le second présentait ces groupements religieux comme des faits sociaux qui marquent la société contemporaine et qui existent avec leur diversité de pratiques, leur contexte de création et la tendance au prosélytisme qui leur est parfois reprochée. Cette dichotomie met à tout le moins en lumière le fait que la compétence culturelle est susceptible de créer un flou pédagogique et peut induire un décalage éducatif parmi les élèves d’une même école et d’un même niveau. Nous sommes d’avis que cet écart est symptomatique d’une certaine lacune dans le programme et peut s’avérer nuisible pour l’intégrité du cours lui-même.

À l’aune de cette situation, il apparaît évident que les connaissances ne suffisent pas pour l’atteinte des idéaux relatifs à la culture fixés par les penseurs du programme et qu’elles ne sont pas les seuls éléments constitutifs d’une posture professionnelle. Comme l’indiquait Marie-Paule Deslauniers lors de la conférence donnée dans le cadre du 5e forum

Éthique et culture religieuse, « C’est l’attitude de l’enseignant qui est la plus

déterminante88 ». Il va donc de soi de s’intéresser désormais au rôle d’accompagnateur qui incombe à l’enseignant.

88 Marie-Paule Deslauniers. « Comment être un passeur culturel tout en évitant le piège du nous… et les